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17/09/2002 | SUISSE | N°4P.140/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 septembre 2002, 4P.140/2002


{T 0/2}
4P.140/2002 /ech

Arrêt du 17 septembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz et Nyffeler,
Greffier Ramelet.

X. ________,
recourants, représentés par Me Christoph Dreher, avocat,
rue Ferdinand-Hodler 11, case postale 3175, 1211 Genève 3,

contre

Y.________,
intimée, représentée par Me Gérald Page, avocat,
case postale 385, 1211 Genève 12,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3

.

fixation des dépens; arbitraire

(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
j...

{T 0/2}
4P.140/2002 /ech

Arrêt du 17 septembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz et Nyffeler,
Greffier Ramelet.

X. ________,
recourants, représentés par Me Christoph Dreher, avocat,
rue Ferdinand-Hodler 11, case postale 3175, 1211 Genève 3,

contre

Y.________,
intimée, représentée par Me Gérald Page, avocat,
case postale 385, 1211 Genève 12,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

fixation des dépens; arbitraire

(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
justice du canton de Genève du 19 avril 2002)

Faits:

A.
Le 4 mars1997, X.________ et Y.________ ont conclu un contrat de
régie de
publicité afférent aux espaces publicitaires sur et dans les
véhicules des
transports publics genevois.

L'exécution de ce contrat a donné lieu à des récriminations de part et
d'autre et il en est résulté un litige entre les parties.

B.
Le 7 octobre 1999, Y.________ a déposé devant les tribunaux genevois
une
demande en paiement dirigée contre X.________, leur réclamant la
somme de
1'753'544 fr.55 avec intérêt au taux de 6% l'an dès le 24 mars 1998.

Par jugement du 16 janvier 2001, le Tribunal de première instance du
canton
de Genève a débouté la demanderesse de toutes ses conclusions et l'a
condamnée aux dépens, comprenant une participation aux honoraires de
l'avocat
de X.________ de 18'000 fr.

Saisie d'un appel de Y.________, la Chambre civile de la Cour de
justice de
Genève, par arrêt du 19 avril 2002, a confirmé ce jugement. Sur appel
incident de X.________, elle a considéré que l'indemnité de 18'000
fr. pour
la procédure de première instance était exagérément basse et l'a
fixée à
35'000 fr.

C.
X.________ forment un recours de droit public au Tribunal fédéral.
Invoquant
une violation arbitraire de l'art.181 al. 3 de la loi genevoise de
procédure
civile (ci-après: LPC gen.), ils soutiennent que l'indemnité pour la
procédure de première instance a été fixée à un montant exagérément
bas. Ils
concluent, principalement, à l'annulation de l'arrêt attaqué sur ce
point et,
cela fait, à ce que l'indemnité en cause soit fixée à 150'000 fr. et,
subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée à la cour cantonale.

L'intimée conclut au déboutement de sa partie adverse, alors que
l'autorité
cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre
une
décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des
citoyens
(art. 84 al.1 let. a OJ).

Le recours n'est toutefois pas recevable si le moyen pouvait être
soumis au
Tribunal fédéral par une autre voie de droit (art. 84 al. 2 OJ).
Comme la
fixation des dépens relève exclusivement de la procédure cantonale, un
recours en réforme - contrairement à ce que les recourants semblent
dire à la
p. 2 - était d'emblée exclu, parce que cette voie n'est ouverte que
pour
violation du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ), et non pour violation
du droit
cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a, 370
consid. 5;
125 III 305 consid. 2e). La règle de la subsidiarité du recours de
droit
public est donc respectée.

Le recours n'est ouvert que contre une décision prise en dernière
instance
cantonale (art. 86 al. 1 OJ). L'art. 185 LPC gen. prévoit que la
décision sur
les dépens peut faire l'objet d'une opposition auprès de l'autorité
qui a
statué. Toutefois, l'art. 184 LPC gen. précise que la Cour de
justice, saisie
d'un appel, est compétente pour vérifier et arrêter à nouveau l'état
des
dépens de la première instance. En cas d'appel, un litige sur la
quotité des
dépens peut donc être liquidé par cette voie, qui se substitue à
celle de
l'opposition (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi
de
procédure civile genevoise, n. 1 ad art. 185 LPC gen.). La décision
sur la
quotité des dépens de première instance prise par la Cour de justice
sur
appel constitue donc une décision de dernière instance cantonale. En
revanche, la fixation des dépens d'appel par la Cour de justice est
une
décision de première instance qui peut faire l'objet d'une opposition
auprès
de cette juridiction (art. 185 LPC gen.), de sorte que la décision
attaquée
n'est pas sur ce point une décision de dernière instance cantonale,
susceptible d'un recours de droit public (art. 86 al. 1 OJ).

Ainsi, la fixation des dépens de première instance par la Cour de
justice se
caractérise comme une décision finale prise en dernière instance
cantonale
qui ne peut faire l'objet d'aucun autre recours au Tribunal fédéral,
de sorte
que la voie du recours de droit public est ouverte.

Les recourants sont personnellement touchés par la décision attaquée,
qui
fixe l'indemnité de procédure qu'ils peuvent réclamer à leur partie
adverse;
ils ont donc un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à
ce que
cette décision n'ait pas été prise en violation de leurs droits
constitutionnels. En conséquence, ils ont qualité pour recourir (art.
88 OJ).

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ) et dans la forme prévue
par la
loi (art. 90 al. 1 OJ), le recours est en principe recevable.

Hormis certaines exceptions qui ne sont pas réalisées en l'espèce, le
recours
de droit public n'a toutefois qu'un caractère cassatoire et ne peut
tendre
qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 127 II 1 consid. 2c;
127 III
279 consid. 1b; 126 III 534 consid. 1c). La conclusion des recourants
tendant
à ce que le Tribunal fédéral fixe lui-même l'indemnité de procédure
est donc
irrecevable.

1.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine
que les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (ATF 127 I 38 consid. 3c; 127 III 279 consid. 1c; 126 III
524
consid. 1c, 534 consid. 1b).

2.
2.1En l'espèce, le seul grief constitutionnel invoqué est
l'interdiction de
l'arbitraire.

Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne
résulte
pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en
considération ou
même qu'elle serait préférable. Le Tribunal fédéral n'annulera la
décision
attaquée que lorsqu'elle est manifestement insoutenable, qu'elle se
trouve en
contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole
gravement une
norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle
heurte de
manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Pour
qu'une
décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la
motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 127 I 54 consid. 2b; 126
I 168
consid. 3a; 125 I 166 consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a, 129 consid.
5b).

Lorsqu'une partie recourante se plaint - comme c'est le cas en
l'espèce -
d'arbitraire dans l'application du droit cantonal, elle doit indiquer
avec
précision quelle disposition du droit cantonal aurait été violée
arbitrairement (ATF 110 Ia 1 consid. 2a).

2.2 En l'espèce, les recourants se plaignent d'une violation
arbitraire de
l'art. 181 al. 3 LPC gen.

L'art. 181 al. 1 LPC gen. prévoit que les dépens comprennent les frais
exposés dans la cause et une indemnité de procédure. La notion de
frais
exposés dans la cause est explicitée par l'al. 2. Quant à l'indemnité
de
procédure, l'al. 3 précise qu'elle "est fixée en équité par le juge,
en
tenant compte notamment de l'importance de la cause, de ses
difficultés, de
l'ampleur de la procédure, et de frais éventuels non prévus à
l'alinéa 2".
L'indemnité de procédure a pour objet essentiel de couvrir les
honoraires de
l'avocat que la partie victorieuse a mandaté pour l'assister et la
représenter dans son action ou sa défense; comme les honoraires
d'avocat ne
font pas l'objet d'un tarif, le juge doit statuer en équité, en
s'inspirant
des critères reconnus en la matière (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt,
op.
cit., n. 4 ad art. 181 LPC gen.).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d'arbitraire, la
rémunération de l'avocat doit demeurer dans un rapport raisonnable
avec la
prestation fournie et ne doit pas contredire d'une manière grossière
le
sentiment de la justice (ATF 93 I 116 consid. 5). Pour fixer
l'indemnité de
procédure, le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation; il doit
tenir
compte de l'importance et de la complexité de la cause, de l'ampleur
du
travail fourni et du temps que l'avocat y a consacré (ATF 114 V 83
consid.
4b). S'agissant de l'importance de la cause, il s'agit
essentiellement, pour
les affaires pécuniaires, de tenir compte de la valeur litigieuse, qui
accroît la responsabilité assumée par l'avocat (arrêt 4P.317/2001 du
28
février 2002 consid. 3; cf. également: ATF 117 II 282 consid. 4c).
Lorsqu'on
envisage le temps consacré à l'affaire, il faut distinguer le travail
accompli par l'avocat lui-même et celui qui a été confié à des
collaborateurs
(arrêt 4P.317/2001 déjà cité, consid. 4). Des procédés inutiles ou
superflus
ne doivent pas être pris en considération (arrêt 1P.642/1998 du 26
janvier
1999, consid. 3c).

2.3En l'espèce, les recourants ne fournissent aucune indication sur
le temps
consacré à l'affaire et sur la répartition du travail à l'intérieur du
cabinet d'avocats, de sorte que toute analyse en fonction du temps est
impossible. Il faut donc examiner l'ampleur du travail fourni en
fonction des
prestations établies.

La demande comportait 31 pages, les conclusions après enquêtes de la
demanderesse 44 pages et le Tribunal de première instance a statué
sur 25
pages. On ne voit pas pourquoi il était impossible aux recourants de
se
déterminer dans les mêmes limites. Il apparaît d'emblée que leurs deux
écritures, respectivement de 92 pages et de 90 pages, sont
manifestement
disproportionnées. On ne discerne pas l'utilité d'entrer dans autant
de
détails, ni de reproduire textuellement autant de passages des
procès-verbaux
déjà en mains du tribunal. Il sera donc retenu que les recourants ont
enflé
inutilement leurs écritures, alors qu'il leur était manifestement
possible de
s'exprimer sur tous les points pertinents dans des mémoires d'une
taille
comparable à celle des écritures adverses.

Ainsi, l'ampleur du travail doit être qualifiée de moyenne. Il y a eu
deux
écritures à rédiger, qui auraient dû raisonnablement avoir entre 30
et 50
pages; il y a eu une comparution personnelle (le 9 octobre 2000, qui
s'est
poursuivie le 1er novembre lors d'une audience d'audition de témoins)
et cinq
audiences d'audition de témoins (les 31 mars, 8 mai, 26 mai, 11
septembre et
1er novembre 2000), au cours desquelles il a été recueilli au total 15
dépositions.

Si l'on se penche sur la complexité de la cause, le litige portait sur
l'interprétation et l'application de clauses contractuelles, sur la
possibilité d'une résiliation d'un contrat durable pour justes motifs
et sur
les mécanismes généraux de la responsabilité contractuelle. Ces points
faisaient appel à des notions juridiques couramment employées et bien
connues. Les recourants ont contesté à tort la légitimation active de
leur
partie adverse et ce moyen a été rejeté tant en première instance
qu'en
appel; ils ne peuvent réclamer à leur partie adverse une indemnité
pour avoir
soulevé contre elle un moyen infondé. Si l'on enlève cette partie de
l'argumentation des recourants, leur écriture en droit se limite,
pour la
réponse, à 9 pages et, pour les conclusions après enquêtes, à 5
pages. Les
seules références à la doctrine ou à la jurisprudence sont (pour les
deux
écritures) trois citations du même commentaire de procédure civile
genevoise.
La tâche des défendeurs était d'ailleurs simplifiée par leur position
de
partie défenderesse. Il faut donc en déduire qu'il n'y a eu
pratiquement
aucune recherche juridique et que la cause était relativement simple
en
droit.

Il est vrai que la compréhension du déroulement des événements
impliquait un
travail d'une ampleur certaine et la consultation de nombreuses
pièces. Il
faut cependant observer que le chiffre de 35'000 fr., retenu par la
cour
cantonale, permet assurément de rémunérer un nombre d'heures de
travail
considérable.

Il reste à tenir compte de la valeur litigieuse, qui était très
importante.

Les recourants citent à cet égard un cas de comparaison. Il convient
pourtant
d'emblée de signaler que les affaires judiciaires sont à ce point
différentes
les unes des autres que toute comparaison est pratiquement
impossible. Par
ailleurs, un seul précédent ne suffirait pas pour affirmer que les
recourants
sont victimes d'une inégalité de traitement au sens de l'art. 8 Cst.,
moyen
constitutionnel qu'il n'invoque d'ailleurs pas. De toute manière, on
ne sait
absolument rien des efforts qui ont pu être nécessaires pour déposer
la
demande citée en comparaison, qu'il s'agisse de dresser l'état de
fait ou de
présenter la motivation juridique. Cet argument est donc impropre à
démontrer
l'arbitraire de la décision d'espèce.

Les recourants se réfèrent également à une jurisprudence cantonale,
relativement ancienne, qui indique que, dans les faits, l'indemnité
est
généralement fixée entre 5 et 10
% du montant litigieux (SJ 1986 p.
203
consid. 3b). Liminairement, il y a lieu de constater que la Cour de
justice
n'est pas liée par un arrêt rendu dans une autre cause par cette même
juridiction. Si on examine le texte de l'arrêt cité, on remarque que
la
fourchette avait été en réalité évoquée dans le jugement de première
instance
et que la Cour de justice, pour sa part, a souligné que l'on pouvait
descendre en-dessous ou monter au-dessus et qu'il fallait en
définitive
procéder à une appréciation selon les circonstances d'espèce (cf. SJ
1986 p.
200 ss). Pour que la rémunération de l'avocat reste dans un rapport
raisonnable avec les prestations fournies, le pourcentage de la valeur
litigieuse doit en principe diminuer avec l'augmentation de cette
dernière;
les tarifs des greffes (pour l'activité judiciaire) sont normalement
modulés
de cette manière. La valeur litigieuse étant ici très élevée, il n'y
a rien
d'étonnant à ce que la cour cantonale soit descendue en-dessous du
pourcentage appliqué à des causes d'importance moyenne.

Le Tribunal fédéral, pour sa part, a pour pratique de fixer
l'indemnité de
procédure à un montant en général quelque peu supérieur à celui de
l'émolument perçu pour l'activité judiciaire en fonction de la valeur
litigieuse. En l'espèce, l'émolument perçu pour la procédure de
première
instance devait être de l'ordre de 20'000 fr. (art. 11 du Règlement
genevois
fixant le tarif des greffes en matière civile du 9 avril 1997). Par
rapport à
ce montant, arrêté en fonction de la valeur litigieuse, l'indemnité de
procédure pour les frais d'avocat de 35'000 fr. n'apparaît pas
déraisonnable.

En tenant compte des différents critères d'appréciation - comme
l'exige la
jurisprudence -, on ne voit pas que le chiffre de 35'000 fr., retenu
par la
cour cantonale, puisse être qualifié d'insoutenable ou de choquant. En
conséquence, le recours doit être rejeté.

3.
Les frais et dépens seront mis à la charge des recourants qui
succombent
(art. 156 al. 1 et 159 al.1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge des
recourants.

3.
Les recourants verseront à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à
titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 17 septembre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.140/2002
Date de la décision : 17/09/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-09-17;4p.140.2002 ?
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