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23/09/2002 | SUISSE | N°1P.429/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 septembre 2002, 1P.429/2002


{T 0/2}
1P.429/2002/col

Arrêt du 23 septembre 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Féraud,
greffier Zimmermann.

L. ________, actuellement en détention préventive à la prison de
Champ-Dollon, 1226 Thônex,
recourant, représenté par Me Olivier Cramer, avocat, rue de la
Fontaine 9,
case postale 3781, 1211 Genève 3,

contre

Ministère public du canton de Genève, Palais de Justice, place du> Bourg-de-Four 1, 1204 Genève,
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1,
case
postale 3108, 1...

{T 0/2}
1P.429/2002/col

Arrêt du 23 septembre 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Féraud,
greffier Zimmermann.

L. ________, actuellement en détention préventive à la prison de
Champ-Dollon, 1226 Thônex,
recourant, représenté par Me Olivier Cramer, avocat, rue de la
Fontaine 9,
case postale 3781, 1211 Genève 3,

contre

Ministère public du canton de Genève, Palais de Justice, place du
Bourg-de-Four 1, 1204 Genève,
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1,
case
postale 3108, 1211 Genève 3.

rejet d'une requête de suppression de sûretés

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre
d'accusation du
canton de Genève du 25 juin 2002.

Faits:

A.
Le 26 juin 1997, le Juge d'instruction du canton de Genève a inculpé
d'escroquerie L.________, ressortissant autrichien domicilié à Genève.
L.________ aurait, dans son activité d'éditeur, conclu avec des
imprimeurs
des contrats portant sur un montant de l'ordre de 13'000'000 fr.;
après avoir
reçu livraison de la marchandise, il aurait usé de prétextes
fallacieux pour
refuser de payer le prix convenu. Le 12 septembre 2001, le Juge
d'instruction
a en outre inculpé L.________ de faux dans les titres et
d'instigation à faux
témoignage et ordonné son placement immédiat en détention préventive.

La Chambre d'accusation du canton de Genève a prolongé cette mesure
jusqu'au
16 janvier 2002. Le 20 décembre 2001, L.________ a demandé sa
libération
provisoire. Statuant sur cette requête le 27 décembre 2001, la Chambre
d'accusation l'a admise moyennant le versement d'une caution de
2'000'000 fr.
Elle a considéré que les risques de collusion et de récidive étaient
réduits.
Quant au risque de fuite, il pouvait être prévenu par la caution. A
cet
égard, la Chambre d'accusation a estimé ce qui suit:
"... il paraît peu crédible que le prévenu ne dispose plus d'aucun
moyen
financier important, compte tenu de sa situation personnelle, de son
train de
vie et de l'habilité (sic) particulière dont il a fait preuve
jusqu'ici dans
la conduite de ses affaires, qui porte (sic) sur des montants
considérables".

L. ________ n'a pas versé la caution demandée. La Chambre
d'accusation a
prolongé sa détention jusqu'au 15 avril 2002, puis jusqu'au 12
juillet 2002.
Le 25 juin 2002, la Chambre d'accusation, se référant à sa décision
du 27
décembre 2001, a maintenu la caution mais réduit son montant à
1'200'000 fr.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, L.________ demande
principalement au Tribunal fédéral d'ordonner sa mise en liberté,
quitte à
assortir celle-ci de conditions, à l'exclusion de sûretés ou de
caution; à
titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de la décision du 25
juin 2002
et au renvoi de l'affaire à la Chambre d'accusation pour nouvelle
décision au
sens des considérants. Il requiert en outre l'assistance judiciaire.
Il
invoque les art. 9 et 32 al. 1 Cst., ainsi que les art. 5 par. 3 et 6
par. 2
CEDH.

La Chambre d'accusation se réfère à sa décision. Le Procureur général
conclut
au rejet du recours.

Invité à répliquer, le recourant a maintenu ses conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public n'a qu'un effet cassatoire (art. 90 al. 1
let. b
OJ; ATF 128 III 50 consid. 1b p. 53; 126 I 213 consid. 1c p. 216/217;
126 II
377 consid. 8c p. 395; 126 III 534 consid. 1b p. 536, et les arrêts
cités).
Il est fait exception à ce principe uniquement lorsque l'admission du
recours
ne suffit pas à rétablir une situation conforme à la Constitution et
qu'une
mesure positive est nécessaire. Tel est le cas notamment lorsqu'une
mesure de
détention préventive n'est pas - ou n'est plus - justifiée (ATF 115
Ia 293
consid. 1a p. 297; 107 Ia 256 consid. 1 p. 257; 105 Ia 26 consid. 1
p. 29).
La conclusion tendant à la libération immédiate du recourant est ainsi
recevable. Ne l'est pas, en revanche, celle tendant au renvoi de la
cause à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.

2.
Le recourant conteste les motifs pour lesquels la Chambre
d'accusation a
subordonné sa libération immédiate au versement d'une caution.
Invoquant
l'art. 5 par. 3 CEDH, il reproche en outre à la Chambre d'accusation
une
appréciation arbitraire des faits, heurtant l'art. 9 Cst.

2.1 La liberté provisoire peut être accordée moyennant des sûretés et
obligations (art. 155 CPP/GE), qui ont pour but de garantir la
présence de
l'inculpé aux actes de la procédure et sa soumission au jugement
(art. 156
al. 1 CPP/GE). Cette disposition correspond à l'art. 5 par. 3,
dernière
phrase, CEDH, à teneur duquel la mise en liberté peut être
subordonnée à une
garantie assurant la comparution de l'inculpé à l'audience. Tels
qu'ils sont
formulés, les griefs tirés de l'art. 5 par. 3 CEDH et de l'art. 9 Cst.
prohibant l'arbitraire se confondent.

2.2 L'importance de la garantie doit être appréciée au regard des
ressources
du prévenu, de ses liens avec des personnes pouvant lui servir de
caution, et
à la confiance qu'on peut avoir que la perspective de perdre le
montant agira
comme un frein suffisamment puissant pour écarter toute velléité de
fuite
(ATF 105 Ia 186 consid. 4a p. 187, citant l'arrêt rendu le 27 juin
1968 par
la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Neumeister c.
Autriche, Série A, vol. 7, par. 14). Le montant de la caution est
prohibitif
lorsque l'autorité sait ou devrait admettre, sur la base des
renseignements
disponibles, qu'il sera impossible au prévenu de trouver les fonds
nécessaires. A cet égard, il y a lieu de se fonder sur les
possibilités
présumées du prévenu qu'il puisse réunir les fonds réclamés, grâce à
ses
propres ressources ou à l'aide de parents ou d'amis (ATF 105 Ia 186
consid.
4a p. 188; cf. aussi l'arrêt 1P.474/1997 du 5 septembre 1997, consid.
3).
Lorsque l'instruction pénale porte sur des détournements de fonds
importants,
dont une grande partie n'a pas pu être récupérée, l'autorité chargée
de fixer
la caution doit faire preuve d'une grande prudence, car il est
toujours à
craindre que le prévenu ne profite de sa mise en liberté pour tenter
de
récupérer le produit de l'infraction soustrait à la justice.
L'autorité ne
peut pas, dans ce cadre, faire abstraction du montant des sommes
détournées
et fixer le montant de la caution en ne tenant compte que de la
situation
actuelle du prévenu, indépendamment des agissements délictueux qu'il
aurait
commis (arrêt 1P.691/2000 du 30 novembre 2000, consid. 3b; cf. aussi
l'arrêt
de la Cour européenne des droits de l'homme dans la cause Punzelt c.
République tchèque, du 25 avril 2000, par. 85 ss).

2.3 Pour admettre que L.________ était en mesure de fournir les
sûretés
réclamées, la Chambre d'accusation s'est fondée sur le montant
présumé des
escroqueries mises à sa charge (soit 13'000'000 fr.). Le recourant
tient
cette appréciation pour arbitraire.

2.3.1 Une décision est arbitraire, partant contraire à l'art. 9 Cst.,
lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair
et
indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le
sentiment de
la justice et de l'équité; à cet égard, le Tribunal fédéral ne
s'écarte de la
solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si
elle
apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation
effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit
certain.
En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision critiquée
soient
insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans
son
résultat (ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56, 60 consid. 5a p. 70; 126 I
168
consid. 3a p. 170; 125 I 10 consid. 3a p. 15, 166 consid. 2a p. 168;
125 II
129 consid. 4b p. 134, et les arrêts cités). Il n'y a pas arbitraire
du seul
fait qu'une autre interprétation de la loi soit possible, ou même
préférable
(ATF 124 I 247 consid. 5 p. 250/251; 120 Ia 369 consid. 3a p. 373;
118 Ia 497
consid. 2a p. 499; 116 Ia 325 consid. 3a p. 326/327).

2.3.2 Le recourant est inculpé notamment d'escroquerie - délit qui
présuppose
l'enrichissement illégitime - pour des montants très importants. En
obtenant
la livraison d'ouvrages imprimés sans en avoir payé le prix, le
recourant a
pu, par l'entremise de sociétés qu'il domine, faire vendre ces livres
qui ne
lui ont rien coûté, réalisant ainsi un profit considérable. C'est là
tout du
moins la thèse des plaignants, qu'il appartient au juge d'instruction
d'infirmer ou de confirmer. A ce stade de la procédure, la
culpabilité du
prévenu - présumé innocent - n'est pas établie, ce qui explique les
formulations hypothétiques utilisées par la Chambre d'accusation au
sujet des
profits réalisés par le recourant. Que les sociétés allemandes du
groupe
dominé par L.________ soient faillies n'exclut pas que celui-ci ait
pu cacher
le produit des infractions mises à sa charge, en Suisse, en Allemagne
ou
ailleurs. L'habileté financière du recourant, évoquée dans la
décision du 27
décembre 2001 à laquelle renvoie la décision attaquée, constituait un
élément
de fait de nature à conforter, sans arbitraire, le soupçon que le
recourant
aurait pu, par diverses machinations, escamoter son butin.

2.4 Pour le recourant, la solution retenue dans la décision attaquée
heurterait l'art. 5 par. 3 CEDH, car lui-même et sa famille ne
disposeraient
pas des possibilités réelles et effectives de verser la caution
demandée. Le
recourant se prévaut dans ce contexte de l'arrêt paru aux ATF 105 Ia
186,
lequel doit cependant être évoqué en lien avec les arrêts précités
1P.691/2000 du 30 novembre 2000 et Punzelt c. République tchèque. Au
regard
des principes développés par la jurisprudence nationale et européenne
la plus
récente, l'exigence d'une caution était justifiée (consid. 2.3
ci-dessus).
Le grief tiré de la violation de l'art. 5 par. 3 CEDH est ainsi mal
fondé.

3.
Le recourant soutient que les motifs de la décision attaquée
contiennent une
appréciation anticipée de sa culpabilité, incompatible avec la
présomption
d'innocence garantie par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH.

3.1 Selon l'arrêt Michailov invoqué par le recourant, la présomption
d'innocence garantie par l'art. 6 par. 2 CEDH (ainsi que par l'art.
32 al. 1
Cst., entré en vigueur dans l'intervalle) est violée lorsque
l'autorité de
jugement - ou toute autre autorité ayant à connaître de l'affaire à
un titre
quelconque - désigne une personne comme coupable d'un délit, sans
réserve et
sans nuance, incitant ainsi l'opinion publique à tenir la culpabilité
pour
acquise et préjugeant de l'appréciation des faits par l'autorité
appelée à
statuer au fond (ATF 124 I 327 consid. 3b p. 331). Dans l'affaire
Michailov,
la Chambre d'accusation avait évoqué, comme motif du maintien de la
détention
préventive, "la peine qui sera infligée". Le Tribunal fédéral avait
considéré
que cette formulation, malheureuse et imprudente, constituait pour
elle-même
une violation de l'art. 6 par. 2 CEDH (ATF 124 I 327 consid. 3c p.
331/332).

3.2 En l'occurrence, la Chambre d'accusation a considéré que "... les
escroqueries qu'il (soit, le recourant) semble avoir commises
apparaissent
avoir porté sur environ treize millions de francs et qu'il a pu
réaliser des
bénéfices en faisant le commerce d'ouvrages qu'il avaient (sic)
obtenus
d'imprimeurs sans bourse délier". Ce passage ne confirme pas que la
Chambre
d'accusation aurait préjugé la culpabilité du recourant. Au contraire,
l'autorité cantonale a usé de tournures hypothétiques ("semble avoir
commises" et "apparaissent") qui attirent l'attention du lecteur sur
le fait
que le prévenu est présumé innocent des charges retenues contre lui.
Les
considérations du recourant sur le fait que le passage qu'il cite
confirmerait que la Chambre d'accusation l'aurait "vraisemblablement"
tenu
pour coupable sont hors de propos: dans l'arrêt Michailov, le Tribunal
fédéral a considéré que l'adjonction après coup de cet adverbe
n'aurait pas
guéri le vice originel affectant le membre de phrase litigieux (ATF
124 I 327
consid. 3c p. 331 in fine). Si, à propos de Michailov, la Chambre
d'accusation avait d'emblée évoqué "la peine qui sera
vraisemblablement
infligée", sa décision aurait échappé à toute critique au regard de
l'art. 6
par. 2 CEDH.

4.
Le recours doit par conséquent être rejeté dans la mesure où il est
recevable.
Le recourant demande l'assistance judiciaire, laquelle est accordée à
la
double condition que le requérant soit démuni et que ses conclusions
ne
paraissent pas vouées à l'échec (art. 152 OJ). En l'occurrence, le
recours
était d'emblée dénué de toute chance de succès; partant, la demande
doit être
rejetée. Les frais sont mis à la charge du recourant (art. 156 OJ).
Il n'y a
pas lieu d'allouer des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Un émolument judiciaire de 3000 fr. est mis à la charge du recourant.

4.
Il n'est pas alloué de dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant,
au
Ministère public et à la Chambre d'accusation
du canton de Genève.

Lausanne, le 23 septembre 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.429/2002
Date de la décision : 23/09/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-09-23;1p.429.2002 ?
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