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03/09/2002 | SUISSE | N°1P.334/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 03 septembre 2002, 1P.334/2002


{T 0/2}
1P.334/2002 /viz

Arrêt du 3 septembre 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann et Reeb,
greffier Kurz.

A. ________,
recourant, représenté par MMes Christian Luscher
et Shahram Dini, avocats, rue Saint-Ours 5, 1205 Genève,

contre

B.________, Juge d'instruction du canton de Genève,
Palais de Justice, case postale 3344, 1211 Genève 3,
intimé,
Procureur général du canton de Ge

nève, place du Bourg-
de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3,
Collège des juges d'instruction du canton de Genève,
...

{T 0/2}
1P.334/2002 /viz

Arrêt du 3 septembre 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann et Reeb,
greffier Kurz.

A. ________,
recourant, représenté par MMes Christian Luscher
et Shahram Dini, avocats, rue Saint-Ours 5, 1205 Genève,

contre

B.________, Juge d'instruction du canton de Genève,
Palais de Justice, case postale 3344, 1211 Genève 3,
intimé,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-
de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3,
Collège des juges d'instruction du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3344, 1211 Genève 3.

art. 29 et 30 al. 1 Cst., art. 6 par. 1 CEDH (récusation)

(recours de droit public contre la décision du Collège des Juges
d'instruction du canton de Genève du 18 juin 2002)

Faits:

A.
A. ________ est inculpé dans trois procédures pénales. La cause n°
3409/2001
est instruite par le Juge B.________. Le 22 mai 2002, A.________ a été
entendu comme témoin par ce magistrat, dans une autre procédure. Le
lendemain, il s'est plaint auprès de son avocat des propos suivants
tenus par
le juge d'instruction, hors protocole, à l'issue de cette audience:
- "vous avez caché des problèmes";
- "votre stratégie de défense consistant à dire «le comité de la
banque était
parfaitement informé» ne tient pas la route";
- "quand on a beaucoup gagné comme vous on devrait d'autant plus
admettre ses
responsabilités, admettre sa culpabilité, accepter la sanction et,
sur le
plan civil, réparer les dommages";
- "pour eux [soit pour les juges d'instruction] on ne pouvait pas se
fier à
quelqu'un qui ne conserve pas les listes de provisions alors qu'il
fait
passer des examens aux experts-comptables";
- "j'avais consciemment surestimé la valeur des titres de cette
société";
- "j'ai lu vos déclarations et j'ai vu cette étude, tout cela me fait
bien
rigoler";
- "vous avez estimé à fr. 1000 des actions qui n'en valaient même pas
le
nominal";
- "vous apparaissez de plus en plus comme celui qui dictait les
ordres".
lors d'une audience du 17 mai précédent, le juge d'instruction aurait
interpellé un inculpé en ces termes: "Docteur X., que pensez-vous de
l'amnésie de M. A.________?".

A. ________ se déclarait profondément affecté par ces propos.
Le 27 mai 2002, A.________ demanda au Collège des Juges d'instruction
(ci¿après: le collège) la récusation du Juge d'instruction
B.________, dont
les propos dénotaient selon lui une prévention certaine à son égard.

Dans ses déterminations, le juge d'instruction contesta que ses
propos aient
été tenus tels quels; il s'agissait d'une simple discussion en fin
d'audience. Ces remarques s'inscrivaient dans le cadre des charges
retenues
contre A.________. Le magistrat contesta toute accusation de
partialité,
estimant que la gravité des charges pouvait atténuer la sérénité de
l'inculpé
à l'égard des juges d'instruction. Prenant position le 14 juin 2002,
A.________ demanda notamment l'audition de la greffière du juge
d'instruction
et d'une autre personne ayant assisté à la discussion.

B.
Par décision du 18 juin 2002, le collège rejeta la demande de
récusation. Les
propos en question, tenus dans un contexte particulier, ne dénotaient
pas de
haine envers le prévenu; ils reflétaient l'état des charges retenues.
Il
était douteux que les personnes présentes aient prêté attention à des
propos
tenus après l'audience; il n'y avait pas lieu d'entendre comme
témoins les
personnes adjointes à l'instruction, car cela apparaîtrait
problématique pour
la suite de la procédure.

C.
A.________ forme un recours de droit public contre cette dernière
décision,
dont il demande l'annulation. Il demande, à titre de mesure
provisionnelle,
d'être dispensé de procéder devant le Juge B.________ jusqu'à droit
jugé sur
la récusation.

Le collège conclut au rejet du recours dans la mesure où il est
recevable. Le
Juge d'instruction et le Ministère public concluent au rejet du
recours.

La demande de mesures provisionnelles a été rejetée par ordonnance
présidentielle du 26 juin 2002.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé en temps utile contre une
décision du
Collège des Juges d'instruction, rendue en dernière instance
cantonale et
relative à une demande de récusation au sens de l'art. 87 al. 1 OJ.
Il est en
principe recevable (ATF 126 I 203).

2.
Dans un grief d'ordre formel, à examiner en premier lieu, le recourant
reproche à l'autorité intimée de ne pas avoir donné suite à sa
demande
d'audition de témoins. On ne saurait selon lui considérer d'emblée
que les
personnes présentes à l'audience ne seraient pas à même de se
souvenir des
propos tenus par le juge d'instruction.

2.1 Garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu permet au
justiciable de participer à la procédure probatoire en exigeant
l'administration des preuves déterminantes (ATF 126 I 15 consid.
2a/aa p. 16
et les arrêts cités). Dans le cadre d'une procédure de récusation, le
droit
cantonal peut certes prévoir une instruction simplifiée, mais
l'autorité
saisie ne saurait faire l'économie des preuves (écrites ou
testimoniales)
déterminantes (arrêt non publié du 6 mars 1991 dans la cause P.).

Ce droit ne s'étend toutefois qu'aux éléments pertinents pour décider
de
l'issue du litige. Il est ainsi possible de renoncer à
l'administration de
certaines preuves offertes, lorsque le fait dont les parties veulent
rapporter l'authenticité n'est pas important pour la solution du cas,
lorsque
les preuves résultent déjà de constatations versées au dossier, et
lorsque le
juge parvient à la conclusion qu'elles ne sont pas décisives pour la
solution
du litige ou qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion.
Ce refus
d'instruire ne viole le droit d'être entendu que si l'appréciation
anticipée
de la pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le juge a ainsi
procédé, est entachée d'arbitraire (ATF 125 I 127 consid. 6c/cc in
fine p.
135, 417 consid. 7b p. 430; 124 I 208 consid. 4a p. 211, 241 consid.
2 p.
242, 274 consid. 5b p. 285 et les arrêts cités; sur la notion
d'arbitraire,
voir ATF 127 I 60 consid. 5a p. 70).

2.2 En l'espèce, le collège a renoncé à entendre les témoins proposés
par le
recourant, pour plusieurs motifs. Il était douteux que ces personnes
aient
porté une attention suffisante aux dires des deux intéressés. En
outre,
l'audition de la greffière et de l'analyste de l'instruction, comme
témoins
dans une affaire de récusation, compromettrait leur participation à
la suite
de l'instruction. Le recourant se contente d'invoquer l'art. 29 Cst.,
sans
tenter de remettre en cause ces deux appréciations, comme l'exige
l'art. 90
al. 1 let. b OJ. Or, il n'est pas arbitraire de retenir qu'à l'issue
d'une
longue audience, après signature du procès-verbal, la greffière et
l'expert
pouvaient être occupés à d'autres tâches et ne pas prêter d'attention
particulière à des propos informels, tenus hors protocole à
l'occasion d'une
simple conversation. Cela étant, le collège a aussi examiné, sur le
fond, si
les propos tenus par le juge d'instruction, tels que relatés par le
recourant, étaient propres à fonder la demande de récusation. Il n'y
avait
donc pas à rechercher si ces propos avaient été effectivement tenus.

3.
Sur le fond, le recourant invoque l'art. 29 al. 1 Cst. Il reprend ses
motifs
de récusation. Les remarques ironiques faites le 22 mai 2002 au
recourant,
les affirmations selon lesquelles il aurait caché des problèmes et
devrait
admettre sa culpabilité, les propos humiliants tenus le 17 mai
précédent en
se moquant de l'"amnésie" du recourant, seraient autant d'indices de
partialité.

3.1 Les principes généraux relatifs à la récusation des magistrats
ont été
rappelés dans la décision attaqué, ainsi que dans l'arrêt rendu par le
Tribunal fédéral le 31 janvier 2002 à propos d'une précédente demande
de
récusation déposée par le recourant (cf. aussi ATF 127 I 196 consid.
2b).
S'agissant de la récusation d'un juge d'instruction, l'art. 29 al. 1
Cst.
présente des garanties similaires à celles qui sont posées à l'égard
des
autorités judiciaires proprement dites (art. 6 CEDH et 30 Cst.); le
magistrat
doit instruire à charge et à décharge et est tenu à une certaine
impartialité.
Dans les enquêtes faisant l'objet d'une large couverture médiatique,
le juge
d'instruction peut être amené à se prononcer sur l'état du dossier,
sans pour
autant que sa conviction ne soit définitivement arrêtée. Il peut ainsi
s'exprimer sur les chances de succès d'un recours dirigé contre une
de ses
propres décisions. Des remarques ironiques, faites durant la
procédure ou en
dehors de celle-ci, qui peuvent être déplacées et ressenties
négativement par
l'inculpé, ne suffisent pas en général pour justifier une demande de
récusation (ATF 127 I 196 consid. 2d p. 200 et la jurisprudence
citée).
Au contraire du juge appelé à s'exprimer en fait et en droit sur le
fond de
la cause, lequel doit en principe s'en tenir à une attitude
parfaitement
neutre, le juge d'instruction peut être amené, provisoirement du
moins, à
adopter une attitude plus orientée à l'égard de l'inculpé; il peut
faire état
de ses doutes quant à la version des faits présentée, mettre le
prévenu en
face de certaines contradictions, et tenter de l'amener aux aveux,
pour
autant qu'il ne soit pas fait usage de moyens déloyaux. Le juge
d'instruction
ne fait donc pas preuve de partialité lorsqu'il fait état de ses
convictions
à un moment donné de l'enquête; cela peut au contraire s'avérer
nécessaire à
l'élucidation des faits. On peut par ailleurs comprendre certains
mouvements
d'impatience du magistrat, par exemple lorsque le prévenu adopte une
attitude
d'obstruction ou persiste à nier l'évidence. Le magistrat instructeur
doit
ainsi se voir reconnaître, dans le cadre des ses investigations, une
certaine
liberté, limitée par l'interdiction des procédés déloyaux, la
nécessité
d'instruire tant à charge qu'à décharge, et de ne point avantager une
partie
au détriment d'une autre. Les déclarations du juge doivent ainsi être
interprétées de manière objective, en tenant compte de leur contexte,
du ton
sur lequel elles sont faites, et du but apparemment recherché par leur
auteur.

3.2 En l'occurrence, si les remarques faites par le juge
d'instruction au
recourant apparaissent assurément déplacées, c'est avant tout dans le
ton
employé, tel que relaté par le recourant. Sur le fond, le juge
d'instruction
n'a fait qu'émettre des doutes sur la véracité de certaines
explications
fournies par le recourant, en exposant son propre avis, ce qui est en
soi
admissible. Il convient en outre de ne pas perdre de vue que ces
remarques
ont été faites après la fin d'une séance, au cours de laquelle le
recourant
n'était pas entendu comme inculpé, mais comme témoin, ce qui peut
expliquer
la liberté que le juge d'instruction a cru pouvoir s'accorder. Par
ailleurs,
le recourant prétend relater les propos tenus par le juge
d'instruction, mais
se garde de préciser quelles ont été ses propres déclarations à cette
occasion. Sorties de leur contexte, les remarques du juge
d'instruction
conservent un caractère général ("vous avez caché des problèmes",
"votre
stratégie de défense ne tient pas la route", "vous apparaissez de
plus en
plus comme celui qui dictait des ordres", "j'ai lu vos déclarations
et j'ai
vu cette étude, tout cela me fait bien rigoler"); elles ne font que
refléter
le décalage entre la version des faits du recourant et les charges
qui lui
ont été dûment notifiées.

Admettre la thèse du recourant conduirait à la récusation de tout juge
d'instruction qui, nonobstant les dénégations de l'intéressé,
considère que
les charges sont suffisantes pour justifier une inculpation. Rien ne
permet
de penser que l'opinion exprimée par le juge d'instruction serait
définitive,
et surtout, qu'elle ait une influence sur sa manière de mener
l'instruction.
Le recourant ne soutient pas, par exemple, que le juge B.________ ait
omis
d'administrer des preuves à décharge, ou ait manifesté d'une
quelconque
manière un parti pris en faveur de la partie adverse. Les déclarations
relatives au système de défense du recourant et à son "amnésie"
dénotent
elles aussi de la défiance à l'égard des explications fournies, mais
pas
forcément une volonté d'humilier le recourant ou de critiquer ses
défenseurs.
Dans le cadre d'une instruction longue, au cours de laquelle le juge
d'instruction et l'inculpé ont des entrevues régulières et suivies,
on peut
comprendre que le magistrat s'exprime de manière parfois plus
directe, sans
que cela ne dénote une réelle prévention.

3.3 En définitive, si elles apparaissent inopportunes, et, pour
certaines
d'entre elles, critiquables quant à la forme, les remarques faites
par le
juge B.________ ne sauraient justifier sa récusation.

4. Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être
rejeté.
Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument est mis à la charge
du
recourant qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 3000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie
aux parties, au Procureur
général du
canton de Genève et au Collège des juges d'instruction du canton de
Genève.

Lausanne, le 3 septembre 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.334/2002
Date de la décision : 03/09/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-09-03;1p.334.2002 ?
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