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17/09/2002 | SUISSE | N°4P.154/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 septembre 2002, 4P.154/2002


{T 0/2}
4P.154/2002 /ech

Arrêt du 17 septembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz, Klett,
Nyffeler et
Favre,
greffier Carruzzo.

A. ________,
recourant, représenté par Me Marc Lironi, avocat,
Boulevard Georges-Favon 19, case postale 5121,
1211 Genève 11,

contre

X.________,
intimée, représentée par Me Yves Siegrist, avocat, rue Vallin 2, case
postale
5554, 1211 Genève 11,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève,

case
postale 3108,
1211 Genève 3.

arbitraire; traduction de pièces

(recours de droit public contre l'arrêt de l...

{T 0/2}
4P.154/2002 /ech

Arrêt du 17 septembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz, Klett,
Nyffeler et
Favre,
greffier Carruzzo.

A. ________,
recourant, représenté par Me Marc Lironi, avocat,
Boulevard Georges-Favon 19, case postale 5121,
1211 Genève 11,

contre

X.________,
intimée, représentée par Me Yves Siegrist, avocat, rue Vallin 2, case
postale
5554, 1211 Genève 11,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

arbitraire; traduction de pièces

(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
justice du canton de Genève du 17 mai 2002)

Faits:

A.
Par contrat du 4 mars 1988, la Banque X.________ (ci-après: la
banque) a
accordé à A.________ (ci-après: l'emprunteur) un prêt de 450'000 fr.
garanti
par des cédules hypothécaires, qui était destiné à l'acquisition,
sous le
régime de la propriété par étages, d'un appartement et d'une place de
parking
dans l'immeuble sis à "Y.________" (Berne). L'emprunteur a signé, le
30 mars
1988, les conditions générales de la banque, incorporées au contrat,
qui
prévoyaient, juste au-dessus de la signature, dans une clause mise en
évidence par un large trait marginal, que le for exclusif était à
Spiez
(Berne), la banque se réservant toutefois le droit d'agir au domicile
du
client ou de tout autre for compétent.

Ce contrat de prêt a été remplacé par un autre contrat portant sur la
même
somme, signé par les parties le 14 août 1989, qui indiquait, juste
au-dessus
des signatures, que les conditions générales de la banque étaient
applicables, en particulier le for à Spiez, cette dernière mention
étant
soulignée. A la même date, l'emprunteur a signé également les
conditions
générales contenant, comme déjà indiqué, la clause de prorogation de
for en
faveur des tribunaux de Spiez.

Ce contrat a été modifié derechef par un nouveau contrat, portant sur
la même
somme, signé par l'emprunteur le 18 avril 1991, qui indique que les
conditions générales sont applicables et que le for est à Berne, cette
dernière mention étant soulignée.

La banque a accordé à l'emprunteur un autre prêt de 200'000 fr.,
garanti par
une cédule hypothécaire; il a été également précisé que les conditions
générales de la banque étaient applicables.

B.
En raison de difficultés financières, l'emprunteur a cessé de payer
les
intérêts dus à la banque. Cette dernière a donc demandé le
remboursement des
prêts.

N'ayant pas obtenu satisfaction, elle a poursuivi son débiteur en
réalisation
des gages immobiliers.

La vente aux enchères n'ayant pas fourni des résultats suffisants, la
banque
a reçu deux certificats d'insuffisance de gages.

Sur cette base, la banque a fait notifier à son débiteur un
commandement de
payer qui a été frappé d'opposition. La mainlevée provisoire a été
prononcée.
L'emprunteur a alors déposé devant les tribunaux genevois une action
en
libération de dette, soutenant en substance que la banque aurait pu
diminuer
son dommage. D'entrée de cause, la banque a soulevé une exception
d'incompétence des tribunaux genevois, en invoquant les clauses de
prorogation de for précitées. Les conditions générales et les contrats
produits étant rédigés en allemand, l'emprunteur a fait valoir que la
banque
aurait dû faire traduire en français l'intégralité de ces documents
et non
pas seulement - comme elle l'a fait - les clauses de prorogation de
for.

Par jugement du 8 novembre 2001, le Tribunal de première instance du
canton
de Genève, considérant que les parties avaient valablement conclu des
clauses
de prorogation de for excluant la compétence des tribunaux genevois, a
déclaré la demande irrecevable.

Statuant sur appel de l'emprunteur le 17 mai 2002, la Chambre civile
de la
Cour de justice a confirmé ce jugement avec suite de dépens. Relevant
que
l'emprunteur n'était pas de bonne foi, parce qu'il avait lui-même
produit
sans les traduire des pièces en allemand et qu'il n'avait jamais
prétendu ne
pas comprendre les documents qu'il signait, la cour cantonale a
estimé que la
traduction des passages pertinents était suffisante en regard des
exigences
du droit cantonal.

C.
A.________ a formé un recours de droit public au Tribunal fédéral. Il
y
invoque une violation arbitraire de l'art. 9 de la loi genevoise de
procédure
civile, relatif à la langue du procès, et conclut à l'annulation de
l'arrêt
attaqué.

La banque intimée propose le rejet du recours.

L'effet suspensif sollicité par le recourant lui a été accordé par
ordonnance
présidentielle du 2 septembre 2002.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre
une
décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des
citoyens
(art. 84 al. 1 let. a OJ).

L'arrêt rendu par la cour cantonale, qui est final, n'est susceptible
d'aucun
autre moyen de droit sur le plan fédéral ou cantonal dans la mesure
où le
recourant invoque la violation directe d'un droit de rang
constitutionnel, de
sorte que la règle de la subsidiarité du recours de droit public est
respectée (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ). En revanche, si le recourant
soulevait une question relevant de l'application du droit fédéral, le
grief
ne serait pas recevable, parce qu'il pouvait faire l'objet d'un
recours en
réforme (art. 43 al. 1 et 84 al. 2 OJ).

Le recourant est personnellement touché par la décision attaquée, qui
a pour
effet d'écarter ses conclusions libératoires, de sorte qu'il a un
intérêt
personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision
n'ait pas
été prise en violation de ses droits constitutionnels; en
conséquence, il a
qualité pour recourir (art. 88 OJ).

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans la forme prévue par
la loi
(art. 90 al. 1 OJ), le recours est en principe recevable.

Hormis certaines exceptions qui ne sont pas réalisées en l'espèce, il
n'a
qu'un caractère cassatoire et ne peut donc tendre qu'à l'annulation
de la
décision attaquée (ATF 127 II 1 consid. 2c; 127 III 279 consid. 1b,
126 III
534 consid. 1c; 124 I 327 consid. 4).

1.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine
que les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (ATF 127 I 38 consid. 3c; 127 III 279 consid. 1c; 126 III
524
consid. 1c, 534 consid. 1b; 125 I 492 consid. 1b p. 495).

2.
2.1En l'espèce, l'unique grief constitutionnel invoqué est
l'interdiction de
l'arbitraire.

Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne
résulte
pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en
considération ou
même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral n'annulera la
décision
attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle
se
trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle
viole
gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore
lorsqu'elle
heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de
l'équité; pour
qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit
pas que la
motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 127 I 54 consid. 2b; 126
I 168
consid. 3a; 125 I 166 consid. 2a; 124 I 247 consid. 5 p. 250; 124 V
137
consid. 2b).

Lorsque - comme c'est le cas en l'espèce -, la partie recourante
invoque une
violation arbitraire du droit cantonal, elle doit indiquer avec
précision
quelle est la disposition cantonale qui aurait été violée et l'examen
se
limite à cette question (ATF 110 Ia 1 consid. 2a).

2.2 Le recourant invoque une violation arbitraire de l'art. 9 de la
loi
genevoise de procédure civile (ci-après: LPC).

Selon cette disposition, "les parties procèdent en langue française".

Le droit cantonal oblige donc les parties à s'exprimer - que ce soit
par
écrit ou oralement - devant le juge genevois en langue française. La
jurisprudence a toujours appliqué cette règle strictement lorsqu'il
s'agit
des écritures ou plaidoiries des parties (arrêt 5P.63/1997 du 25
avril 1997,
consid. 3, publié in SJ 1998 p. 312).

Il a été admis que cette règle entraînait aussi l'obligation pour les
parties
de fournir une traduction des documents qu'elles produisent à l'appui
de leur
argumentation et qui sont libellés dans une autre langue
(Bertossa/Gaillard/Guyet/ Schmidt, Commentaire de la loi de procédure
civile
du canton de Genève, n. 3 ad art. 9). Toutefois, l'obligation de
traduire en
français les pièces produites en langue étrangère est interprétée de
manière
moins rigoureuse que l'obligation faite aux parties de s'exprimer en
français
devant le juge. Avant l'adoption du principe consacré à l'art. 9 LPC,
la
jurisprudence cantonale avait déjà été confrontée au problème d'une
traduction partielle; il a été admis qu'il suffisait que les passages
pertinents soient traduits, pour autant que la traduction ne soit pas
contestée et qu'il ne soit pas allégué que des passages non traduits
contredisent ceux qui l'ont été (arrêt de la Cour de justice publié
in SJ
1977 p. 415 s.). Après l'adoption de l'art. 9 LPC, la doctrine
cantonale a
admis que cette jurisprudence continuait de s'appliquer (Hubert
Bauer/Laurent
Lévy, L'exception de traduction de pièces, in SJ 1982 p. 52 à 54). Les
commentateurs de la loi cantonale relèvent également qu'il n'est pas
rare que
des pièces volumineuses, comme des conditions générales, soient
produites
alors que seuls de brefs passages sont invoqués; dans de tels cas, la
traduction des passages topiques suffit en principe
(Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmid, ibid.).

En règle générale, une décision qui interprète une disposition
cantonale
conformément à la jurisprudence publiée et à la doctrine unanime ne
peut pas
être considérée comme arbitraire.

Le texte laconique de l'art. 9 LPC ne dit pas que toutes les pièces
produites
doivent être intégralement traduites en français. La règle doit être
interprétée conformément à son sens et son but (ATF 128 I 34 consid.
3b; 128
II 56 consid. 4, 66 consid. 4a; 128 III 113 consid. 2a), en
s'inspirant
également des principes constitutionnels, qui prohibent notamment le
formaliste excessif (sur cette notion: cf. ATF 128 II 139 consid. 2a;
127 I 3
consid. 2a/bb p. 34; 125 I 166 consid. 3a p. 170; 121 Ia 177 consid.
2b/aa).
Lorsqu'une partie produit un document relativement long et qu'il est
indiscutable que seul un passage est utile pour la décision à rendre,
on ne
voit pas que la partie adverse puisse exiger
la traduction des passages qui sont manifestement sans pertinence;
une telle
exigence n'aurait aucun sens; elle ne répondrait à aucun intérêt
légitime et
compliquerait inutilement la mise en oeuvre du droit.

Il n'est donc pas arbitraire d'interpréter l'art. 9 LPC en ce sens
qu'il
n'exige que la traduction des passages pertinents des pièces
produites. Il
n'en demeure pas moins qu'il faut avoir la certitude raisonnable que
tous les
passages pertinents ont été traduits; une partie ne pourrait pas, par
une
traduction sélective, dénaturer le sens d'un document sur les points
pertinents.

2.3 Comme l'intimée avait en l'espèce soulevé d'entrée de cause une
exception
d'incompétence ratione loci en invoquant des clauses de prorogation
de for,
la seule question pertinente, à ce stade de la procédure, était de
savoir si
les parties étaient valablement convenues de clauses de prorogation
couvrant
les prétentions en litige et excluant la compétence du tribunal saisi.

La cour cantonale a constaté que l'intimée avait traduit
intégralement et
correctement toutes les clauses relatives au for figurant dans les
documents
produits. Le recourant ne tente pas de démontrer que cette
constatation
serait arbitraire (cf. art. 90 al. 1 let. b OJ).

La prorogation de for est une question bien distincte des autres
points qui
doivent être traités lors de la rédaction d'un contrat. Elle ne se
prête
guère à des développements importants et complexes et donne lieu
habituellement à une clause unique, qui doit être claire et sans
équivoque
et, lorsqu'elle se trouve dans des conditions générales préformées,
être mise
en évidence et placée à un endroit bien visible (cf. ATF 118 Ia 294
consid.
2a). Il est donc normalement facile d'identifier la clause de
prorogation de
for et, lorsque celle-ci est sans équivoque - comme c'est le cas en
l'espèce
-, il n'y a aucune raison de penser qu'un autre passage du document
revient
sur cette question. L'idée, suggérée de manière purement théorique
par le
recourant, qu'un même document pourrait contenir plusieurs clauses de
prorogation de for contradictoires est tellement invraisemblable que
la cour
cantonale pouvait l'écarter sans tomber dans l'arbitraire.

Par les traductions produites (dont l'exactitude n'est pas contestée),
l'intimée a prouvé l'existence de clauses de prorogation de for
claires et
sans équivoque. Si le recourant entendait soutenir que les parties
avaient
par ailleurs conclu sur ce même sujet un accord spécial ou
postérieur, il lui
incombait de l'alléguer et de le prouver, en produisant, le cas
échéant, la
traduction du document en langue étrangère qui en établirait
l'existence.


Ainsi, l'art. 9 LPC n'a pas été appliqué arbitrairement en l'espèce,
de sorte
que le recours doit être rejeté.

3.
Les frais et dépens seront mis à la charge du recourant qui succombe
(art.
156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 17 septembre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.154/2002
Date de la décision : 17/09/2002
1re cour civile

Analyses

Prorogation de for. Langue du procès; traduction de pièces (art. 9 et 30 al. 2 Cst.; art. 9 de la loi genevoise de procédure civile). L'obligation, pour les parties, de procéder en langue française devant le juge genevois implique aussi celle de fournir une traduction des documents produits par elles et libellés dans une autre langue. Portée de cette dernière obligation, en particulier lorsqu'elle vise une clause de prorogation de for (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-09-17;4p.154.2002 ?
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