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24/09/2002 | SUISSE | N°B.32/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 septembre 2002, B.32/01


«AZA 7»
B 32/01 Bh

Ière Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Borella, Leuzinger,
Ferrari et Kernen. Greffier: M. Wagner

Arrêt du 24 septembre 2002

dans la cause

Fondation de prévoyance en faveur du personnel de la
Visana, Weltpoststrasse 19/21, 3000 Berne, recourante

contre

R.________, intimé,

et

Tribunal administratif du canton de Genève, Genève

A.- a) R.________ a travaillé pour la société suisse
d'assurances Grütli de 1982 à fin décembre

1992; il a été
admis à la fondation de prévoyance en faveur du personnel
de l'entreprise le 1er novembre 1986. Le 7 avril 1993, il...

«AZA 7»
B 32/01 Bh

Ière Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Borella, Leuzinger,
Ferrari et Kernen. Greffier: M. Wagner

Arrêt du 24 septembre 2002

dans la cause

Fondation de prévoyance en faveur du personnel de la
Visana, Weltpoststrasse 19/21, 3000 Berne, recourante

contre

R.________, intimé,

et

Tribunal administratif du canton de Genève, Genève

A.- a) R.________ a travaillé pour la société suisse
d'assurances Grütli de 1982 à fin décembre 1992; il a été
admis à la fondation de prévoyance en faveur du personnel
de l'entreprise le 1er novembre 1986. Le 7 avril 1993, il a
demandé le décompte et le versement de sa prestation de
libre passage.
Selon décompte adressé à l'intéressé le 28 avril 1993,
les cotisations versées par l'employé s'élevaient à
18'816 fr., celles de l'employeur à 30'996 fr. et les inté-
rêts à 5'266 fr. 75, soit un capital de 55'078 fr. 75 au

31 décembre 1992. La créance de libre passage selon le
règlement s'élevait à 27'634 fr. 15, alors que l'avoir de
vieillesse acquis LPP se montait à 16'216 fr. 40. Le
29 avril 1993, la fondation a versé la somme de 28'095 fr.
sur le compte de libre passage de l'intéressé auprès de la
banque A.________; le 29 novembre 1993, elle a versé
28'900 fr. 70 sur un compte "libre passage" auprès de la
banque B.________.

b) Le 22 août 1994, la fondation a invité R.________ à
lui restituer le montant versé sur le compte de la banque
B.________. Sans réponse et après de vaines démarches au-
près de cet établissement, elle lui a fait notifier le
14 février 1995 un commandement de payer de 28'900 fr. 70,
auquel celui-ci a fait opposition.
Afin de pouvoir entrer en matière sur la demande de
restitution, R.________ a invité la fondation le 31 mars
1995 à retirer le commandement de payer et à lui fournir un
décompte détaillé par année des salaires et des cotisations
pris en considération dans le calcul de la prestation de
libre passage.
Le 12 juin 1995, la fondation a adressé à R.________
un décompte détaillé du calcul de la prestation de libre
passage et l'a invité à lui rembourser le montant réclamé.
Celui-ci l'a avisée le 29 septembre 1995 que les documents
étaient hermétiques et que le détail des salaires pris en
considération dans le calcul de la prestation n'y figurait
pas. Le 23 février 1996, la fondation lui a transmis de
nouveaux documents et l'a invité à prendre position. Il
s'en est suivi un échange de correspondance portant sur les
salaires pris en considération et la notification d'un
nouveau commandement de payer le 6 mai 1999, auquel
R.________ forma derechef opposition.

B.- Le 2 mai 2000, la fondation de prévoyance en
faveur du personnel de la Visana, successeur de la Grütli,
a ouvert action contre R.________ devant le Tribunal

administratif du canton de Genève; elle a conclu, princi-
palement au payement de 28'900 fr. 70 plus intérêts à 4 %
dès le 1er janvier 1994 et de 90 fr. de frais de poursuite,
ainsi qu'à la mainlevée définitive de l'opposition à la
poursuite du 6 mai 1999.
R.________ s'est opposé à la demande en excipant de la
prescription et en contestant implicitement un enrichisse-
ment illégitime, sous l'angle des salaires retenus dans le
calcul de la prestation de libre passage.
Par jugement du 6 mars 2001, le Tribunal administratif
a rejeté la demande.

C.- La fondation de prévoyance en faveur du personnel
de la Visana interjette recours de droit administratif
contre ce jugement, dont elle demande l'annulation, en
reprenant les conclusions formulées devant l'instance
inférieure.
R.________ conclut, sous suite de frais et dépens, au
rejet du recours, ce que propose également l'Office fédéral
des assurances sociales.

Considérant en droit:

1.- a) La contestation en cause relève ratione mate-
riae des autorités juridictionnelles mentionnées à l'art 73
LPP. Malgré l'absence d'une disposition légale expresse, le
Tribunal fédéral des assurances est en effet compétent pour
trancher les questions touchant à la restitution des pres-
tations de prévoyance professionnelle en général
(ATF 128 V 51 consid. 1a et la référence); le recours de
droit administratif est recevable de ce chef.

b) Le litige porte sur la prétention de la recourante
au remboursement de 28'900 fr. 70 plus accessoires, au
titre d'une prestation de libre passage versée à tort.
L'instance cantonale a rejeté la demande aux motifs que le

droit de répéter l'indu était prescrit et que l'intimé
pouvait s'en prévaloir sans commettre un abus de droit.
Les prétentions litigieuses concernent la prévoyance
professionnelle obligatoire et plus étendue.

2.- a) Selon la jurisprudence, l'obligation de resti-
tuer l'indu se fonde en premier lieu sur les dispositions
spéciales qui la prévoient et, à défaut, sur les règles
générales de l'enrichissement illégitime au sens des
art. 62 à 67 CO (ATF 115 V 118 consid. 3b et les réfé-
rences).
La LPP, qui se rapporte pour l'essentiel de ses dis-
positions à la prévoyance professionnelle obligatoire
(art. 49 al. 2 LPP), ne renferme pas de norme relative à la
restitution de prestations payées à tort par une institu-
tion de prévoyance.
A défaut de norme statutaire ou réglementaire, la
demande de restitution de prestations de la prévoyance pro-
fessionnelle plus étendue versées à tort par une institu-
tion de prévoyance se fonde sur les art. 62 ss CO, notam-
ment l'art. 63 al. 1 CO (ATF 128 V 52 consid. 3a); en
revanche, dans la prévoyance obligatoire, la question de
savoir s'il y a lieu de faire application de l'art. 47
LAVS, considéré comme l'expression d'un principe de portée
générale, ou s'il convient d'appliquer également les règles
du CO (ATF 115 V 118 consid. 3b) à une prétention en resti-
tution de l'indu, a été laissée ouverte.

b) Les prétentions de la recourante touchant à la pré-
voyance professionnelle obligatoire et plus étendue, il
convient donc d'examiner la prétention en restitution dans
le domaine de la prévoyance obligatoire.
L'application de l'art. 47 LAVS ou des art. 63 ss CO
n'est pas indifférente quant au sort des prétentions de la
recourante. Outre la base du remboursement de la prestation
obligatoire, les deux systèmes divergent sur l'étendue de
la restitution: limitée, sauf dessaisissement de mauvaise

foi, à l'enrichissement encore présent chez le débiteur
lors de la demande, conformément à l'art. 64 CO, l'obliga-
tion de restituer peut être remise si le débiteur est de
bonne foi et dans une situation difficile selon les art. 47
LAVS et 79 RAVS. Sous cet angle, aucune des solutions n'est
totalement satisfaisante (Roman Schnyder, Das nichtstreiti-
ge Verfahren in Versicherungsfällen der obligatorischen und
der erweiterten beruflichen Vorsorge, thèse Fribourg 1994,
Cratander (Bâle) 1995, p. 170 ss).
L'art. 47 LAVS, comme fondement de l'obligation de
restituer des prestations versées à tort, s'applique dans
la plupart des branches du droit des assurances sociales,
soit qu'elles renvoient expressément à cette disposition,
soit qu'elles contiennent une règle analogue. La transposi-
tion de l'art. 47 LAVS dans la prévoyance professionnelle
apparaît toutefois difficile, car son application suppose
entre le créancier et le débiteur un rapport d'autorité,
inconnu de la LPP, permettant au premier d'exiger du
second, par voie de décision, qu'il exécute son obligation
(ATF 115 V 118 consid. 3b déjà cité).
A cet obstacle concret, militant pour l'application
des règles relatives à l'enrichissement illégitime (art. 62
ss CO), dans la prévoyance obligatoire, s'ajoute la récente
jurisprudence instaurant, à défaut de norme réglementaire
ou statutaire, l'application de ces mêmes règles au rem-
boursement de prestations de la prévoyance plus étendue
versées à tort (ATF 128 V 52 consid. 3a susmentionné). En
effet, un traitement identique de la même problématique,
dans la prévoyance obligatoire et dans la prévoyance plus
étendue, apparaît souhaitable (Roman Schnyder, op. cit.,
p. 173).
Une différence de traitement dans le remboursement de
prestations versées à tort, selon qu'elles ressortissent à
la première ou à la seconde, n'apparaît pas justifiée par
une raison objective, sauf à considérer que l'art. 47 LAVS
est un principe général dont l'application ne souffre
aucune exception dans le domaine des assurances sociales

régies par le droit fédéral. A cet égard cependant,
l'art. 25 LPGA, qui reprend la teneur de l'art. 47 LAVS et
qui s'appliquera, dès l'entrée en vigueur de la loi fédé-
rale sur la partie générale du droit des assurances socia-
les, à la restitution des prestations indûment touchées, ne
trouvera pas application dans la prévoyance profession-
nelle.
En définitive, les arguments militent pour l'applica-
tion dans la prévoyance obligatoire des règles dégagées par
la Cour de céans relatives à la restitution de prestations
de la prévoyance plus étendue versées à tort.

c) Aucune disposition statutaire ou réglementaire de
la recourante ne règle les modalités de la restitution de
prestations versées à tort. Les règles relatives à l'en-
richissement illégitime (art. 62 ss CO) s'appliquent donc à
la prétention de l'institution de prévoyance au rembourse-
ment de 28'900 fr. 70 plus accessoires.

3.- Le point de savoir si les conditions d'une répéti-
tion de l'indu (art. 63 al. 1 CO) sont remplies peut demeu-
rer indécis. En effet, l'exception de prescription soulevée
par le débiteur doit être admise.

a) En vertu de l'art. 67 al. 1 CO, l'action pour cause
d'enrichissement illégitime se prescrit par un an à compter
du jour où la partie lésée a eu connaissance de son droit
de répétition, et, dans tous les cas, par dix ans dès la
naissance de ce droit.

b) La recourante a eu connaissance (sur ce point, cf.
ATF 127 III 427 consid. 4b) du versement litigieux au plus
tard le 22 août 1994, date à laquelle elle a informé l'in-
timé qu'elle avait versé deux fois par erreur le montant de
la prestation de libre passage. Au regard de l'art. 135
ch. 2 CO, la prescription annale a été interrompue valable-
ment le 14 février 1995 par la notification d'un commande-

ment de payer, mais elle était acquise le 15 février 1996,
faute d'un nouvel acte interruptif de prescription avant
cette date. Le droit de répéter l'indu est dès lors pres-
crit et ni la notification d'un commandement de payer le
6 mai 1999, ni la demande en justice du 2 mai 2000, ne
peuvent y remédier.

4.- Le litige porte sur le point de savoir si l'intimé
a commis un abus de droit en invoquant le moyen de la pres-
cription.

a) Selon la doctrine et la jurisprudence, le débiteur
commet un abus de droit (art. 2 al. 2 CC) en se prévalant
de la prescription, non seulement lorsqu'il amène astu-
cieusement le créancier à ne pas agir en temps utile, mais
aussi, lorsque sans mauvaise intention, il a un comporte-
ment qui incite le créancier à renoncer à entreprendre des
démarches juridiques pendant le délai de prescription et
que, selon une appréciation raisonnable, fondée sur des
critères objectifs, ce retard apparaît compréhensible
(ATF 113 II 269 consid. 2e et les références). Des considé-
rations du même ordre se déduisent, en droit public, du
principe de la bonne foi (ATF 116 Ib 398 consid. 4e et
116 II 431 consid. 2).
Le débiteur aura - alors que le délai courait encore -
déterminé le créancier à attendre (ATF 113 II 269 con-
sid. 2e précité). L'abus de droit ne consiste pas dans le
comportement du débiteur qui incite le créancier à ne pas
entreprendre de démarches juridiques, mais dans le fait que
le débiteur ayant eu ce comportement se prévale de la pres-
cription (ATF 83 II 93 ss; Alfred Koller, Verjährung von
Versicherungsansprüchen, in: Haftpflicht- und Versiche-
rungsrechtstagung 1993, note n° 114 p. 34). Le simple
écoulement du temps pendant le délai de prescription ne
peut être interprété ni comme une renonciation à la préten-
tion, ni comme son exercice abusif (ATF 110 II 273). Pour
admettre un abus de droit, il faut que le comportement du

débiteur soit en relation de causalité avec le retard à
agir du créancier (Stephen V. Berti, Das Erlöschen der
Obligationen, Kommentar zu Art. 127-142 OR, Commentaire
zurichois, éd. 2002, no 33 et 34 ad art. 142 CO). Lors de
pourparlers, le créancier doit réagir en cas de silence
prolongé du débiteur. Selon Karl Spiro (Die Begrenzung
privater Rechte durch Verjährungs-, Verwirkungs- und Fatal-
fristen, tome I Die Verjährung der Forderungen, Berne 1975,
p. 248 ss § 108 et 109, spéc. note n° 18), le temps de
réaction dépend des circonstances, mais il ne saurait dé-
passer le délai de prescription applicable en cas d'inter-
ruption de la prescription.

b) Ainsi que cela ressort du dossier, le comportement
de l'intimé a incité la recourante à renoncer à entre-
prendre d'autres démarches juridiques pendant le délai de
prescription et jusqu'en mai 1996. Sommé par l'institution
de prévoyance de prendre position, celui-ci, dans sa ré-
ponse du 25 mai 1996, n'a pas pris position. Il s'en est
suivi un silence prolongé du débiteur. La créancière n'a
pas réagi jusqu'au 12 mai 1998, date à laquelle elle a
envoyé à l'intimé un nouveau décompte et fixé un délai pour
le remboursement. Il y a eu ensuite un nouveau rappel, la
notification d'un commandement de payer le 6 mai 1999 et
l'ouverture de l'action.
L'astuce du débiteur n'est pas en cause. L'analyse du
retard compréhensible, selon une appréciation raisonnable
fondée sur des critères objectifs, doit permettre des
exceptions à la règle absolue du délai de prescription
préconisée par Spiro. En l'espèce, il n'existe cependant
aucun élément objectif qui permette de retenir
un abus de
droit de la part de l'intimé. Le retard à agir de la
recourante dès le 25 mai 1996, pendant près de deux ans
jusqu'à la lettre du 12 mai 1998 et près de trois ans
jusqu'à la notification du commandement de payer du 6 mai
1999, n'apparaît pas compréhensible. Il n'est en tous les
cas plus causé par le comportement de l'intimé. Il s'ensuit
que le recours doit être rejeté.

5.- L'intimé, qui obtient gain de cause, est avocat.
Selon la jurisprudence (ATF 110 V 132; VSI 2000 p. 337 con-
sid. 5 non publié aux ATF 125 V 408), l'avocat qui agit
dans sa propre cause peut exceptionnellement prétendre une
indemnité pour l'activité personnelle qu'il a déployée
ainsi que pour sa perte de temps ou de gain. Ces condi-
tions, qui doivent être remplies cumulativement, ne sont
pas remplies dans le cas d'espèce. En effet, il ne s'agit
pas d'une affaire complexe portant sur un objet litigieux
élevé et nécessitant beaucoup de temps.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e:

I. Le recours est rejeté.

II. Il n'est pas perçu de frais de justice ni alloué de
dépens.

III. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
Tribunal administratif de la République et canton de
Genève et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 24 septembre 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la Ière Chambre:

Le Greffier :


Synthèse
Numéro d'arrêt : B.32/01
Date de la décision : 24/09/2002
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 63 CO; art. 47 al. 1 LAVS: Obligation de restituer l'indu en matière de prévoyance professionnelle. A défaut de norme statutaire ou réglementaire, la demande de restitution de prestations de la prévoyance professionnelle versées à tort par une institution de prévoyance se fonde sur les art. 62 ss CO. Extension des règles dégagées à l'ATF 128 V 50 pour la prévoyance plus étendue à la prévoyance obligatoire. Exception de la prescription. Art. 2 al. 2 CC: Abus de droit à invoquer la prescription. Lors de pourparlers, le créancier doit réagir en cas de silence prolongé du débiteur. Ne commet pas un abus de droit le débiteur qui invoque la prescription de la créance lorsque le retard à agir du créancier n'est plus en relation de causalité avec son comportement.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-09-24;b.32.01 ?
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