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31/10/2002 | SUISSE | N°4P.117/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 31 octobre 2002, 4P.117/2002


{T 0/2}
4P.117/2002 /mks

Arrêt du 31 octobre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffière Godat Zimmermann.

A. ________ SA,
recourante, représentée par Me Bénédict Fontanet, avocat, rue du
Rhône 84,
case postale 3200, 1211 Genève 3,

contre

B.________,
intimé, représenté par Me Michel Lellouch, avocat, boulevard des
Tranchées
16, case postale 328, 1211 Genève 12,
Cour d'appel des prud'hommes du canton de Genève, rue des

Chaudronniers 7,
case postale 3688, 1211 Genève 3.

art. 9 et 29 Cst.; droit d'être entendu

(recours de droit publ...

{T 0/2}
4P.117/2002 /mks

Arrêt du 31 octobre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffière Godat Zimmermann.

A. ________ SA,
recourante, représentée par Me Bénédict Fontanet, avocat, rue du
Rhône 84,
case postale 3200, 1211 Genève 3,

contre

B.________,
intimé, représenté par Me Michel Lellouch, avocat, boulevard des
Tranchées
16, case postale 328, 1211 Genève 12,
Cour d'appel des prud'hommes du canton de Genève, rue des
Chaudronniers 7,
case postale 3688, 1211 Genève 3.

art. 9 et 29 Cst.; droit d'être entendu

(recours de droit public contre l'arrêt de la Cour d'appel des
prud'hommes du
canton de Genève du 22 janvier 2002)

Faits:

A.
Inscrite au registre du commerce depuis le 24 septembre 1998,
A.________
Genève SA (ci-après: A.________) a notamment pour but la fabrication
de
montres, produits de luxe et accessoires s'y rapportant; ses
administrateurs
sont C.________, D.________ et E.________.

En juin 1998, C.________ a fait appel à B.________, horloger, pour la
création d'un prototype d'une montre appelée «X.________». B.________
a livré
le prototype artisanal à fin juillet 1998 et reçu pour ce travail un
montant
de 3'200 fr. En octobre 1998, C.________ a demandé à l'horloger de
trouver
des fournisseurs ainsi qu'une entreprise capable de commercialiser la
nouvelle montre; il l'a également chargé de la supervision de tout le
processus de fabrication de la boîte de montre, puis du produit
lui-même
jusqu'à sa mise sur le marché. B.________ devait consacrer trois
jours de la
semaine à cette tâche. Aucun accord n'a été passé par écrit. A partir
d'octobre 1998, B.________ a adressé chaque mois à A.________ une
facture
comportant un montant de 5'000 fr. ainsi que ses frais.

A. ________ a confié l'industrialisation de la montre à F.________
SA, à
Porrentruy, où l'horloger se rendait souvent pour exercer ses tâches
de
surveillance avant d'y louer un appartement dès avril 1999.

En août 1999, B.________ a fait observer à C.________ qu'il
effectuait sur le
projet «X.________» beaucoup plus d'heures que ce qui avait été
convenu. Il
s'est rendu à Genève quelque temps après afin d'obtenir un contrat
écrit avec
A.________. Malgré la demande pressante de B.________, C.________ n'a
jamais
signé la convention établie par sa secrétaire.

Les relations entre les parties se sont détériorées et A.________ a
mis fin
au contrat le 5 octobre 1999. Le même jour, elle a fait parvenir à
B.________
pour signature un document par lequel l'horloger s'engageait à
respecter le
secret professionnel pour une durée illimitée «après la cessation
[des]
rapports de travail qui prend effet ce mardi 5 octobre 1999».

B.
Par demande déposée le 14 novembre 2000, B.________ a assigné
A.________ en
paiement de la somme de 236'895 fr.10, plus intérêts à 5% dès le 17
février
1999. Ce montant représentait l'indemnisation des heures
supplémentaires que
le demandeur estimait avoir effectuées en faveur de la défenderesse.

Par jugement du 23 mai 2001, le Tribunal des prud'hommes du canton de
Genève:

s'est déclaré incompétent ratione materiae pour connaître des
prétentions de
B.________ relatives à la période du 29 juin au 30 septembre 1998;
s'est déclaré compétent ratione materiae pour trancher le litige
opposant
B.________ à A.________ pour la période du 1er octobre 1998 au 5
octobre
1999;
a condamné A.________ à verser à B.________ la somme de 91'702 fr.60,
plus
intérêts à 5% dès le 5 octobre 1999;
a invité la partie qui en a la charge à opérer les déductions
sociales et
légales usuelles.
Statuant le 22 janvier 2002 sur appel d'A.________ et appel incident
de
B.________, la Cour d'appel des prud'hommes a confirmé le jugement de
première instance.

C.
A.________ forme un recours de droit public au Tribunal fédéral. Elle
conclut
à l'annulation de l'arrêt du 22 janvier 2002 et au renvoi de la cause
à la
juridiction cantonale afin qu'elle statue à nouveau.

B. ________ propose le rejet du recours. Par ailleurs, il demande
l'assistance judiciaire et la désignation de Me Michel Lellouch comme
avocat
d'office.

Invitée à se prononcer sur le recours, la cour cantonale se réfère aux
considérants de son arrêt.

Parallèlement, A.________ interjette un recours en réforme au Tribunal
fédéral.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Conformément à la règle générale de l'art. 57 al. 5 OJ, il
convient de
traiter le recours de droit public avant le recours en réforme.

1.2 De jurisprudence constante, le recours de droit public n'a, sauf
exceptions non réalisées en l'espèce, qu'une fonction cassatoire de
sorte que
les conclusions qui tendent à obtenir plus ou autre chose que
l'annulation de
la décision cantonale sont irrecevables (ATF 127 II 1 consid. 2c p.
5; 127
III 279 consid. 1b p. 282). Bien que superflue, la demande de
retourner le
dossier à la cour cantonale n'est toutefois pas irrecevable, car le
renvoi de
la cause constitue la suite obligatoire d'une admission du recours
(Messmer/Imboden, Die eidgenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, p.
226,
note 10).

2.
Invoquant l'art. 29 al. 2 Cst., la recourante se plaint tout d'abord
d'une
violation de son droit d'être entendue. La cour cantonale aurait
refusé
d'administrer des preuves, soit les procès-verbaux d'audition de
l'intimé par
le juge d'instruction du canton du Jura dans le cadre d'une plainte
pénale
déposée par F.________ SA; ces documents fourniraient une indication
précieuse sur la manière dont l'intimé considérait ses relations
contractuelles avec la recourante à une époque où les parties
n'étaient pas
en litige. La recourante reproche à la Cour d'appel de n'avoir ni
tenu compte
de ces déclarations, ni motivé sa position sur ce point.

2.1 Selon la jurisprudence, le droit d'être entendu garanti par
l'art. 29 al.
2 Cst. comprend, en particulier, le droit pour le justiciable de
s'expliquer
avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, le droit de
fournir des
preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort du procès, le
droit
d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des
preuves, d'en
prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 126 I 15
consid.
2a/aa p. 16; 124 I 49 consid. 3a, 241 consid. 2).

La jurisprudence a également déduit du droit d'être entendu le devoir
pour
l'autorité de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la
comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et que l'autorité de
recours
puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit
que le
juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur
lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé
puisse se
rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance
de cause
(ATF 126 I 97 consid. 2b; 125 II 369 consid. 2c; 124 II 146 consid.
2a).

2.2 En l'espèce, la recourante ne s'est en aucune manière heurtée à
un refus
d'administration de preuves de la part de la Cour d'appel. Les
procès-verbaux
de la procédure pénale jurassienne ont été produits dans le chargé de
pièces
supplémentaire déposé par la recourante devant la juridiction des
prud'hommes
le 31 janvier 2001. Il convient de noter au passage qu'un extrait des
déclarations faites par l'intimé à Porrentruy figure même dans la
partie
«faits» de l'arrêt attaqué. Par ailleurs, il est exact que, lors de
l'examen
juridique de la relation contractuelle entre les parties, la cour
cantonale
ne s'est pas référée aux procès-verbaux susmentionnés et n'a pas
expliqué
pour quelle raison elle ne les tenait pas pour déterminants. Il n'en
demeure
pas moins que la lecture de l'arrêt attaqué permet aisément de
comprendre les
motifs qui ont conduit l'autorité cantonale à qualifier de contrat de
travail
le lien juridique entre les parties. A cet égard, la Cour d'appel
s'est
fondée essentiellement sur le fait que l'intimé a mis son temps à
disposition
de la recourante pendant une certaine durée et sur les témoignages
indiquant
que l'horloger se trouvait dans un rapport de subordination vis-à-vis
de
C.________. C'est le lieu de rappeler que l'obligation de motivation
déduite
du droit d'être entendu n'impose pas au juge d'exposer et de discuter
tous
les faits, moyens de preuve et griefs soulevés par les parties; au
contraire,
il peut se limiter à ceux qui, sans arbitraire, lui apparaissent
pertinents
(ATF 126 I 97 consid. 2b; 121 I 54 consid. 2c p. 57 et les arrêts
cités).
Au surplus, la recourante confond manifestement administration et
appréciation des preuves. Sous le couvert du moyen tiré du droit
d'être
entendu, la recourante se plaint en réalité de l'appréciation des
preuves à
laquelle la cour cantonale s'est livrée. Certes, cette appréciation
peut être
revue sous l'angle de l'arbitraire par le Tribunal fédéral saisi d'un
recours
de droit public. Encore faut-il que l'acte de recours contienne une
critique
en bonne et due forme sur ce point, ce qui n'est pas le cas en
l'espèce. En
effet, conformément à l'art. 90 al. 1 let. b OJ, le Tribunal fédéral
n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel soulevés et
suffisamment
motivés dans l'acte de recours (ATF 127 I 38 consid. 3c; 127 III 279
consid.
1c; 126 III 254 consid. 1c, 534 consid. 1b).

Le premier moyen est mal fondé, pour autant qu'il soit recevable.

3.
3.1Dans un second grief, la recourante reproche à la cour cantonale
d'avoir
appliqué arbitrairement le droit cantonal, soit l'art. 186 al. 1 de
la loi de
procédure civile genevoise (LPC/GE).

3.2 L'art. 186 LPC/GE traite du fardeau de la preuve. Selon son
alinéa 1, la
partie qui allègue un fait, que ce soit pour en déduire son droit ou
sa
libération, doit le prouver, à moins que l'autre partie ne déclare
l'admettre
ou que la loi permette de le tenir pour avéré. Le principe est le
même que
celui énoncé à l'art. 8 CC (cf. arrêt 4C.439/1995 du 28 juin 1996,
consid.
5c, reproduit in SJ 1997, p. 52 ss; Bertossa/Gaillard/Guyet,
Commentaire de
la loi de procédure civile genevoise, tome II, n. 1 ad art. 186). Sous
réserve d'une règle spéciale, l'art. 8 CC répartit le fardeau de la
preuve
(ATF 122 III 219 consid. 3c p. 223) pour toutes les prétentions
fondées sur
le droit privé fédéral (ATF 124 III 134 consid. 2b/bb p. 143) et
détermine,
sur cette base, laquelle des parties doit assumer les conséquences
d'un échec
de la preuve (ATF 125 III 78 consid. 3b p. 79).

La présente espèce met en jeu des prétentions découlant d'un contrat,
régi
par le droit des obligations, donc par le droit civil fédéral. C'est
dire que
le droit à la contre-preuve de la recourante relève exclusivement de
l'art. 8
CC et que l'art. 186 al. 1 LPC/GE n'a aucune portée propre en
l'occurrence,
vu le principe de la primauté du droit fédéral consacré à l'art. 49
al. 1
Cst. La violation de l'art. 8 CC est un moyen qui doit être soulevé
dans un
recours en réforme (ATF 125 III 78 consid. 3b; 124 III 134 consid.
2b/bb p.
143; 123 III 35 consid. 2d). Par le détour de l'art. 186 al. 1 LPC/GE
invoqué
à la place de l'art. 8 CC, la recourante ne saurait critiquer la
répartition
du fardeau de la preuve telle qu'opérée en instance cantonale par la
voie du
recours de droit public, dont la nature subsidiaire résulte de l'art.
84 al.
2 OJ. Le second grief est irrecevable.

4.
Comme la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr., la procédure n'est pas
gratuite (art. 343 al. 2 et 3 CO). La recourante qui succombe prendra
à sa
charge les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ). Elle versera en
outre à
l'intimé une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ).

La demande d'assistance judiciaire déposée par l'intimé doit être
admise dans
la mesure où elle n'a pas perdu son objet, dès lors que le risque
existe pour
le prénommé de ne pouvoir recouvrer les dépens auxquels il a droit;
son
conseil sera désigné comme avocat d'office.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 6'000 fr. à titre de
dépens.

4.
La demande d'assistance judiciaire de l'intimé est admise, autant
qu'elle
n'est pas sans objet, et Me Michel Lellouch est désigné comme avocat
d'office.

5.
Au cas où les dépens ne pourraient pas être recouvrés, la caisse du
Tribunal
fédéral versera au mandataire de l'intimé une indemnité de 6'000 fr.
à titre
d'honoraires d'avocat d'office.

6.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Cour d'appel des prud'hommes du canton de Genève.

Lausanne, le 31 octobre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.117/2002
Date de la décision : 31/10/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-10-31;4p.117.2002 ?
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