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08/11/2002 | SUISSE | N°I.431/02

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 novembre 2002, I.431/02


{T 7}
I 431/02

Arrêt du 8 novembre 2002
Ire Chambre

MM. les Juges Schön, Président, Borella, Lustenberger, Ferrari et
Frésard.
Greffière : Mme Moser-Szeless

Office cantonal AI Genève, boulevard du Pont-d'Arve 28, 1205 Genève,
recourant,

contre

R.________, intimée, représentée par Me Gilbert Bratschi, avocat, rue
d'Aoste
4, 1204 Genève

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève

(Jugement du 29 avril 2002)

Faits :

A.
A.a Par déc

ision du 3 mai 2001, qui reprenait les termes d'un projet
de
décision du 26 juillet 2000, l'Office cantonal de
l'assurance-invalidité...

{T 7}
I 431/02

Arrêt du 8 novembre 2002
Ire Chambre

MM. les Juges Schön, Président, Borella, Lustenberger, Ferrari et
Frésard.
Greffière : Mme Moser-Szeless

Office cantonal AI Genève, boulevard du Pont-d'Arve 28, 1205 Genève,
recourant,

contre

R.________, intimée, représentée par Me Gilbert Bratschi, avocat, rue
d'Aoste
4, 1204 Genève

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève

(Jugement du 29 avril 2002)

Faits :

A.
A.a Par décision du 3 mai 2001, qui reprenait les termes d'un projet
de
décision du 26 juillet 2000, l'Office cantonal de
l'assurance-invalidité
(ci-après: l'office) a refusé d'allouer une rente à R.________.
L'office se
fondait principalement sur un rapport d'expertise, rédigé en langue
italienne, du Centre d'observation médicale de l'assurance-invalidité
(COMAI)
de Bellinzone du 3 décembre 1999.

Le 9 novembre 2001, la Commission cantonale genevoise de recours en
matière
d'AVS/AI (ci-après: la commission cantonale) a admis le recours
interjeté par
l'assurée contre cette décision qu'elle a annulée, motif pris que le
refus de
l'administration de faire traduire l'expertise du COMAI violait le
droit
d'être entendue de celle-ci. En conséquence, elle a ordonné à
l'office de
faire procéder à ses frais à la traduction en langue française dudit
rapport
d'expertise.

Saisi à son tour d'un recours de droit administratif formé par
l'office, le
Tribunal fédéral des assurances l'a admis et annulé le jugement
cantonal du 9
novembre 2001 pour des raisons tenant à la composition de la
Commission
cantonale de recours (ATF 128 V 82), en renvoyant la cause à
l'autorité
judiciaire cantonale pour nouveau jugement.

A.b Par courrier du 8 avril 2002, l'office a informé la commission
cantonale
qu'il acceptait, au vu d'un arrêt du 27 février 2002 (ATF 128 V 34)
rendu par
le Tribunal fédéral des assurances, de faire procéder à ses frais à
une
traduction en français du rapport du COMAI du 3 décembre 2001; il lui
proposait en outre de suspendre la procédure de recours jusqu'à
réception de
celle-ci. La commission cantonale a interpellé le conseil de
l'assurée sur ce
point, lui demandant de lui indiquer s'il était d'accord avec la
suspension,
étant entendu que l'assurée «se verrait ensuite naturellement
impartir un
délai afin qu'elle puisse compléter son recours». Le mandataire de
R.________
a, par courrier du 23 avril 2002, accepté cette proposition.

B.
Par jugement du 29 avril 2002, la commission cantonale a pris acte de
la
proposition de l'office et annulé la décision qu'il avait rendue le 3
mai
2001. Par ailleurs, elle lui a renvoyé la cause pour nouvelle
décision après
avoir donné à l'assurée la possibilité de s'exprimer, une fois que la
traduction de l'expertise aurait été fournie.

L'office AI a, le 4 juin 2002, transmis la traduction du rapport
d'expertise
à la commission cantonale, ainsi qu'à R.________. Deux jours plus
tard, il a
sollicité de l'autorité judiciaire la reprise de la procédure ainsi
que le
jugement de l'affaire au fond.

En réponse, la commission cantonale lui a indiqué avoir, par jugement
du 29
avril 2002, annulé la décision litigieuse au motif qu'elle violait le
droit
d'être entendu de l'assurée et qu'il convenait de donner à celle-ci
l'occasion de faire valoir ses arguments sans la priver d'un degré de
juridiction (courrier du 12 juin 2002). Elle s'étonnait par ailleurs
de ce
que l'office AI n'eût pas reçu ledit jugement pourtant notifié le 22
mai
2002.

C.
En temps utile, l'office interjette recours de droit administratif
contre le
jugement cantonal dont il demande l'annulation, en concluant au
renvoi de la
cause à l'instance cantonale de recours pour jugement sur le fond.

La commission cantonale s'est déterminée sur le recours et s'est
référée aux
considérants de son jugement.

R. ________ s'en remet à justice, tandis que l'Office fédéral des
assurances
sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit :

1.
L'office recourant, sans se prononcer au fond, soulève plusieurs
griefs
d'ordre formel contre le déroulement de la procédure cantonale. Il
reproche
en premier lieu à la commission de recours de n'avoir pas suspendu la
procédure dans l'attente de la traduction de l'expertise du COMAI et
d'avoir
annulé sa décision du 3 mai 2001 en lui renvoyant la cause pour
nouvelle
décision après avoir donné à l'assurée la possibilité d'exercer son
droit
d'être entendu. Ce faisant, la commission cantonale aurait fait
preuve de
formalisme excessif et violé l'art. 85 al. 2 let. a LAVS, dès lors que
l'assurée, qui avait pu prendre connaissance du rapport d'expertise,
était
d'accord tant avec la suspension de la procédure qu'avec la
possibilité de
fournir ses observations sur le rapport traduit devant l'autorité
cantonale.

2.
2.1En l'espèce, la juridiction cantonale a annulé la décision
litigieuse et
renvoyé la cause à l'office «à charge pour ce dernier de rendre une
nouvelle
décision après avoir donné à l'assurée la possibilité de faire valoir
ses
arguments suite à la traduction de l'expertise». Pour fonder le
renvoi, elle
invoque l'exigence du respect du droit d'être entendu de l'assurée
(détermination du 5 juillet 2002).

2.2 Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de
caractère
formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision
attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le
fond (ATF
127 V 437 consid. 3d/aa, 126 V 132 consid. 2b et les arrêts cités).

Selon la jurisprudence, la violation du droit d'être entendu - pour
autant
qu'elle ne soit pas d'une gravité particulière - est réparée lorsque
la
partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de
recours
jouissant d'un plein pouvoir d'examen. Au demeurant, la réparation
d'un vice
éventuel ne doit avoir lieu qu'exceptionnellement (ATF 127 V 437
consid.
3d/aa, 126 I 72, 126 V 132 consid. 2b et les références).
De la réparation de la violation du droit d'être entendu il y a lieu
de
distinguer la renonciation à la garantie du droit d'être entendu.
Jurisprudence et doctrine admettent que l'intéressé peut valablement
renoncer
à son droit d'être entendu (ATF 116 V 32 consid. 3, 101 Ia 313
consid. 2b et
les références; Moor, Droit administratif, vol. II, 2e éd., p. 285;
Lorenz
Kneubühler, Gehörsverletzung und Heilung, in: ZBl 3/1998, p. 114;
voir aussi
Kieser, Das Verwaltungsverfahren in der Sozialversicherung, n° 181 p.
85). La
renonciation à la garantie du droit d'être entendu peut être
explicite ou
implicite, c'est-à-dire découler d'actes concluants, si le
comportement de
l'intéressé est à cet égard sans équivoque aucune (Moor, loc. cit.).
Elle
n'est pas à proprement parler une exception à la garantie du droit
d'être
entendu (Moor, loc. cit.) et ne peut pas être traitée au même titre
qu'une
réparation du vice : la violation du droit d'être entendu peut, sous
certaines conditions (ATF 127 V 437 consid. 3d/aa) être réparée, en
général
contre la volonté de l'administré qui, précisément, l'invoque. Le
respect
absolu du droit d'être entendu ne saurait en revanche être imposé à
l'intéressé qui renonce sciemment à s'en prévaloir. Le cas de figure
de la
renonciation est donc différent sous cet angle.

2.3 En l'occurrence, interpellée par les premiers juges au sujet de la
suspension de la procédure cantonale jusqu'à réception de la
traduction de
l'expertise du COMAI, l'assurée a donné son accord et pris note qu'un
délai
lui serait imparti pour «compléter le recours» devant la commission
cantonale
après réception du rapport traduit. Ce faisant, elle a sciemment
renoncé à
faire valoir une éventuelle violation du droit d'être entendu, en
acceptant
de manière expresse de se prononcer directement devant les juges
cantonaux,
afin, comme elle l'indique dans sa détermination du 29 août 2002,
«d'obtenir
de l'autorité de recours (...) une décision sur le fond, et, partant,
d'avancer finalement dans le cadre d'une procédure AI qui n'avait que
trop
duré». L'assurée était d'autant plus en mesure d'apprécier les
conséquences
de sa renonciation que le premier jugement de la commission cantonale
-
annulé par la suite par la Cour de céans - avait déjà constaté, une
violation
du droit d'être entendu. Dans ces conditions, l'assurée ayant
valablement
renoncé à la garantie du droit d'être entendu, le renvoi de la cause à
l'administration ne reposait sur aucun intérêt digne de protection.

3.
Les premiers juges motivent en outre le renvoi de la cause à l'office
recourant par la garantie de la double instance.

3.1 Cette garantie doit être mise en relation avec le droit d'être
entendu
avec lequel elle se confond, dans une certaine mesure tout au moins;
elle
n'est pas, en tant que telle dans le domaine du droit administratif,
une
garantie générale de procédure ou un droit constitutionnel des
citoyens
(arrêt M. du 17 août 2000, 1A.17/2000). Il s'agit pour les parties
d'éviter
qu'une réparation de la violation du droit d'être entendu n'ait pour
conséquence de les priver de la possibilité de faire valoir leurs
arguments
devant deux autorités successives (voir Lorenz Kneubühler, op. cit.,
p. 108;
Rhinow/Koller/Kiss, Öffentliches Prozessrecht und
Justizverfassungsrecht des
Bundes, n° 332 p. 66).

3.2 La renonciation à invoquer la violation du droit d'être entendu
impliquait nécessairement pour l'assurée d'être privée d'un degré de
juridiction, dès lors qu'elle a donné son accord à ce que la
commission
cantonale de recours statue au fond. L'intimée était du reste
parfaitement
consciente de ce qu'elle renonçait à la garantie de la double instance
puisque sa volonté était «de faire trancher la cause directement par
la CCR»
(détermination du 29 août 2002). Dans ces conditions, le renvoi de
l'affaire
à l'administration n'était pas non plus justifié sous cet angle.

4.
Au regard de l'interdiction du formalisme excessif, un renvoi à
l'office
recourant était d'autant moins fondé dans ces circonstances.

4.1 Il y a formalisme excessif lorsque la stricte application des
règles de
procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection,
devient une
fin en soi et complique de manière insoutenable la réalisation du
droit
matériel (ATF 128 II 142 consid. 2a et les arrêts cités, 118 V 315
consid. 4
et la référence). Dans le domaine des assurances sociales,
l'interdiction du
formalisme excessif découle de l'art. 85 al. 2 let. a LAVS (ATF 120 V
417
consid. 4b et les arrêts cités; Spira, Le contentieux des assurances
sociales
fédérales et la procédure cantonale, Recueil de jurisprudence
neuchâteloise
1984, p. 20; Meyer-Blaser, Die Rechtspflege in der
Sozialversicherung, BJM
1989 p. 13 sv.). Aux termes de cette disposition (en corrélation avec
l'art.
69 LAI), la procédure de recours en matière d'AVS/AI doit être
notamment
simple et rapide. La procédure judiciaire de première instance est
ainsi
soumise au principe de célérité, que ce soit devant une autorité
cantonale
(art. 85 LAVS), comme en l'espèce, ou devant une autorité fédérale
(art.
85bis LAVS) (ATF 126 V 249 consid 4a et les références).

4.2 En l'occurrence, l'intimée avait accepté de s'exprimer
directement devant
les juges cantonaux et, partant, avait explicitement renoncé à se
prévaloir
d'une éventuelle violation du droit d'être entendu. Dès lors, il
n'existait
aucun motif juridique pour la commission cantonale - laquelle a
disposé de la
traduction du rapport litigieux le 6 juin 2002, soit 15 jours après la
notification de l'arrêt attaqué - de renvoyer la cause à l'office
intimé afin
qu'il entende R.________. Ce mode de procéder ne fait que compliquer
la
procédure de recours et retarde sans raison l'application du droit de
fond,
en violation du principe de la célérité consacré par l'art. 85 al. 2
let. a
LAVS (en corrélation avec l'art. 69 LAI). Le recours est dès lors
bien fondé.

Point n'est donc besoin d'examiner les autres griefs soulevés par
l'office
recourant. Il suffit d'annuler le jugement cantonal et d'inviter la
commission cantonale à statuer sur le litige après avoir donné
l'occasion à
l'intimée de se déterminer sur l'expertise du COMAI, dans sa version
traduite
en français.

5.
Le litige n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance, la procédure n'est pas gratuite (art. 134 OJ a
contrario).
L'intimée, qui succombe, serait en principe tenue de supporter les
frais de
justice (art. 156 al. 1 en corrélation avec l'art. 135 OJ).
Toutefois, au vu
des circonstances, il convient de renoncer à les lui imposer.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce :

1.
Le recours est admis et le jugement du 29 avril 2002 de la Commission
cantonale de recours en matière d'AVS/AI du canton de Genève est
annulé, la
cause étant renvoyée à cette juridiction pour jugement.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'avance de frais versée par l'office recourant, d'un montant de 500
fr., lui
est restituée.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la Commission
cantonale de
recours en matière d'assurance-vieillesse, survivants et invalidité
du canton
de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 8 novembre 2002
Au nom du Tribunal fédéral
des assurances

Le Président de la Ire Chambre: La Greffière:

t


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.431/02
Date de la décision : 08/11/2002
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-11-08;i.431.02 ?
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