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18/11/2002 | SUISSE | N°4P.179/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 18 novembre 2002, 4P.179/2002


{T 0/2}
4P.179/2002 /ech

Arrêt du 18 novembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffier Carruzzo.

SI X.________,
recourante, représentée par Me Dominique Warluzel, avocat,
rue de Saint-Victor 12, case postale 473, 1211 Genève 12,

contre

Les époux A.________,
intimés, représentés par Me François Bolsterli, avocat,
quai des Bergues 23, 1201 Genève,
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève, case
postale 310

8, 1211 Genève 3.

art. 9 Cst.; procédure civile; appréciation des preuves

(recours de droit public contre l'a...

{T 0/2}
4P.179/2002 /ech

Arrêt du 18 novembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffier Carruzzo.

SI X.________,
recourante, représentée par Me Dominique Warluzel, avocat,
rue de Saint-Victor 12, case postale 473, 1211 Genève 12,

contre

Les époux A.________,
intimés, représentés par Me François Bolsterli, avocat,
quai des Bergues 23, 1201 Genève,
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève, case
postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 9 Cst.; procédure civile; appréciation des preuves

(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre d'appel en
matière de
baux et loyers du canton de Genève du 31 mai 2002)

Faits:

A.
Par contrat du 9 juin 1995, la SI X.________ a remis à bail aux époux
A.________ le domaine dont elle est propriétaire à Y.________
(Genève),
comprenant une maison de maître, des dépendances, garages, écuries,
appartements du personnel, ainsi qu'un jardin à la française, un
jardin
potager, une orangerie, un verger et un bois.

Le bail a été conclu pour une durée de cinq ans, allant du 9 juin
1995 au 9
juin 2000. Sauf congé donné six mois à l'avance, il était prévu que le
contrat se renouvelait ensuite tacitement de deux ans en deux ans.

Le loyer mensuel net a été fixé à 10'000 fr. Il a été convenu que les
locataires prenaient à leur charge les travaux de rafraîchissement et
de
rénovation intérieure. Un avenant au bail précise que ces travaux sont
évalués à environ 600'000 fr.

L'art. 4 du contrat prévoit que, « dans le cadre du bail de cinq
années et au
terme d'une période de deux ans », le domaine peut être vendu à un
tiers.
Dans ce cas, il est accordé aux locataires un droit de préemption qui
leur
permettra d'acquérir les actions de la société immobilière aux mêmes
conditions. Si les locataires renoncent à exercer ce droit, ils
s'engagent à
quitter les lieux dans les six mois qui suivent la notification de
leur
refus. Dans cette hypothèse, la bailleresse est tenue de rembourser
aux
locataires une partie des travaux de rénovation intérieure « au
prorata
temporis calculé sur les 60 mois du bail ». L'art. 37 du contrat
ajoute que
le droit de préemption est accordé « pendant la durée du présent
contrat de
bail à loyer ». Une annexe précise les conditions d'exercice du droit
de
préemption.

Par un avenant du 25 juillet 1995, les parties sont convenues que
certains
travaux à charge de la bailleresse, s'élevant au total à 144'000 fr.,
seraient payés par les locataires et imputés sur les loyers, à raison
de
6'000 fr. par mois, pendant 24 mois, soit du 1er septembre 1995 au 31
août
1997.

B.
Au printemps 1997, des acheteurs potentiels ont visité le domaine.

En novembre 1998, les époux A.________ ont proposé d'acheter le
domaine pour
7'000'000 fr., les frais de liquidation de la SI, estimés à 1'300'000
fr.,
étant à leur charge. Le 23 juin 1999, ils ont proposé qu'il leur soit
accordé
un droit d'emption respectivement pour 10'000'000 fr. jusqu'au 31
juillet
2003 et pour 11'500'000 fr. jusqu'au 31 juillet 2006. Ces offres ont
été
refusées par la bailleresse, qui souhaitait vendre le domaine pour
15'000'000
fr.
Par avis officiel recommandé du 12 octobre 1999, la bailleresse a
résilié le
bail pour son échéance, le 9 juin 2000. Elle a expliqué qu'elle
souhaitait
vendre le domaine et qu'elle pensait qu'il serait plus facile d'y
parvenir
s'il n'y avait pas de locataires.

C.
Les locataires ont contesté la validité de la résiliation et
sollicité,
subsidiairement, une prolongation du bail.

Par décision du 18 avril 2000, la Commission de conciliation en
matière de
baux et loyers a annulé la résiliation, estimant qu'elle contrevenait
aux
règles de la bonne foi.

Par jugement du 24 septembre 2001, le Tribunal des baux et loyers du
canton
de Genève a au contraire déclaré le congé valable et accordé aux
locataires
une unique prolongation du bail de deux ans.

Statuant sur appel des deux parties, la Chambre d'appel en matière de
baux et
loyers, par arrêt du 31 mai 2002, a annulé le congé, estimant qu'il
contrevenait aux règles de la bonne foi.

D.
Parallèlement à un recours en réforme, la SI X.________ a déposé un
recours
de droit public au Tribunal fédéral. Invoquant l'arbitraire dans
l'établissement des faits, elle conclut à l'annulation de l'arrêt de
la
Chambre d'appel.

Les intimés proposent le rejet du recours. Quant à la cour cantonale,
elle se
réfère aux motifs énoncés dans son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre
une
décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des
citoyens
(art. 84 al. 1 let. a OJ).

L'arrêt rendu par la cour cantonale, qui est final, n'est susceptible
d'aucun
autre moyen de droit sur le plan fédéral ou cantonal dans la mesure
où la
recourante invoque la violation directe d'un droit de rang
constitutionnel,
de sorte que la règle de la subsidiarité du recours de droit public
est
respectée (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ). En revanche, si la
recourante
soulevait une question relevant de l'application du droit fédéral, le
grief
ne serait pas recevable, parce qu'il pouvait faire l'objet d'un
recours en
réforme (art. 43 al. 1 et 84 al. 2 OJ).

La recourante est personnellement touchée par la décision attaquée,
qui
annule le congé qu'elle avait donné, de sorte qu'elle a un intérêt
personnel,
actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision n'ait pas été
prise
en violation de ses droits constitutionnels; en conséquence, elle a
qualité
pour recourir (art. 88 OJ).

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ) et dans la forme prévue
par la
loi (art. 90 al. 1 OJ), le recours est en principe recevable.

Hormis certaines exceptions qui ne sont pas réalisées en l'espèce, il
revêt
un caractère purement cassatoire et ne peut tendre qu'à l'annulation
de la
décision attaquée (ATF 128 III 50 consid. 1c; 127 III 279 consid. 1b;
126 III
524 consid. 1b, 534 consid. 1c p. 536).

1.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine
que les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (ATF 128 III 50 consid. 1c; 127 I 38 consid. 3c; 127 III
279
consid. 1c; 126 III 524 consid. 1c, 534 consid. 1b).

2.
2.1La recourante se plaint exclusivement d'arbitraire dans
l'appréciation des
preuves et l'établissement des faits.

Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne
résulte
pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en
considération ou
même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral n'annulera la
décision
attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle
se
trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle
viole
gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore
lorsqu'elle
heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de
l'équité; pour
qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit
pas que la
motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 127 I 54 consid. 2b; 126
I 168
consid. 3a; 125 I 166 consid. 2a).

Lorsque la partie recourante - comme c'est le cas en l'espèce - s'en
prend à
l'appréciation des preuves et à l'établissement des faits, la
décision n'est
arbitraire que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la
portée
d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir
compte d'un
moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si,
sur la
base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables.

2.2 La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir retenu que les
parties
avaient envisagé, au moment de la conclusion du bail, que les
locataires
s'installeraient définitivement dans les lieux.

Contrairement à ce que suggère la recourante, le verbe « envisager »
n'exprime ni une certitude, ni un engagement juridique. Dans le
contexte, ce
terme signifie « imaginer comme possible » (cf. Le Grand Robert de la
langue
française, Paris 1992, vol. 4, acception n° 3).

Or, il ressort du contrat qu'un droit de préemption, dont les
conditions ont
été explicitées de manière détaillée, a été accordé aux locataires
durant le
bail. On doit en déduire que les parties ont pris en considération,
au moment
de la conclusion, la possibilité que les locataires se portent
acquéreurs du
domaine et, par voie de conséquence, s'y établissement durablement.
La phrase
critiquée, telle qu'elle doit être comprise raisonnablement, signifie
que les
parties avaient en vue, au moment de conclure, la possibilité que les
intimés
s'installent durablement dans les lieux. Comme le contrat et son
annexe
exposent longuement les conditions du droit de préemption, la cour
cantonale
pouvait en déduire, sans arbitraire, que ce droit revêtait de
l'importance
pour les parties et qu'elles prenaient donc sérieusement en
considération la
possibilité que les locataires acquièrent le domaine. On ne saurait
donc dire
qu'elle a déterminé de manière arbitraire ce que les parties avaient à
l'esprit au moment de la conclusion (déterminer ce que les
cocontractants
savaient ou voulaient au moment de conclure est une question de fait:
ATF 118
II 58 consid. 3a; 113 II 25 consid. 1a p. 27).

Ce premier grief est donc infondé.

2.3 La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir retenu que les
locataires ont consenti un investissement personnel et financier
important
(pour les travaux de rénovation et d'entretien), parce qu'ils étaient
confiants dans le fait qu'ils pourraient demeurer dans les lieux de
manière
permanente.

Lorsqu'on songe aux désagréments et complications qui résultent
d'importants
travaux de rénovation, on peut en effet déduire des circonstances que
les
locataires ont aménagé la demeure à leur goût dans le ferme espoir de
pouvoir
y rester au moins pour une longue période. On ne saurait donc dire
que la
cour cantonale a déterminé arbitrairement l'état d'esprit qui devait
animer
les locataires. Sur ce point également le grief est infondé.

La phrase critiquée ne signifie cependant pas que les locataires
avaient le
droit de rester dans le domaine après l'expiration de la durée de bail
convenue ou que la recourante, par une attitude quelconque, aurait
fondé une
confiance dont elle serait responsable. L'espoir ferme des locataires
-
constaté sans arbitraire par la cour cantonale - est en définitive
sans
pertinence, de sorte que la question soulevée est de toute manière
impropre à
faire apparaître la décision attaquée comme arbitraire dans son
résultat.

2.4La recourante reproche enfin à la cour cantonale d'avoir retenu
que le
motif de résiliation indiqué par la bailleresse n'était pas
prépondérant dans
sa décision de mettre un terme au contrat.

La cour cantonale a tout d'abord constaté quel était le motif de
résiliation
invoqué par la bailleresse. La recourante ne soutient pas que cette
constatation serait arbitraire.

Ensuite, la Chambre d'appel s'est interrogée sur la réalité de ce
motif; elle
a retenu, par deux fois, qu'il n'était pas prépondérant. Elle n'a
cependant
pas affirmé que, dans l'esprit de la recourante, le motif invoqué
serait
inexistant, voire mensonger. Elle en a au contraire admis
l'existence, mais
en minimisant sa portée.

La cour cantonale a émis l'opinion que d'autres motifs étaient
intervenus à
titre prépondérant. Elle ne constate toutefois pas que la recourante
était
animée par d'autres mobiles. Elle se borne à dire que d'autres
hypothèses lui
apparaissent « plausibles ». Le terme « plausible » évoque une
supposition,
mais non pas une conviction. Dans un passage ultérieur, la cour
cantonale
décrit les effets pratiques de la résiliation, mais sans exprimer la
conviction que le congé était donné par la demanderesse pour
provoquer ces
effets.

Déterminer quels sont les motifs réels d'une résiliation relève des
constatations de fait (ATF 115 II 484 consid. 2b p. 486; 113 II 460
consid.
3b). Il faut cependant que la cour cantonale constate la volonté
réelle de la
partie qui donne le congé; dans un recours en réforme, le Tribunal
fédéral
n'est lié que par des constatations, et non par de simples
suppositions (ATF
107 II 269 consid. 2b). En l'espèce, la cour cantonale a constaté -
sans
arbitraire - quel était le motif de résiliation invoqué par la
bailleresse et
elle a admis que ce motif était réel. La recourante ne critique pas
ces
constatations.
L'autorité intimée a cependant émis l'opinion que le motif invoqué
n'était
pas prépondérant, en supposant l'existence d'autres motifs, mais sans
exprimer aucune conviction à leur sujet, c'est-à-dire sans constater
une
volonté réelle de la part de la bailleresse. Il n'y a donc aucune
constatation de fait qui puisse donner matière à recours de droit
public.

Sur la base des circonstances établies (et non contestées), la cour
cantonale
s'est demandé si l'on pouvait admettre que la bailleresse avait
contrevenu
aux règles de la bonne foi, au sens de l'art. 271 al. 1 CO, en se
livrant à
des suppositions fondées sur des considérations générales. Savoir si
les
circonstances
établies permettent de conclure que la bailleresse a
contrevenu
aux règles de la bonne foi est une question de droit fédéral, qui
porte sur
la bonne application de
l'art. 271 al. 1 CO. En conséquence, cette question ne peut être
examinée que
dans le cadre du recours en réforme déposé parallèlement (où elle a
été
également soulevée), et non pas par la voie du recours de droit
public, qui
revêt un caractère subsidiaire (art. 84 al. 2 OJ).

Dès lors que la cour cantonale n'a pas constaté quels auraient été
les autres
motifs qui ont animé la recourante, il n'y a pas de constatation de
fait
susceptible d'un recours de droit public pour arbitraire, de sorte
que ce
dernier grief, qui touche en réalité la bonne application du droit
fédéral,
est irrecevable.

3.
Les frais et dépens doivent être mis à la charge de la recourante qui
succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera aux intimés une indemnité globale de 5'000 fr.
à titre
de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 18 novembre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.179/2002
Date de la décision : 18/11/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-11-18;4p.179.2002 ?
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