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09/10/2002 | SUISSE | N°6S.339/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 octobre 2002, 6S.339/2002


{T 0/2}
6S.339/2002 /rod

Arrêt du 9 octobre 2002
Cour de cassation pénale

Les juges fédéraux Schubarth, président,
Schneider, Wiprächtiger, Kolly, Karlen,
greffière Kistler.

X. ________,
recourant, représenté par Me Boris Heinzer, avocat, place
Benjamin-Constant
2, case postale 3673, 1002 Lausanne,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Christophe Sivilotti, avocat, case postale
2367,
1002 Lausanne.

dommages à la propriété (art. 144 CP),

pourvoi en

nullité contre le jugement du 27 juin 2002 de la Cour
pénale I du
Tribunal cantonal valaisan.

Faits:

A.
X. ________ e...

{T 0/2}
6S.339/2002 /rod

Arrêt du 9 octobre 2002
Cour de cassation pénale

Les juges fédéraux Schubarth, président,
Schneider, Wiprächtiger, Kolly, Karlen,
greffière Kistler.

X. ________,
recourant, représenté par Me Boris Heinzer, avocat, place
Benjamin-Constant
2, case postale 3673, 1002 Lausanne,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Christophe Sivilotti, avocat, case postale
2367,
1002 Lausanne.

dommages à la propriété (art. 144 CP),

pourvoi en nullité contre le jugement du 27 juin 2002 de la Cour
pénale I du
Tribunal cantonal valaisan.

Faits:

A.
X. ________ est propriétaire de la parcelle n° 6536 de la commune de
V.________ sur laquelle est érigé un chalet. Le 27 juin 1994, la
société
Z.________ a déposé auprès de la commune de V.________ une demande
d'autorisation de construire un chalet sur le fonds voisin, soit sur
la
parcelle n° 6535 de la commune de V.________. Cette autorisation a été
accordée le 22 septembre 1994. La parcelle n° 6535 a été acquise par
Y.________ le 4 septembre 1995.

Lors de la construction du chalet sur la parcelle n° 6535, la société
Z.________ n'a pas respecté les plans approuvés. Il en est résulté
une longue
procédure administrative engagée par X.________ à l'encontre de la
société
Z.________. Les rapports de bon voisinage en furent notablement
détériorés.
Le 23 juin 1998, X.________ a déposé une plainte pénale contre
Y.________ et
le directeur de la société Z.________ pour violation de domicile et
dommages
à la propriété. Il se plaignait que la société Z.________ avait posé
sur sa
propriété des conduites d'eaux et d'égouts sans son autorisation. Le
20 août
2001, il a cependant retiré sa plainte.

Le 5 décembre 1998, X.________ s'est introduit dans le collecteur
d'égouts
sis sur sa parcelle. Il a placé une cartouche de mousse expansive
dans le
conduit d'eaux usées provenant du chalet de Y.________, laquelle a
totalement
obstrué la canalisation, empêchant toute évacuation des eaux usées en
provenance du chalet de Y.________. Le 19 décembre 1998, la famille
Y.________ a constaté que les eaux refluaient et entraînaient
l'apparition
d'immondices et d'excréments dans la baignoire, les toilettes, les
douches et
les éviers du chalet. Y.________ a dû procéder à des travaux urgents
de
remise en état de la conduite endommagée - installée et mise en terre
lors de
la construction de son chalet. Il a reçu, pour paiement, les factures
des
sociétés qui sont intervenues sur place, d'un montant total de 2'763
fr. 70.
Par écriture du 17 février 1999, il a déposé une plainte pénale contre
X.________ pour dommages à la propriété.

B.
Par jugement du 29 mars 2001, le juge I des districts d'Hérens et
Conthey a
condamné X.________, pour dommages à la propriété (art. 144 CP), à
une peine
de deux mois d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans.

Par jugement du 27 juin 2002, la Cour pénale I du Tribunal cantonal
valaisan
a admis partiellement l'appel interjeté par X.________, le condamnant
à vingt
jours d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans. En effet, elle a
considéré que la peine de deux mois d'emprisonnement était
manifestement
excessive compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, en
particulier du litige administratif qui opposait les voisins depuis de
nombreuses années et qui avait exacerbé les mauvaises relations entre
les
intéressés.

C.
X.________ dépose un pourvoi en nullité contre ce jugement. Invoquant
la
violation de l'art. 144 CP, il conclut à son annulation.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle
l'application du
droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base exclusive de l'état de fait
définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et
273 al. 1
let. b PPF). Le raisonnement juridique doit se fonder sur les faits
retenus
dans la décision attaquée, dont le recourant ne peut s'écarter.

Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne
peut
aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF).
Celles-ci, qui
doivent être interprétées à la lumière de leur motivation,
circonscrivent les
points litigieux (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66).

2.
Le recourant a été condamné, pour dommages à la propriété au sens de
l'art.
144 CP, pour avoir obstrué la canalisation provenant du chalet du
plaignant,
ce qui a obligé ce dernier à procéder à des travaux urgents de remise
en
état; les entreprises intervenues sur places lui ont adressé des
factures
pour un montant total de 2'763 fr. 70.
L'art. 144 CP punit, sur plainte, de l'emprisonnement ou de l'amende
celui
qui endommage, détruit ou met hors d'usage une chose appartenant à
autrui ou
frappée d'un droit d'usage ou d'usufruit au bénéfice d'autrui.
L'atteinte
peut consister à détruire ou à altérer la chose. Mais elle peut aussi
consister dans une modification de la chose qui a pour effet d'en
supprimer
ou d'en réduire l'usage, les propriétés, les fonctions ou l'agrément.
L'auteur se rend coupable de dommages à la propriété dès qu'il cause
un
changement de l'état de la chose qui n'est pas immédiatement
réversible sans
frais ni effort et qui porte atteinte à un intérêt légitime (Corboz,
Les
principales infractions, vol. I, Berne 2002, n. 11 ss ad art. 144 CP,
p. 278
ss), par exemple, en apposant sur le pare-brise d'une voiture une
affiche qui
ne peut être ôtée qu'avec l'aide de tiers et qui prive le conducteur
de sa
visibilité normale (ATF 99 IV 145), en dégonflant les pneus d'une
voiture au
point que la sécurité du trafic exige de les regonfler (BJP 1975 n°
890) ou
encore en vidant un extincteur qui doit être rechargé pour être de
nouveau
prêt à fonctionner (BJP 1975 n° 890a). En l'espèce, le recourant n'a
pas
endommagé la canalisation provenant du chalet du plaignant, mais l'a
obstruée. Il l'a mise ainsi hors d'usage, empêchant toute évacuation
des eaux
usées. Il a donc bien causé un dommage au sens de l'art. 144 CP.
L'art. 144 CP suppose en outre que le plaignant soit le propriétaire
de la
chose endommagée ou dispose d'un droit d'usage sur celle-ci. Le
recourant
conteste que cette condition soit réalisée, affirmant qu'il est le
propriétaire du tronçon endommagé et que le plaignant n'a aucun droit
d'usage
sur cette conduite. Cet argument n'est pas pertinent. Il est sans
importance
que le recourant soit ou non le propriétaire de la partie de la
conduite où
la cartouche de mousse expansive a explosé. Le dommage consiste en
effet dans
la mise hors d'usage de la conduite et non dans des dégâts causés à
cette
dernière. En faisant sauter une cartouche de mousse expansive, le
recourant a
rendu inutilisable l'ensemble de la canalisation, à savoir non
seulement le
tronçon se trouvant sur sa parcelle, mais également la partie de la
canalisation qui se trouve sur le territoire du plaignant et dont
celui-ci
est propriétaire en vertu de l'art. 667 CC. Il a donc bien porté
atteinte à
la propriété du plaignant.

3.
Le recourant fait valoir qu'il avait le droit d'obstruer la conduite
pour
empêcher l'écoulement des eaux usées sur sa parcelle, dès lors que le
plaignant n'avait pas le droit d'établir une conduite sur sa
parcelle, à
défaut d'un contrat de servitude et d'une inscription au registre
foncier.

3.1 Le droit d'établir une conduite et d'en user peut résulter de la
constitution d'une servitude, soit parce que le propriétaire a accepté
volontairement de la constituer, soit parce que la servitude a été
constituée
au vu de l'obligation légale prévue aux art. 691 à 693 CC (droit de
voisinage) ou dans une disposition de droit public. Le titulaire de la
servitude devient propriétaire de la conduite se trouvant sur le
fonds grevé.
La constitution de la servitude nécessite une convention en la forme
écrite
ou un jugement formateur et devra, du moins lorsqu'elle n'est pas
apparente,
être inscrite au registre foncier (Steinauer, Les droits réels, tome
II, 3e
éd., Berne 2002, n. 1660 ss, p. 115 ss; n. 1847 ss, p.198 ss). Le
droit
d'établir une conduite et de l'utiliser peut toutefois aussi résulter
d'une
obligation contractuelle (Steinauer, op. cit., n. 1662, p. 115). Le
propriétaire du fonds s'engage alors simplement à tolérer sur son
fonds la
construction et l'utilisation de la conduite, dont il devient
propriétaire en
vertu de l'art. 667 CC (principe de l'accession; voir Meier-Hayoz,
Berner
Kommentar, vol. IV/1/2, Das Grundeigentum I, Berne 1974, n. 29 ss ad
676;
Emil Thomas Tobler, Die dinglichen Rechte des Zivilgesetzbuches
dargestellt
am Beispiel der Leitungen, thèse Berne 1953, p. 98 s.). En l'espèce,
l'état
de fait ne permet pas de déterminer si le plaignant avait le droit
d'établir
une conduite sur la parcelle du recourant. On ignore s'il existe un
contrat
de servitude ou un jugement constitutif en faveur du plaignant ou
encore si
le recourant a assumé un engagement de nature contractuelle.

3.2 Même si le plaignant n'a aucun droit d'établir une conduite sur le
terrain du recourant, cela ne signifie pas pour autant que ce dernier
soit
légitimé à obstruer la conduite litigieuse. Selon l'art. 32 CP, les
actes qui
constituent une infraction, mais sont justifiés par l'ordre ou
l'autorisation
de la loi, qui peut être la loi pénale mais aussi la loi civile, sont
licites. L'art. 926 CC prévoit que le possesseur a le droit de
repousser par
la force tout acte d'usurpation ou de trouble (al. 1). Cette
disposition ne
confère cependant pas au possesseur le droit général d'user de
violence. Elle
ne lui permet d'agir que dans la mesure nécessaire pour protéger la
possession contre des troubles (art. 926 al. 3 CC; ATF 85 IV 4). Si la
possibilité d'obtenir l'intervention de l'autorité n'exclut pas la
légitime
défense, le recours à l'autorité peut être commandé par les
circonstances,
par exemple lorsqu'il n'y a aucun danger (Steinauer, Les droits
réels, tome
I, 3e éd., Berne 1997, n. 335 s., p. 93; Stark, Berner Kommentar, vol.
IV/3/1, Der Besitz, Berne 2001, n. 23 ad art. 926, p. 241). En
l'espèce, le
recourant aurait dû agir par la voie judiciaire. En obstruant la
conduite, il
a causé un dommage important au plaignant alors que le passage des
eaux usées
sous son terrain n'engendrait qu'un faible inconvénient qu'il pouvait
supporter le temps d'une procédure. Aussi, que le plaignant ait eu ou
non le
droit d'établir une conduite sur le terrain du recourant, celui-ci
n'avait
pas le droit d'obstruer la canalisation et ne saurait se fonder sur
l'art. 32
CP combiné avec l'art. 926 CC pour justifier son comportement.

4.
L'autorité cantonale a en outre constaté que le plaignant avait subi
"des
dommages dans son chalet, en raison du refoulement des eaux usées"
[...];
"les égouts ont refoulé à l'intérieur du chalet" et "ont entraîné
l'apparition d'immondices et d'excréments dans la baignoire, les
toilettes,
les douches et les éviers du chalet". Pour le recourant, il ne
s'agirait
cependant que d'un simple inconvénient passager, n'entraînant aucune
altération durable de la chose ni aucune restriction durable à son
usage.

Il est admis que le fait de souiller ou de salir une chose peut
constituer un
dommage au sens de l'art. 144 CP dans la mesure où la remise en état
exige
des efforts non négligeables en temps, en travail et en argent. En
l'espèce,
le jugement attaqué ne précise cependant pas l'ampleur des dégâts et
les
mesures de nettoyage qui ont été nécessaires. On ne sait pas si seuls
quelques excréments et immondices sont apparus au fond des éviers, des
toilettes, de la baignoire et des lavabos ou si l'eau sale et les
matières
fécales ont notamment débordé entraînant des dégâts plus importants.
Cette
question peut cependant rester indécise, dès lors que le recourant
s'est déjà
rendu coupable de dommages à la propriété du fait de la mise hors
d'usage de
la canalisation.

5.
Enfin, le recourant fait valoir que l'utilisation du chalet était
interdite
et que le refoulement des eaux usées ne se serait pas produit si le
chalet et
spécialement ses installations sanitaires n'avaient pas été utilisés.
Cet
argument n'est pas pertinent. Peu importe que le plaignant ait eu le
droit
d'utiliser le chalet. Il n'appartient pas au recourant de se
substituer aux
autorités pour faire respecter une éventuelle décision d'interdiction
d'habiter le chalet. Seule se pose la question de savoir si le
recourant
pouvait prévoir que la famille du plaignant occuperait le chalet
pendant les
fêtes de Noël et si, partant, il a envisagé les dégâts qu'il a causés
et les
a acceptés. L'autorité cantonale a constaté que le recourant avait
intentionnellement obstrué la canalisation. Il ne pouvait dès lors que
s'accommoder des conséquences. Il a donc bien agi intentionnellement.

6.
En conséquence, c'est à juste titre que l'autorité cantonale a
condamné le
recourant pour dommages à la propriété. Le pourvoi doit donc être
rejeté et
le recourant, qui succombe, doit être condamné aux frais (art. 278
al. 1
PPF).

Il n'y a pas lieu d'allouer d'indemnité à l'intimé qui n'a pas déposé
de
mémoire dans la procédure devant le Tribunal fédéral.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge du
recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en
copie aux mandataires des parties
et au
Tribunal cantonal valaisan, Cour pénale I.

Lausanne, le 9 octobre 2002

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.339/2002
Date de la décision : 09/10/2002
Cour de cassation pénale

Analyses

Art. 144 CP; dommages à la propriété. Le fait d'obstruer une conduite passant sur le fonds voisin et d'empêcher ainsi l'écoulement des eaux usées constitue un dommage à la propriété au sens de l'art. 144 CP (consid. 2). Les immondices et les excréments qui refluent dans le bâtiment sont considérés comme des dommages selon l'art. 144 CP dans la mesure où la remise en état exige des efforts non négligeables en temps, en travail et en argent (consid. 4). Art. 32 CP; fait justificatif. Le propriétaire qui obstrue la conduite d'égouts qui passe illicitement sur sa parcelle ne peut invoquer l'art. 32 CP combiné avec l'art. 926 CC pour justifier son comportement, dès lors que le dommage qu'il cause ainsi à son voisin est disproportionné à l'atteinte qu'il subit lui-même (consid. 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-10-09;6s.339.2002 ?
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