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22/07/2002 | SUISSE | N°4C.152/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 juillet 2002, 4C.152/2002


{T 0/2}
4C.152/2002 /ech

Arrêt du 22 juillet 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffier Ramelet.

A. ________,
demanderesse et recourante, représentée par Me Christophe Zellweger,
avocat,
rue de la Fontaine 9, 1204 Genève,

contre

B.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Charles-André Junod,
avocat, rue
Töpffer 17, 1206 Genève.

contrat de vente ou de commission; responsabilité

(recours en rÃ

©forme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
du canton de Genève du 22 février 2002)

Faits:

A.
L...

{T 0/2}
4C.152/2002 /ech

Arrêt du 22 juillet 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Favre,
greffier Ramelet.

A. ________,
demanderesse et recourante, représentée par Me Christophe Zellweger,
avocat,
rue de la Fontaine 9, 1204 Genève,

contre

B.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Charles-André Junod,
avocat, rue
Töpffer 17, 1206 Genève.

contrat de vente ou de commission; responsabilité

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
du canton de Genève du 22 février 2002)

Faits:

A.
La A.________ (ci-après: la banque), dont le siège est à Tunis
(Tunisie), est
une banque commerciale et d'investissement fondée conjointement par
deux
Etats, à savoir la Tunisie et l'Emirat du Qatar. Son but social
englobait les
opérations de change pour son propre compte ou pour le compte de ses
clients.
Au début de l'année 1991, la banque a engagé, à la tête de son
département
des opérations bancaires internationales, X.________, qui est un
spécialiste
des transactions sur devises et qui a développé très fortement les
activités
de change de la banque.

Pour acheter ou vendre des devises au nom de la banque, X.________
s'est
adressé à deux sociétés spécialisées: en premier lieu une société
C.________,
puis B.________ S.A. (ci-après: B.________) ayant son siège à Genève.

Le 6 mars 1991, la banque a conclu avec B.________un contrat-cadre
destiné à
lui permettre de procéder à des opérations de change à crédit,
garanties par
un dépôt de marge. Le contrat contenait une clause par laquelle
B.________déclinait toute responsabilité pour des avis ou des
conseils en
matière de change, sollicités par sa cliente dans le cadre de leurs
rapports
futurs. Il comportait également une mise en garde contre les risques
spécifiques liés aux opérations sur devises avec marge. Par ailleurs,
le
contrat prévoyait l'application du droit suisse et la compétence, en
cas de
litige, des tribunaux genevois.

Dans les relations qui se sont ensuite développées entre les parties,
la
banque prenait généralement l'initiative de solliciter de
B.________une offre
d'achat ou de vente d'une devise déterminée; B.________lui proposait
un prix
en fonction duquel la banque se déterminait. Il a été retenu que
l'unique
gain de B.________résultait, en l'absence de toute autre
rémunération, de la
différence entre le prix convenu avec la banque et celui qu'elle
pouvait
obtenir elle-même auprès d'un ou de plusieurs tiers en concluant avec
eux des
opérations de couverture; il est arrivé que B.________subisse une
perte à la
suite d'une transaction convenue avec la banque. Ces opérations se
déroulaient d'une manière purement comptable, mais le solde quotidien
des
transactions, bénéficiaire ou non, devait en revanche faire l'objet,
chaque
jour, d'un transfert de fonds effectif entre les parties. Dans le
cadre de
leurs relations quotidiennes, la banque et B.________ont fréquemment
échangé
leurs impressions ou pronostics sur l'évolution des cours.

A l'initiative de X.________, les montants engagés par la banque sont
devenus
toujours plus importants, ce qui impliquait un risque considérable.

A la fin de la journée du 26 juin 1991, la banque a reporté au 1er
juillet
1991 ses positions de change ouvertes auprès de B.________et
C.________, en
convenant avec B.________d'un swap, conclu à un taux hors marché,
dont les
deux volets n'ont pas été regroupés dans un seul et même document,
mais ont
donné lieu à deux documents distincts. Il a été retenu que la
présentation
d'un swap en deux documents distincts était peu usuelle, mais avait
néanmoins
cours dans la pratique des cambistes à l'époque des faits. Un taux
hors
marché, en raison de la liberté contractuelle, n'était pas exclu,
bien qu'il
soit inhabituel. Il semble que ce procédé ait été utilisé par
X.________ pour
dissimuler à la banque les pertes subies. Selon les experts
judiciaires, la
présentation trop avantageuse du compte des résultats n'a été
possible, dans
le cas concret, qu'à la faveur d'un système comptable inadéquat au
sein de la
banque, sans qu'il soit établi que B.________en ait eu connaissance.

De juillet jusqu'au 22 août 1991, la banque a continué d'effectuer, à
un
rythme soutenu et pour des volumes considérables, des transactions sur
devises avec B.________et C.________ en maintenant ouvertes des
positions de
change en dollars contre francs suisses très importantes; le risque
de change
auquel elle s'est exposée s'est concrétisé avec une chute du cours du
dollars
à la mi-juillet 1991.

Le désastre financier subi par la banque a été découvert à fin août
1991. Le
total cumulé des pertes de change se serait élevé à un montant
avoisinant 40
millions US$, attribuable en majeure partie aux opérations menées avec
B.________. X.________ et son département ont pu conduire la totalité
de
leurs opérations de change en l'absence de tout contrôle effectif
exercé par
la banque.

Une procédure pénale en Tunisie a abouti à la condamnation de
plusieurs
responsables de la banque, dont X.________ et le président directeur
général.

B.
Le 30 janvier 1996, la banque a déposé devant les tribunaux genevois
une
demande en paiement dirigée contre B.________, réclamant à cette
dernière la
somme de 29 783 679 fr. avec intérêts à 5% dès le 23 août 1991.
Invoquant la
responsabilité contractuelle, la responsabilité délictuelle et la
responsabilité à raison de la confiance, la banque reproche en
substance à
B.________d'avoir laissé X.________ prendre des risques
disproportionnés; la
demanderesse considère que la défenderesse est partiellement
responsable de
la perte qu'elle a subie.

B. ________a conclu à libération.

Par jugement du 15 décembre 2000, le Tribunal de première instance du
canton
de Genève a rejeté la demande.

Saisie d'un appel formé par la banque, la Chambre civile de la Cour de
justice genevoise, par arrêt du 22 février 2002, a confirmé le
jugement
attaqué. En résumé, la cour cantonale a estimé que la demande n'avait
pas de
fondement juridique et que les transactions conclues entre les
parties se
caractérisaient comme des contrats de vente, de sorte que
B.________n'avait
pas un devoir de diligence ou de fidélité l'obligeant à veiller sur
les
intérêts de la demanderesse et encore moins à surveiller les employés
de
celle-ci.

C.
La banque exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral. Invoquant
une
violation du droit fédéral, elle conclut à l'annulation de l'arrêt
attaqué et
reprend ses conclusions sur le fond; subsidiairement, elle demande le
renvoi
de la cause à la cour cantonale.

L'intimée propose le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt
attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions en
paiement
et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance
cantonale par
un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile
dont la
valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ), le
recours en
réforme est en principe recevable, puisqu'il a été formé en temps
utile (art.
54 al. 1 et 34 al. 1 let. a OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).

1.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral
(art. 43
al. 1 OJ). Il ne permet en revanche pas d'invoquer la violation
directe d'un
droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la
violation du
droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).

1.3 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire
son
raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à
moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été
violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant
sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter
les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte
de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127
III 248
ibidem). Dans la mesure où une partie recourante présente un état de
fait qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se
prévaloir avec
précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il
n'est pas
possible d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut
être
présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou
de moyens
de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours n'est pas
ouvert
pour se plaindre de l'appréciation des preuves et des constatations
de fait
qui en découlent (ATF 127 III 543 consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a;
125 III
78 consid. 3a).

1.3.1 En l'espèce, la recourante invoque l'inadvertance manifeste au
sens de
l'art. 63 al. 2 2ème phrase OJ. La partie recourante qui se prévaut
de cette
hypothèse doit démontrer l'inadvertance, c'est-à-dire normalement
indiquer le
fait contesté et la pièce du dossier qui contredit la constatation
cantonale
(art. 55 al. 1 let. d OJ; ATF 115 II 399 consid. 2a). Pour qu'il y ait
inadvertance manifeste, il faut que l'autorité cantonale se soit
trompée sur
un fait établi sans équivoque et que cette erreur ne puisse
s'expliquer que
par l'inattention, et non pas par une appréciation des preuves
défectueuse
(cf. ATF 121 IV 104 consid. 2b; 109 II 159 consid. 2b; 108 II 216
consid.
1a).

En l'occurrence, la recourante n'établit l'inadvertance manifeste que
sur un
point (recours p. 18 ch. 13), d'ailleurs non contesté par l'intimée.
Comme ce
point ne pourrait modifier l'issue du litige, il n'y a pas lieu à
rectification (cf. ATF 95 II 503 consid. 2a in fine).

1.3.2 La recourante invoque également une violation des dispositions
fédérales en matière de preuve au sens de l'art. 63 al. 2 1ère phrase
OJ.

En l'absence d'une disposition de droit fédéral instituant une
présomption,
seul l'art. 8 CC entre en considération. Cette disposition, pour
toutes les
prétentions fondées sur le droit fédéral (ATF 127 III 519 consid. 2a;
125 III
78 consid. 3b), répartit le fardeau de la preuve et détermine, sur
cette
base, laquelle des parties doit assumer les conséquences de l'échec
de la
preuve (ATF 127 III 519 consid. 2a; 126 III 189 consid. 2b). En
revanche,
elle ne prescrit pas sur quelles bases et comment le juge peut forger
sa
conviction (ATF 128 III 22 consid. 2d; 127 III 248 consid. 3a, 519
consid.
2a).

En l'espèce, on ne voit pas en quoi la cour cantonale aurait renversé
le
fardeau de la preuve ou retenu un fait pertinent sans aucun
raisonnement ni
aucun commencement de preuve. Il n'est ainsi pas question d'une
violation des
règles de droit fédéral en matière de preuve.

1.3.3 La recourante demande également au Tribunal fédéral de
compléter les
constatations de fait en application de l'art. 64 al. 2 OJ.

Elle se trompe cependant sur le sens et la portée de cette
disposition.

L'art. 64 OJ est conçu pour l'hypothèse où, généralement en raison
d'une
analyse juridique erronée, la cour cantonale n'a pas tenu compte de
certains
faits parce qu'elle n'en a pas saisi la pertinence; dans ce cas,
plutôt que
de renvoyer l'affaire à l'autorité cantonale (art. 64 al. 1 OJ), le
Tribunal
fédéral peut lui-même compléter l'état de fait (art. 64 al. 2 OJ),
pour
autant qu'il s'agisse d'ajouter des points accessoires, régulièrement
allégués et clairement établis (Poudret, COJ II, n. 3.2 ad art. 64 OJ;
Corboz, Le recours en réforme au Tribunal fédéral, in: SJ 2000 II p.
68).

Il n'y a rien de semblable en l'espèce.

1.3.4 En réalité, la recourante voudrait ajouter les éléments de
preuve qui
militent en faveur de sa thèse, de manière à inviter le Tribunal
fédéral à
revoir les conclusions de la cour cantonale sur la volonté réelle des
parties
ou sur ce que l'une d'elles savait ou acceptait à un moment donné.
Cette
démarche est étrangère au recours en réforme, qui - comme on l'a vu -
n'est
pas ouvert pour se plaindre de l'appréciation des preuves et des
constatations de fait qui en découlent.

1.3.5 Partant, il convient d'écarter le long état de fait présenté
par la
recourante (60 pages) et de conduire le raisonnement juridique sur la
base
des constatations cantonales qui lient le Tribunal fédéral saisi d'un
recours
en réforme (art. 63 al. 2 OJ).

Cela fait, il faut rappeler que la recourante ne peut fonder son
argumentation juridique sur son propre état de fait. Une telle
manière de
procéder méconnaîtrait la fonction du recours en réforme. Il s'agit
en effet
d'une voie de droit qui tend à faire contrôler l'application du droit
fédéral
à un état de fait arrêté définitivement par l'autorité cantonale
(Corboz, op.
cit., p. 2). Dès lors que le Tribunal fédéral est lié par les
constatations
cantonales, toute argumentation juridique qui repose sur un autre
état de
fait est d'emblée dépourvue de fondement.

1.4 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des
parties,
mais il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al.
1 OJ),
ni par l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art.
63 al. 3
OJ; ATF 128 III 22 consid. 2e/cc p. 29; 127 III 248 consid. 2c; 126
III 59
consid. 2a).

2.
2.1La recourante reproche à la cour
cantonale d'avoir mal qualifié la
relation contractuelle entre les parties.

Selon l'art. 116 al. 1 LDIP, le contrat est régi par le droit choisi
par les
parties.

Il a été retenu souverainement que les plaideurs ont choisi de
soumettre
leurs relations contractuelles au droit suisse, de sorte que celui-ci
est
applicable.

La recourante souligne que les parties ont conclu une relation
contractuelle
complexe. Il est vrai que si la recourante a déposé des fonds auprès
de
l'intimée en vue d'opérations futures, on peut discerner les
caractéristiques
d'un dépôt irrégulier (art. 481 CO); si l'intimée lui a fait crédit,
on peut
distinguer un prêt de consommation (art. 312 CO); il est d'autre part
vraisemblable que les parties sont convenues d'un contrat de compte
courant
(sur cette figure juridique: cf. ATF 127 III 147 consid. 2a; 104 II
190
consid. 2a; 100 III 79). Ces précisions ne sont toutefois d'aucun
secours
pour la recourante. En effet, le litige n'a pas trait à l'exécution
de l'un
de ces rapports juridiques; par ailleurs, il s'agit de contrats
synallagmatiques qui ne comportent aucune obligation de veiller sur
les
intérêts du cocontractant. Cette argumentation est donc impropre à
fonder la
prétention de la recourante.

Le litige concerne exclusivement les transactions sur les devises
exécutées
entre les parties.

La cour cantonale a retenu que les parties avaient conclu des
contrats de
vente successifs (art. 184 CO). Sans doute pour bénéficier des règles
sur le
mandat (art. 425 al. 2 CO), la recourante soutient pour sa part qu'il
s'agissait de contrats de commission (art. 425 al. 1 CO).

La qualification retenue par la cour cantonale est conforme à
l'opinion de la
doctrine pour les transactions sur les devises (cf. Carlo Lombardini,
Droit
bancaire suisse, Zurich 2002, p. 457; Emch/Montavon, Le monde et la
pratique
bancaires suisses, tome II, n° 52.3.2 p. 126). On ne saurait cependant
exclure par principe l'existence d'un contrat de commission (cf. arrêt
C.349/1985 du 16 janvier 1986, consid. 1, in: in SJ 1986 p. 383). Pour
qualifier le contrat, il faut analyser la prestation promise par
l'intimée,
ce qui conduit à interpréter la convention des parties.

En présence d'un litige sur l'interprétation d'une clause
contractuelle, le
juge doit tout d'abord s'efforcer de déterminer la commune et réelle
intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations
inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour
déguiser la
nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO; ATF 127 III 444
consid.
1b). S'il y parvient, il s'agit d'une constatation de fait qui ne
peut être
remise en cause dans un recours en réforme (ATF 126 III 25 consid.
3c, 375
consid. 2e/aa; 125 III 305 consid. 2b, 435 consid. 2a/aa). Il
n'apparaît pas
en l'espèce que la cour cantonale ait déterminé la volonté réelle des
parties.

Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si elle
est
divergente, le juge doit interpréter les déclarations faites selon la
théorie
de la confiance. Il doit donc rechercher comment une déclaration ou
une
attitude pouvait être comprise de bonne foi en fonction de l'ensemble
des
circonstances (cf. ATF 127 III 444 consid. 1b; 126 III 59 consid. 5b,
375
consid. 2e/aa p. 380).

L'application du principe de la confiance est une question de droit
que le
Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, peut examiner
librement (ATF
127 III 248 consid. 3a; 126 III 25 consid. 3c, 59 consid. 5a, 375
consid.
2e/aa p. 379; 125 III 305 consid. 2b, 435 consid. 2a/aa). Pour
trancher cette
question de droit, il faut cependant se fonder sur le contenu de la
manifestation de volonté et sur les circonstances, lesquelles
relèvent du
fait (ATF 126 III 375 consid. 2e/aa; 124 III 363 consid. 5a; 123 III
165
consid. 3a).
Dans le contrat de commission, le commissionnaire, moyennant une
rémunération
(la provision), rend un service au commettant consistant à acheter ou
vendre,
certes en son propre nom, mais pour le compte du commettant (art. 425
al. 1
CO). En l'espèce, il ne ressort pas de l'état de fait souverain que
l'intimée
était chargée, moyennant rémunération, de rendre un service à la
banque en
achetant ou vendant des devises en son nom mais pour le compte de la
banque;
il a été au contraire constaté que l'intimée ne faisait qu'acheter et
vendre
des devises entre ses clients, se livrant ainsi au commerce de ces
valeurs,
son gain ou sa perte dépendant de la différence entre prix de vente
et prix
d'achat. Sur la base d'un tel état de fait, la cour cantonale n'a pas
violé
le droit fédéral en retenant que les parties n'ont pas manifesté de
manière
concordante la volonté de conclure un contrat de commission au sens
de l'art.
425 al. 1 CO. Dès lors qu'il apparaît que l'intimée faisait le
commerce des
devises à son profit et à ses risques, il faut admettre que chaque
transaction a donné lieu à un contrat de vente entre les parties
(art. 184
CO). L'argumentation contraire de la recourante est fondée largement
sur des
faits non constatés dans l'arrêt cantonal, ce qui n'est pas
admissible en
instance de réforme.

Le contrat-cadre attirait l'attention de la banque sur les risques des
opérations sur devises et précisait que l'intimée n'assumait aucune
responsabilité pour des conseils. Il résulte clairement de cette
manifestation de volonté que la banque achetait ou vendait à ses
risques et
périls, sans que l'intimée ne se charge de la conseiller ou de
veiller sur
ses intérêts. On ne discerne donc pas, en relation avec les
transactions sur
devises, la moindre trace d'un contrat de mandat au sens des art. 394
ss CO.

2.2 Dans un contrat de vente, aucun des cocontractants n'est chargé de
veiller sur les intérêts de l'autre, puisque chacun défend des
intérêts qui
s'opposent. Dès lors qu'il n'est pas contesté que les contrats de
vente ont
été correctement exécutés par l'intimée, toute responsabilité
contractuelle
de celle-ci est exclue.

Même si l'existence d'un contrat de commission avait été retenue, il
n'est
pas certain que la solution aurait été différente. En effet, il
ressort des
constatations cantonales que l'intimée n'était pas chargée de gérer
les fonds
de la recourante; cette dernière décidait seule, de cas en cas, s'il
y avait
lieu d'acheter ou de vendre. Il faut ici observer qu'il s'agit d'un
établissement bancaire, que les montants en jeu permettent de penser
qu'elle
pouvait s'entourer de conseils appropriés et qu'il a été constaté que
son
collaborateur était un spécialiste des opérations de change. La
banque avait
d'ailleurs été avisée des risques liés aux opérations sur les devises
et on
peut admettre, au vu de ses connaissances, qu'elle était en mesure de
les
apprécier. Dans une telle situation, un commissionnaire doit seulement
exécuter avec soin les ordres qui lui ont été donnés - ce qui n'est
pas
contesté en l'espèce -, mais il n'a pas à juger les choix de son
client, ni à
le conseiller spontanément sur les développements probables des
investissements choisis et sur les mesures à prendre pour limiter les
risques
(arrêt 4C. 97/1997 du 29 octobre 1997, consid. 6a, in: SJ 1998 p.
203; ATF
119 II 333 consid. 5 et 7). A fortiori, l'intimée n'assumait aucune
obligation contractuelle de surveiller les employés de son
cocontractant et
de pallier ses insuffisances - dont elle ignorait l'existence - dans
les
contrôles internes et l'organisation comptable.

Les arguments développés dans ce contexte par la recourante ne sont
pas de
nature à conduire à un résultat différent.

La recourante se réfère à la loi fédérale du 24 mars 1995 sur les
bourses et
le commerce des valeurs mobilières (RS 954.1); mais cette loi n'était
pas en
vigueur à l'époque et n'est donc d'emblée pas applicable.

La recourante cite également le code de conduite de l'association
cambiste
internationale. Qu'une association professionnelle ait jugé opportun
d'émettre des dispositions pour éviter des litiges du genre de
celui-ci
n'enlève rien au fait qu'il s'agit de normes émanant d'une association
privée, qui ne lient pas les tiers, notamment l'intimée. Selon les
constatations cantonales, ce ne sont d'ailleurs que des
recommandations, qui
ne sont donc pas contraignantes. On ne voit pas davantage pourquoi les
directives de la Banque d'Angleterre seraient applicables en l'espèce.
Déterminer s'il existe un usage est une question de fait qui ne peut
être
remise en cause dans un recours en réforme (ATF 128 III 22 consid.
2c). Au
demeurant, il n'a pas été établi que l'intimée savait que la banque
agissait
pour son propre compte, et non pas pour le compte de divers clients;
déterminer ce qu'une personne savait ou ignorait à un moment donné
relève des
constatations de fait qui ne peuvent être remises en cause dans un
recours en
réforme (ATF 124 III 182 consid. 3); en conséquence, la demanderesse
n'ayant
pas prouvé le contraire, il faut retenir que la défenderesse était
dans
l'ignorance et qu'il lui était ainsi d'autant plus difficile
d'apprécier si
les commandes excédaient à l'évidence la capacité financière du
client.

Les clauses contractuelles sur la limite du crédit, sur la fourniture
des
marges et sur le règlement quotidien avaient manifestement pour but de
protéger l'intimée contre le risque d'une insolvabilité de la banque.
Cette
dernière ne peut donc pas se plaindre si la défenderesse s'est
montrée souple
et a accepté de conclure avec la banque au-delà des limites que
celle-là
avait fixées dans son propre intérêt. Dans la mesure où la recourante
soutient que ces règles étaient également conçues en sa faveur, son
opinion
ne trouve aucun point d'appui dans les constatations cantonales. Il
n'apparaît en effet nullement qu'elle ait manifesté la volonté de se
méfier
de ses propres employés et qu'elle ait imposé dans ce but des limites
à son
cocontractant.

2.3 La recourante invoque également la responsabilité fondée sur la
confiance
(sur cette notion: cf. par exemple Hans Peter Walter, La
responsabilité
fondée sur la confiance dans la jurisprudence du Tribunal fédéral,
in: La
responsabilité fondée sur la confiance, Journée de la responsabilité
civile
2000, p. 147 ss).

Il ne ressort cependant pas des constatations cantonales que
l'intimée aurait
pu, par un comportement ou des déclarations déterminées, éveiller
chez la
recourante l'assurance qu'elle surveillerait l'employé de celle-ci ou
refrénerait les opérations. Il résulte au contraire du mémoire de
recours que
la banque avait bien compris que la défenderesse avait avantage à ce
que les
volumes soient importants, de sorte que les intérêts des parties
pouvaient
diverger et qu'il incombait à la recourante de veiller à la
sauvegarde de ses
propres intérêts. On ne voit donc aucune circonstance particulière
qui puisse
donner lieu in casu à une responsabilité fondée sur la confiance.

Il est vrai que celui qui, sans y être obligé contractuellement,
donne des
renseignements inexacts peut engager sa responsabilité (cf. ATF 111
II 471
consid. 3; cf. aussi ATF 121 III 350 consid. 6c). Il n'a cependant
pas été
retenu en l'espèce que l'intimée aurait donné des renseignements faux
ou
inexacts, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'approfondir la question
sous cet
angle.

2.4 La recourante invoque enfin la responsabilité pour un acte
illicite que
l'on suppose commis en Suisse par l'intimée (art. 133 al. 2 LDIP)
puisque
l'art. 41 CO est mentionné.

Selon la jurisprudence, un acte est illicite au sens de cette
disposition
s'il porte atteinte à un droit absolu, sans qu'il existe un fait
justificatif; dans le cas d'une simple atteinte aux intérêts
patrimoniaux, il
n'y a acte illicite que si l'auteur a violé une norme de comportement
qui a
pour but de protéger le lésé contre ce genre de dommage (ATF 123 III
306
consid. 4a; 122 III 176 consid. 7b p. 192; 119 II 127 consid. 3). Il
appartient au lésé de prouver la violation d'une norme protectrice
dont le
but est de lui éviter un dommage patrimonial du genre de celui qu'il
a subi
(ATF 125 III 86 consid. 3b; 119 II 127 consid. 3).

En l'espèce, la recourante n'invoque pas la violation d'un droit
absolu, mais
une atteinte à ses intérêts patrimoniaux. Il lui appartenait donc
d'établir
la violation d'une norme protectrice, constituant un devoir général,
dont le
but était de lui éviter un dommage patrimonial du genre de celui
qu'elle a
subi. Or, la demanderesse n'indique pas quelle norme protectrice
aurait été
violée, de sorte que ce grief est d'emblée insuffisamment motivé (cf.
art. 55
al. 1 let. c OJ).

Il semble que ce moyen se rapporte exclusivement à l'affaire du swap.
A ce
sujet, il a été constaté en fait qu'un tel swap était certes
inhabituel, mais
néanmoins relativement courant. La dissimulation de la perte n'a été
rendue
possible qu'en raison d'une mauvaise organisation comptable de la
banque,
dont il n'est pas établi que l'intimée avait connaissance. Il résulte
de ces
éléments que la cour cantonale n'est pas parvenue à la conviction que
l'intimée avait compris le but poursuivi par l'employé indélicat. Il
s'agit
là d'une question concernant l'appréciation des preuves et
l'établissement
des faits, qui ne peut être remise en cause dans un recours en
réforme. Du
moment qu'il n'est pas prouvé que l'intimée avait compris le but
dissimulateur du swap, on ne voit pas
comment on pourrait retenir
qu'elle a
participé à une éventuelle infraction pénale commise par l'employé à
l'encontre de son employeur. Il suit de là que l'on ne parvient pas à
discerner l'acte illicite prétendument commis par l'intimée
(respectivement
ses organes ou employés). La critique est privée de tout fondement.

2.5 De manière vague et allusive, la recourante semble aussi soutenir
que
l'employé aurait excédé les limites de son pouvoir de représentation.
Comme
il n'est pas constaté que la recourante aurait exercé son activité en
Suisse
ou à partir de la Suisse (cf. art. 159 LDIP), cette question est
régie par le
droit tunisien (art. 155 let. i et art. 154 al. 1 LDIP). S'agissant
d'une
contestation de nature pécuniaire, le recours en réforme ne permet
pas de
soulever pour la première fois devant le Tribunal fédéral une question
relevant du droit étranger, étant donné que le recours n'est ouvert
que pour
violation du droit fédéral (cf. art. 43 al. 1 et 43a al. 2 OJ a
contrario).
Au demeurant, l'idée d'une révocation ou d'une limitation des
pouvoirs de
représentation ne trouve aucun point d'appui dans l'état de fait
déterminant.

3.
Le recours doit être entièrement rejeté, l'arrêt attaqué étant
confirmé. Vu
l'issue de la querelle, les frais et dépens seront mis à la charge de
la
recourante (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté et l'arrêt attaqué est confirmé.

2.
Un émolument judiciaire de 50 000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 60 000 fr. à titre
de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 22 juillet 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.152/2002
Date de la décision : 22/07/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-07-22;4c.152.2002 ?
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