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15/07/2002 | SUISSE | N°1P.222/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 juillet 2002, 1P.222/2002


{T 0/2}
1P.222/2002/col

Arrêt du 15 juillet 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

J. ________, recourant, représenté par Me Philippe Cottier, avocat,
place du
Molard 3, case postale 3199, 1211 Genève 3,

contre

la société T.________,
la société R.________, intimées, toutes deux représentées par Me
Olivier
Wehrli, avocat, case postale 5715, 1211 G

enève 11,
Y.________, représenté par Me Jean-Marie Crettaz, avocat, place de la
Taconnerie 3, 1204 Genève,
Juge d'instruc...

{T 0/2}
1P.222/2002/col

Arrêt du 15 juillet 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

J. ________, recourant, représenté par Me Philippe Cottier, avocat,
place du
Molard 3, case postale 3199, 1211 Genève 3,

contre

la société T.________,
la société R.________, intimées, toutes deux représentées par Me
Olivier
Wehrli, avocat, case postale 5715, 1211 Genève 11,
Y.________, représenté par Me Jean-Marie Crettaz, avocat, place de la
Taconnerie 3, 1204 Genève,
Juge d'instruction du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale 3344, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1,
case
postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 9, 13 al. 2 et 29 al. 2 Cst.; saisie probatoire de documents
bancaires

(recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre
d'accusation du
canton de Genève du 14 mars 2002)

Faits:

A.
Le 30 juin 1997, le Procureur général de l'Etat du Koweït a demandé à
la
Suisse l'entraide judiciaire pour les besoins d'une procédure pénale
ouverte
contre M.________ et divers tiers pour faux dans les titres,
détournement de
biens publics et abus de confiance, qui auraient été commis dans la
gestion
de sociétés publiques ou de sociétés détenant des fonds publics, parmi
lesquelles R.________ et T.________. La demande portait sur la remise
de la
documentation bancaire relative aux fonds détournés, acheminés sur des
comptes en Suisse.
Le magistrat requérant exposait notamment que le 4 octobre 1990, la
société
R.________ avait accordé un prêt de 300'000'000 dollars américains à
la
société P.________, dont le siège est à Jersey, déposé sur un compte
ouvert
auprès de la banque U.________, à Genève. Sur les fonds prêtés à cette
société, des sommes de respectivement 101'000'000 et 4'900'000 dollars
américains auraient été versées le même jour sur un compte ouvert
auprès de
la banque U.________, à Genève, dont M.________ était le titulaire
avec son
épouse; de même, une somme de 1,1 million de dollars aurait été
transférée
sur un compte ouvert auprès de la banque N.________, à Genève, au nom
d'une
société panaméenne B.________, dont L.________ est l'un des ayants
droit
économiques.
Dans le cadre de cette procédure, le Juge d'instruction du canton de
Genève
en charge du dossier (ci-après: le Juge d'instruction) a rendu le 14
juillet
1999 une ordonnance de perquisition et de saisie visant notamment le
compte
n° xxx, dont J.________ est titulaire auprès de la banque E.________,
à
Genève. En exécution de cette décision, cet établissement a
communiqué les
documents d'ouverture du compte, le relevé du compte courant au 31
mars 1991
ainsi que l'avis de crédit concernant un montant de 36 millions de
pesetas
versé le 28 décembre 1990 en provenance de la banque G.________, à
Genève.
Sur plainte des sociétés R.________ et T.________, qui se sont
constituées
parties civiles, le Procureur général du canton de Genève a ouvert,
le 9 juin
1998, une information préparatoire contre Y.________ des chefs de
blanchiment
d'argent, d'escroquerie et de faux dans les titres. Il lui était
reproché
d'avoir, en sa qualité de sous-directeur de la banque U.________ à
Genève,
sciemment oeuvré au détournement d'une somme de 300 millions de
dollars
américains dans le cadre de l'opération dite "P.________", en
particulier par
l'établissement d'une attestation bancaire indiquant faussement que
cet
argent se trouvait en dépôt fiduciaire auprès de banque U.________,
libre de
tout engagement, alors qu'en réalité, il était déposé en garantie
d'obligations contractées pour un montant identique. Y.________ a été
inculpé
le 13 novembre 1998.
Par ordonnance du 24 septembre 2001, le Juge d'instruction a confirmé
l'admissibilité de la demande d'entraide du 30 juin 1997 et décidé de
transmettre au Procureur général de l'Etat du Koweït les pièces
requises,
dont en particulier les documents remis par le banque E.________
concernant
le compte ouvert par J.________. Par décision du même jour, valant
ordonnance
de perquisition et de saisie au sens des art. 178 et suivants du Code
de
procédure pénale genevois (CPP gen.), notifiée aux banques
concernées, il a
ordonné l'apport à la procédure pénale ouverte contre Y.________ de la
documentation bancaire saisie dans le cadre de la procédure
d'entraide.
Le 22 octobre 2001, J.________ a recouru contre cette dernière
décision
auprès de la Chambre d'accusation du canton de Genève (ci-après: la
Chambre
d'accusation); il s'opposait à la saisie des documents bancaires
relatifs au
compte n° xxx ouvert auprès de la banque E.________, à Genève, au
motif que
la somme de 36 millions de pesetas versée sur son compte le 28
décembre 1990
concernerait une opération immobilière en Espagne sans rapport avec
les
infractions dénoncées dans la demande d'entraide de l'Etat du Koweït
et
faisant l'objet de la procédure pénale dirigée contre Y.________; il
s'opposait également à ce que les parties civiles puissent prendre
connaissance de ces pièces avant l'entrée en force de l'ordonnance de
clôture
dans la procédure d'entraide.
Par ordonnance du 14 mars 2002, la Chambre d'accusation a rejeté le
recours
après l'avoir joint à ceux formés contre la même décision par les
titulaires
et ayants droit économiques d'autres comptes bancaires. Malgré la
motivation
jugée insuffisante de la décision attaquée, elle a estimé que les
documents
versés à la procédure permettraient au Juge d'instruction d'étayer ses
investigations et qu'en l'état, il était difficile ou, à tout le
moins,
prématuré de vouloir restreindre la portée de l'ordonnance de saisie,
en tant
qu'elle concernait la documentation bancaire et les extraits des
comptes des
recourants. Elle a admis que cette décision était susceptible
d'engendrer des
actes d'entraide sauvage, mais qu'en l'absence de conclusions tendant
à faire
interdiction au Juge d'instruction et aux parties civiles de remettre,
directement ou indirectement, aux autorités koweïtiennes tout ou
partie des
pièces saisies dans la procédure nationale, il n'y avait pas lieu
d'ordonner
son annulation pour ce motif ou de l'assortir de charges ou de
conditions
particulières.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, J.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cette décision ainsi que l'ordonnance
rendue le 24
septembre 2001 par le Juge d'instruction dans la mesure où elle
ordonne
l'apport de documents bancaires se rapportant au compte no xxx ouvert
auprès
de la banque E.________ à Genève. Il voit une violation de son droit
d'être
entendu garanti à l'art. 29 al. 2 Cst. dans le fait que le Juge
d'instruction
n'a pas indiqué les motifs justifiant la saisie de ces documents et
que la
motivation de la Chambre d'accusation ne permet pas de réparer ce
vice. Il
reproche en outre à cette dernière autorité d'avoir arbitrairement
admis que
les documents saisis avaient un lien avec les faits reprochés à
Y.________ et
pouvaient être utiles à la procédure pénale dirigée contre celui-ci.
Il voit
enfin une ingérence inadmissible dans sa sphère privée protégée à
l'art. 13
Cst. dans la saisie des documents et leur divulgation aux parties
civiles.
La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de sa décision. Le
Juge
d'instruction et le Procureur général du canton de Genève concluent
au rejet
du recours. Les parties civiles proposent de le déclarer irrecevable,
subsidiairement de le rejeter. Y.________ déclare appuyer le recours
et ses
conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours
qui lui sont soumis (ATF 128 I 46 consid. 1a p. 48; 128 II 13 consid.
1a p.
16, 46 consid. 2a p. 47 et les arrêts cités).

1.1 L'arrêt attaqué confirme la saisie probatoire de documents
bancaires
ordonnée en application de l'art. 181 CPP gen. Il ne s'agit pas d'une
confiscation définitive au sens des art. 58 et 59 CP, dont la
violation
devrait être invoquée par la voie du pourvoi en nullité (art. 269
PPF; ATF
108 IV 154). Le recourant ne prétend par ailleurs pas que la décision
entreprise violerait ou éluderait les règles de l'entraide
internationale en
matière pénale (ATF 127 II 198 consid. 2a p. 201). Seule la voie du
recours
de droit public est dès lors ouverte en l'occurrence.

1.2 Selon l'art. 87 OJ, le recours de droit public est recevable
contre les
décisions préjudicielles et incidentes sur la compétence et sur les
demandes
de récusation, prises séparément. Ces décisions ne peuvent être
attaquées
ultérieurement (al. 1). Le recours de droit public est recevable
contre
d'autres décisions préjudicielles et incidentes prises séparément
s'il peut
en résulter un préjudice irréparable (al. 2). Lorsque le recours de
droit
public n'est pas recevable en vertu de l'alinéa 2 ou qu'il n'a pas été
utilisé, les décisions préjudicielles et incidentes peuvent être
attaquées
avec la décision finale (al. 3).
La décision de verser à la procédure pénale dirigée contre Y.________
les
pièces recueillies dans le cadre de la procédure d'entraide ouverte à
la
requête du Procureur général de l'Emirat du Koweït doit être
considérée comme
une décision incidente, car elle ne met pas fin à la procédure pénale
au
cours de laquelle elle a été prise (ATF 123 I 325 consid. 3b p. 327
et les
arrêts cités). La saisie de pièces ordonnée à titre exclusivement
probatoire
n'est en principe pas susceptible de causer un dommage irréparable à
leur
détenteur lorsque celui-ci est en mesure de faire valoir
ultérieurement le
défaut de pertinence de ces pièces devant l'autorité de jugement,
voire dans
un recours de droit public contre la décision finale (cf. arrêt du
Tribunal
fédéral 4P.117/1998 du 26 octobre 1998, consid. 1b/bb/bbb paru à la
SJ 1999 I
188; voir aussi Gérard Piquerez, La saisie probatoire en procédure
pénale, in
Wirtschaft und Strafrecht Festschrift für Niklaus Schmid, Zurich
2001, p.
674; Bernhard Sträuli, Pourvoi en nullité et recours de droit public
au
Tribunal fédéral, Berne 1995, p. 366). On peut se demander ce qu'il
en est
lorsque le propriétaire des documents saisis n'est pas partie à la
procédure
pénale. Cette question peut demeurer ouverte car la jurisprudence
admet
l'existence d'un tel préjudice lorsque la saisie porte sur des
documents
couverts par le secret bancaire (arrêts 1P.266/2000 du 23 août 2000,
consid.
1b partiellement reproduit à la RJJ 2000 p. 329, et 4P.117/1998 du 26
octobre
1998, consid. 1b/bb/bbb paru à la SJ 1999 I 188). Le recours est donc
recevable dans cette mesure.

1.3 En tant que titulaire du compte ouvert auprès de la banque
E.________ et
visé par l'ordonnance de saisie du Juge d'instruction du 24 septembre
2001,
le recourant a manifestement qualité pour agir au sens de l'art. 88
OJ. Les
autres conditions de recevabilité du recours de droit public sont au
surplus
réunies, de sorte qu'il convient d'entrer en matière sur le fond.

2.
Dans un argument d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier
lieu, le
recourant voit une violation de son droit d'être entendu garanti à
l'art. 29
al. 2 Cst. dans le fait que le Juge d'instruction n'a pas indiqué les
raisons
qui auraient justifié la saisie des documents bancaires concernant le
compte
qu'il a ouvert auprès de la banque E.________. La motivation retenue
par la
Chambre d'accusation n'aurait pas permis de corriger ce vice.

2.1 Le droit d'être entendu ancré à l'art. 29 al. 2 Cst. implique
notamment
pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision (ATF 126 I 97
consid. 2b
p. 102). La motivation d'une décision est suffisante lorsque
l'intéressé est
mis en mesure d'en apprécier la portée et de la déférer à une instance
supérieure en pleine connaissance de cause (ATF 122 IV 8 consid. 2c p.
14/15). Il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les
motifs qui
l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé son prononcé, sans qu'elle
soit
tenue de répondre à tous les arguments avancés (SJ 1994 p. 161
consid. 1b p.
163). L'étendue de l'obligation de motiver ne peut être fixée de
manière
uniforme. Selon les circonstances, elle pourra être sommaire; elle
dépend du
domaine considéré, de la complexité de la cause à juger, de la liberté
d'appréciation dont jouit le juge et de la gravité des conséquences
de sa
décision (ATF 112 Ia 107 consid. 2b p. 110; 111 Ia 2 consid. 4b p.
4). La
saisie étant une mesure provisoire destinée à sauvegarder
momentanément des
preuves, il n'est pas nécessaire que ses motifs soient détaillés (ATF
120 IV
297 consid. 3e p. 299).

2.2 En l'occurrence, le Juge d'instruction n'a effectivement pas
motivé son
ordonnance de saisie du 24 septembre 2001. Dans ses observations du 17
décembre 2001, il a cependant précisé que les documents bancaires
visés par
sa décision étaient de nature à expliquer ce qu'il était advenu de la
somme
de 300 millions de dollars américains placée à titre fiduciaire par la
société R.________ sur un compte ouvert auprès de la banque
U.________ à
Genève et détournée dans le cadre de l'opération P.________. Se
référant aux
observations individualisées et détaillées des parties
civiles, la
Chambre
d'accusation a pour sa part constaté que le compte du recourant avait
été
crédité à deux reprises en décembre 1990 et février 1991 des sommes
de 36
millions de pesetas en provenance d'un compte ouvert auprès de la
banque
G.________, à Genève, dont L.________ était le titulaire, compte qui
aurait
été alimenté par des fonds détournés dans le cadre des opérations
X.________
et P.________. Elle en a déduit que la documentation bancaire et les
extraits
du compte dont J.________ était titulaire auprès de la banque
E.________
étaient nécessaires à la recherche de la vérité et qu'en l'état, il
était
prématuré de vouloir restreindre la portée de l'ordonnance de saisie
litigieuse. Le recourant pouvait ainsi comprendre les raisons pour
lesquelles
les documents bancaires relatifs au compte qu'il détient auprès de la
banque
E.________, à Genève, avaient été saisis et versés à la procédure
pénale
dirigée contre Y.________, et attaquer la décision de saisie du 24
septembre
2001 en connaissance de cause. De ce point de vue, le droit d'être
entendu du
recourant n'a pas été violé. De même, en l'absence de règles
cantonales à ce
sujet, la Chambre d'accusation pouvait se fonder sur les explications
fournies par les parties civiles pour étayer sa décision sans violer
son
obligation de motiver (cf. art. 36a al. 3 OJ; voir aussi arrêt
6P.113/1999 du
24 février 2000, consid. 13 paru à la RVJ 2000 p. 294/295). La
question de
savoir si la motivation retenue était pertinente relève en revanche
de la
constatation des faits et non du droit d'être entendu.
Le grief tiré de la violation de l'art. 29 al. 2 Cst. est donc mal
fondé.

3.
Le recourant s'oppose à l'apport des documents relatifs au compte
dont il est
titulaire auprès de la banque E.________, à Genève, à la procédure
pénale
dirigée contre Y.________, au motif qu'ils n'auraient aucun rapport
avec les
faits reprochés au prévenu. Il dénonce à ce sujet une application
arbitraire
de l'art. 181 CPP gen., qui autorise le Juge d'instruction à saisir
tout
objet utile à la manifestation de la vérité.

3.1 S'agissant de juger d'une mesure provisoire fondée sur le droit
cantonal,
le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral est limité à l'arbitraire
(arrêt
1P.581/2000 du 8 décembre 2000, consid. 2a paru à la SJ 2001 I 201).
Une
décision est arbitraire, au sens de l'art. 9 Cst., lorsqu'elle viole
gravement une règle de droit ou un principe juridique clair et
indiscuté, ou
lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la
justice et
de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue
que si
celle-ci est insoutenable, en contradiction manifeste avec la
situation
effective, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en violation
d'un
droit certain. La décision doit apparaître arbitraire tant dans ses
motifs
que dans son résultat (ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56, 60 consid. 5b
p. 70 et
les arrêts cités).

3.2 Y.________ est soupçonné d'avoir activement participé au
détournement de
fonds appartenant aux parties civiles dans le cadre de l'opération
P.________
en établissant un document attestant faussement de l'existence d'un
prêt et
de s'être ainsi notamment rendu coupable d'un faux dans les titres et
de
blanchiment d'argent. Le recourant ne conteste pas que les éléments
permettant d'éclaircir le cheminement des fonds détournés au
préjudice des
intimées via la banque U.________ et son sous-directeur Y.________
présenteraient une utilité certaine pour dégager la responsabilité de
ce
dernier dans les infractions qui lui sont reprochées et que, dans
cette
perspective, il se justifie de verser à la procédure les
renseignements
concernant les comptes sur lesquels les fonds recherchés ont été
acheminés
ultérieurement. Le compte dont J.________ est titulaire auprès de la
banque
E.________ a été crédité les 28 décembre 1990 et 4 février 1991 de
deux
sommes de 36 millions de pesetas en provenance du compte dont
L.________est
titulaire auprès de la banque G.________, à Genève. Or, il existe de
forts
soupçons que ce compte ait été alimenté au moins partiellement par
des fonds
détournés dans le cadre de l'opération P.________, à laquelle
Y.________ est
soupçonné d'avoir participé activement en établissant un faux dans les
titres, via le compte ouvert auprès de la banque N.________, à
Genève, au nom
de la société panaméenne B.________, dont L.________ est l'un des
ayants
droit économiques. Le recourant prétend certes que la somme de 36
millions de
pesetas représenterait une part du montant que L.________ aurait reçu
en
contrepartie à la renonciation à une option que ce dernier avait sur
un
immeuble commercial à Madrid et qu'elle n'aurait ainsi aucun rapport
avec les
fonds détournés dans le cadre de l'opération P.________. Il a produit
l'acte
de renonciation conclu le 18 décembre 1990 entre L.________ et la
société
A.________. Il n'indique cependant pas à quel titre il a touché une
partie de
la somme remise à L.________ ni les raisons pour lesquelles il en a
redistribué une partie à des tiers. Les explications fournies par le
recourant nécessitent à tout le moins d'être vérifiées préalablement
et ne
permettent pas d'exclure en l'état une implication dans l'opération
P.________ et, partant, dans les infractions reprochées à Y.________
en
relation avec cette affaire. Si, après vérification, il appert que les
documents provisoirement saisis n'ont effectivement aucune relation
avec les
sommes d'argent que le prévenu aurait contribué à détourner au
détriment des
parties civiles, il appartiendra au Juge d'instruction de les
retrancher du
dossier.
En l'état, la Chambre d'accusation a donc à juste titre estimé que
l'apport à
la procédure pénale dirigée contre Y.________ des documents bancaires
relatifs au compte ouvert par le recourant auprès de la banque
E.________
pouvait présenter une certaine utilité à la manifestation de la
vérité et
qu'il était prématuré de lever la saisie de ces documents. Le grief
tiré
d'une application arbitraire de l'art. 181 CPP gen. est ainsi mal
fondé.

4.
Le recourant voit dans la mesure litigieuse une atteinte inadmissible
à sa
sphère privée, dont la protection est garantie à l'art. 13 Cst.
L'apport de documents contenant des données confidentielles ou soumis
au
secret bancaire dans une procédure pénale est de nature à porter
atteinte à
la sphère privée de leur détenteur dans la mesure où ces informations
seraient portées à la connaissance des juges, des parties, voire du
public
par la voie de la presse (arrêt 1P.79/2000 du 28 mai 2001, consid.
2d/dd
reproduit à la RDAT 2001 II n° 54 p. 214 et les références citées).
Pour être
autorisée, une telle mesure doit reposer sur une base légale
suffisante,
répondre à un intérêt public prépondérant et ne pas aller au-delà de
ce
qu'exige la sauvegarde de l'intérêt public considéré (cf. art. 36 al.
1, 2 et
3 Cst.; ATF 126 I 50 consid. 5a p. 61; 117 Ia 341 consid. 4 p. 345;
arrêt
1P.266/2000 du 23 août 2000, consid. 2b reproduit à la RJJ 2000 p.
329).
Ces conditions sont manifestement réalisées dans le cas particulier.
La
mesure contestée repose sur une base légale suffisante (art. 181 CPP
gen.);
elle est justifiée par l'intérêt public supérieur à l'élucidation des
faits
nécessaires à la procédure pénale et à la manifestation de la vérité;
elle ne
comporte enfin aucun caractère disproportionné au regard des intérêts
en
cause, seul l'apport intégral de la documentation bancaire relative
au compte
du recourant étant de nature à élucider le cheminement des fonds
détournés
dans le cadre de l'opération P.________. Elle respecte ainsi les
conditions
auxquelles est subordonnée toute atteinte à la sphère privée des
individus.
Pour le surplus, le recourant ne conteste pas la décision attaquée en
tant
qu'elle refuse, en l'absence de conclusion formelle en ce sens,
d'assortir
l'apport des documents saisis à la procédure pénale dirigée contre
Y.________
de charges ou de conditions particulières, telle la suspension du
droit des
parties de prendre connaissance en tout temps du dossier jusqu'à
l'entrée en
force de l'ordonnance de clôture du 24 septembre 2001, comme le
prévoit
l'art. 142 al. 4 et 5 CPP gen. En l'absence de tout grief à ce sujet,
il
n'appartient pas au Tribunal fédéral d'examiner d'office cette
question dans
le cadre d'un recours de droit public soumis aux exigences de l'art.
90 al. 1
let. b OJ (ATF 127 I 38 consid. 3c p. 43).

5.
Le recours doit par conséquent être rejeté dans la mesure où il est
recevable, aux frais du recourant qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Ce
dernier versera une indemnité de dépens aux intimées qui obtiennent
gain de
cause avec l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ). Y.________,
qui a
appuyé le recours et ses conclusions, n'a pas droit à des dépens. Il
en va de
même des autorités concernées (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Une indemnité de 1'000 fr. est allouée aux sociétés R.________et
T.________,
créancières solidaires, à titre de dépens, à la charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
au
mandataire de Y.________ ainsi qu'au Juge d'instruction, au Procureur
général
et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 15 juillet 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.222/2002
Date de la décision : 15/07/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-07-15;1p.222.2002 ?
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