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13/11/2002 | SUISSE | N°4C.200/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 novembre 2002, 4C.200/2002


{T 0/2}
4C.200/2002 /dxc

Arrêt du 13 novembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz, Klett, Nyffeler et Favre,
greffière Aubry Girardin.

AX.________ et BX.________,
demandeurs et recourants, représentés par Me Henri Carron, avocat,
case
postale 1472, 1870 Monthey 2,

contre

Fiduciaire Z.________ S.A.,
défenderesse et intimée, représentée par Me Jean-Marie Closuit,
avocat, place
Centrale 98, case postale 212,
1920 Martigny.

res

ponsabilité de l'organe de révision; créance postposée

(recours en réforme contre le jugement de la Ie Cour
civile du Tr...

{T 0/2}
4C.200/2002 /dxc

Arrêt du 13 novembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz, Klett, Nyffeler et Favre,
greffière Aubry Girardin.

AX.________ et BX.________,
demandeurs et recourants, représentés par Me Henri Carron, avocat,
case
postale 1472, 1870 Monthey 2,

contre

Fiduciaire Z.________ S.A.,
défenderesse et intimée, représentée par Me Jean-Marie Closuit,
avocat, place
Centrale 98, case postale 212,
1920 Martigny.

responsabilité de l'organe de révision; créance postposée

(recours en réforme contre le jugement de la Ie Cour
civile du Tribunal cantonal valaisan du 2 mai 2002)

Faits:

A.
La société C.________ S.A., qui avait pour but la confection et le
commerce
de matériaux de construction, a été fondée à F.________ le 1er août
1989. Son
capital social de 900'000 fr. a été souscrit à raison de 500'000 fr.
par
D.________, de 100'000 fr. par E.________, de 150'000 fr. par
AX.________ et
de 150'000 fr. par BX.________.

D. ________ a été nommé président du conseil d'administration,
E.________
vice-président et BX.________ secrétaire.

La Fiduciaire Y.________ S.A. à F.________ a été désignée comme
organe de
contrôle; elle a été relevée de son mandat le 6 novembre 1989 sans
avoir
vérifié les comptes du premier exercice et a été remplacée par la
Fiduciaire
Z.________ S.A. (ci-après : Z.________). Hormis une fonction de
réviseur,
cette dernière jouait un rôle de conseil auprès de C.________ S.A.,
procédait
à la saisie comptable sur la base des pièces préparées par la société
et
établissait les comptes. Elle s'occupait notamment du compte courant
actionnaire dont disposait D.________ auprès de C.________ S.A.
Z.________
tenait aussi les comptes de l'entreprise de transport exploitée en
raison
individuelle par D.________ et donnait des conseils personnels à
celui-ci.

C. ________ S.A. a rapidement connu des difficultés en raison du
mauvais
fonctionnement d'une machine achetée à une société italienne et elle
a dû
cesser sa production dès le 12 décembre 1990.

L'exercice 1989/1990 a fait l'objet d'un seul bouclement comptable et
a
enregistré une perte de 491'329 fr. 50. Au 31 décembre 1990, le compte
courant actionnaire de D.________ auprès de C.________ S.A.
présentait un
solde en faveur de son titulaire de 1'307'944 fr.

Face aux difficultés financières de C.________ S.A., D.________ a
effectué
des versements en espèces sur les comptes de la société, dont 470'000
fr. le
11 juin 1991, et payé de nombreuses factures.

Le rapport du conseil d'administration présenté à l'assemblée
générale du 27
juin 1991 a relevé que C.________ S.A. avait évité le surendettement
grâce
aux versements de D.________ et que l'avenir de la société dépendait
principalement du succès de la procédure judiciaire engagée contre la
société
italienne.

Les époux X.________ ont refusé de donner décharge aux
administrateurs et
BX.________ a démissionné du conseil d'administration. Les comptes
ont été
approuvés par D.________ et E.________.

Les comptes de l'exercice 1991 ont mis en évidence une perte de
937'778 fr.
75 qui, additionnée à celle de l'exercice précédent, entraînait une
perte
reportée de 1'429'108 fr. 25.

Le 31 décembre 1991, D.________ détenait une créance de 2'306'540 fr
20. à
l'encontre de la société. Le 19 août 1992, il a déclaré renoncer au
paiement
de celle-ci "dans la mesure où cela sera nécessaire pour que tous les
autres
créanciers soient entièrement couverts".

Dans son rapport du 21 août 1992, l'organe de révision a proposé
d'approuver
les comptes, relevant que la société était surendettée, que les
conditions de
l'art. 725 al. 2 CO étaient réunies, mais que les actionnaires avaient
accepté de postposer leurs créances pour 2'306'540 fr. 20. Les
comptes ont
été approuvés lors de l'assemblée générale du 14 septembre 1992; les
époux
X.________ ont refusé de donner décharge à l'administrateur.

Dans le courant de l'année 1992, D.________ a acquis de C.________
S.A. du
matériel pour 161'613 fr. 50. Ces achats n'ont pas fait l'objet de
paiements
en espèces, mais ont été compensés avec la créance qu'il détenait
auprès de
la société. Durant cette même année, D.________ a notamment payé des
factures
de C.________ S.A. à hauteur de 158'121 fr. 35 et sa créance envers la
société a augmenté de 344'307 fr.

L'exercice 1992 a été déficitaire pour un montant de 638'008 fr. Dans
son
rapport du 16 juin 1993, l'organe de révision a relevé une perte au
bilan
s'élevant à 2'067'116 fr. 25 et a conclu que la société était
surendettée. Il
a ajouté que la postposition pouvait se révéler insuffisante pour
permettre à
la société de faire face à ses engagements à moins de vendre les
machines et
installations pour 320'000 fr. au moins.

Celles-ci n'ayant pu être vendues, le juge a été informé le 3 août
1993 et la
faillite de C.________ S.A. a été prononcée le 16 août 1993 sur
réquisition
d'un créancier.

Les époux X.________ ont produit une créance de 202'600 fr. dans la
faillite,
correspondant à une caution qu'ils ont dû verser et pour laquelle ils
ont
obtenu un acte de défaut de biens.

D. ________ est à son tour tombé en faillite le 27 septembre 1993. Sa
masse a
produit la créance d'actionnaire qu'il avait envers C.________ S.A.
et elle a
obtenu un acte de défaut de biens s'élevant à 2'650'848 fr. 25.

Le 16 décembre 1993, les époux X.________ ont dénoncé pénalement
D.________.

Le 6 novembre 1997, ils se sont fait céder les droits de la masse en
faillite
de C.________ S.A. contre toutes les personnes chargées de la
fondation, de
l'administration, de la gestion ou du contrôle de la société.

B.
Le 27 avril 1998, les époux X.________ ont introduit une action en
responsabilité à l'encontre de Z.________, en concluant au paiement
par cette
dernière de 202'600 fr. avec intérêt à 5 % dès le 30 septembre 1993.

Le 8 juin 2000, D.________ a été condamné par un tribunal valaisan à
une
peine de huit mois d'emprisonnement, assortie d'un sursis pendant
deux ans,
pour banqueroute frauduleuse, obtention frauduleuse d'une
constatation fausse
et fausse déclaration d'une partie en justice.

Par jugement du 2 mai 2002, la Ie Cour civile du Tribunal cantonal
valaisan a
rejeté la demande des époux X.________, considérant qu'aucun
comportement
fautif ne pouvait être reproché à la fiduciaire, que ce soit en tant
qu'organe de révision ou en tant que mandataire.

C.
Contre ce jugement, les époux X.________ (les demandeurs)
interjettent un
recours en réforme au Tribunal fédéral. Ils concluent, avec suite de
frais et
dépens, à l'admission de leur recours et à la réforme du jugement
entrepris
dans le sens que Z.________ soit condamnée à leur verser, en tant que
créanciers solidaires, la somme de 161'613 fr. 50, avec intérêt à 5 %
dès le
1er janvier 1993, le dossier étant renvoyé au Tribunal cantonal
valaisan pour
qu'il statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure
cantonale.

Z. ________ (la défenderesse) propose d'écarter le recours en
réforme, avec
suite de frais et dépens.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit mener son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve
n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant
sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter
les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte
de faits pertinents régulièrement allégués et clairement établis
(art. 64 OJ;
ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités). Hormis ces
exceptions que le
recourant doit invoquer expressément, il ne peut être présenté de
griefs
contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve
nouveaux
(art. 55 al. 1 let. c OJ).
Il ne sera par conséquent pas tenu compte des faits allégués par les
demandeurs qui ne figurent pas dans le jugement entrepris, en
particulier
lorsque ceux-ci se réfèrent à des éléments ressortant de la procédure
pénale
dirigée contre le président du conseil d'administration (ci-après:
l'administrateur). Dès lors que ce n'est à l'évidence pas par
inadvertance
manifeste, au sens où l'entend la jurisprudence (cf. ATF 109 II 159
consid.
2b), que la cour cantonale n'a pas tenu compte de ces éléments, il
appartiendra uniquement au Tribunal fédéral de faire usage de l'art.
64 al. 1
OJ s'il devait estimer que les faits constatés ne suffisent pas pour
statuer
sur le présent recours. Les demandeurs se réfèrent du reste également
à cette
possibilité.

1.2 Le Tribunal fédéral applique le droit d'office, sans être lié par
les
motifs que les parties invoquent (art. 63 al. 1 et 3 OJ; ATF 122 III
150
consid. 3 p. 156; 117 II 494 consid. 3), ni par l'argumentation
juridique
retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 128 III 22
consid. 2e/cc
p. 29 et les arrêts cités). Il peut donc admettre un recours pour
d'autres
motifs que ceux soulevés par le recourant et il peut également
rejeter le
recours en adoptant une autre argumentation juridique que celle
retenue par
les juges cantonaux (ATF 127 III 248 consid. 2c in fine et la
référence
citée).

2.
En instance cantonale, les demandeurs reprochaient à la fiduciaire
d'avoir
commis plusieurs négligences distinctes de nature à engager sa
responsabilité
d'organe de révision et de mandataire de la société. Tous leurs
griefs ont
été écartés par la cour cantonale. Devant le Tribunal fédéral, les
demandeurs
ne s'en prennent plus qu'à un seul point, à savoir le refus
d'admettre une
responsabilité de l'organe de révision en relation avec
l'acquisition, en
1992, par l'administrateur de C.________ S.A., de matériel
appartenant à la
société pour 161'613 fr. 50, dont le prix a été payé par compensation
opérée
sur le compte courant actionnaire de l'acquéreur, alors que la
créance de ce
dernier auprès de la société était postposée. Les demandeurs ont du
reste
réduit leurs conclusions dans le recours en réforme au montant
compensé.
Seule cette question sera donc revue dans le cadre de la présente
procédure
(cf. art. 55 al. 1 let. b et c OJ).

3.
L'opération à propos de laquelle les demandeurs estiment que la
responsabilité de l'organe de révision devrait être engagée n'a causé
aucun
dommage à la société. Comme il n'a pas été constaté que le montant de
161'613
fr. 50 porté au débit du compte courant de l'administrateur en
contrepartie
de l'acquisition de matériel et de marchandises aurait correspondu à
un prix
inférieur à celui du marché, la société a fait une opération neutre
sur le
plan comptable: ses actifs ont diminué dans la même proportion que ses
passifs, puisque sa dette envers l'administrateur a été réduite d'un
montant
équivalant à la valeur du matériel cédé. En revanche, par ce
transfert, la
société s'est dessaisie de biens réalisables au profit d'un seul de
ses
créanciers. Les autres créanciers, qui ont obtenu un acte de défaut
de biens
dans la faillite, ont donc subi un préjudice.
Dans ces circonstances, les distinctions opérées par la jurisprudence
dans le
but de déterminer qui de la société ou des créanciers ainsi que des
actionnaires peut obtenir réparation du dommage subi (cf. ATF 125 III
86
consid. 3 et 122 III 176 consid. 7) ne sont pas pertinentes, dès lors
que la
société n'a en l'occurrence pas été lésée (cf. Hirsch, La
responsabilité des
organes en cas d'insolvabilité de la SA: dommage direct et indirect
des
créanciers, RSDA 2/2000 p. 94 ss, 99 s.; Widmer/Banz, Commentaire
bâlois,
art. 755 CO no 10). Les demandeurs sont donc légitimés, en tant que
créanciers, à s'en prendre à l'organe de révision, pour obtenir
réparation de
leur propre dommage (arrêt du Tribunal fédéral 4C.198/2000 du 28
septembre
2000 consid. 4b; cf. en ce sens Bürgi/ Nordmann-Zimmermann,
Commentaire
zurichois, n. 15 et 105 ad art. 753/754 CO; Chaudet, Responsabilité
civile et
principaux devoirs des réviseurs, L'expert-comptable suisse 2000 p.
306 ss,
310).

4.
La cour cantonale a nié que la responsabilité de la défenderesse
puisse être
engagée en relation avec les compensations intervenues en 1992 pour
deux
motifs distincts. D'une part les juges ont estimé qu'aucun manquement
ne
pouvait être reproché à la fiduciaire, car, en vertu du rapport de
compte
courant liant la société à son administrateur, ce dernier était en
droit de
compenser ses dettes envers celle-là résultant de l'acquisition de
matériel
ou de marchandises, pour autant que cette compensation ne diminue pas
la
créance postposée au point d'imposer un constat de surendettement.
Or, au
cours de l'exercice 1992, la moitié du capital social, à savoir
450'000 fr.,
avait toujours été couverte, de sorte que l'art. 725 aCO n'avait pas
été
violé. D'autre part, les juges ont relevé qu'aucun dommage n'avait
été causé
à la société, car, même si l'on pouvait reprocher à l'administrateur,
par le
jeu des compensations, de s'être remboursé momentanément une partie
de la
créance postposée sans l'accord des autres créanciers, la créance de
celui-ci
envers la société en fin d'exercice était supérieure de 344'307 fr. à
celle

qu'il avait accepté de postposer en début d'exercice et elle n'avait
pas
diminué avant la mise en faillite.

Les demandeurs critiquant les deux pans de cette motivation, il
convient
d'entrer en matière (cf. ATF 122 III 488 consid. 2; 115 II 300
consid. 2a).

5.
Avant d'examiner si les conditions de la responsabilité de la
fiduciaire à
l'encontre des deux créanciers sont réunies, le fondement juridique
de cette
action doit encore être précisé. En effet, il ressort du jugement
entrepris
que la fiduciaire a agi non seulement comme organe de révision, mais
également en qualité de mandataire de la société au sens des art. 394
ss CO,
dans la mesure où elle jouait un rôle de conseil, qu'elle procédait à
la
saisie comptable sur la base des pièces préparées par la société et
qu'elle
établissait les comptes.

A l'égard de la société, la responsabilité de la défenderesse
pourrait être
engagée aussi bien en cas de violation des obligations découlant de sa
fonction d'organe de révision que de celles résultant des attributions
supplémentaires qui lui ont été confiées (Forstmoser, La
responsabilité du
réviseur en droit des sociétés anonymes, Publications de la Chambre
fiduciaire, Zurich 1997, no 19). Il n'en va pas de même envers les
demandeurs, dès lors qu'ils réclament la réparation de leur propre
dommage
subi en qualité de créanciers (cf. supra consid. 3). Ceux-ci ne
peuvent donc
fonder leur action sur la violation par la fiduciaire de ses devoirs
issus du
mandat supplémentaire qu'elle a conclu avec la société. En revanche,
les
demandeurs, en tant que créanciers, sont en droit d'invoquer les
dispositions
relatives à la responsabilité de l'organe de révision prévues par le
droit de
la société anonyme.

6.
Il ressort du jugement entrepris que c'est "dans le courant de
l'année 1992"
que les acquisitions de matériel et les compensations litigieuses ont
été
effectuées sur le compte courant actionnaire de l'administrateur.
Cette
période est trop vague pour déterminer si les éventuels manquements
reprochés
à la défenderesse en relation avec ces opérations sont antérieurs ou
postérieurs à l'entrée en vigueur, le 1er juillet 1992, du nouveau
droit de
la société anonyme et, par conséquent, s'ils doivent être appréciés à
la
lumière des anciennes ou des nouvelles dispositions (cf. Böckli,
Schweizer
Aktienrecht, 2e éd. Zurich 1996, nos 2049 et 2054 p. 1122). Cette
question
peut toutefois demeurer indécise. Que l'on applique l'art. 754 al. 1
aCO ou
l'art. 755 CO, la responsabilité de l'organe de révision est
subordonnée à la
réunion des quatre conditions générales suivantes, à savoir un
dommage, un
manquement par l'organe à ses devoirs, une faute (intentionnelle ou
par
négligence) et un lien de causalité adéquate entre le manquement et le
dommage (ATF 127 III 453 consid. 5a pour l'ancien droit; Chaudet, op.
cit.,
p. 310 pour le nouveau droit). Quant au contenu des devoirs de
l'organe de
révision, les nouvelles dispositions n'ont pas apporté de changements
propres
à modifier l'appréciation du comportement de la défenderesse qui lui
est
reproché en l'espèce.

7.
Pour que la responsabilité de l'organe de révision soit engagée en
vertu de
l'art. 755 CO ou de l'art. 754 al. 1 aCO, il faut en premier lieu que
l'on
puisse lui reprocher la violation d'un devoir lui incombant.

7.1 De manière générale, l'organe de révision n'est pas chargé de
contrôler
la gestion de la société et de rechercher systématiquement
d'éventuelles
irrégularités (cf. ATF 112 II 461 consid. 3c), mais si, au cours de sa
vérification, il constate des violations de la loi ou des statuts, il
doit en
aviser par écrit le conseil d'administration et, dans les cas graves,
également l'assemblée générale (art. 729b al. 1 CO, qui correspond
matériellement à l'art. 729 al. 3 aCO; Watter, Commentaire bâlois,
art. 729b
CO no 2). Ce devoir d'avis n'est pas limité aux objets sur lesquels
porte la
vérification du réviseur, mais s'applique à toutes les irrégularités
constatées (Böckli, Nouveautés relatives à la responsabilité de
l'organe de
révision, Zurich 1995, p. 70; Chaudet, op. cit., p. 318 s.).
Afin d'éviter l'avis au juge en cas de surendettement, il est possible
d'utiliser le moyen de la postposition (cf. art. 725 al. 2 CO, qui ne
fait
que codifier une pratique largement répandue; Böckli, Schweizer
Aktienrecht,
op. cit., no 1699; Charles Jaques, Subordination (postposition) et
exécution,
L'expert-comptable suisse 1999, p. 899 ss, 900). L'organe de révision
doit
alors vérifier sa validité (Jörg Witmer, Der Rangrücktritt im
schweizerischen
Aktienrecht, thèse St-Gall 1999, p. 139; Chaudet, op. cit., p. 315;
Gabriel
Heldner, Rangrücktritt und Kontrollstelle, L'expert-comptable suisse
1998, p.
113 ss, 115), la respectabilité du créancier postposant (Wüstiner,
Commentaire bâlois, art. 725 CO no 48; Witmer, op. cit., p. 140;
Heldner, op.
cit., p. 114) et l'éventuel risque de conflits d'intérêts (Witmer,
op. cit.,
p. 141). S'il constate que ces exigences ne sont pas respectées,
l'organe de
révision a le devoir de procéder aux avis prescrits par l'art. 729b
al. 1 CO
(Böckli, Nouveautés, op. cit., p. 81 s.), sous peine de voir sa
responsabilité engagée (Watter, op. cit., art. 729b CO no 1; Böckli,
Nouveautés, op. cit., p. 69 ss).

7.2 Les tâches supplémentaires confiées à l'organe de révision sur la
base
d'un mandat conclu avec la société qu'il est censé contrôler ne sont
pas sans
incidence lors de l'appréciation de l'étendue de ses devoirs.
L'organe de
révision qui accepte d'effectuer d'autres activités pour la société,
souvent
au mépris de son devoir d'indépendance (cf. art. 727c al. 1 CO; ATF
123 III
31 consid. 1a in fine; Böckli, Nouveautés, op. cit., p. 36), prend le
risque
de voir sa responsabilité accrue. La Cour de céans, se prononçant
dans un cas
où l'organe de révision, à l'instar de la défenderesse, tenait les
comptes de
la société qu'il devait contrôler, a indiqué que, pour examiner si
cet organe
avait rempli correctement sa mission légale, il fallait tenir compte
de tous
les éléments dont il avait pu avoir connaissance dans le cadre de ses
attributions spéciales (arrêt du Tribunal fédéral 4C.506/1996 du 3
mars 1998,
publié in SJ 1999 I p. 228, consid. 6a in fine).

7.3 Il ressort du jugement entrepris que la société se trouvait dans
une
situation financière difficile depuis 1990 déjà et que, chaque année,
elle a
enregistré de nouvelles pertes. A la fin de l'exercice 1991, la
société était
surendettée. L'avis au juge a toutefois pu être évité grâce à la
postposition
de la créance de l'administrateur qui s'élevait à 2'306'540 fr. 20 au
31
décembre 1991. En revanche, lors du bouclement de l'exercice 1992,
qui est
intervenu au mois de juin 1993, l'organe de révision a expressément
indiqué
que les conditions de l'art. 725 al. 2 CO étaient réunies et la
faillite a
finalement été prononcée le 16 août 1993. C'est dans le courant de
1992, soit
dans une période particulièrement délicate pour la société, que
l'administrateur a acquis du matériel et des marchandises appartenant
à
celle-ci pour un montant de 161'613 fr. 50, dont il n'a pas versé le
prix en
espèces, mais qu'il a compensé par sa créance envers la société au
moyen de
son compte courant, alors que celle-ci était postposée. La
défenderesse, qui
tenait les comptes de la société, en particulier le compte courant de
l'administrateur, a passé les écritures s'y référant, mais il n'a pas
été
constaté à quel moment elle y avait procédé.

Il convient de se demander si, comme le soutiennent les demandeurs,
elle a
violé ses devoirs en consentant à ces opérations.

7.4 Conformément à la jurisprudence précitée (cf. supra consid. 7.2),
il
importe peu que la défenderesse ait eu connaissance de l'achat de
matériel
par l'administrateur et des compensations en découlant dans le cadre
de son
activité liée à la tenue des comptes de la société, et non pas en
effectuant
des tâches relevant du contrôle. Seule est déterminante la question
de savoir
si sa qualité d'organe de révision lui imposait de réagir.

Dans ce contexte, les demandeurs ne peuvent reprocher à la
défenderesse
d'avoir procédé à l'inscription des compensations sur le compte
courant de
l'administrateur, dès lors que ces tâches n'entraient pas dans les
attributions de l'organe de révision, qui agissait alors uniquement
dans le
cadre des activités supplémentaires pour lesquelles la société l'avait
mandaté (cf. supra consid. 5). Ces actes ne sauraient donc engager sa
responsabilité au sens du droit des société anonymes (Chaudet, op.
cit., p.
311). En revanche, il faut se demander si la connaissance de ces
opérations
n'aurait pas dû éveiller auprès de la défenderesse, en tant qu'organe
de
révision, des doutes légitimes sur leur légalité.

Tout d'abord, il ne pouvait lui échapper qu'en compensant le prix
d'acquisition du matériel par la créance résultant de son compte
courant,
l'administrateur détournait les règles de la postposition. En effet,
aussi
longtemps que dure la situation de surendettement, le créancier
postposant
perd le droit à faire valoir sa prétention (cf. Homburger, Commentaire
zurichois, n. 1263 et 1265 ad art. 725 CO), ce qui exclut
implicitement la
faculté pour celui-ci de compenser sa créance (Wüstiner, op. cit., n.
46 ad
art. 725 CO; Böckli, Schweizer Aktienrecht, op. cit., n. 1703 s.;
Thomas
Rihm, Nachrangige Schuldverpflichtungen, Zurich 1992, p. 67; Witmer,
op.
cit., p. 175). L'administrateur n'avait ainsi pas le droit d'utiliser
son
compte courant pour compenser une partie de sa créance postposée en
contrepartie de l'acquisition de matériel appartenant à la société,
alors
que, comme on l'a vu, la situation financière de cette dernière ne
s'améliorait pas.

Par ailleurs, la défenderesse aurait dû se rendre compte que les
opérations
effectuées par l'administrateur ne servaient ni les intérêts de la
société ni
ceux des actionnaires. Du point de vue de la société, la vente de
matériel à
l'administrateur a eu pour seul résultat de lui faire perdre une
partie de sa
substance, sans qu'elle bénéficie en contrepartie de liquidités
qu'elle
aurait pu consacrer à la reprise de ses activités, alors qu'à cette
période,
ses perspectives d'assainissement étaient qualifiées de raisonnables
par la
cour cantonale. Quant aux autres créanciers, ils ont été privés d'une
partie
des actifs réalisables de leur débitrice au profit d'un seul d'entre
eux,
alors que le remboursement de cette créance ne revêtait aucune
urgence, dès
lors qu'elle était postposée.

Enfin, bien que le jugement entrepris ne soit pas très clair à ce
sujet, il
semble que l'administrateur ait acquis le matériel de la société en
agissant
à la fois comme représentant de la société et pour lui-même, de sorte
que
l'organe de révision aurait également dû être attentif à la validité
de
l'opération et se demander s'il n'y avait pas un "contrat avec
soi-même" qui
aurait dû être ratifié par un organe supérieur de la société (cf. ATF
127 III
332 consid. 2b/aa).

En pareilles circonstances, la défenderesse avait l'obligation, en
vertu de
l'art. 729b al. 1 CO (art. 729 aCO), d'aviser par écrit les organes
désignés
par la loi du caractère pour le moins suspect des opérations de
compensation
dont elle avait eu connaissance en tenant le compte courant
actionnaire de
l'administrateur. Un tel manquement est de nature à engager sa
responsabilité
en tant qu'organe de révision.

7.5 Le raisonnement de la cour cantonale, qui a considéré qu'aucun
reproche
ne pouvait être fait à l'organe de révision, car les compensations en
cause
ne mettaient pas la société dans une situation financière tombant
sous le
coup de l'art. 725 aCO, ne peut ainsi être suivi. En n'envisageant les
obligations de l'organe de révision que sous l'angle de cette
disposition,
les juges ont apprécié de manière partielle les devoirs lui
incombant. En
outre, du point de vue des créanciers lésés, l'augmentation de la
créance
postposée en fin d'exercice n'enlève rien au fait que la société a
été vidée
d'une partie de sa substance.

8.
Dès lors que le Tribunal fédéral n'est pas lié par l'argumentation
juridique
retenue dans l'arrêt attaqué (ATF 127 III 248 consid. 2c in fine),
encore
faut-il, pour que le recours puisse être admis, que les autres
conditions
générales de l'art. 755 CO (art. 754 aCO) soient réunies (cf. supra
consid.
6). En d'autres termes, la responsabilité de la défenderesse ne peut
être
engagée que si son comportement, en tant qu'organe de révision, se
trouve
dans un rapport de causalité adéquate avec le résultat dommageable
(Chaudet,
op. cit., p. 312). Comme le manquement qui est reproché à la
fiduciaire
(défaut d'avis concernant les opérations de compensation inscrites au
compte
courant) consiste en une omission, il convient de s'interroger sur le
cours
hypothétique qu'auraient pris les événements si l'organe de révision
avait
agi conformément à ses devoirs (cf. ATF 127 III 453 consid. 5d p.
456), en
prenant en considération toutes les circonstances concrètes
(Forstmoser, op.
cit., no 162 et 206).

A cet égard, il ne faut pas perdre de vue que l'organe de révision a
une
position atypique dans la société anonyme. Il s'agit d'un organe
secondaire,
qui n'intervient que de manière sporadique (cf. Böckli, Nouveautés,
op. cit.,
p. 9), généralement après
coup (Forstmoser, op. cit., no 119 et 188).
De
plus, il n'est en principe pas l'auteur unique du préjudice, qui
découle
avant tout du comportement des organes exécutifs (Forstmoser, op.
cit., no
187). Cette situation particulière peut avoir pour résultat de
décharger
l'organe de révision de toute responsabilité, lorsqu'il s'avère que,
même si
celui-ci avait agi conformément à ses devoirs et à temps, le cours
des choses
qui a provoqué le dommage et qui a été déclenché à l'origine par les
organes
exécutifs, n'aurait, selon l'expérience de la vie, pas été différent
ou ne se
serait pas modifié avec suffisamment de vraisemblance (cf. ATF 119 II
255
consid. 4b p. 259; Böckli, Nouveautés, op. cit., p. 19).

En l'espèce, il ressort du jugement entrepris que les compensations
litigieuses portant sur un montant total de 161'613 fr. 50 se sont
déroulées
exclusivement durant l'exercice 1992. Comme déjà indiqué (cf. supra
consid.
7.4), on ne peut reprocher à la défenderesse, en qualité d'organe de
révision, d'avoir passé les écritures comptables se référant à ces
opérations, mais seulement de ne pas avoir avisé par écrit, en
violation de
l'art. 729b al. 1 CO (art. 729 aCO), les organes compétents du
caractère
suspect des transactions dont elle avait eu connaissance. Or, même si
la
fiduciaire avait respecté ses devoirs, elle n'aurait été en mesure de
procéder à cet avis qu'a posteriori et n'aurait, par conséquent, pas
pu
empêcher les opérations en cause, limitées dans le temps, de se
réaliser. En
outre, il n'a pas été constaté que l'administrateur aurait effectué de
nouvelles compensations durant la première moitié de l'exercice 1993,
qui a
précédé la faillite de la société, de sorte que l'avis prescrit
n'aurait pas
eu non plus pour effet de prévenir la réalisation d'opérations
similaires qui
se seraient déroulées ultérieurement.

En pareilles circonstances, on ne voit pas en quoi les manquements
commis par
la défenderesse en tant qu'organe de révision auraient pu provoquer ou
accroître le dommage dont se prévalent les demandeurs.

Toutes les conditions permettant de retenir la responsabilité de
l'organe de
révision n'étant pas réunies, il ne peut être reproché à la cour
cantonale
d'avoir violé le droit fédéral en déboutant les demandeurs de leurs
prétentions à l'encontre de la défenderesse. Le recours doit par
conséquent
être rejeté et le jugement attaqué confirmé.

9.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la
charge
des demandeurs, solidairement entre eux (art. 156 al. 1 et 7; 159 al.
1 et 5
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté et le jugement attaqué est confirmé.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge des
demandeurs,
solidairement entre eux.

3.
Les demandeurs, débiteurs solidaires, verseront à la défenderesse une
indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Ie Cour civile du Tribunal cantonal valaisan.

Lausanne, le 13 novembre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.200/2002
Date de la décision : 13/11/2002
1re cour civile

Analyses

Art. 725 al. 2, 729b al. 1 et 755 CO; responsabilité de l'organe de révision; créance postposée; lien de causalité. Etendue des devoirs incombant à l'organe de révision en relation avec une opération consistant à réduire, par compensation, une créance postposée (consid. 7). Examen du lien de causalité entre les manquements imputables à l'organe de révision et le dommage subi par les créanciers, compte tenu de la position particulière de cet organe (consid. 8).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-11-13;4c.200.2002 ?
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