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18/10/2002 | SUISSE | N°I.141/02

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 18 octobre 2002, I.141/02


{T 7}
I 141/02

Arrêt du 18 octobre 2002
IIe Chambre

MM. les Juges Schön, Président, Ursprung et Frésard. Greffier : M.
Berthoud

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

V.________, intimé, représenté par Me Charles Guerry, avocat, rue
Centrale
22, 1580 Avenches

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 8 novembre 2001)

Faits :

A.
V. ________ a exercé la profe

ssion de maçon jusqu'en 1992, puis celle
d'aide-paysagiste. Souffrant d'un syndrome vertébral lombaire sur
troubles
statiques e...

{T 7}
I 141/02

Arrêt du 18 octobre 2002
IIe Chambre

MM. les Juges Schön, Président, Ursprung et Frésard. Greffier : M.
Berthoud

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

V.________, intimé, représenté par Me Charles Guerry, avocat, rue
Centrale
22, 1580 Avenches

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 8 novembre 2001)

Faits :

A.
V. ________ a exercé la profession de maçon jusqu'en 1992, puis celle
d'aide-paysagiste. Souffrant d'un syndrome vertébral lombaire sur
troubles
statiques et surcharge L5-S1 avec sciatalgie droite type S1 atypique
(cf.
rapport du docteur W.________, du 10 mai 1995), il a cessé de
travailler à
partir du 6 juin 1994. Le 15 novembre 1994, V.________ a sollicité une
orientation professionnelle de la part de l'AI.

L'assuré a été suivi durant quatre semaines par le Centre
d'observation
professionnel de l'AI à B.________ (COPAI). Dans son rapport final du
11
novembre 1997, le directeur de ce centre a indiqué qu'un stage de
réentraînement au travail devrait permettre à l'assuré de reprendre
progressivement une activité. Un tel stage, effectué auprès de
l'entreprise
X.________ SA, a toutefois échoué (cf. rapport du 10 février 1999).

Parmi d'autres mesures, l'AI a confié un mandat d'expertise
pluridisciplinaire à la Policlinique médicale Z.________,
fonctionnant comme
centre d'observation médicale de l'AI (COMAI). A l'issue de leurs
examens,
les médecins du COMAI ont estimé que la capacité de travail de
l'assuré
s'élevait à 50 % dans une activité adaptée à partir de novembre 1997,
après
avoir été de 75 % dès juin 1994 (rapport du 14 juillet 2000), en
raison d'un
trouble somatoforme à expression somatique multiple.

L'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (l'office
AI) a
estimé que le trouble somatoforme douloureux ne présentait, chez
l'assuré,
pas de caractère invalidant, si bien que sa capacité de travail
devait être
considérée comme étant entière dans un travail adapté à son état de
santé, à
l'instar d'une activité industrielle légère. Par décision du 27 mars
2001,
l'office AI a arrêté le taux d'invalidité de l'assuré à 6,3 %, niant
en
conséquence son droit à des mesures d'ordre professionnel ainsi qu'à
une
rente.

B.
Alléguant que l'office AI s'était écarté à tort de l'évaluation des
experts
du COMAI, V.________ a recouru contre cette décision devant le
Tribunal des
assurances du canton de Vaud, en demandant que son taux d'invalidité
soit
calculé sur la base d'un rendement de 50 % dans une activité adaptée
exercée
à temps partiel.

Par jugement du 8 novembre 2001, la juridiction cantonale a réformé la
décision attaquée en ce sens qu'elle a reconnu à l'assuré un droit à
un quart
de rente d'invalidité à partir du 1er juin 1998, puis à une demi-rente
d'invalidité dès le 1er septembre 1998.

C.
L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce
jugement dont
il requiert l'annulation, en concluant à la confirmation de sa
décision du 27
mars 2001.

L'intimé conclut au rejet du recours, sous suite de dépens. Il
sollicite le
bénéfice de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale.

L'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) propose l'admission du
recours.

Considérant en droit :

1.
Le litige porte sur le droit de l'intimé à des prestations de
l'assurance-invalidité, singulièrement une rente, en raison des
troubles
somatoformes douloureux dont il est affecté.

2.
Le jugement entrepris rappelle correctement les dispositions légales
(en
particulier les art. 4 et 28 LAI) ainsi que les principes
jurisprudentiels
(relatifs à l'appréciation des expertises médicales par le juge)
applicables
au cas d'espèce, de sorte qu'il suffit d'y renvoyer. Il convient
d'ajouter
que les tâches de l'expert médical appelé à se prononcer sur le
caractère
invalidant de troubles somatoformes ont été précisées en ces termes
par la
jurisprudence :

Sur le plan psychiatrique, l'expert doit poser un diagnostic dans le
cadre
d'une classification reconnue et se prononcer sur le degré de gravité
de
l'affection. Il doit évaluer le caractère exigible de la reprise par
l'assuré
d'une activité lucrative. Ce pronostic tiendra compte de divers
critères,
tels une structure de la personnalité présentant des traits
prémorbides, une
comorbidité psychiatrique, des affections corporelles chroniques, une
perte
d'intégration sociale, un éventuel profit tiré de la maladie, le
caractère
chronique de celle-ci sans rémission durable, une durée de plusieurs
années
de la maladie avec des symptôme stables ou en évolution, l'échec de
traitements conformes aux règles de l'art. Le cumul des critères
précités
fonde un pronostic défavorable. Enfin, l'expert doit s'exprimer sur
le cadre
psychosocial de la personne examinée. Au demeurant, la recommandation
de
refus d'une rente doit également reposer sur différents critères. Au
nombre
de ceux-ci figurent la divergence entre les douleurs décrites et le
comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs dont les
caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, les
grandes
divergences entre les informations fournies par le patient et celles
ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives
laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds
handicaps
malgré un environnement psycho-social intact (VSI 2000 p. 155 consid.
2c).

3.
3.1En l'espèce, au cours de sa consultation de psychiatrie du 9
février 2000,
le docteur C.________ a relevé que l'intimé décrit une symptomatologie
dépressive réactionnelle lorsqu'il est confronté à son impuissance
physique
en raison de ses douleurs ou de son manque de force. A son avis, le
patient
fait un constat d'échec par rapport à ses projets de vie, dont celui
de
retourner au Portugal. L'expert du COMAI a toutefois estimé qu'il n'y
a pas
suffisamment de signes de la lignée dépressive pour retenir un
trouble de
l'humeur. La position régressive que l'assuré adopte, le manque de
force et
les douleurs disproportionnées par rapport aux constatations
objectives lui
permettent ainsi de retenir le diagnostic de syndrome douloureux
somatoforme
persistant.

Ce psychiatre a mis en évidence le fait que l'assuré a bénéficié d'une
scolarité de base, sans plus, et qu'il connaît des problèmes
linguistiques.
L'expert a précisé que le patient avait mal réagi au refus de son
employeur
de lui proposer (à sa requête) un travail mieux adapté (évitant une
activité
professionnelle lourde), ce qui avait entraîné une réaction
régressive de sa
part; le psychiatre estime qu'il s'agit là d'un aménagement défensif
vis-à-vis d'une situation pour laquelle l'assuré ne voyait pas
d'issue. Avec
le temps (le stage au COPAI est survenu trois ans après l'arrêt du
travail),
le patient s'est ainsi reconstitué un équilibre fixé à cette position
régressive qu'il semble avoir beaucoup de peine à pouvoir lâcher.
Pour ces
motifs, l'expert en déduit que le patient a une capacité de travail
de 50 %
dans une activité adaptée.

3.2 De son côté, le docteur D.________ a posé le diagnostic de
syndrome
douloureux somatoforme persistant (lombosciatalgies), de discret
tunnel
carpien droit et de hernie discale cervicale sans répercussion
neurologique,
lors de la consultation de neurologie du 11 février 2000. Ce médecin a
toutefois constaté qu'il n'existait pas d'atteinte radiculaire au
niveau des
membres supérieur et inférieur droits à l'origine des
lombosciatalgies et
cervico-brachialgies dont l'assuré se plaignait, en ajoutant que
l'atteinte
discrète du nerf médian au niveau du canal carpien n'avait pas de
signification dans le contexte clinique. L'expert du COMAI en a
déduit qu'il
n'existait pas d'incapacité de travail sur plan strictement
neurologique, ce
que les parties admettent.

3.3 Dans leur appréciation finale, les médecins du COMAI ont noté la
présence
de très nombreux signes de non-organicité. A leur avis, ces signes
doivent
être compris comme une expression du désarroi dans lequel se trouve le
patient et peuvent également être considérés comme des facteurs de
mauvais
pronostic quant à une reprise du travail. Par ailleurs, ils ont
retenu que le
nombre de points douloureux n'est pas suffisant pour retenir le
diagnostic de
fibromyalgie.

Les experts du COMAI ont attesté que du point de vue psychiatrique, il
n'existait pas non plus d'éléments permettant de retenir un état
dépressif ou
un trouble de la personnalité manifeste. Ils ont en revanche relevé
un fort
sentiment d'échec (ruine des projets) et une position régressive
adoptée à la
suite du refus de l'employeur d'aménager le travail. Par ailleurs,
ils ont
mis en évidence d'autres facteurs, tels que le syndrome douloureux et
surtout
la chronicité de la situation qui a contribué à fragiliser la famille
du
patient. Eu égard au nombre des facteurs de mauvais pronostics, ils
ont ainsi
conclu, à l'instar du psychiatre C.________, que la capacité de
travail de
l'assuré était nulle dans l'ancienne profession et qu'elle s'élevait
à 50 %
dans une activité adaptée, à partir de novembre 1997, en raison d'un
trouble
somatoforme à expression somatique multiple. Quant à une prise en
charge
thérapeutique, elle n'entrait pas en ligne de compte, de l'avis des
experts,
vu le stade avancé de chronicité.

4.
4.1A l'appui de ses conclusions, l'office recourant fait observer
qu'aucune
comorbidité psychiatrique n'a été diagnostiquée chez l'intimé. Il
relève
aussi que l'expert psychiatre tente de justifier le taux d'incapacité
de
travail de 50 % par des capacités d'adaptation de l'assuré limitées
sur le
plan professionnel, en raison d'une scolarité de base et d'un problème
linguistique, ainsi que par une inactivité chronique. De l'avis du
recourant,
les troubles provoqués par la longue inactivité ne présentent pas un
tel
degré de gravité qui serait de nature à l'empêcher de reprendre une
activité
lucrative légère.

4.2 Pour sa part, l'intimé estime que l'office recourant n'avait
aucune
raison de s'écarter des conclusions des experts du COMAI, qu'il
partage
entièrement. A son avis, celles-ci ont pleine valeur probante, au
sens de la
jurisprudence, d'autant plus que le collège des experts est unanime à
dire
que le syndrome douloureux dont il est affecté réduit sa capacité de
travail.

4.3 Quant à l'OFAS, il soutient, en bref, que les facteurs dont les
experts
du COMAI ont tenu compte (savoir les capacités d'adaptation limitées
et la
chronicité de l'inactivité de l'intimé) sont étrangers à la notion de
l'invalidité. L'autorité fédérale de surveillance ajoute que le taux
d'incapacité de travail de 50 %, résultant d'affections psychiques,
est
insuffisamment étayé.

5.
Plusieurs critères, dont le cumul permettrait d'apprécier le caractère
invalidant de troubles somatoformes conformément à la jurisprudence
(cf.
consid. 2 ci-dessus), font en l'occurrence défaut. On constate ainsi,
à
teneur de l'expertise du COMAI, que la structure de la personnalité de
l'intimé ne présente pas de traits prémorbides et qu'il n'existe chez
lui
aucune comorbidité psychiatrique. L'anamnèse psychosociale ne fait
pas état
d'une perte d'intégration, l'intimé ayant déclaré avoir de nombreux
amis et
connaissances. Il a des contacts avec son frère en Suisse. La
situation du
couple paraît stable, même si cette situation semble s'être
fragilisée en
raison des soucis financiers et du fait que l'épouse a dû augmenter
son temps
de travail et ressentirait progressivement des lombalgies, au dire de
son
mari.

Le critère de la chronicité et de la durée des douleurs, qui serait
susceptible de fonder un pronostic défavorable à propos de
l'exigibilité
d'une reprise de l'activité professionnelle, apparaît certes réalisé;
toutefois, il n'est à lui seul pas suffisant au regard de la
jurisprudence
pour justifier une invalidité. A cet égard, les experts ne donnent
aucune
explication convaincante, sur la base de laquelle il faudrait inférer
que la
capacité de travail de l'intimé ne serait pas entière dans une
activité
adaptée, malgré ses douleurs, mais seulement de 50 %.

A cela, il convient d'ajouter que le docteur C.________ a tenu compte
de
critères qui ne sont pas déterminants pour apprécier le caractère
invalidant
de troubles somatoformes. Ainsi que l'OFAS le relève à juste titre,
il n'y a
pas lieu de prendre en considération le niveau de la formation
professionnelle de l'intimé (que ce dernier qualifie de scolarité de
base)
ainsi que les difficultés linguistiques qu'il allègue rencontrer en
Suisse
(cf. aussi ATF 127 V 299 consid. 5a). Il en va de même du désarroi
dans
lequel l'intimé serait plongé, selon les médecins du COMAI, car à
défaut
d'une maladie psychique dûment établie (à l'instar d'un trouble
dépressif),
ce facteur n'est pas en soi invalidant. Enfin, l'irritabilité du
patient et
l'aménagement défensif qu'il a développé envers son ancien employeur,
éléments sur lesquels les experts se sont également fondés, ne
constituent
pas davantage des facteurs invalidants mais apparament plutôt, dans le
présent contexte, comme l'expression de traits de caractère, non
susceptibles
d'entraver la capacité de travail.

Vu ce qui précède, c'est
à tort que les premiers juges ont admis que
l'intimé
présentait une incapacité de travail entraînant une incapacité de
gain propre
à ouvrir droit à une rente. On doit au contraire considérer que
l'intimé
serait à même d'exercer sans entrave et à plein temps une activité
qui lui
procurerait un gain pratiquement équivalent au revenu qu'il
réaliserait en
qualité d'aide-paysagiste, comme le démontre la comparaison des
revenus
opérée par l'office recourant dans sa décision.

6.
6.1Selon la loi (art. 152 OJ) et la jurisprudence, les conditions
d'octroi de
l'assistance judiciaire gratuite sont en principe remplies si le
requérant
est dans le besoin et si l'assistance d'un avocat est nécessaire ou
du moins
indiquée (ATF 125 V 202 consid. 4a, 372 consid. 5b et les références).
L'intimé, qui succombe, remplit les conditions d'octroi de
l'assistance
judiciaire pour la procédure fédérale. Son attention est cependant
attirée
sur le fait qu'il devra rembourser la caisse du tribunal, s'il devient
ultérieurement en mesure de le faire (art. 152 al. 3 OJ).

6.2 L'annulation du jugement attaqué entraîne notamment celle du
chiffre 4 de
son dispositif, aux termes duquel l'intimé s'était vu allouer une
indemnité
de dépens de 2'200 fr. pour la procédure de recours de première
instance, à
charge de l'office AI.

Devant le Tribunal fédéral des assurances, l'intimé allègue que le
Bureau de
l'assistance judiciaire du canton de Vaud lui avait accordé ladite
assistance
pour la procédure cantonale, par décision du 5 juin 2001. Il n'a
toutefois
pas produit de copie dudit document, si bien qu'on ignore l'étendue
des
droits qui lui auraient été reconnus à ce jour, en vertu de l'art. 85
al. 2
let. f LAVS et de la loi cantonale vaudoise sur l'assistance
judiciaire en
matière civile. En conséquence, il convient de transmettre le dossier
aux
premiers juges, afin qu'ils rendent - en tant que de besoin - les
décisions
idoines sur le droit de l'assuré à l'assistance judiciaire pour la
procédure
cantonale.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce :

1.
Le recours est admis et le jugement du Tribunal des assurances du
canton de
Vaud du 8 novembre 2001 est annulé.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'assistance judiciaire est accordée. Les honoraires (y compris la
taxe à la
valeur ajoutée) de Me Charles Guerry sont fixés à 2500 fr. pour la
procédure
fédérale et seront supportés par la caisse du tribunal.

4.
Le dossier est transmis au Tribunal des assurances du canton de Vaud
afin
qu'il statue sur le droit de l'assuré à l'assistance judiciaire pour
la
procédure cantonale.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des
assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 18 octobre 2002
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.141/02
Date de la décision : 18/10/2002
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-10-18;i.141.02 ?
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