La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/09/2002 | SUISSE | N°7B.119/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 septembre 2002, 7B.119/2002


{T 0/4}
7B.119/2002 /frs

Arrêt du 10 septembre 2002
Chambre des poursuites et des faillites

Les juges fédéraux Escher, juge présidante,
Meyer, Hohl,
greffier Fellay.

S. ________,
recourant, représenté par Me Jean-Emmanuel Rossel, avocat, Grand-Rue
89, 1110
Morges,

contre

Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois, en
qualité
d'autorité supérieure de surveillance, route du Signal 8, 1014
Lausanne.

validité d'une seconde poursuite pour la même créance



(recours LP contre l'arrêt de la Cour des poursuites et faillites du
Tribunal
cantonal vaudois, en qualité d'autori...

{T 0/4}
7B.119/2002 /frs

Arrêt du 10 septembre 2002
Chambre des poursuites et des faillites

Les juges fédéraux Escher, juge présidante,
Meyer, Hohl,
greffier Fellay.

S. ________,
recourant, représenté par Me Jean-Emmanuel Rossel, avocat, Grand-Rue
89, 1110
Morges,

contre

Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois, en
qualité
d'autorité supérieure de surveillance, route du Signal 8, 1014
Lausanne.

validité d'une seconde poursuite pour la même créance

(recours LP contre l'arrêt de la Cour des poursuites et faillites du
Tribunal
cantonal vaudois, en qualité d'autorité supérieure de surveillance,
du 4 juin
2002)

A.
Le 6 août 1998, à la requête de Y.________ AG, l'Office des
poursuites de
Nyon a notifié à S.________ un commandement de payer no XXX'XXX, en
paiement
des montants de 6'134'000 fr., 386'802 fr. 45, 23 fr. et 15'335 fr.,
plus
intérêts, le titre et la cause de l'obligation étant un contrat de
garantie
du 30 septembre 1996. Cette poursuite a fait l'objet d'une décision de
mainlevée d'opposition provisoire, rendue le 13 novembre 1998 par le
Président du Tribunal du district de Nyon et confirmée par arrêt de
la Cour
des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois du 28
octobre 1999.
Par demande du 18 novembre 1999, le poursuivi a ouvert action en
libération
de dette devant le Tribunal civil du district de Nyon.

La poursuivante ayant requis la saisie provisoire (art. 83 al. 1 LP),
l'office a ordonné cette mesure le 17 novembre 1999 sur divers
meubles et
objets, en la complétant par une saisie de revenus de 52'000 fr. par
mois dès
le 1er septembre 2000, puis de 51'800 fr. dès le 1er mars 2001. Le
poursuivi
ne s'est toutefois pas acquitté des montants imposés par la saisie.
Celle-ci
a pris fin le 5 septembre 2001.

En octobre 2001, la poursuivante a sollicité une nouvelle saisie.
L'office
lui a fait savoir que cela n'était pas possible et il l'a invitée à
envisager
l'introduction d'une nouvelle poursuite.

B.
Sur réquisition de la poursuivante, un commandement de payer no
XXX'XXX a
donc été notifié le 21 novembre 2001 au poursuivi. Le montant réclamé
dans
cette poursuite, sur la base du même contrat de garantie, s'élevait à
5'368'700 fr. 65, déduction faite de la somme de 631'433 fr. 35,
objet de la
saisie de revenus non payée par le poursuivi. Celui-ci a fait
opposition
audit commandement de payer et a déposé plainte contre la décision de
l'office de lui notifier un second commandement de payer pour la même
créance, concluant à l'annulation de cette seconde poursuite.

Sa plainte ayant été rejetée par l'autorité cantonale inférieure de
surveillance, le poursuivi a recouru à la Cour des poursuites et
faillites du
Tribunal cantonal, autorité cantonale supérieure de surveillance. Par
arrêt
du 4 juin 2002, celle-ci a rejeté le recours et maintenu le prononcé
de
l'autorité inférieure de surveillance.

C.
Le poursuivi a recouru le (lundi) 17 juin 2002 à la Chambre des
poursuites et
des faillites du Tribunal fédéral afin de faire annuler la seconde
poursuite,
avec suite de frais et dépens.
La poursuivante et l'office ont conclu au rejet du recours, avec
suite de
frais et dépens.

L'effet suspensif a été attribué au recours par décision du 25 juin
2002.

La Chambre considère en droit:

1.
1.1 La question fondamentale, posée en l'espèce, de savoir s'il est
admissible de mener de front deux ou plusieurs poursuites au sujet
d'une
seule et même créance a été soumise à plusieurs reprises au Tribunal
fédéral,
qui l'a résolue de la manière suivante: une seconde poursuite pour la
même
créance n'est inadmissible que si, dans la première poursuite, le
créancier a
déjà requis la continuation de la poursuite ou est en droit de le
faire. Ce
n'est en effet que dans ces cas qu'il y a un risque sérieux que le
patrimoine
du débiteur fasse l'objet d'une exécution à plusieurs reprises. En
revanche,
si la première poursuite a été arrêtée à la suite d'une opposition ou
qu'elle
est devenue caduque en raison d'une renonciation du créancier, il n'y
a pas
de motif d'empêcher ce dernier d'engager une nouvelle poursuite pour
la même
créance (ATF 100 III 41 et les arrêts cités; arrêt du 6 mai 1981 dans
la
cause M. F., publié dans le Bulletin des préposés aux poursuites et
faillites/BlSchK 1983, p. 128 ss). Comme le précise le premier de ces
deux
arrêts (p. 43), le débiteur ne pâtit pas du fait que le créancier
soit en
droit de mener plusieurs poursuites de front pour une seule et même
créance.
En effet, la loi protège le poursuivi qui a payé sa dette et
l'empêche de
devoir payer une seconde fois le montant objet de la poursuite en lui
donnant
la possibilité de faire opposition à la créance ou d'exiger
l'annulation de
la poursuite conformément à l'art. 85 [et 85a] LP. En revanche, s'il
n'a pas
encore payé la dette et si la poursuite a déjà atteint le stade où le
créancier peut requérir la continuation de la poursuite, le poursuivi
peut
faire opposition à un nouveau commandement de payer relatif à la même
créance
et, si l'identité des créances est certaine et non contestée, la voie
de la
plainte lui est également ouverte.

Cette jurisprudence est approuvée par la doctrine (cf. Gilliéron,
Commentaire
de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, n.121
ad art.
67; idem, in JdT 1993 II 53; Amonn/Gasser, Grundriss des
Schuldbetreibungs-
und Konkursrechts, 6e éd., Berne 1997, § 16 n. 2; Roland Ruedin,
Poursuite
pour dettes et faillite, La réquisition de poursuite, FJS 978, ch.
5.1.2.;
Sabine Kofmel Ehrenzeller, in Kommentar zum Bundesgesetz über
Schuldbetreibung und Konkurs, Staehelin/Bauer/Staehelin, n. 8 ad art.
67).

1.2 Dans un arrêt du 18 janvier 1991 (ATF 117 III 26), le Tribunal
fédéral a
certes affirmé qu'un créancier non entièrement désintéressé sur le
produit
d'une saisie de salaire ne peut introduire une nouvelle poursuite
pour le
solde de sa créance tant que l'action en libération de dette est
pendante
(consid. 1 p. 28). En l'espèce, toutefois, il s'agissait de la
possibilité de
requérir une saisie complé-mentaire dans le cadre d'une saisie
provisoire, et
si le Tribunal fédéral a jugé que la saisie complémentaire ne pouvait
avoir
lieu, ce n'est pas sur la base de l'affirmation qu'il venait de
prononcer,
mais parce que le créancier n'était pas au bénéfice d'un acte de
défaut de
biens ou d'un procès-verbal de saisie valant acte de défaut de biens
conformément à l'art. 115 LP (consid. 2). L'affirmation susmentionnée
du
Tribunal fédéral revêtait donc, in casu, le caractère d'un obiter
dictum et a
été critiquée à juste titre par Gilliéron (JdT 1993 II 53). De manière
convaincante celui-ci expose, en effet, que lorsqu'une première
poursuite est
arrêtée par une opposition et, cette opposition ayant été levée
provisoirement, par une instance en libération de dette, rien
n'empêche le
poursuivant de requérir pour la même créance une seconde poursuite en
offrant
d'imputer le dividende consigné dans la première; tant que la
mainlevée et la
saisie dans la première poursuite ne sont pas devenues définitives,
la saisie
exécutée dans cette première poursuite n'est encore que
conservatoire: le
créancier ne peut pas requérir la réalisation, et le dividende
afférent à sa
créance ne peut lui être distribué. Toujours selon l'auteur précité,
lorsque
dans la première poursuite une saisie de salaire a été exécutée,
refuser au
créancier le droit de requérir une seconde poursuite à l'expiration
du délai
d'un an durant lequel la saisie de salaire était en force,
reviendrait à lui
refuser de s'en prendre au salaire du débiteur, comme peut le faire
n'importe
quel autre créancier, cependant que son commandement de payer n'est
pas
exécutoire dans la première poursuite. Cela ne répond à aucun besoin
de
protection du débiteur (voir en outre le commentaire LP du même
auteur, n.
137 ad art. 93). Le Tribunal fédéral se rallie à cette opinion.

2.
La cour cantonale a décidé de s'en tenir, sur la question litigieuse,
à l'ATF
100 III 41 qui n'exclut une seconde poursuite que si le créancier a
déjà
requis la continuation de la première poursuite ou s'il est en droit
de le
faire. Elle a clairement écarté l'application de l'ATF 117 III 26,
parce que
cet arrêt traitait d'un objet différent et affirmait, en obiter
dictum, le
principe de l'interdiction d'une nouvelle poursuite tant que la
précédente
poursuite est en cours, en se référant à un arrêt (ATF 98 III 12) qui
ne
permettait pourtant pas de prononcer une telle affirmation.

Dans ces conditions, c'est en vain que le recourant reproche à
l'autorité
cantonale une mauvaise interprétation de l'ATF 117 III 26, jugé non
déterminant. Il ne conteste d'ailleurs ni la différence d'objet d'une
cause à
l'autre, ni l'obiter dictum en question.

3.
Au dire du recourant, c'est à tort qu'une seconde poursuite a été
notifiée en
l'espèce, car la première avait fait l'objet d'une continuation de
poursuite.
Il ne peut être suivi. En effet, comme le relève avec raison l'arrêt
attaqué,
la saisie provisoire prévue à l'art. 83 LP, même si elle doit être
exécutée
de la même façon que la saisie définitive (ATF 117 III 26 consid. 1
et arrêt
cité), n'est pas une opération de continuation de la poursuite
proprement
dite au sens de l'art. 88 LP, l'action en libération de dette
pendante y
faisant obstacle. Il s'agit d'une mesure conservatoire antérieure à
cette
phase d'exécution, qui intervient précisément parce qu'une
continuation de la
poursuite aux fins de réalisation ne peut pas encore être requise
(Gilliéron,
Poursuite pour dettes, faillite et concordat, Lausanne 1993, p.153;
idem,
Commentaire LP, n. 14 ad art. 88).

4.
Le recourant fait valoir par ailleurs que la coexistence de deux
poursuites
pour la même créance a des conséquences inadmissibles sous trois
aspects, qui
sont abordés successivement ci-après.

4.1 Premièrement, la même créance pourrait être recouvrée deux fois.
Contrairement à ce que soutient le recourant, la cour cantonale a
répondu de
façon convaincante à cet argument, en s'appuyant sur l'ATF 110 III
41: soit
le poursuivi a déjà payé, partiellement ou totalement, le montant de
sa dette
dans le cadre de la première poursuite et il pourra s'opposer avec
succès,
dans la mesure de son paiement, à la seconde poursuite; soit la
première
poursuite en est au stade de la continuation de la poursuite et une
seconde
poursuite n'est alors pas possible, le poursuivi pouvant y faire
obstacle par
la voie de l'opposition ou de la plainte.

4.2 Deuxièmement, les deux poursuites pourraient aboutir à deux actes
de
défaut de biens, alors que le montant de la créance n'est dû qu'une
seule
fois. L'arrêt attaqué retient à juste titre, sur ce point, que cette
situation ne serait pas différente de celle où, à l'issue d'une
poursuite
infructueuse, le poursuivant tente une seconde poursuite pour
l'impayé, qui
aboutirait elle aussi à la délivrance d'un acte de défaut de biens.
Comme le
relève l'office dans ses observations, l'acte de défaut de biens
délivré dans
la première poursuite serait annulé à la suite de la délivrance de
l'acte de
défaut de biens dans la seconde poursuite pour la même créance. Il
devrait en
aller de même dans l'hypothèse, avancée par le recourant, où l'office
serait
appelé à délivrer, non pas successivement, mais simultanément les
deux actes
de défaut de biens pour la même créance, l'acte délivré dans la
première
poursuite l'étant comme "premier acte de défaut de biens", celui
délivré dans
la seconde poursuite l'étant comme "nouvel acte de défaut de biens qui
remplace le précédent" (cf. formulaires LP 7b et 36; Gilliéron,
Commentaire
LP, n. 39 ss ad art. 149; Ueli Huber, in Kommentar zum Bundesgesetz
über
Schuldbetreibung und Konkurs, Staehelin/Bauer/Staehelin, n. 36 ad
art. 149).

4.3 Troisièmement, la question de l'action en libération de dette
serait
insoluble: une seconde action en libération de dette se heurterait en
effet à
la litispendance et serait irrecevable, de sorte que la seconde
poursuite
pourrait continuer faute pour le poursuivi de pouvoir agir en
libération de
dette, alors que la créance fait l'objet d'une action en libération
de dette
dans la première poursuite.

Avec l'autorité cantonale de surveillance et Gilliéron (JdT 1993 II
53/54;
Commentaire LP, n. 137 ad art. 93), il y a lieu d'admettre que le
poursuivi
n'a pas, dans ce cas, à ouvrir une seconde action en libération de
dette; il
lui suffira de se prévaloir, dans la seconde poursuite, de l'action en
libération de dette pendante dans la première poursuite, comme il le
ferait
de toute action ouverte antérieurement à la mainlevée définitive.
Ainsi que
l'a déjà jugé le Tribunal fédéral, une action en libération de dette
ouverte
avant le commencement du délai de l'art. 83 al. 2 LP a les mêmes
effets
qu'une action ouverte dans ce délai: la poursuite demeure suspendue
et ne
peut donc être continuée (ATF 117 III 17 et les références).

Lausanne, le 10 septembre 2002


Synthèse
Numéro d'arrêt : 7B.119/2002
Date de la décision : 10/09/2002
Chambre des poursuites et des faillites

Analyses

Validité d'une seconde poursuite pour la même créance. Une seconde poursuite pour la même créance n'est inadmissible que si, dans la première poursuite, le créancier a déjà requis la continuation de la poursuite ou est en droit de le faire (confirmation de la jurisprudence; consid. 1 et 2). La saisie provisoire de l'art. 83 LP n'est pas une opération de continuation de la poursuite proprement dite au sens de l'art. 88 LP empêchant la notification d'une seconde poursuite pour la même créance (consid. 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-09-10;7b.119.2002 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award