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12/11/2002 | SUISSE | N°1E.12/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 novembre 2002, 1E.12/2002


{T 0/2}
1E.12/2002 /col

Arrêt du 12 novembre 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Reeb,
greffier Jomini.

A. ________,
recourant,

contre

Aéroport international de Genève, intimé, 1215 Genève, représenté par
Me
Olivier Cramer, avocat, rue de la Fontaine 9, case postale 3781, 1211
Genève
3,
Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, p.a. M.
Jean-Marc

Strubin, Président-suppléant, Tribunal
de 1re Instance, case postale 3736, 1211 Genève 3.

Expropriation, droits de voisinage
...

{T 0/2}
1E.12/2002 /col

Arrêt du 12 novembre 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Reeb,
greffier Jomini.

A. ________,
recourant,

contre

Aéroport international de Genève, intimé, 1215 Genève, représenté par
Me
Olivier Cramer, avocat, rue de la Fontaine 9, case postale 3781, 1211
Genève
3,
Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, p.a. M.
Jean-Marc
Strubin, Président-suppléant, Tribunal
de 1re Instance, case postale 3736, 1211 Genève 3.

Expropriation, droits de voisinage

recours de droit administratif contre la décision de la Commission
fédérale
d'estimation du 1er arrondissement du 27 mai 2002.

Faits:

A.
A. ________ est actuellement propriétaire de la parcelle n° 3821 du
registre
foncier, sur le territoire de la commune de Vernier. Ce bien-fonds de
700 m2,
où se trouve une maison d'habitation familiale et un garage, est issu
de la
division de la parcelle n° 1609, selon un acte notarié du 22 décembre
1994.
Par cet acte, A.________ cédait en outre le solde (non bâti) de la
parcelle
n° 1609, soit 2515 m2, à l'Etat de Genève, pour le prix de 792'225 fr.

B.
Avant cette cession de terrain à l'Etat de Genève, A.________ avait,
en tant
que propriétaire de la parcelle n° 1609, adressé le 24 juillet 1992 au
Conseil d'Etat de la République et canton de Genève une demande
d'indemnité
pour expropriation matérielle, en raison des restrictions de la
propriété
foncière résultant des plans des zones de bruit (selon l'intitulé de
cette
demande).
Cette demande se référait à la publication dans le feuille officielle
du
canton de Genève, le 2 septembre 1987, du plan des zones de bruit de
l'aéroport de Genève, classant la parcelle n° 1609 dans la zone B
(cf. art.
42ss de la loi fédérale sur l'aviation [LA; RS 748.0]; cf. ATF 121 II
317
let. B p. 320 ss). A.________ faisait valoir, en substance, que
l'application
combinée de cette réglementation du droit fédéral, excluant les
nouveaux
bâtiments d'habitation, et de la réglementation du droit cantonal de
l'aménagement du territoire - celle de la zone résidentielle en
l'occurrence
-, empêchait la construction aussi bien de villas que de locaux
artisanaux ou
commerciaux. Il prétendait en conséquence à une indemnité
d'expropriation de
1'350'000 fr., pour compenser la dévaluation de sa propriété.
Le département cantonal des travaux publics a répondu à A.________,
le 31
juillet 1992, que l'autorité compétente pour statuer sur la demande,
à savoir
la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, serait
prochainement saisie. Le président de ce département a ensuite, le 11
décembre 1992, proposé à A.________ une suspension de la procédure, en
précisant que cette suspension n'entraînerait pas la prescription de
la
demande. A.________ a répondu, le 16 décembre 1992, qu'il acceptait la
suspension à la condition que la Commission fédérale soit saisie au
préalable.
Au début de l'année 1993, le président de la Commission fédérale
d'estimation
du 1er arrondissement, interpellé par A.________, a invité le
département
cantonal à requérir, au nom de l'Etat de Genève, l'ouverture d'une
procédure
d'estimation. Cette procédure a été finalement ouverte le 25 mai 1993
(cause
1/93). A.________ a précisé ses conclusions dans un mémoire du 12
juillet
1993, en demandant désormais le paiement d'une somme de 1'300'000 fr.

titre d'indemnité compensatoire des effets restrictifs de la propriété
foncière résultant du plan des zones de bruit" (moins-value subie par
l'immeuble). L'Etat de Genève a répondu le 1er octobre 1993, en
concluant au
rejet de la demande. A.________ a répliqué le 17 septembre 1993, en
persistant dans ses conclusions. L'audience de conciliation a eu lieu
le 10
mai 1994. La Commission fédérale n'a pas pris d'autres mesures
d'instruction
à la suite de cette audience. De leur côté, l'Etat de Genève et
A.________
ont signé le 22 décembre 1994 une convention dont la teneur est la
suivante:
Préambule.

Les parties sont opposées dans une procédure d'expropriation
matérielle,
ouverte à l'instance de M. A.________, devant la Commission fédérale
d'estimation du 1er arrondissement (cause n° 1/1993).
La demande, dont l'instruction écrite est virtuellement terminée,
conclut au
paiement d'une indemnité compensatoire des effets restrictifs de la
propriété
foncière résultant du plan des zones de bruit de l'aéroport de
Genève-Cointrin.
Parallèlement à cette procédure, les parties ont engagé des
pourparlers en
vue de résoudre ce problème de manière équitable.
Elles sont finalement parvenues à un accord de principe, consistant
principalement en l'achat par l'Etat de Genève de la majeure partie du
terrain de M. A.________, qui forme la parcelle 1609, fe. 48, de la
commune
de Vernier, selon projet de division établi par M. Christian Haller,
ingénieur géomètre officiel, le 5 décembre 1994, et projet d'acte
dressé par
M. Pierre Mottu, notaire.
Accessoirement, il a été admis que l'Etat de Genève déchargerait M.
A.________ des frais d'étude consacrés à la mise en valeur de ladite
parcelle
et lui accorderait la jouissance gratuite du terrain vendu pendant
une durée
de 7 ans, prorogeable.
En complément dudit acte de vente, les parties conviennent donc de ce
qui
suit:
Article 1 - Frais
L'Etat de Genève défrayera M. A.________ des dépenses exposées par
l'étude de
mise en valeur de la parcelle 1609, fe. 48 de Vernier, selon factures
de M.
Jean-François Aubert, architecte, des 22 octobre 1991 et 20 avril
1993, au
montant total de 30'820 fr.
Article 2 - Jouissance
L'Etat de Genève accorde à M. M. A.________ la jouissance gratuite du
terrain
vendu, formant au projet de division établi par M. Christian Haller,
ingénieur géomètre officiel, le 5 décembre 1994, la sous-parcelle
1609 B, fe.
48, de la commune de Vernier, d'une contenance de 2515 m2;
Ce droit de jouissance est consenti pour une durée échéant au 31
décembre
2001. Sauf dénonciation notifiée au moins six mois à l'avance, ce
droit sera
reconduit tacitement pour une année, et ainsi de suite ultérieurement.
Article 3 - Retrait d'instance
Monsieur A.________ renonce, avec désistement, à sa demande
d'indemnité pour
expropriation matérielle pendante devant la Commission fédérale
d'estimation
du 1er arrondissement (n° 1/1993).
L'Etat de Genève supportera les frais de procédure.

Article 4 - Condition suspensive
La validité de la présente convention est subordonnée à la conclusion
et à
l'exécution de l'acte de vente immobilière décrit en préambule.
La vente immobilière a été conclue le jour même (cf. supra, let. A)
et cette
convention a été communiquée à la Commission fédérale d'estimation
qui, le 22
mai 1995, a invité l'Etat de Genève à payer les frais de la procédure
1/93.

C.
Le 1er janvier 1994 est entrée en vigueur le loi cantonale genevoise
sur
l'aéroport international de Genève. Cette loi a confié à un
établissement de
droit public cantonal appelé "Aéroport international de Genève" la
gestion et
l'exploitation de l'aéroport (art. 1).

D.
Le 19 décembre 1996, A.________ a écrit à l'Aéroport international de
Genève
en faisant valoir que les conditions mises par la jurisprudence
récente du
Tribunal fédéral à l'octroi d'une indemnité pour expropriation
formelle des
droits de voisinage étaient selon lui réunies pour la parcelle n°
3821;
habitant lui-même, avec sa famille, à cet endroit, il subissait
depuis de
nombreuses années les nuisances, surtout sonores, du trafic aérien.

Le 15 août 1997, l'Aéroport international de Genève a répondu en
substance
qu'après la convention du 22 décembre 1994 conclue avec l'Etat de
Genève, la
question de l'indemnisation avait été réglée de manière définitive,
un cumul
d'indemnités pour expropriation matérielle et expropriation formelle
n'entrant du reste pas en considération. Cette position de
l'établissement
public a été confirmée à l'occasion d'échanges ultérieurs de
correspondance.

E.
Le 29 janvier 2001, A.________ a demandé à l'Aéroport international
de Genève
de faire ouvrir, par le président de la Commission fédérale
d'estimation du
1er arrondissement, une procédure d'expropriation dans laquelle il
pourrait
produire une demande d'indemnité pour l'expropriation de droits de
voisinage,
en raison des nuisances provoquées sur son bien-fonds par
l'exploitation de
l'aéroport.

Le 28 février 2001, l'Aéroport international de Genève a requis
l'ouverture
de cette procédure, en signalant d'emblée qu'il conclurait au rejet
de la
demande et soulèverait l'exception de prescription.
Le président de la Commission fédérale d'estimation a ouvert cette
procédure
et l'audience de conciliation a eu lieu le 28 août 2001. A.________ a
précisé
ses conclusions le 1er octobre 2001, demandant le versement d'une
indemnité
de 94'000 fr. avec intérêts ainsi que l'exécution de travaux
d'isolation
phonique dans son habitation. Il a par ailleurs fait valoir que la
convention
du 22 décembre 1994 ne réglait que le sort de sa demande d'indemnité
pour
expropriation matérielle, présentée à l'Etat de Genève le 24 juillet
1992,
tandis que ses prétentions en raison de l'expropriation formelle des
droits
de voisinage, "second volet implicite" de sa demande initiale,
n'étaient pas
concernées.

L'Aéroport international de Genève, dans sa réponse du 1er novembre
2001, a
conclu au rejet des prétentions de A.________; il a fait valoir que
celles-ci, annoncées le 19 décembre 1996, étaient prescrites.

F.
La Commission fédérale d'estimation a rendu sa décision le 27 mai
2002. Elle
a rejeté la demande d'indemnité et mis les frais de la procédure, y
compris
une indemnité réduite à titre de dépens pour l'exproprié, à la charge
de
l'Aéroport international de Genève. Elle a considéré, pour
l'essentiel, que
les prétentions de A.________ en raison de l'expropriation formelle
des
droits de voisinage avaient été annoncées pour la première fois le 19
décembre 1996, et qu'elles n'étaient donc pas implicitement contenues
dans la
demande d'indemnité initiale, du 24 juillet 1992, pour expropriation
matérielle; ces prétentions étaient donc prescrites puisqu'elles
avaient été
produites après l'échéance du délai quinquennal courant dès le 2
septembre
1987 (délai fixé par la jurisprudence du Tribunal fédéral - cf. ATF
124 II
543 consid. 5c p. 553ss).

G.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.________
demande au
Tribunal fédéral d'annuler la décision de la Commission fédérale
d'estimation
et de renvoyer l'affaire à cette autorité pour nouvelle décision. Il
soutient
que sa demande d'indemnité du 24 juillet 1992, fondée sur les
restrictions de
la propriété foncière découlant du plan des zones de bruit, invoquait
implicitement les art. 679ss CC à cause du caractère excessif des
immissions
de bruit; ses prétentions à une indemnité d'expropriation formelle,
aux
conditions fixées ultérieurement par la jurisprudence du Tribunal
fédéral
(arrêt du 12 juillet 1995, ATF 121 II 317ss), avaient donc été
annoncées
avant l'échéance du délai de prescription. Le recourant fait en outre
valoir
que l'Aéroport international de Genève a invoqué la prescription
contrairement à la bonne foi, au mépris d'assurances qui auraient été
données
par son prédécesseur, l'Etat de Genève; dans les circonstances de
l'espèce,
soulever l'exception de prescription constituerait donc un abus de
droit
manifeste (art. 2 CC). Le recourant prétend enfin que l'exception de
prescription ne serait pas applicable en matière d'expropriation de
droits de
voisinage aux environs d'un aéroport.

L'Aéroport international de Genève conclut au rejet du recours de
droit
administratif, en se référant aux considérants de la décision
attaquée et en
relevant à titre subsidiaire que, même en admettant que la demande du
24
juillet 1992 ne se limitait pas à l'expropriation matérielle, le
résultat
serait identique, la convention du 22 décembre 1994 réglant pour
solde de
compte les prétentions annoncées par l'exproprié.

La Commission fédérale d'estimation a renoncé à répondre au recours.
Le dossier 1/93 de la Commission fédérale (Etat de Genève c.
A.________ - cf.
supra let. B), transmis au Tribunal fédéral pour y être archivé (art.
6 de
l'ordonnance concernant les commissions fédérales d'estimation - RS
711.1), a
été versé au dossier de la présente affaire.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit administratif est recevable contre une décision
prise par
une commission fédérale d'estimation (art. 77 al. 1 LEx, art. 115 al.
1 OJ).
L'exproprié a qualité pour recourir (art. 78 al. 1 LEx). Les autres
conditions de recevabilité étant manifestement remplies, il y a lieu
d'entrer
en matière.

2.
Le recourant se plaint d'une violation du droit fédéral en raison
d'une
interprétation erronée, par la Commission fédérale d'estimation, du
contenu
de sa première demande d'indemnité d'expropriation du 24 juillet
1992. Selon
lui, il aurait déjà fait valoir à ce moment-là ses prétentions à une
indemnité d'expropriation formelle, à cause des immissions de bruit
excessives auxquelles sa propriété est exposée; du fait de ce "second
volet
implicite" de sa demande initiale, également "implicitement réservé"
dans la
convention du
22 décembre 1994, ses prétentions ne seraient pas
prescrites.
Le recourant reproche en outre à l'Etat de Genève, prédécesseur de
l'Aéroport
international de Genève, un comportement abusif.

2.1 En présentant cette argumentation, le recourant conteste
l'interprétation qu'ont faite aussi bien la Commission fédérale
d'estimation
que l'Aéroport international de Genève de la portée de la demande du
24
juillet 1992 et, par conséquent, de celle de la convention du 22
décembre
1994; ceux-ci sont en effet tous deux de l'avis que la procédure
ouverte
après cette première annonce de prétentions, et close par ladite
convention,
concernait exclusivement l'indemnisation pour cause d'expropriation
matérielle. La question litigieuse est donc celle de savoir si la
contestation soumise en 1992/1993 à la Commission fédérale
d'estimation
portait également sur une éventuelle indemnité pour l'expropriation
formelle
de droits de voisinage, sur laquelle l'autorité devrait encore
statuer. Saisi
d'un recours de droit administratif, le Tribunal fédéral revoit
d'office et
librement les constatations de fait de la décision attaquée ainsi que
l'application du droit fédéral (cf. art. 104 let. a, 105 al. 1 OJ -
cf. ATF
128 II 231 consid. 2.4.1 p. 236; 119 Ib 447 consid. 1b p. 451). Il
n'est pas
lié par les motifs que les parties invoquent, mais uniquement par
leurs
conclusions (art. 114 al. 1 OJ).

2.2 D'après la jurisprudence élaborée sur la base des art. 5 LEx et
684 CC,
la collectivité publique, en sa qualité d'expropriante, peut être
tenue
d'indemniser le propriétaire foncier voisin d'une route nationale,
d'une voie
de chemin de fer ou d'un aéroport s'il subit, à cause des immissions
de
bruit, un dommage spécial, imprévisible et grave. On parle alors
d'expropriation de droits de voisinage, ou plus précisément, d'après
le
libellé de l'art. 5 al. 1 LEx, d'expropriation des droits résultant
des
dispositions sur la propriété foncière en matière de rapports de
voisinage
(cf. ATF 128 II 231 consid. 2.1 p. 233; 124 II 543 consid. 3a p. 548
et 5a p.
551; 123 II 481 consid. 7a p. 491 et les arrêts cités). S'agissant des
immissions provoquées par l'exploitation des aéroports nationaux - en
particulier celui de Genève -, les principes relatifs à cette
indemnité ont
été posés d'abord dans l'arrêt Jeanneret du 3 octobre 1984 (ATF 110
Ib 368,
arrêt Jeanneret I) puis dans l'arrêt Jeanneret et consorts du 12
juillet 1995
(ATF 121 II 317, arrêt Jeanneret II). Quant aux règles relatives à la
prescription, elles ont été fixées dans l'arrêt hoirie de V.H. du 23
septembre 1998 (ATF 124 II 543).

La loi fédérale sur l'aviation prévoit, autour des aérodromes
publics, la
création de zones de bruit entraînant, pour les voisins, des
restrictions de
la propriété foncière (art. 42 LA). La procédure d'établissement de
ces plans
est réglée par cette loi fédérale (art. 43 LA), qui prévoit en outre
que "la
restriction de la propriété foncière par le plan de zone donne droit
à une
indemnité si elle équivaut dans ses effets à une expropriation" (art.
44 al.
1 LA); en cas de contestation sur l'existence ou l'étendue des
prétentions à
pareille indemnité, "la procédure d'estimation prévue dans la
législation
fédérale sur l'expropriation est applicable par analogie" (art. 44
al. 4 LA).
La loi fédérale règle ainsi un cas d'expropriation matérielle (cf.
ATF 122 II
17 consid. 7b p. 19; 121 II 317 consid. 12d p. 346ss; 110 Ib 368
consid. 2b
p. 374).
Le Tribunal fédéral a, déjà dans l'arrêt Jeanneret I, mentionné la
possibilité de coexistence de deux procédures, éventuellement
concurrentes:
celle relative à l'expropriation formelle des droits de voisinage et
celle
relative à l'expropriation matérielle; admettre cette possibilité
n'empêche
cependant pas de reconnaître les relations qui peuvent exister entre
elles,
car les deux restrictions de la propriété ont une origine commune -
l'exploitation d'un aéroport et ses conséquences -, frappent le même
fonds et
se superposent en partie. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a
encore relevé
que la Commission fédérale d'estimation était compétente dans les deux
hypothèses, et qu'il lui appartiendrait donc d'examiner ces relations
de cas
en cas, en se laissant guider par le principe qu'on ne peut admettre
en
aucune manière un cumul d'indemnités pour un même préjudice
économique (ATF
110 Ib 368 consid. 2d-e p. 377ss). Le fondement des prétentions à une
indemnité d'expropriation matérielle, invoquées par certains
propriétaires
fonciers voisins de l'aéroport de Genève, a été réexaminé plus tard
dans
l'arrêt Jeanneret II (ATF 121 II 317 consid. 11ss p. 343ss) et
également dans
une décision sur une demande de révision de cet arrêt (ATF 122 II 17
consid.
7 p. 19).

2.3 La demande d'indemnité adressée par le recourant à l'Etat de
Genève le
24 juillet 1992 se référait clairement au cas d'expropriation
matérielle
mentionné à l'art. 44 LA. Le recourant soutient que cette demande
contenait
encore un second "volet", relatif non plus aux conséquences du plan
des zones
de bruit (premier "volet") mais à celles des immissions excessives
provoquées
par l'exploitation de l'aéroport.

Après l'ouverture de la procédure d'estimation en 1993, les
prétentions du
recourant ont fait l'objet d'une transaction, impliquant des
concessions
réciproques des deux parties en vue de mettre un terme au différend
qui les
opposait (cf. ATF 121 III 495 consid. 5b p. 498). La loi fédérale sur
l'expropriation n'exclut pas une telle "entente directe" après
l'ouverture de
la procédure d'expropriation, mais en dehors de l'audience de
conciliation,
pour autant qu'elle soit conclue en la forme écrite (art. 54 al. 1,
1re
phrase LEx). Cette exigence a en l'occurrence été respectée et le
texte de la
transaction a été communiqué au président de la Commission fédérale
d'estimation, conformément à l'art. 54 al. 1, 2e phrase LEx, qui a pu
sur
cette base rayer la cause du rôle. Dans l'hypothèse où, comme le
soutient le
recourant, sa demande initiale contenait deux "volets" - relatifs à
l'expropriation matérielle d'une part, et à l'expropriation formelle
de
droits de voisinage d'autre part -, il y aurait lieu d'examiner si la
transaction elle-même avait un caractère global, en d'autres termes si
l'indemnité convenue visait à compenser entièrement la dévaluation
subie par
le bien-fonds du recourant, y compris à cause des effets de
l'exploitation de
l'aéroport. Le recourant conteste ce caractère global: d'après lui,
chacun
était conscient que la convention du 22 décembre 1994 ne réglait que
les
conséquences du plan des zones de bruit en laissant ouverte la
question des
nuisances affectant l'habitation familiale; les parties auraient donc
implicitement réservé ce second "volet" des prétentions.

2.4 Sur le plan du droit privé, la transaction est un contrat
innommé (cf.
Peter Gauch, Der aussergerichtliche Vergleich, in: Mélanges Walter R.
Schluep, Zurich 1988 p. 4), à interpréter selon le principe de la
confiance
lorsque la réelle et commune intention des parties n'est pas établie
(cf. ATF
121 III 495 consid. 5b p. 498). Cela vaut aussi pour l'interprétation
d'un
contrat de droit administratif, l'entente directe selon l'art. 54 LEx
devant
être qualifiée ainsi (ATF 101 Ib 277 consid. 6a p. 286). Il faut donc
s'efforcer de rétablir le sens que, selon les règles de la bonne foi,
chacune
des parties pouvait raisonnablement prêter aux déclarations de
l'autre, en
fonction de l'ensemble des circonstances qui prévalaient alors (cf.
ATF 128
III 212 consid. 2b/aa p. 214, 265 consid. 3a p. 267; 126 III 375
consid.
2e/aa p. 379 et les arrêts cités).

La transaction de décembre 1994 (la convention du 22 décembre 1994 et
l'acte
de vente immobilière auquel elle se réfère) prévoyait, à la charge du
recourant, la cession à l'Etat de Genève d'une partie de son terrain
(2'515
m2); quant à l'Etat de Genève, il devait payer le prix de vente (315
fr./m2)
ainsi que des frais d'architecte (30'280 fr.), et conférer
gratuitement au
recourant la jouissance du terrain vendu pendant quelques années. Ces
différentes prestations de l'Etat de Genève ont été présentées, dans
le
préambule de la convention, comme une "indemnité compensatoire des
effets
restrictifs de la propriété foncière résultant du plan des zones de
bruit de
l'aéroport de Genève-Cointrin", après l'ouverture d'une "procédure
d'expropriation matérielle". Le texte de la convention n'évoque pas
l'expropriation formelle et il ne prévoit pas expressément l'abandon,
par le
recourant, de ses "droits résultant des dispositions sur la propriété
foncière en matière de rapports de voisinage" - ou plus précisément,
dans le
cas particulier, du droit de se défendre contre les immissions de
bruit
excessives (art. 679 et 684 CC - cf. supra, consid. 2.2) -, droits
pouvant
faire l'objet d'une expropriation en vertu de l'art. 5 al. 1 LEx.

Il faut admettre, avec le recourant, qu'avant l'arrêt Jeanneret II du
12
juillet 1995 (ATF 121 II 317), on ne pouvait attendre ni des voisins
de
l'aéroport, ni de l'Etat de Genève, qu'ils connussent la portée
véritable des
règles de la loi fédérale sur l'aviation quant à l'expropriation
matérielle,
ni qu'ils sussent que le régime de l'expropriation formelle des
droits de
voisinage serait en pratique (à tout le moins dans les affaires
soumises au
Tribunal fédéral) le seul permettant une indemnisation des
propriétaires
fonciers (cf. ATF 121 II 317 consid. 13 p. 349; 122 II 17 consid. 7b
p. 20).
Dans ce domaine, la situation juridique était particulièrement
complexe, en
raison de la double voie - expropriation matérielle et expropriation
formelle
- qui semblait ouverte aux propriétaires touchés pour faire valoir
leurs
prétentions et obtenir une décision de la Commission fédérale
d'estimation
(cf. ATF 124 II 543 consid. 5c/cc p. 556). Néanmoins, le principe
selon
lequel le droit fédéral excluait un cumul d'indemnités pour un même
préjudice
économique avait déjà été clairement énoncé dans l'arrêt Jeanneret I,
du 3
octobre 1984 (ATF 110 Ib 368 consid. 2e p. 379 - cf. supra, consid.
2.2). Ce
principe devait nécessairement guider les parties à la transaction du
22
décembre 1994, qui se sont accordées sur une indemnité, sous
différentes
formes, dont l'importance permet a priori de déduire qu'elle n'avait
pas un
caractère partiel. D'après l'ensemble des circonstances et en dépit
de la
terminologie utilisée dans la convention (et également dans la
demande du 24
juillet 1992, mais celle-ci n'est pas déterminante pour dégager le
sens du
contrat), il faut interpréter la volonté des parties en ce sens que
leur but
était d'assurer la réparation de l'entier du préjudice économique
subi par le
recourant à cause du bruit lié à l'exploitation de l'aéroport de
Genève,
moyennant cession de certains droits par le recourant. Après cette
transaction, le recourant s'est du reste purement et simplement
désisté (cf.
art. 3 de la convention), en renonçant sans réserve à sa demande
d'indemnité
initiale qui, d'après lui, était bel et bien globale puisqu'elle
comportait
deux "volets".

Le paiement de cette indemnité d'expropriation, en exécution de la
transaction de décembre 1994, a libéré l'Etat de Genève de son
obligation de
réparer, le cas échéant, le préjudice économique subi par le
recourant en
tant que propriétaire d'un bien-fonds exposé aux immissions de bruit
de
l'aéroport. L'établissement public Aéroport international de Genève,
qui a
repris le 1er janvier 1994 certains droits et obligations de l'Etat
de Genève
relatifs à l'aéroport (art. 40 de la loi cantonale sur l'aéroport
international de Genève), a également été libéré de cette obligation,
pour
autant qu'il fût considéré comme un débiteur solidaire (cf. art. 147
al. 1
CO). Dans ces circonstances, la Commission fédérale d'estimation
était fondée
à rejeter, dans la décision attaquée, les prétentions du recourant. Il
importe peu qu'elle soit parvenue à ce résultat par une argumentation
différente.

2.5 Il résulte de ce qui précède que les critiques du recourant au
sujet de
l'application de la prescription aux prétentions à une indemnité pour
l'expropriation formelle de droits de voisinage - critiques dirigées
contre
la règle jurisprudentielle elle-même ou contre la décision de
l'expropriant
de soulever cette exception dans le cas particulier - sont sans
pertinence.

3.
Il s'ensuit que le recours de droit administratif doit être rejeté.

Les frais de la présente procédure sont mis à la charge de
l'expropriant
(art. 116 al. 1, 1re phrase LEx). Le recourant, qui a procédé sans le
concours d'un mandataire, n'a pas droit à des dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge de l'Aéroport
international de Genève.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, au mandataire
de
l'Aéroport international de Genève et à la Commission fédérale
d'estimation
du 1er arrondissement.

Lausanne, le 12 novembre 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1E.12/2002
Date de la décision : 12/11/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-11-12;1e.12.2002 ?
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