La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/11/2002 | SUISSE | N°5P.371/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 novembre 2002, 5P.371/2002


{T 0/2}
5P.371/2002 /frs

Arrêt du 13 novembre 2002
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Bianchi, président,
Nordmann, Hohl,
greffier Braconi.

X. ________ SA,
recourante, représentée par Me Henri-Philippe Sambuc, avocat, avenue
Antoinette 11, 1234 Vessy,

contre

T.________,
intimé, représenté par Me Bénédict Fontanet, avocat,
rue du Rhône 84, case postale 3200, 1211 Genève 3,
1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211

Genève 3.

art. 9 Cst. (recevabilité de l'opposition dans la procédure de
poursuite pour
effets de change),

...

{T 0/2}
5P.371/2002 /frs

Arrêt du 13 novembre 2002
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Bianchi, président,
Nordmann, Hohl,
greffier Braconi.

X. ________ SA,
recourante, représentée par Me Henri-Philippe Sambuc, avocat, avenue
Antoinette 11, 1234 Vessy,

contre

T.________,
intimé, représenté par Me Bénédict Fontanet, avocat,
rue du Rhône 84, case postale 3200, 1211 Genève 3,
1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (recevabilité de l'opposition dans la procédure de
poursuite pour
effets de change),

recours de droit public contre l'arrêt de la 1ère Section de la Cour
de
justice du canton de Genève du 26 septembre 2002.

Faits:

A.
Le 7 mai 2002, X.________ SA, par l'intermédiaire de son
administrateur
A.________, a signé et avalisé en faveur de T.________ un billet à
ordre d'un
montant de 20'000 US$ (valeur 20 mai 2002), portant la mention «selon
contrat
loan 1/2001-11-29». Le 22 mai 2002, ce billet à ordre a été présenté à
l'encaissement, au siège de la débitrice, par Me P.________, huissier
judiciaire, qui a dressé protêt faute de paiement.

B.
Le 31 mai 2002, T.________ a fait notifier à X.________ SA, dans la
poursuite
pour effets de change N° XXXXXXX, un commandement de payer la somme
de 32'550
fr. (contre-valeur de 20'000 US$) avec intérêts à 5% dès le 27
février 2002.
La poursuivie a formé opposition totale, non motivée.

Par jugement du 16 juillet 2002, le Tribunal de première instance de
Genève a
accueilli l'opposition de la poursuivie. Statuant le 26 septembre
2002 sur
appel du poursuivant, la Cour de justice du canton de Genève a annulé
cette
décision et déclaré l'opposition irrecevable.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ SA
demande au
Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et de déclarer l'opposition
recevable.

L'intimé n'a pas été invité à présenter des observations sur le fond.

D.
Par ordonnance du 30 octobre 2002, le Président de la cour de céans a
accordé
l'effet suspensif.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité du
recours
qui lui est soumis (ATF 128 II 311 consid. 1 p. 315 et la
jurisprudence
citée).

1.1 Les décisions portant sur la recevabilité de l'opposition dans la
poursuite pour effets de change (art. 182 LP) ne tranchent pas une
contestation civile, de sorte qu'elles ne peuvent faire l'objet d'un
recours
en réforme (ATF 93 II 436 consid. 2 p. 437/438); elles sont, en
revanche,
susceptibles d'un recours de droit public pour violation de l'art. 9
Cst.
(ATF 104 III 95 consid. 1 p. 96). Interjeté à temps contre une telle
décision, prise en dernière instance cantonale, le présent recours
est ouvert
sous l'angle des art. 86 al. 1, 87 et 89 al. 1 OJ.

1.2 Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'occurrence (cf. ATF
124 I
327 consid. 4b p. 332/333 et les arrêts cités), le recours de droit
public ne
peut viser qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 128 III 50
consid.
1b p. 53 et la jurisprudence citée). Le chef de conclusions tendant à
ce que
l'opposition soit déclarée recevable est, par conséquent,
inadmissible.

2.
La poursuivie reprend dans son recours de droit public deux arguments
qu'elle
prétend avoir soulevés devant les juridictions cantonales, à savoir,
d'une
part, la violation des art. 1096 et 1097 CO (infra, consid. 2.2) et,
d'autre
part, celle de la «notion de billet à ordre», de l'art. 114 CO, ainsi
que des
«règles d'interprétation et de complètement des contrats» (infra,
consid.
2.3). Elle dénonce, en outre, une transgression de son droit d'être
entendue
(infra, consid. 3).

2.1 Saisi d'un recours de droit public pour violation de l'art. 9
Cst., le
Tribunal fédéral ne procède pas à un libre examen de la cause - le
principe
iura novit curia étant inapplicable (ATF 127 I 38 consid. 3c p. 43) -
et ne
rend pas un arrêt sur le fond qui se substituerait à la décision
attaquée. Il
se limite à contrôler si l'autorité cantonale a respecté les
principes que la
jurisprudence a déduits de cette norme constitutionnelle, et au seul
regard
des moyens invoqués et motivés conformément aux exigences de l'art.
90 al. 1
let. b OJ (ATF 125 I 71 consid. 1c p. 76, 492 consid. 1b p. 495 et
les arrêts
cités); il ne prend pas en considération les allégations, preuves ou
faits
qui n'ont pas été soumis à l'autorité cantonale: nouveaux, ils sont
irrecevables (ATF 124 I 208 consid. 4b p. 212; 118 III 37 consid. 2a
p. 39 et
les arrêts cités).

Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est
manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un
principe
juridique clair et incontesté, ou encore contredit de manière
choquante le
sentiment de la justice et de l'équité (ATF 128 I 19 consid. 3b p.
26/27 et
les arrêts cités); il ne suffit pas qu'une autre solution apparaisse
concevable, voire préférable (ATF 126 III 438 consid. 3 p. 440); pour
que la
décision attaquée soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle
arbitraire
non seulement dans ses motifs, mais également dans son résultat (ATF
125 II
129 consid. 5b p. 134). Il incombe au recourant d'en apporter la
démonstration par une argumentation précise, une critique de nature
purement
appellatoire étant irrecevable (ATF 117 Ia 10 consid. 4b p. 11/12;
110 Ia 1
consid. 2a p. 3/4; 107 Ia 186).

2.2 La recourante reproche tout d'abord à l'autorité cantonale d'être
tombée
dans l'arbitraire en refusant d'admettre son exception tirée de la
nullité du
billet à ordre, faute d'indication du lieu du paiement.

2.2.1 Aux termes de l'art. 182 ch. 3 LP, le juge déclare l'opposition
recevable lorsque le débiteur soulève une exception admissible en
matière de
lettre de change et qu'elle paraît fondée. Vu la version allemande de
cette
disposition, qui parle de «eine aus dem Wechselrechte hervorgehende
Einrede»,
sont visées ici les exceptions en matière de droit de change et,
notamment,
celles qui mettent en cause la validité de l'engagement cambiaire
(Bauer, in:
Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, vol.
II, n. 25
ad art. 182 LP; Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la
poursuite
pour dettes et la faillite, vol. III, n. 21 ad art. 182 LP;
Jaeger/Walder/Kull/Kottmann, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und
Konkurs,
4e éd., vol. II, n. 8 ad art. 182 LP). Une preuve stricte n'est pas
exigée;
il suffit - comme cela ressort du texte légal («paraît fondée») - que
le
moyen soit rendu vraisemblable (ATF 113 III 89 consid. 4a et les
auteurs
cités).

Conformément à l'art. 1096 ch. 4 CO, le billet à ordre doit contenir
l'indication du lieu où le paiement doit s'effectuer. L'omission
d'une telle
énonciation n'entraîne toutefois pas la nullité de l'effet de change;
à
défaut d'indication spéciale, la loi présume que le lieu de création
du titre
est le lieu du paiement (art. 1097 al. 3, en relation avec l'art.
1097 al. 1
in fine CO).

2.2.2 En l'espèce, la cour cantonale a retenu que le billet à ordre ne
mentionne pas expressément le lieu du paiement, mais qu'il indique
son lieu
de création, à savoir «Genève». La référence au «contrat loan
1/2001-11-29»
ne constitue pas une indication spéciale du lieu du paiement: d'une
part, à
la date d'émission du titre, ledit contrat avait été remplacé par une
convention du 27 février 2002; d'autre part, cet acte ne contient
aucune
précision quant au lieu d'exécution de la prestation concernée. Il
est plus
vraisemblable que cette mention évoque la cause du billet à ordre. La
présomption posée par l'art. 1097 al. 3 CO est donc applicable, en
sorte que
l'effet litigieux vaut comme billet à ordre.

La recourante objecte que la mention «selon contrat loan
1/2001-11-29» figure
sur la ligne qui devait être consacrée à l'indication du lieu du
paiement; il
s'agit d'une «indication spéciale» qui écartait la présomption de
l'art. 1097
al. 3 CO et obligeait à rechercher le lieu du paiement dans un
document
distinct de l'effet de change (i.e. le contrat de base), que le
poursuivant
n'a de surcroît produit qu'en appel. Elle allègue, au surplus, que
l'autorité
précédente s'est substituée aux parties en violation de principes
clairs et
indiscutés, car il existe un accord sur le lieu du paiement (art. 2
CO),
lequel ne laisse aucune place à une interprétation par le juge.

Cette critique est appellatoire. La recourante se contente, en effet,
d'exposer sa propre interprétation de la mention controversée, qui se
trouve
à l'emplacement généralement réservé à l'indication du lieu du
paiement, mais
ne démontre pas en quoi les juges cantonaux auraient commis
arbitraire pour y
avoir discerné la cause de l'obligation cambiaire; le grief est, en
conséquence, irrecevable. Au demeurant, la recourante ne craint pas la
contradiction, dès lors qu'elle affirme elle-même à l'appui de son
deuxième
moyen (infra, consid. 2.3) que, dans le cas particulier, la créance
incorporée dans l'effet de change n'était pas abstraite, puisque «sa
cause y
était mentionnée: "selon contrat loan 1/2001-11-29"».

2.3 S'appuyant sur l'arrêt publié aux ATF 127 III 559, la recourante
fait
ensuite valoir que le litige oppose les parties au contrat de base,
que,
celui-ci ayant été remplacé le 27 février 2002, la cause de
l'obligation
cambiaire n'existe plus et, avec elle, la créance découlant du titre;
l'«enveloppe formelle» du billet à ordre devait, en application de
l'art. 114
CO, être tenue pour inexistante juridiquement, tout comme l'était sa
cause.
En d'autres termes, la recourante soutient que la cour cantonale a
arbitrairement repoussé son exception tirée de l'inexistence de la
créance
qui est à la base de l'effet de change.

Il ne résulte pas de l'arrêt déféré, ni du jugement de première
instance, que
la recourante se serait prévalue devant la juridiction inférieure de
l'inexistence de la créance causale. La décision attaquée ne fait
état que de
l'exception fondée sur la nullité du billet à ordre en raison de
l'absence
d'indication du lieu du paiement, mais ne comporte aucune référence
au moyen
tiré de l'inexistence de la créance de base. La recourante ne se
plaint pas à
cet égard d'un défaut de motivation au sens de l'art. 29 al. 2 Cst.
(cf. ATF
126 I 97 consid. 2b p. 102/103), pas plus qu'elle ne précise à quel
stade et
dans quelle forme elle aurait soulevé l'argument en discussion. Son
grief
apparaît nouveau, partant irrecevable faute d'épuisement des moyens
de droit
cantonal (art. 86 al. 1 OJ).

3.
Enfin, la recourante prétend que, pour admettre que le billet à ordre
avait
une cause valable, l'autorité cantonale a violé son droit d'être
entendue
garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. en s'écartant de l'examen formel et
strict
des pièces produites et en se livrant à une appréciation des
relations de
fond; un tel motif aurait eu pour effet de la surprendre - en
méconnaissance
du principe de la loyauté des débats - et constituerait un nouvel
arbitraire.

La cour cantonale ne s'étant pas prononcée sur le moyen pris de
l'inexistence
de la créance de base (supra, consid. 2.3), elle n'a pas examiné si
le billet
à ordre avait une cause valable. Dépourvue d'objet, la critique de la
recourante s'avère irrecevable (ATF 122 I 53 consid. 5 p. 57 et les
arrêts
cités).

4.
Vu le sort du présent recours, l'émolument judiciaire doit être mis à
la
charge de la recourante (art. 156 al. 1 OJ). L'intimé ayant été
uniquement
appelé à se déterminer sur l'attribution de l'effet suspensif, il n'y
a lieu
de lui allouer que des dépens réduits, proportionnés à l'ampleur du
travail
effectué par son conseil.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 100 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 13 novembre 2002

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.371/2002
Date de la décision : 13/11/2002
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-11-13;5p.371.2002 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award