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22/07/2002 | SUISSE | N°1P.301/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 juillet 2002, 1P.301/2002


{T 0/2}
1P.301/2002/col

Arrêt du 22 juillet 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

A. ________, recourant, représenté par Me Olivier Boillat, avocat,
rue de la
Fontaine 9, case postale 3781, 1211 Genève 3,

contre

Etat de Genève, intimé, représenté par le Procureur général du canton
de
Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3,<

br> Chambre pénale de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

indemnisation du préve...

{T 0/2}
1P.301/2002/col

Arrêt du 22 juillet 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

A. ________, recourant, représenté par Me Olivier Boillat, avocat,
rue de la
Fontaine 9, case postale 3781, 1211 Genève 3,

contre

Etat de Genève, intimé, représenté par le Procureur général du canton
de
Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3,
Chambre pénale de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

indemnisation du prévenu acquitté

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre pénale de la
Cour de
justice du canton de Genève du 29 avril 2002

Faits:

A.
Le 5 mars 1999, le Procureur général du canton de Genève a renvoyé
A.________
devant le Tribunal de police du canton de Genève pour lésions
corporelles
simples. Il lui était reproché d'avoir donné des coups de poing et de
pied à
J.________, lors d'une dispute survenue le 9 novembre 1998 au Café des
Bergues, à Genève, causant ainsi à sa victime des vertiges et des
maux de
tête, des vomissements, des douleurs sur la partie antérieure du
thorax, des
douleurs dentaires, des insomnies et des cauchemars.
Par jugement du 10 mai 2000, le Tribunal de police a libéré
A.________ des
fins de la poursuite pénale et laissé les frais à la charge de
l'Etat; il a
admis qu'une altercation avait eu lieu, mais il a considéré que les
lésions
dont faisait état la victime n'étaient pas établies, pas plus que
leur lien
de causalité avec l'incident du 9 novembre 1998. Statuant le 20
novembre 2000
sur appel du plaignant, la Chambre pénale de la Cour de justice du
canton de
Genève (ci-après: la Chambre pénale) a confirmé ce jugement.

B.
Le 20 novembre 2001, A.________ a saisi la Chambre pénale d'une
requête en
indemnisation fondée sur l'art. 379 du Code de procédure pénale
genevois (CPP
gen.). Il réclamait à l'Etat de Genève la somme de 6'456 fr. pour ses
frais
de défense correspondant aux honoraires de son avocat de choix.
Par arrêt du 29 avril 2002, la Chambre pénale a condamné l'Etat de
Genève à
payer au requérant une indemnité de 1'000 fr. et une somme de 400 fr.
à titre
de participation aux honoraires d'avocat pour la procédure
d'indemnisation;
elle a estimé que les honoraires exigés n'étaient pas
exceptionnellement
élevés et ne constituaient pas une charge financière très importante
pour le
prévenu, lequel n'avait pas sollicité l'assistance judiciaire; elle a
considéré en outre que ce dernier avait contribué à accroître le
nombre
d'auditions en niant toute ébriété et toute dispute, malgré les
évidences, et
que son attitude justifiait une réduction substantielle de la
couverture de
ses frais d'avocat, arrêtée ex aequo et bono à 1'000 fr.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et de renvoyer la cause à
l'autorité
cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. Invoquant
l'art. 9
Cst., il reproche à la Chambre pénale d'avoir fait preuve
d'arbitraire dans
la constatation des faits et dans l'application du droit cantonal. Il
requiert l'assistance judiciaire.
La cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt. Le
Procureur
général du canton de Genève conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière
instance
cantonale, le recours répond aux exigences des art. 86 al. 1 et 89
al. 1 OJ.
Le recourant, dont la démarche tend à l'obtention d'une indemnité
pour ses
frais de défense fondée sur le droit cantonal, a qualité pour agir au
sens de
l'art. 88 OJ. Les autres conditions de recevabilité du recours de
droit
public sont par ailleurs réunies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en
matière
sur le fond, étant précisé que la conclusion tendant au renvoi de la
cause à
la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants est
superfétatoire (ATF 112 Ia 353 consid. 3c/bb p. 354).

2.
Le recourant se plaint d'arbitraire dans la constatation des faits et
dans
l'application de l'art. 379 CPP gen.

2.1 Selon une jurisprudence constante, ni le droit constitutionnel
fédéral,
ni le droit conventionnel n'exigent de l'Etat qu'il indemnise les
particuliers victimes d'une incarcération en soi licite, mais qui se
révèle
par la suite injustifiée (cf. ATF 119 Ia 221 consid. 6 p. 230; 113 Ia
177
consid. 2d p. 182; 108 Ia 13 consid. 3 p. 17; 105 Ia 127 consid. 2b
p. 128;
SJ 1998 p. 333 consid. 4a p. 338; SJ 1995 p. 285 consid. 3b p. 288).
Il en va
a fortiori de même s'agissant des autres préjudices subis en relation
avec la
procédure pénale close par un non-lieu ou un acquittement et, en
particulier,
des frais de défense. Il est en revanche loisible aux cantons
d'instituer une
telle garantie, dont le Tribunal fédéral examine alors la portée sous
l'angle
de l'arbitraire lorsque, comme en l'espèce, elle est contenue dans
une norme
de rang inférieur à la Constitution (cf. ZBl 99/1998 p. 34 consid. 2).

2.2 A teneur de l'art. 379 CPP gen., une indemnité peut être
attribuée, sur
demande, pour le préjudice résultant de la détention ou d'autres
actes de
l'instruction, à l'accusé qui a bénéficié d'un non-lieu ou d'un
acquittement
dans la procédure de jugement ou après révision (al. 1). Le juge
détermine
l'indemnité dont le montant ne peut dépasser 10'000 fr. Si des
circonstances
particulières l'exigent, notamment en raison d'une détention
prolongée, d'une
instruction compliquée ou de l'ampleur des débats, l'autorité de
jugement
peut - dans les cas de détention - allouer à titre exceptionnel une
indemnité
supplémentaire. Le juge peut décider d'un autre mode de réparation du
préjudice subi ou de tout autre appui nécessaire au requérant (al. 2).
L'indemnité est à la charge de l'Etat (al. 3). Elle peut être refusée
ou
réduite si la conduite répréhensible de l'accusé a provoqué ou
entravé les
opérations de l'instruction (al. 5).
Cette disposition prévoit l'octroi d'une indemnisation équitable en
faveur du
prévenu acquitté, qui peut être inférieure à la réparation complète du
dommage (Harari/Roth/Sträuli, Chronique de procédure pénale
genevoise, SJ
1990 p. 479/480; voir aussi, Dominique Poncet, Le nouveau code de
procédure
pénale genevois annoté, p. 453 ss, et Louis Gaillard, L'indemnisation
des
personnes détenues ou poursuivies à tort, RPS 1982 p. 200). Dans la
détermination du montant à allouer, le juge jouit d'un large pouvoir
d'appréciation, toutefois limité par l'interdiction de l'arbitraire.
S'agissant des frais de défense, il est sans doute autorisé à refuser
ou à
réduire l'indemnité versée à ce titre si, en équité, les
circonstances de
l'espèce le justifient, par exemple lorsque le requérant est
particulièrement
aisé. Cependant, en règle générale, l'indemnité équitable devrait
couvrir les
frais de quelque importance auxquels l'accusé ne pouvait pas
renoncer, sauf à
se priver d'une défense convenable, dans la mesure où ils ont été
effectivement causés par la procédure pénale; des honoraires indûment
élevés,
réclamés par l'avocat ou même consentis par son client, ne sont pas
déterminants (Antoine Thélin, L'indemnisation du prévenu acquitté en
droit
vaudois, JdT 1995 III 100).

2.3 En l'occurrence, la Chambre pénale a considéré que les honoraires
de Me
Olivier Boillat n'étaient pas exceptionnellement élevés et ne
constituaient
pas une charge financière très importante pour le prévenu, lequel
n'avait pas
sollicité l'assistance judiciaire malgré la situation économique
délicate
dans laquelle il alléguait se trouver; elle a également estimé que ce
dernier
avait contribué à accroître le nombre d'auditions en niant toute
ébriété et
toute altercation, malgré les évidences, et qu'il se justifiait ainsi
de
réduire de manière substantielle la couverture de ses frais d'avocat.
Le recourant ne conteste pas que l'indemnité pour ses frais de
défense puisse
être réduite en application de l'art. 379 al. 5 CPP gen. parce qu'il
aurait,
par son attitude, partiellement contribué à compliquer et à prolonger
la
procédure. Il prétend en revanche que les conditions posées pour
admettre une
telle réduction ne seraient pas réunies et reproche à la Chambre
pénale
d'avoir retenu qu'il avait contribué à compliquer la procédure par son
attitude sur la base d'un état de fait erroné.
L'attitude passive du prévenu ou de simples mensonges, qui ont
seulement pour
effet d'obliger l'autorité à recueillir des preuves quant aux faits
contestés, ne peuvent être retenus comme motifs de réduction de la
réparation
due au prévenu libéré des fins de la poursuite pénale, à l'opposé de
mensonges qualifiés contraignant le juge d'instruction à faire des
contrôles
supplémentaires de nature à prolonger la durée de la procédure (ATF
116 Ia
162 consid. 2d/aa p. 172; 112 Ib 446 consid. 4b/bb p. 456 et les
arrêts
cités; voir aussi l'arrêt du 3 septembre 1993 cité par Antoine
Thélin, op.
cit., p. 103/104 et les arrêts parus aux ATF 124 IV 1 consid. 2a p. 2
et 117
IV 404 consid. 1a/bb p. 406). Par ailleurs, seul un comportement
fautif en
relation de causalité avec le préjudice subi est propre à justifier
un refus
ou une réduction de l'indemnité (ATF 114 Ia 299 consid. 2b et c p.
302).

En l'espèce, les auditions qui ont eu lieu devant le Tribunal de
police, puis
devant la Chambre pénale étaient essentiellement destinées à
déterminer si le
recourant avait effectivement frappé J.________ et si les lésions
dont ce
dernier prétendait avoir été la victime se trouvaient en relation de
cause à
effet avec les coups prétendument reçus. L'enquête se serait ainsi
poursuivie
même si celui-ci avait d'emblée admis avoir eu une altercation avec le
plaignant. Le recourant n'a donc pas, par l'attitude obstructive qui
lui est
reprochée, provoqué des investigations inutiles ou prolongé indûment
la
procédure d'une autre manière. La Chambre pénale est ainsi tombée dans
l'arbitraire en réduisant l'indemnité pour frais de défense pour ce
motif.
Cela ne conduit pas encore nécessairement à l'annulation de la
décision
attaquée. Pour qu'une telle sanction soit prononcée, la solution
litigieuse
doit en effet également être arbitraire dans son résultat (ATF 127 I
54
consid. 2b p. 56). Si un comportement contraire à la seule éthique ne
peut
justifier le refus d'indemniser le prévenu libéré des fins de la
poursuite
pénale, la jurisprudence a étendu la notion de comportement fautif à
la
violation de toute norme de comportement, écrite ou non, résultant de
l'ordre
juridique suisse dans son ensemble (ATF 119 Ia 332 consid. 1b p. 334;
116 Ia
162 consid. 2c p. 168). Le droit civil non écrit interdit de créer un
état de
fait propre à causer un dommage à autrui, sans prendre les mesures
nécessaires afin d'en éviter la survenance; celui qui contrevient à
cette
règle peut être tenu, selon l'art. 41 CO, de réparer le dommage
résultant de
son inobservation (ATF 126 III 113 consid. 2a/aa p. 115). Or, les
frais
directs et indirects d'une procédure pénale, y compris l'indemnité
qui doit
éventuellement être payée au prévenu acquitté, constituent un dommage
pour la
collectivité publique. De même, le droit de procédure pénal interdit
implicitement de créer sans nécessité l'apparence qu'une infraction a
été ou
pourrait être commise, car un tel comportement est susceptible de
provoquer
l'intervention des autorités répressives et l'ouverture d'une
procédure
pénale et, partant, de causer à la collectivité le dommage que
constituent
les frais liés à une instruction pénale ouverte inutilement. Il y a
comportement fautif, dans ce cas, lorsque le prévenu aurait dû se
rendre
compte, sur le vu des circonstances et de sa situation personnelle,
que son
attitude risquait de provoquer l'ouverture d'une enquête pénale
(arrêt non
publié du 31 mai 1994 cité par Antoine Thélin, L'indemnisation du
prévenu
acquitté en droit vaudois, JdT 1995 III p. 103/104).
Selon la jurisprudence, le fait de repousser quelqu'un violemment en
arrière
avec les deux bras et les deux mains, sans que les conditions de la
légitime
défense ne soient réalisées, est répréhensible et peut justifier
l'imputation
des frais de justice à son auteur en cas d'acquittement (cf. arrêt
non publié
du 12 mai 1987 cité par François Jomini, La condamnation aux frais de
justice
du prévenu mis au bénéfice d'un non-lieu ou de l'accusé acquitté, RPS
1990 p.
357). Il doit a fortiori en aller de même en l'occurrence où il est
établi
que A.________ a fait tomber J.________ au cours d'une violente
altercation,
indépendamment du point de savoir s'il a effectivement frappé le
plaignant au
visage, puis roué celui-ci de coups de pied au thorax et à la tête,
une fois
à terre. Le recourant a donc adopté un comportement fautif à
l'origine de
l'action pénale exercée contre lui, propre à justifier une réduction
de
l'indemnité due en application de l'art. 379 CPP gen.
Ce comportement n'a cependant pas eu d'incidence négative sur
l'ampleur et la
durée de la procédure et n'a pas occasionné de frais d'avocat
inutiles, de
sorte qu'une réduction de l'indemnité réclamée à ce titre par le
recourant à
1'000 fr. serait excessive. Eu égard au large pouvoir d'appréciation
reconnu
sur ce point à la Chambre pénale, il n'appartient
pas au Tribunal
fédéral de
fixer lui-même le montant de l'indemnisation fondée sur l'art. 379
CPP gen.
(cf. ATF 117 Ib 225 consid. 7a p. 235 et l'arrêt cité). L'arrêt
attaqué est
donc également arbitraire dans son résultat et doit être annulé, la
cour
cantonale étant invitée à rendre une nouvelle décision sur la base
d'une
appréciation objective des circonstances de l'espèce, en procédant à
une
nouvelle évaluation du montant de l'indemnité à allouer au recourant
pour ses
frais de défense.

3.
Les considérants qui précèdent conduisent à l'admission du recours,
ce qui
rend sans objet la demande d'assistance judiciaire présentée par le
recourant. L'Etat de Genève est dispensé de l'émolument judiciaire
(art. 156
al. 2 OJ); il versera en revanche une indemnité de dépens au
recourant qui
obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 1
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis; l'arrêt attaqué est annulé.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire

3.
Une indemnité de 1'500 fr. est allouée au recourant à titre de
dépens, à la
charge du canton de Genève.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant,
à l'Etat
de Genève et à la Chambre pénale de la Cour de justice du canton de
Genève.

Lausanne, le 22 juillet 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.301/2002
Date de la décision : 22/07/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-07-22;1p.301.2002 ?
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