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10/09/2002 | SUISSE | N°4C.387/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 septembre 2002, 4C.387/2001


{T 0/2}
4C.387/2001 /ech

Arrêt du 10 septembre 2002
Ière Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffière Michellod

A.________ SA,
défenderesse et recourante, représentée par Me Hrant Hovagemyan,
avocat, rue
Vallin 2, case postale 5554,
1211 Genève 11,

contre

B.________ SA,
demanderesse et intimée, représentée par Me Gabriel Benezra, avocat,
rue
Sénebier 20, case postale 166, 1211 Genève 12,

contrat d'entreprise

(re

cours en réforme contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2001 par la
Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève)

Fai...

{T 0/2}
4C.387/2001 /ech

Arrêt du 10 septembre 2002
Ière Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffière Michellod

A.________ SA,
défenderesse et recourante, représentée par Me Hrant Hovagemyan,
avocat, rue
Vallin 2, case postale 5554,
1211 Genève 11,

contre

B.________ SA,
demanderesse et intimée, représentée par Me Gabriel Benezra, avocat,
rue
Sénebier 20, case postale 166, 1211 Genève 12,

contrat d'entreprise

(recours en réforme contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2001 par la
Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève)

Faits:

A.
B. ________ fabrique et commercialise des montres depuis près d'un
siècle et
demi; elle est notamment active dans le domaine de la montre haut de
gamme.
A.________ s'occupe de l'achat, de la vente, de la fabrication et de
la
création d'articles d'horlogerie et de bijouterie de luxe. Son conseil
d'administration est présidé par X.________. Cette société n'a jamais
fabriqué elle-même les montres qu'elle vend, mais a délégué leur
fabrication
à divers sous-traitants. Les parties entretiennent des contacts
commerciaux
depuis de nombreuses années.

Au début des années 1980, dans le cadre de la création de ses propres
modèles, A.________ a fait appel à B.________ pour certains travaux
sur des
mouvements de montres. Par la suite, elle a confié à B.________ le
soin de
réaliser des modèles de montre haut de gamme qui devaient être
commercialisés
sous le label "A.________". Les premiers dessins de ces nouvelles
créations,
notamment le modèle M1, ont été élaborés par les créateurs de la
maison
X.________ à Paris; la réalisation des dessins et des prototypes a
par la
suite été remise à B.________. Les premiers modèles M1 ont été livrés
par
B.________ en juillet 1988. Le développement des modèles s'est fait en
contact permanent avec A.________, qui déterminait les critères
d'esthétique,
les fonctions et le type de mouvement, tandis que la conception
technique et
qualitative était du ressort de B.________. Les parties se sont
rencontrées à
de nombreuses reprises entre le 26 juin 1989 et le 12 juillet 1995. Il
ressort clairement des procès-verbaux qu'elles avaient en vue la
création
d'un véritable "tandem".

En juillet 1991, les premiers prototypes de nouveaux modèles de base
M2, M3,
M4 et M5 ont été soumis à X.________, qui les a acceptés en janvier
1992. Un
modèle M6 a également été développé sur la base de l'ancien modèle
M1. Enfin,
un modèle de base M7 a été approuvé par A.________ en novembre 1993.
A.________ a commandé en tout 6'527 montres des nouvelles collections
entre
le 5 février 1992 et le 5 septembre 1994. La dernière livraison de
montres
nouveaux modèles remonte au 25 avril 1995.

Dès le début 1995, un litige s'est élevé quant à la qualité des
montres
fournies par B.________. Suite à divers échanges de courriers,
B.________ a,
le 17 septembre 1996, mis A.________ en demeure de payer contre
livraison 534
montres déjà produites (M2 et M6), de payer les factures ouvertes
pour un
montant de 399'320,75 fr., et de fournir un plan de réception pour les
montres ayant fait l'objet d'une commande ferme et qui devaient
encore être
produites. Cette mise en demeure n'a pas été suivie d'effet et c'est
ainsi
que, par courrier du 18 octobre 1996, B.________ a informé A.________
qu'elle
entendait, conformément à l'art. 107 al. 2 CO, maintenir le contrat
les
liant, renoncer au plan de réception et réclamer des
dommages-intérêts pour
cause d'inexécution.
Pour sa part, A.________ a, le 23 octobre 1996, résilié les 17
contrats qui
la liaient à B.________, portant sur des commandes intervenues entre
le 18
septembre 1992 et le 4 avril 1995 et concernant les modèles M6, M2,
M3, M4 et
M5.

Au 29 février 1996, B.________ avait livré 1'975 montres nouveaux
modèles.
A.________ devait donc encore prendre livraison et payer 4'552
pièces. Après
avoir introduit deux poursuites contre A.________, B.________ a, le
10 mars
1997, consigné les 534 montres fabriquées auprès d'une banque.

B.
Le 17 mars 1997, B.________ a ouvert action contre A.________ pour un
montant
supérieur à 13'000'000 fr., concluant notamment à ce que la
défenderesse soit
condamnée: (I) à prendre livraison des 534 montres produites et
consignées
ainsi qu'à lui payer le prix de ces montres, soit 1'079'736,25 fr.
avec
intérêts à 5% dès le 17 septembre 1996, (II) à lui verser 12'650'953
fr. plus
intérêts à 5% dès le 18 octobre 1996 à titre de dommages-intérêts, et
(III) à
lui payer divers montants correspondant à des factures impayées, avec
intérêts à 5%.

A. ________ a conclu au déboutement de B.________, arguant de défauts
affectant les montres livrées et faisant valoir subsidiairement, en
compensation, le dommage que lui avaient occasionné ces défauts, sans
toutefois prendre de conclusions chiffrées à ce sujet. Pour attester
de ce
dommage, A.________ a produit plusieurs lettres de clients ou
concessionnaires, datant de février et septembre 1997, annulant des
commandes
à l'annonce que les montres devaient encore être envoyées en Suisse
avant
livraison pour vérification.

Suite à un incident de procédure soulevé par A.________, le tribunal
a rendu,
le 1er octobre 1998, un jugement ordonnant à B.________ de produire
toutes
les pièces en sa possession concernant les retours opérés par
A.________ de
montres M2, M3, M4, M5 et M6. Ce faisant, il a écarté de
l'instruction de la
cause les anciens modèles M1, qui avaient tous été livrés et
entièrement
payés. Les documents produits par B.________ suite à ce jugement
consistent
pour l'essentiel en des courriers adressés à A.________ entre 1993 et
1995
accompagnant des retours de montres.

Le tribunal a ordonné l'ouverture d'enquêtes, au cours desquelles il a
entendu de nombreux témoins, dont plusieurs employés ou anciens
employés des
deux parties. Celles-ci ont toutes deux renoncé à une expertise; le
tribunal
s'est rallié à cette position par ordonnance du 14 février 2000,
considérant
qu'il était trop aléatoire d'ordonner une telle mesure sur des
montres qui
étaient restées plusieurs années entre les mains des parties.

Par jugement du 1er septembre 2000, le tribunal a condamné A.________
à payer
à B.________ (I) la somme de 1'020'938,80 fr. avec intérêts à 5% dès
le 4
octobre 1996, correspondant aux montres produites par B.________ et
dont
A.________ avait refusé de prendre livraison, (II) la somme de
10'186'104, 55
fr. avec intérêts à 5% dès le 18 octobre 1996, à titre de
dommages-intérêts
pour cause d'inexécution du contrat et (III) divers montants
correspondant à
des factures restées impayées. Il a qualifié le contrat de contrat
d'entreprise. S'agissant de la première prétention, il a considéré que
A.________ n'avait pas apporté la preuve que les montres fabriquées
n'étaient
pas conformes à la convention. B.________ s'étant libérée de son
obligation
en consignant ces objets, A.________ devait les payer. En ce qui
concerne les
dommages-intérêts réclamés par B.________, le tribunal a estimé que
les
conditions permettant une résiliation anticipée selon l'art. 366 CO
n'étaient
pas réalisées. Il a donc appliqué l'art. 377 CO et a condamné la
défenderesse
à indemniser entièrement B.________. Enfin, concernant la troisième
prétention, le tribunal a constaté que A.________ n'avait pas allégué
que les
factures ouvertes correspondaient à des prestations non effectuées par
B.________, qu'elle n'avait pas établi avoir refusé les montres
correspondant
à ces factures ou les avoir restituées à B.________. Elle n'avait
donc aucun
droit de résoudre le contrat selon l'art. 368 CO et devait exécuter
son
obligation de paiement.

C.
A.________ a formé un appel contre ce jugement. Elle a préalablement
conclu à
ce que la Cour de justice ordonne la réouverture des enquêtes et lui
accorde
un délai raisonnable pour établir le montant de la créance opposée en
compensation, qu'elle fasse effectuer une expertise sur les cinq
rapports
d'expertise produits par B.________ en première instance, qu'elle
ordonne à
cette dernière de produire tous les documents techniques et autres
plans,
ainsi que tous autres documents relatifs aux montres M1, ancienne et
nouvelle
génération, M3, M2, M4, M5 et M8 et ordonne une expertise sur ces
documents.

Par arrêt du 12 octobre 2001, la Cour de justice a rejeté cette
requête pour
les motifs suivants: A.________, qui avait accepté la clôture des
enquêtes en
première instance, sollicitait leur réouverture sans invoquer un
quelconque
fait nouveau ou lacune dans l'instruction. A.________ demandait
l'application
de l'art. 42 CO ou qu'un délai lui soit accordé pour chiffrer et
prouver le
dommage opposé en compensation alors qu'elle n'avait produit, en
première
instance, aucun moyen de preuve à même de contribuer à
l'établissement des
faits invoqués à l'appui de la compensation. La procédure de première
instance avait duré plus de trois ans et à aucun moment A.________
n'avait
développé les arguments fondant son objection de compensation, qui
tenaient
sur deux pages dans sa réponse, sur quelques lignes dans sa duplique
et sur
moins de deux pages dans son écriture après enquêtes. Quant aux
critiques de
A.________ sur les témoignages recueillis en première instance, la
cour
cantonale a rappelé qu'il appartenait à la défenderesse de remettre
ces
témoignages en cause dans ses écritures après enquêtes et non
seulement en
appel, puisqu'elle avait tous les éléments en main pour le faire
devant le
premier juge.
Considérant que les enquêtes menées par le tribunal étaient complètes
et
exhaustives, la cour cantonale a refusé d'ordonner de nouvelles
mesures
d'instruction en appel. Elle a également refusé d'ordonner les
expertises
sollicitées par A.________, estimant que ces requêtes auraient dû être
formulées devant le juge de première instance déjà; enfin, elle a
rejeté la
demande d'un deuxième échange d'écriture, au motif que l'instruction
de la
cause était complète et que les écritures d'appel et de réponse
étaient
volumineuses.

Sur le fond, la cour cantonale a considéré que les parties étaient
liées par
une série de contrats d'entreprise conclus entre 1992 et 1994,
portant sur un
nombre déterminé de montres à livrer selon un calendrier à discuter
entre
elles. Examinant ensuite si la résiliation des contrats par
A.________ était
justifiée au sens de l'art. 368 al. 1 CO (droits du maître en cas de
défaut
de l'ouvrage), la cour cantonale a constaté que les montres livrées
par
B.________ avaient été acceptées par A.________; malgré un certain
nombre de
retours pour lesquels A.________ avait fait valoir la garantie des
défauts en
invitant B.________ à remédier à divers problèmes, A.________ n'avait
à aucun
moment, avant 1995, refusé l'ouvrage remis. Même si la procédure
avait permis
d'établir un certain nombre de défauts, ceux-ci n'étaient
manifestement pas
rédhibitoires, puisque A.________ n'avait pas refusé les montres
concernées
et avait continué à les vendre même après avoir invoqué son droit de
résoudre
le contrat. A l'instar du tribunal, la cour cantonale a retenu
qu'aucun
défaut systématique ou de conception n'avait été mis en évidence, la
plupart
des défauts soulevés par A.________ relevant de la garantie des
défauts et
non de la résolution du contrat. La cour cantonale a admis que dans
certains
cas, la multiplication des défauts peut avoir pour conséquence que
l'ouvrage
devient inacceptable; tel n'était toutefois pas le cas en l'espèce.
En effet,
si réellement les défauts avaient été à ce point graves, A.________
n'aurait
ni commandé une nouvelle gamme de montres en septembre 1994, ni
envisagé
d'établir des liens encore plus serrés avec B.________ à fin
1994/début 1995.
La cour cantonale a finalement constaté que A.________ avait perdu
tout
intérêt pour le type de montres produit par B.________, qu'elle
voulait
développer des montres plus complexes et donc se débarrasser des
montres
commandées auprès de B.________, qui ne correspondaient plus à ses
nouvelles
exigences.

Au terme de ce raisonnement, la cour cantonale a jugé que la
résiliation des
contrats n'était pas justifiée et que A.________ devait par conséquent
indemniser pleinement B.________ en application de l'art. 377 CO.
Elle a
relevé que la défenderesse n'avait, en appel, développé aucune
critique sur
le principe d'une indemnisation fondée sur cette disposition, ni sur
les
montants retenus par le tribunal de première instance à titre de
dommage subi
par B.________. La cour cantonale a toutefois rectifié d'office une
erreur de
calcul concernant le nombre de montres livrées.

S'agissant du dommage invoqué par A.________ en compensation, la cour
cantonale a estimé que le préjudice allégué ne découlait pas des
défauts
affectant les montres livrées. A.________ soutenait en effet que son
dommage
était constitué d'une part d'un stock de 1'833 montres nouvelles
créations,
d'autre part de frais de campagnes publicitaires effectuées en vain
et enfin,
d'une défaillance du service après-vente de B.________. La cour
cantonale a
considéré qu'il était absurde de prétendre que sur toute la période de
collaboration avec B.________, A.________ n'avait vendu qu'une
centaine de
montres nouvelles collections, que A.________ était seule responsable

des
frais publicitaires engagés en vain puisqu'elle avait elle-même mis
fin aux
contrats en cours avec B.________, que la pièce produite à l'appui de
cette
allégation n'avait au surplus aucune valeur probante, et enfin, que
B.________ n'avait pas failli à son obligation de garantie. La cour
cantonale
a par conséquent nié l'existence d'un dommage en relation de
causalité avec
les défauts des ouvrages livrés par B.________.

Pour ces motifs, la Cour de justice a rectifié l'un des postes du
dispositif
du jugement du 1er septembre 2000 entaché d'une erreur de calcul et a
confirmé ce jugement pour le surplus.

D.
Parallèlement à un recours de droit public, que le Tribunal fédéral
rejette
ce jour dans la mesure où il est recevable, A.________ interjette un
recours
en réforme. Elle conclut principalement à l'annulation de l'arrêt
cantonal,
subsidiairement à l'annulation de cet arrêt et au déboutement de la
demanderesse de toutes ses conclusions, plus subsidiairement à
l'annulation
de cet arrêt et à la compensation de la créance de la demanderesse
par une
créance équivalente d'elle-même, avec suite de frais et dépens.
B.________
conclut principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement
à son
rejet dans la mesure où il est recevable et à la correction d'une
inadvertance manifeste, avec suite de frais et dépens. Sur ce dernier
point,
traité comme un recours joint, A.________ conclut principalement,
subsidiairement et plus subsidiairement, à son irrecevabilité, avec
suite de
frais et dépens.

Les arguments des parties seront repris ultérieurement dans la mesure
utile.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par la partie défenderesse qui a succombé dans ses
conclusions
libératoires et dirigé contre un jugement final rendu en dernière
instance
cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une
contestation
civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8000 fr. (art.
46 OJ),
le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été
formé en
temps utile (art. 54 al. 1 OJ).

1.2 La demanderesse voit dans le caractère cassatoire des conclusions
principales de la défenderesse le motif de leur irrecevabilité. S'il
est
exact que dans le cadre du recours en réforme, les conclusions
doivent tendre
à la modification du dispositif du jugement entrepris (Poudret, COJ,
ad art.
55 OJ n. 1.4.1.1, p. 420), il s'impose de se fonder sur les motifs du
recours
et le contenu de la décision attaquée pour déterminer la portée
exacte de
celles-là. Or, il découle de la condamnation de la défenderesse à
payer à la
demanderesse la somme de 9'731'125,55 fr. et des conclusions
subsidiaires de
la défenderesse tendant au déboutement de la demanderesse de toutes
ses
conclusions, que celle-là demande au Tribunal fédéral d'accepter
intégralement ses moyens libératoires. Même si la systématique
douteuse
adoptée par la défenderesse pour l'énoncé de ses conclusions peut
donner à
penser que les principales sont irrecevables, la lecture de ces
dernières,
avec les conclusions subsidiaires, et dans le contexte des motifs de
son
recours, laisse apparaître que la défenderesse attend du Tribunal
fédéral
qu'il la libère de la condamnation en paiement arrêtée par la Cour de
justice. Sur ce point, les conclusions principales et subsidiaires,
examinées
les unes en rapport avec les autres, sont recevables. Au demeurant, en
plaçant son recours en réforme expressément sous la perspective de
l'art. 64
OJ, la défenderesse entend que le Tribunal fédéral exerce le pouvoir
d'annulation d'office que lui confèrent les art. 64 et 65 OJ,
hypothèse dans
laquelle des conclusions en annulation, exclusivement, sont recevables
(Poudret, COJ, vol. II n. 1.4.1.4 ad art. 55 OJ, p. 423).

1.3 Il en va différemment des conclusions plus subsidiaires tendant à
la
constatation que la créance de la demanderesse envers la défenderesse
est
compensée à due concurrence par une créance équivalente de celle-ci
envers
celle-là. La Cour de justice a traité de cette question au consid. 9
de
l'arrêt entrepris mais la défenderesse ne formule pas le moindre
grief à ce
propos, de sorte que ces conclusions plus subsidiaires sont
irrecevables (cf.
art. 55 al. 1 let. c OJ). Il n'est à cet égard pas nécessaire de
vérifier si
ces conclusions sont suffisamment déterminées par la référence au
montant de
la créance de la demanderesse, dès lors qu'aucune critique n'est
dirigée
contre le jugement cantonal sur ce point.

1.4 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral
(art. 43
al. 1 OJ). Il ne permet en revanche pas d'invoquer la violation
directe d'un
droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2ème phrase OJ) ou la
violation
du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à
moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été
violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant
sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter
les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte
de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127
III 248
ibidem). Dans la mesure où une partie recourante présente un état de
fait qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se
prévaloir avec
précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il
n'est pas
possible d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut
être
présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou
de moyens
de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours n'est pas
ouvert
pour se plaindre de l'appréciation des preuves et des constatations
de fait
qui en découlent (ATF 127 III 543 consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a;
125 III
78 consid. 3a).

Le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des conclusions des
parties,
lesquelles ne peuvent en prendre de nouvelles (art. 55 al. 1 let. b
in fine
OJ), il n'est lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1
OJ), ni
par ceux de la décision cantonale, de sorte qu'il peut apprécier
librement la
qualification juridique des faits constatés (art. 63 al. 3 OJ; ATF
127 III
248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

1.5 La défenderesse se plaint essentiellement de la violation par la
cour
cantonale des règles en matière de droit à la preuve, tel qu'il a été
déduit
de l'art. 8 CC (ATF 126 III 315 consid. 4a; 122 III 219 consid. 3c).
En
raison de l'empiétement des développements de la jurisprudence tirée
de
l'art. 8 CC sur les garanties essentielles de procédure et notamment
sur le
droit d'être entendu au sens de l'art. 29 al. 2 Cst., il conviendra
d'examiner pour chaque grief si l'atteinte alléguée au droit à la
preuve
compromet la bonne application du droit matériel ou s'il s'agit d'une
appréciation anticipée des preuves, dont l'examen relève du recours
de droit
public et non du recours en réforme (Bernard Corboz, Le recours en
réforme au
Tribunal fédéral in SJ 2000 II p. 40 et 41). En effet, l'art. 8 CC
n'exclut
ni l'appréciation anticipée des preuves, ni la preuve par indices,
car cette
disposition ne dicte pas sur quelles bases et comment le juge peut
forger sa
conviction (ATF 128 III 22 consid. 2d p. 25/26 et les arrêts cités).
De cet
examen dépend en définitive la recevabilité du recours en réforme,
pour
l'essentiel. En conséquence, l'examen de la recevabilité du recours
incident
de la demanderesse sera abordé plus bas au considérant 7.

2.
La défenderesse invoque tout d'abord la violation des règles en
matière de
droit à la preuve, en reprochant à la cour cantonale d'avoir
déterminé le
fardeau de la preuve en fonction des art. 363 ss CO, alors que le
contrat
intervenu entre les parties ne répondait pas, selon elle, à cette
définition
légale; il s'agissait au contraire d'un contrat innommé, ou d'un
contrat
d'entreprise de durée. En même temps qu'elle conteste la
qualification donnée
par la cour à la relation contractuelle entre les parties, la
défenderesse
invoque, de manière inextricable, la violation du droit à la preuve
et à la
contre-preuve au sens de l'art. 8 CC. Elle cite, en divers endroits,
l'art.
64 OJ sans développer au sujet de l'application de cette norme une
argumentation déterminée, mais en soutenant qu'en raison des absences
de
constatations de la Cour, son arrêt doit être annulé pour permettre à
l'autorité cantonale de compléter le dossier en vue d'une nouvelle
décision.

3.
Par le rejet du recours de droit public, l'état de fait arrêté par la
Cour de
justice est devenu définitif, de sorte qu'il convient d'examiner la
nature
des relations juridiques entre les parties au vu des données ainsi
retenues.

3.1 La cour cantonale a estimé que les intéressés étaient liés par un
contrat
d'entreprise, ou plus précisément par une série de contrats de ce type
conclus entre 1992 et 1994, portant sur un nombre déterminé de
montres à
livrer selon un calendrier à discuter entre les cocontractants. De
son côté,
la défenderesse soutient qu'il s'agit d'un contrat unique de durée,
contrat
innommé proche du contrat d'entreprise, avec cette particularité
essentielle
que le maître de l'ouvrage dispose du droit de le résilier en tout
temps pour
justes motifs, en particulier pour rupture du lien de confiance entre
les
parties.

Selon l'art. 363 CO, le contrat d'entreprise est celui par lequel
l'entrepreneur s'oblige à exécuter un ouvrage moyennant un prix que
le maître
s'engage à lui payer. Du point de vue de l'entrepreneur, l'élément
déterminant du contrat est l'exécution, respectivement la livraison de
l'ouvrage à laquelle la loi attache des conséquences juridiques très
importantes (Guhl, Koller, Schnyder, Druey, Das schweizerische
Obligationenrecht, 9e édition, Zurich 2000, p. 525). L'entrepreneur
est
redevable d'une prestation de travail qui doit produire un certain
résultat,
qu'il doit livrer au maître en exécution du contrat. Le contrat
d'entreprise
n'est ainsi pas un contrat de durée (Hartmut Oetker, Das
Dauerschuldverhältnis und seine Beendigung, Tübingen 1994, p. 156 ss;
Ivan
Cherpillod, La fin des contrats de durée, Lausanne 1988, p. 12).

Si la relation juridique à qualifier comporte des éléments qui ne
correspondent pas à la définition légale du contrat d'entreprise, au
sens de
l'art. 363 ss CO, ou si l'un des éléments essentiels de ce dernier
fait
défaut , il ne s'agit pas d'un contrat d'entreprise mais d'un contrat
innommé
(Bühler, Commentaire zurichois,1998, ad art. 363 CO n. 82 et les
références).
Il s'agit ainsi d'un contrat sui generis, notamment lorsque le devoir
d'exécuter l'ouvrage ne dépend pas du temps nécessaire à le produire
mais
lorsque le contrat s'éteint à l'expiration de la période convenue ou
pour
cause de résiliation ordinaire, et que pendant celle-là
l'entrepreneur est
tenu d'exécuter, de façon permanente ou répétée, la prestation de
travail
avec un résultat déterminé (Gauch, Le contrat d'entreprise, Zurich
1999, p.
101 n. 322). Le complètement éventuel du contrat innommé obéit aux
mêmes
principes que celui des contrats énoncés dans la partie spéciale du
code des
obligations et postule une application analogique des dispositions
adéquates
des contrats nommés (Gauch, op. cit., p. 102 n. 324). La sécurité du
droit
interdit toutefois de s'affranchir complètement de la typicité des
contrats
nommés prévus par la loi, dans l'interprétation des contrats sui
generis
(Bühler, op. cit., ad art. 363 CO n. 83 et les références).

A l'instar du contrat d'entreprise simple, le contrat de livraison
d'ouvrage
par lequel l'entrepreneur s'oblige en plus à livrer la matière
nécessaire à
sa fabrication, ou à tout le moins une partie de celle-là, est un
contrat
d'entreprise au sens des art. 363 ss CO (Guhl, Koller, Schnyder,
Druey, op.
cit., p. 523 n. 7; Gauch, op. cit., p. 38; Bühler, op. cit., ad art.
363 CO
n. 139 à 142).

Dans le contrat de livraison d'ouvrage, l'élément déterminant est de
savoir
si la fabrication de la chose fait partie des prestations convenues
contractuellement, ce qui le caractérise, par opposition à un contrat
de
vente (Gauch, op. cit., n. 127 p. 39). Par exemple, si, pour une
commande de
300 montres-bracelets d'un certain type et d'une série déterminée, 200
peuvent être immédiatement livrées, mais que 100 doivent être
produites, et
que la relation contractuelle apparaît comme un tout et non pas comme
deux
contrats, les 300 pièces d'horlogerie sont considérées comme un
ouvrage
commandé. La convention dans son ensemble répond à la définition de
contrat
de livraison d'ouvrage, même si l'obligation de travail pour un
résultat
déterminé ne concerne qu'une partie de la commande (Gautschi,
Commentaire
bernois, 1967, Remarques préliminaires aux art. 363-379 CO, n. 15).

En l'espèce, les contrats conclus entre les parties sont des contrats
de
livraison d'ouvrages, relevant de l'application des art. 363 ss. CO.

3.2 Dans le cas présent, la défenderesse estime que la relation
contractuelle
litigieuse est un "contrat d'entreprise de durée", contrat innommé
dans
lequel l'étendue de la prestation de l'entrepreneur dépend de la
durée, des
besoins et de la volonté du maître; l'obligation de l'entrepreneur, à

son
avis, ne s'est pas éteinte avec la livraison du nombre de montres
mentionné
dans les confirmations de commandes. Ce contrat ne tombe ainsi pas
sous la
définition de l'art. 363 CO.

Par le rejet du recours de droit public, l'état de fait dressé par la
cour
cantonale est en principe devenu définitif, sous réserve de
l'application de
l'art. 64 OJ et d'une éventuelle violation des règles en matière de
droit à
la preuve, tirées de l'art. 8 CC, que la défenderesse invoque.

3.3 L'art. 8 CC règle, pour tout le domaine du droit civil fédéral, la
répartition du fardeau de la preuve et, partant, les conséquences de
l'absence de preuve. Il confère, en outre, à la partie chargée du
fardeau de
la preuve la faculté de prouver ses allégations dans les contestations
relevant de ce domaine, pour autant que les faits allégués soient
juridiquement pertinents et que l'offre de preuve correspondante
satisfasse,
quant à sa forme et à son contenu, aux exigences du droit cantonal.
De la
même disposition découle, enfin, le droit à la contre-preuve,
c'est-à-dire la
faculté, pour la partie opposée au plaideur chargé du fardeau de la
preuve,
d'établir l'existence de faits susceptibles d'infirmer le bien-fondé
des
allégations formant l'objet de la preuve principale.

Le juge enfreint cette règle générale du droit fédéral en matière de
preuve,
s'il tient pour exactes les allégations non prouvées d'une partie,
nonobstant
leur contestation par la partie adverse, ou s'il refuse toute
administration
de preuve sur des faits pertinents en droit. L'art. 8 CC est
également violé
par le juge qui n'administre pas, sur des faits juridiquement
pertinents, des
preuves idoines offertes régulièrement, alors qu'il considère que les
faits
en question n'ont été ni établis ni réfutés, ou qui refuse à la partie
libérée du fardeau de la preuve le droit de rapporter une
contre-preuve
concrète, quand bien même il s'est fondé uniquement sur l'expérience
générale
de la vie, sur une présomption de fait ou sur des indices pour
conclure à
l'existence du fait allégué par la partie chargée du fardeau de la
preuve. En
revanche, lorsque l'appréciation des preuves convainc le juge qu'une
allégation de fait a été prouvée ou réfutée, la répartition du
fardeau de la
preuve devient sans objet. Le Tribunal fédéral, statuant dans le
cadre de la
procédure du recours en réforme, ne peut pas revoir cette
appréciation des
preuves, qui ressortit au juge du fait.

Au demeurant, comme cela a déjà été rappelé, l'art. 8 CC n'empêche
pas le
juge de refuser une mesure probatoire par une appréciation anticipée
des
preuves, qui ne doit pas être arbitraire (ATF 128 III 22 consid. 2d
p. 25;
ATF 127 III 519 consid. 2a p. 521/522 et les arrêts cités).

3.4 Dans son recours de droit public, la défenderesse n'a pas remis
en cause
la liste des différentes commandes échelonnées du 5 février 1992 au 5
septembre 1994, portant sur 6'527 montres des nouvelles collections.
Sur la
base de ces faits, la juridiction cantonale a retenu que les parties
avaient
noué une série de contrats d'entreprise portant sur un nombre
déterminé de
montres dont les spécificités étaient attachées à leurs diverses
dénominations, selon un rythme de livraison à discuter entre elles.

A cet égard, la défenderesse reproche à la Cour de justice de n'avoir
pas
recherché la commune et réelle intention des parties qui était, selon
elle,
de se lier pour une durée indéterminée, pour créer "un tandem" à
l'image
d'autres marques de renommée, destiné à durer pour la production et la
création de nouveaux modèles, au bénéfice d'un lien de confiance
essentiel
dans cette collaboration.

Sur ce point, la défenderesse développe une argumentation sur
l'appréciation
de la preuve qu'elle n'a pas soulevée dans le cadre de son recours de
droit
public. A l'issue de cette appréciation, la cour cantonale est
arrivée à la
conclusion que le contrat liant les parties était un contrat
d'entreprise, ou
plus exactement une série de contrats d'entreprise passés entre 1992
et 1994,
et faisant d'ailleurs suite à une autre série précédente, à partir de
1988.
Sous l'angle de l'art. 8 CC, il appartenait, en procédure cantonale,
à la
demanderesse de prouver l'existence des contrats et leur inexécution
partielle, ainsi que le montant du dommage allégué; la défenderesse
devait
établir les vices rédhibitoires dont elle se plaignait et le dommage
qu'elle
avait subi en raison de l'exécution défectueuse du - ou des -
contrats par la
demanderesse. Or, sur ce dernier point, elle a pu produire des pièces
à
l'appui de ses allégations de sorte qu'aucune atteinte à l'art. 8 CC
ne peut
être décelée. Dans le cas particulier, le Tribunal fédéral, qui peut
revoir
l'application faite par les précédents juges du principe de la
confiance dans
l'établissement de la volonté des parties (art. 18 al. 1 CO; ATF 127
III 444
consid. 1b et les références), constate que la qualification de
contrat
d'entreprise donnée par la cour cantonale s'inscrit parfaitement dans
les
principes rappelés ci-dessus (consid. 3.1), même s'il convient de
préciser
qu'il s'agit là d'une série de contrats de livraison d'ouvrages, qui
plus est
par livraisons successives. La cour a sommairement, mais à juste
titre,
indiqué la limite tracée entre ce contrat et celui de vente,
également par
livraisons successives et a écarté la possibilité d'un contrat
innommé, dans
la mesure où les commandes, faites et acceptées entre les parties,
avec
certaines spécifications et moyennant un certain prix, à livrer selon
un
rythme à tout le moins déterminable, correspondaient au contrat
d'entreprise
de l'art. 363 CO, tel que l'ont précisé et développé la jurisprudence
et la
doctrine. Si la succession de contrats d'entreprise, sur une période
de
plusieurs années entre les mêmes parties est de nature à créer des
rapports
privilégiés entre elles, cette circonstance n'a pas d'effet sur la
qualification des contrats en question, dans la mesure où la cour
cantonale a
constaté que l'intention de réaliser "un tandem", sous la forme de
"joint-venture" ou de société simple, n'était nullement matérialisée,
ni même
décrite comme un projet concret.

La qualification de contrat d'entreprise adoptée par la cour
cantonale est
conforme au droit fédéral, de sorte que le recours doit être écarté
sur ce
point. Pareillement, l'état de fait est suffisant, puisque le
Tribunal de
céans a pu contrôler l'application du droit fédéral aux relations
contractuelles liant les parties, de sorte qu'il n'y a pas lieu de le
compléter sur ce point, en vertu de l'art. 64 OJ.

4.
Puisque la cour cantonale est parvenue à la conclusion de l'existence
d'une
série de contrats d'entreprise et non d'un contrat innommé avec des
livraisons successives, il n'était pas nécessaire qu'elle procède aux
mesures
probatoires sollicitées dans la perspective de faire reconnaître cette
dernière figure juridique. En cela, aucune violation de l'art. 8 CC
ne peut
être discernée.

5.
Outre la question de la qualification des contrats, traitée
ci-dessus, la
défenderesse soulève toute une liste d' "absences de constatation "de
la
Cour, en p. 13 à 33 et 39 à 59 de son recours.
Conformément à la jurisprudence déjà citée (ATF 128 III 22 consid. 2d
et les
arrêts mentionnés), l'art. 8 CC ne prescrit pas les mesures
probatoires qui
doivent être ordonnées, la manière dont le juge doit apprécier les
preuves et
les bases sur lesquelles il peut ou non parvenir à une conviction,
même par
le biais d'une appréciation anticipée des preuves. Ainsi, vu la
solution
retenue par la Cour de justice, qui écarte le contrat innommé sous
l'empire
duquel la défenderesse avait estimé à tort que la relation juridique
avec la
demanderesse était régie, notamment en ce qui concerne un droit de
résiliation en tout temps par application analogique de l'art. 404
CO, il
n'était plus nécessaire à la juridiction cantonale de procéder
elle-même ou
de faire exécuter par le Tribunal de première instance des mesures
probatoires à l'appui d'une argumentation qu'elle avait rejetée.
Comme il est
constaté, dans l'arrêt rendu ce jour sur le recours de droit public,
que le
droit d'être entendu de la défenderesse a été respecté, que le refus
d'ordonner la réouverture d'enquêtes, quant à l'apport de plans, de
cahiers
des charges et d'une expertise sur les expertises, résistait au grief
d'arbitraire et que le reproche de déni de justice était infondé,
s'agissant
du problème de la qualité requise et des défauts allégués par la
défenderesse, il n'y a plus matière à examiner le grief d'une
atteinte à
l'art. 8 CC dans le présent recours en réforme (Bernard Corboz, Le
recours en
réforme, in: Les recours au Tribunal fédéral, Berne 2002, p. 11).

Les moyens soulevés à cet égard sont en conséquence irrecevables.

6.
6.1Invoquant l'art. 377 CO par analogie, la défenderesse soutient
qu'en
raison de la rupture du lien de confiance entre les deux
cocontractants,
imputable à la demanderesse, elle pouvait faire valoir de justes
motifs,
l'autorisant à résilier de manière anticipée le contrat sans
indemniser la
demanderesse pour le gain manqué.

6.2 L'art. 377 CO prévoit que tant que l'ouvrage n'est pas terminé,
le maître
peut toujours se départir du contrat, en payant le travail fait et en
indemnisant complètement l'entrepreneur. Ce droit de résolution se
caractérise comme un droit de résiliation sortissant un effet ex
nunc. Il
appartient au maître en tout temps aussi longtemps que l'ouvrage
n'est pas
terminé. Il peut aussi être exercé avant que l'entrepreneur ait
commencé ses
travaux et même dans le cas d'un simple engagement précontractuel. La
jurisprudence a laissé ouvertes les questions de savoir si l'art. 377
CO
était de nature impérative ou dispositive, question sans pertinence en
l'espèce, et s'il fallait reconnaître au maître un droit de
résolution ou de
résiliation pour justes motifs, sans que ce dernier n'ait l'obligation
d'indemniser complètement l'entrepreneur (ATF 117 II 273 consid. 4a
p. 276 et
les références).

Pour sa part, la doctrine, d'ailleurs citée par la défenderesse,
relève que
l'opinion selon laquelle l'obligation d'indemniser du maître peut
tomber en
cas de résiliation pour justes motifs se généralise, même si le
Tribunal
fédéral n'a pas (encore) adopté la solution préconisée par la
majorité des
auteurs (Gauch, op. cit., p. 173 n. 571). Dans un arrêt ancien, mais
isolé,
cité par Gauch (ATF 69 II 144), le Tribunal fédéral avait admis sans
autre
que l'obligation d'indemniser du maître s'effaçait lorsque sa
condamnation
aux prestations légales serait "manifestement d'une rigueur
excessive".

L'existence d'un juste motif de résiliation et son incidence sur
l'obligation
d'indemniser de la part du maître sont des questions d'appréciation à
trancher selon les règles du droit et de l'équité. De façon générale,
l'existence de justes motifs ne doit pas être admise à la légère
(Gauch, op.
cit., p. 174 n. 574); cette position est partagée par un autre
auteur, qui
tire de la réglementation très détaillée des motifs de fin du contrat
d'entreprise son hostilité à toute interprétation non restrictive des
"justes
motifs" autorisant la suppression ou la diminution de l'obligation
d'indemniser à la charge du maître, au sens de l'art. 377 CO (Bühler,
op.
cit., ad art. 377 CO n. 42). Les circonstances qui rendent la
continuation du
contrat insupportable pour le maître, mais qui ne sont pas imputables
à
l'entrepreneur, ne fondent en principe pas le droit du maître d'être
libéré
des conséquences légales de sa résiliation. Il se justifie d'autant
moins de
dispenser le maître qui se départit du contrat du paiement de
l'indemnité due
à l'entrepreneur pour la seule raison que l'ouvrage commandé ne
présente pour
lui plus aucune utilité (Gauch, op. cit., p. 174 n. 576 et les
références).

6.3 En l'espèce, la cour cantonale a estimé que "les montres livrées
par
B.________ ont été acceptées par A.________" sous réserve d'un
certain nombre
de "retours" ne constituant pas des défauts rédhibitoires, puisque la
défenderesse n'avait pas refusé les montres concernées et avait
continué à
les vendre, même après avoir invoqué son droit de résoudre le contrat
le 23
octobre 1996. La multiplication de défauts mineurs n'emportait pas,
dans le
cas particulier, la conséquence que l'ouvrage devenait inacceptable
puisque
la défenderesse avait commandé une nouvelle gamme de montres en 1994
et
envisagé d'établir des liens plus serrés avec B.________ à fin
1994/début
1995. Dans ces conditions, l'art. 377 CO s'appliquait, sans que le
maître ne
puisse invoquer un juste motif de suppression ou de réduction de
l'indemnité
due à l'entrepreneur.

6.4 Dans le consid. 7 de l'arrêt attaqué, la cour cantonale traite de
manière
globale et uniforme les trois prétentions de la demanderesse à
l'égard de la
défenderesse, sans tenir compte de leur spécificité.

Le premier chef de la demande concerne le paiement de 534 montres
dont la
défenderesse a refusé la livraison, et que la demanderesse a
consignées, la
valeur de ces objets étant, selon la demanderesse, de 1 079 736 fr.25.

En vertu du contrat d'entreprise, l'entrepreneur a l'obligation de
livrer un
ouvrage exempt de défauts, soit assorti d'une qualité dont
l'entrepreneur
avait promis l'existence, ou à laquelle le maître pouvait s'attendre
d'après
les règles
de la bonne foi (Bühler, op. cit., ad art. 368 CO n. 25).
Il
s'ensuit que le maître n'a le droit de résoudre le contrat que
lorsqu'il ne
peut être équitablement contraint à accepter l'ouvrage, notamment
parce que
celui-ci serait inutilisable (Gauch, op. cit., p. 446/447). Devant le
refus
de la défenderesse de recevoir les montres fabriquées, la
demanderesse a mis
en demeure cette dernière d'accepter l'ouvrage et s'est libérée en le
consignant (Gauch, op. cit., p. 27 n. 91, p. 384 n. 1325 et 1326),
cette
livraison n'affectant pas les droits du maître de faire valoir la
garantie
des défauts. Toutefois, lorsque celui-ci s'y refuse, il doit se voir
opposer
la déchéance de tous les droits découlant de cette garantie, en
raison de
l'acceptation tacite de l'ouvrage, à teneur de l'art. 370 al. 2 CO
(Bühler,
op. cit., ad art. 370 CO n. 26; Gauch, op. cit., p. 573 n. 2106 et p.
584 n.
2148). Le maître n'a désormais plus que la possibilité de faire
valoir les
défauts intentionnellement dissimulés, dont la cour cantonale,
confirmant le
jugement du Tribunal de première instance, a souverainement établi
(art. 63
al. 2 OJ) que la défenderesse n'en avait pas apporté la preuve; au
contraire,
le fait que la défenderesse ait renoncé, en première instance, à faire
expertiser les pièces consignées démontre qu'elle n'entendait pas
invoquer
des défauts intentionnellement dissimulés, tels par exemple ceux qui
ne
deviennent apparents qu'à la lecture de conclusions d'expert.

N'ayant aucun droit de résoudre le contrat en application de l'art.
368 al. 1
CO, la défenderesse doit payer à la demanderesse le prix des montres
consignées, dont le montant n'est pas contesté, en application de
l'art. 372
al. 1 CO.

6.5 La cour cantonale n'a pas formellement distingué l'examen du cas
des
montres livrées de celui des montres commandées, mais non encore
fabriquées,
pour lesquelles la demanderesse formulait une prétention de 12 650
953 fr.,
admise par le Tribunal de première instance à concurrence de 10 186
104
fr.55, et finalement par la Cour de justice à hauteur de 9 731 125
fr.55.

En procédant à un examen global des trois prétentions soumises par la
demanderesse, et en leur appliquant les art. 367 al. 1, 368 al. 1 et
377 CO,
la juridiction cantonale a méconnu que ces deux premières
dispositions ne
s'appliquent qu'à des ouvrages terminés et livrés, et que la garantie
des
défauts n'a, par essence, de signification que dans ce contexte.
S'agissant
par contre d'ouvrages commandés, mais non fabriqués et achevés, il
faut
vérifier si la défenderesse se trouve dans la situation où elle aurait
invoqué valablement un défaut irréparable qui lui aurait permis,
après la
livraison de l'ouvrage achevé, de ne pas être équitablement
contrainte de
l'accepter au sens de l'art. 368 al. 1 CO. Le Tribunal fédéral
n'étant pas
lié par les motifs de la décision attaquée (ATF 126 III 59 consid. 2a
et les
arrêts cités, p. 65), se pose la question des conditions
d'application de
l'art. 366 al. 2 CO.

De son côté, même si la défenderesse n'a pas mentionné l'art. 366 al.
2 CO
dans son acte de recours, elle a implicitement fait le grief à la cour
cantonale de n'avoir pas retenu que les ouvrages livrés par la
demanderesse
seraient défectueux au point que le maintien des contrats ne pouvait
pas lui
être imposé.
Selon l'art. 366 al. 2 CO, le maître peut, lorsqu'il est possible de
prévoir
avec certitude, pendant le cours des travaux que, par la faute de
l'entrepreneur, l'ouvrage sera exécuté d'une façon défectueuse ou
contraire à
la convention, fixer ou faire fixer à l'entrepreneur un délai
convenable pour
parer à ces éventualités, en l'avisant que, s'il ne s'exécute pas
dans le
délai fixé, les réparations ou la continuation des travaux seront
confiées à
un tiers, aux frais et risques de l'entrepreneur.

Cette disposition s'applique, au-delà d'une interprétation littérale
du texte
légal, déjà avant le début de l'exécution, lorsqu'il est possible de
prévoir
avec certitude que l'ouvrage sera exécuté d'une façon défectueuse ou
autrement contraire à la convention (Gauch, op. cit., p. 259 n. 874;
Bühler,
op. cit., ad art. 366 CO n. 62). Il est donc possible d'invoquer cette
disposition alors même que l'exécution n'a pas encore commencé, ce
qui est le
cas présentement pour les montres commandées mais pas encore
fabriquées,
faisant l'objet de la deuxième prétention de la demanderesse. L'art.
366 al.
2 CO, qui concrétise le principe de l'exécution par substitution dans
le
cadre du contrat d'entreprise (ATF 126 III 230 consid. 7a et les
références,
p. 232/233), suppose tout d'abord que le maître doit s'attendre "avec
certitude" que l'exécution du contrat sera défectueuse en raison
d'une faute
de l'entrepreneur, ou à tout le moins d'un comportement qui ne soit
pas
personnellement imputable au maître. Or, en l'espèce, la juridiction
cantonale a retenu que, malgré un certain nombre de défauts affectant
diverses montres, la défenderesse avait passé de nouvelles commandes à
l'entrepreneur, démontrant par là qu'elle ne prévoyait pas "avec
certitude"
des livraisons défectueuses dans l'ensemble des lots des montres
commandés.
Il n'a en particulier pas été établi que les retours de montres
évoqués se
rapportaient à un défaut de conception technique des montres, dont les
prototypes avaient été acceptés; au contraire, certains défauts
étaient
mineurs (salissures, mauvais polissages, oublis d'accents), et
excluaient,
par leur diversité et leur caractère aléatoire, la prévisibilité "avec
certitude" d'une exécution défectueuse future. Il s'ensuit que les
conditions
de l'art. 366 al. 2 CO ne sont pas remplies, et que si le maître
choisit de
résilier les contrats en vertu de l'art. 377 CO, il doit le faire en
indemnisant complètement l'entrepreneur, en l'absence d'un juste motif
permettant la suppression ou la réduction de cette indemnité.

6.6 La troisième prétention de la demanderesse concerne des montres
livrées,
acceptées et en partie payées par la défenderesse, à laquelle la
demanderesse
réclame un solde dû ascendant au total à 215 681 fr.75.

A cet égard, la défenderesse peut en principe faire valoir ses droits
découlant de l'art. 368 CO. Toutefois, elle n'a pas prouvé que les
factures
en souffrance correspondraient à des prestations que la demanderesse
n'a pas
effectuées, ni n'a établi qu'elle les aurait refusées ou les aurait
restituées, à raison des défauts invoqués. En l'absence de tels
éléments de
fait, qui ne ressortent pas de l'arrêt attaqué dont les constatations
lient
le Tribunal fédéral en instance de réforme, la défenderesse ne peut se
soustraire à son obligation de payer l'ouvrage au moment de la
livraison, à
teneur de l'art. 372 al. 1 CO. La résiliation de tous les contrats,
par la
défenderesse, au sens de l'art. 377 CO, ne change rien à cette
obligation,
dans la mesure où elle ne peut faire valoir aucun juste motif de
réduction ou
de suppression de l'indemnité due à l'entrepreneur.

Il s'ensuit que le recours en réforme doit être rejeté, dans la
mesure où il
est recevable.

7.
7.1La demanderesse a conclu principalement à l'irrecevabilité du
recours en
réforme, subsidiairement au rejet du recours dans la mesure où il est
recevable et à la correction de l'inadvertance manifeste commise par
la Cour
de justice "sous point 4 de son arrêt en condamnant A.________ SA à
payer à
la B.________ SA 9 960 985 fr.55 avec intérêts à 5% dès le 18 octobre
1996 au
lieu de 9 731 125 fr.55 retenus par la Cour", ou, "si mieux n'aime le
Tribunal fédéral, au rejet du recours dans la mesure où il est
recevable et à
la confirmation de l'arrêt attaqué", le tout avec suite de frais et
dépens.

La question se pose dès lors de savoir si elle a intenté un recours
joint, au
sens de l'art. 59 al. 2 OJ.

7.2 Selon la jurisprudence, lorsque l'intimé prend des conclusions,
même
partielles, qui vont au-delà de la confirmation de la décision
attaquée, son
écriture ne doit pas seulement être considérée comme une réponse au
recours
en réforme, mais bien comme un recours joint en vertu de l'art. 59
al. 2 OJ
(ATF 121 III 420 consid. 1 p. 423).

Dans ses conclusions principales, la demanderesse propose
l'irrecevabilité du
recours, ce qui ne lui laisserait pas place pour intenter un recours
joint,
puisque ce dernier devient caduc dans la mesure où le Tribunal
n'entre pas en
matière sur le recours principal, à teneur de l'art. 59 al. 5 OJ.
Dans ses
conclusions subsidiaires, postulant le rejet du recours dans la
mesure où il
est recevable, elle demande la correction d'une inadvertance manifeste
commise par la Cour de justice "sous point 4 de son arrêt". Cette
référence
est ambiguë. Le dispositif de l'arrêt cantonal attaqué ne contient
aucun
"point 4". Quant aux motifs, le considérant 4 de l'arrêt entrepris est
consacré au refus d'une expertise et ne traite pas du nombre des
montres
commandées, livrées ou consignées, et de leur paiement. En cela, la
réponse
de la demanderesse ne contient, à strictement parler, pas les
indications
exactes de la constatation attaquée, même si elle s'appuie par
ailleurs sur
deux pièces qu'elle a versées au dossier, n. 204 et 228.

En réalité, il faut comprendre que par "point 4" de l'arrêt de la
Cour de
justice, la demanderesse entend combattre une différence de calcul
dans
l'établissement du poste de son dommage faisant l'objet du ch. 4 du
dispositif du jugement du Tribunal de première instance du 1er
septembre
2000. Cependant, outre cette imprécision, qui peut être corrigée par
référence au texte de la réponse, les conclusions prises et rappelées
ci-dessus ne révèlent pas une volonté univoque de rectifier le
montant de
l'indemnité que la cour cantonale a fixé en faveur de la
demanderesse. Même
si l'on peut admettre qu'un recours joint soit formé à titre
conditionnel, ou
plutôt éventuel, c'est-à-dire pour le cas où le recours principal
serait
admis en tout ou en partie (Poudret, op. cit., ad art. 59 et 61 OJ,
n. 2.4.3,
p. 481), les conclusions alternatives prises par la demanderesse sont
irrecevables, dans la mesure où sa volonté procédurale ne peut être
déterminée de manière décisive. Dans ces conditions, il n'est pas
nécessaire
de vérifier si, par le biais d'une inadvertance manifeste, la
demanderesse
entend plutôt remettre en cause l'appréciation des preuves, ces deux
notions
étant exclusives l'une de l'autre (arrêt du 5 décembre 1995,
4C.149/1995,
publié in SJ 1996, p. 353/354 et les références). Au demeurant, la
seconde ne
peut être invoquée que dans le cadre d'un recours de droit public,
que la
demanderesse n'a pas estimé utile d'interjeter.

8. Vu ce qui précède, le recours principal sera rejeté dans la mesure
où il
est recevable. Il appartiendra à la défenderesse, qui succombe,
d'assumer les
frais judiciaires et les dépens relatifs à ce recours. Le recours
joint sera
déclaré irrecevable et la demanderesse supportera les frais et dépens
qui en
découlent (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ). L'arrêt attaqué sera en
conséquence confirmé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours principal est rejeté dans la mesure où il est recevable et
le
recours joint est déclaré irrecevable.

2.
L'arrêt attaqué est confirmé.

3.
Un émolument judiciaire est mis à la charge des parties, à raison de
30'000
fr. pour la défenderesse et de 6'000 fr. pour la demanderesse.

4.
La défenderesse versera à la demanderesse une indemnité de 30'000 fr.
à titre
de dépens.

5.
La demanderesse versera à la défenderesse une indemnité de 6'000 fr.
à titre
de dépens.

6.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 10 septembre 2002

Au nom de la Ière Cour civile
du Tribunal fédéral suisse:

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.387/2001
Date de la décision : 10/09/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-09-10;4c.387.2001 ?
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