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27/06/2002 | SUISSE | N°B.36/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 juin 2002, B.36/01


«AZA 7»
B 36/01 Mh

IIIe Chambre

MM. les juges Borella, Président, Meyer et Kernen.
Greffière: Mme von Zwehl

Arrêt du 27 juin 2002

dans la cause

Fondation Patrimonia, place Saint-Gervais 1, 1201 Genève,
recourante, représentée par Maître Corinne Monnard Séchaud,
avocate, rue Charles-Monnard 6, 1002 Lausanne,

contre

R.________, intimée, représentée par Maître Jacques
Borowsky, avocat, rue Ferdinand-Hodler 7, 1207 Genève,

et

Tribunal administratif du canton de

Genève, Genève

A.- R.________ souffre depuis 1979 d'une affection
ophtalmologique qui lui a fait partiellement perdre la
...

«AZA 7»
B 36/01 Mh

IIIe Chambre

MM. les juges Borella, Président, Meyer et Kernen.
Greffière: Mme von Zwehl

Arrêt du 27 juin 2002

dans la cause

Fondation Patrimonia, place Saint-Gervais 1, 1201 Genève,
recourante, représentée par Maître Corinne Monnard Séchaud,
avocate, rue Charles-Monnard 6, 1002 Lausanne,

contre

R.________, intimée, représentée par Maître Jacques
Borowsky, avocat, rue Ferdinand-Hodler 7, 1207 Genève,

et

Tribunal administratif du canton de Genève, Genève

A.- R.________ souffre depuis 1979 d'une affection
ophtalmologique qui lui a fait partiellement perdre la
vision de l'oeil droit. Malgré ce handicap, elle a toujours
occupé un emploi. Elle a ainsi travaillé en qualité de se-
crétaire pour le compte de la société X.________ SA dès le

1er mai 1990. Licenciée pour des raisons économiques avec
effet au 30 novembre 1995, elle est entrée au service d'un
nouvel employeur, la société Y.________ SA, à partir du
1er décembre 1995 avec un taux d'activité de 80 %. A ce
titre, elle a été affiliée en prévoyance professionnelle
auprès de la Fondation Patrimonia (ci-après: la fondation).
Dès le 9 juin 1996, elle a présenté une incapacité
totale de travail due à la combinaison de diverses affec-
tions. Par deux décisions du 12 février 1998, l'Office de
l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l'of-
fice AI) lui a alloué une demi-rente d'invalidité pour la
période du 1er décembre 1995 au 28 février 1997 et une
rente entière à partir du 1er mars 1997.
Egalement saisie d'une demande de prestations de la
part de l'assurée, la fondation a refusé d'y donner suite.
Elle a considéré, au vu de la date de la naissance du droit
à la rente fixée par l'AI, que R.________ était déjà «mala-
de» au moment de son engagement auprès de Y.________ SA, de
sorte que le cas d'assurance relevait de la responsabilité
de l'institution de prévoyance de son précédent employeur.

B.- Le 4 janvier 1999, l'assurée a ouvert action de-
vant le Tribunal administratif de la République et canton
de Genève contre la fondation, en concluant à l'octroi de
prestations d'invalidité. Elle faisait valoir que c'était
manifestement à tort que l'office AI lui avait octroyé une
demi-rente d'invalidité à partir du 1er décembre 1995; elle
avait en effet régulièrement exercé une activité profes-
sionnelle jusqu'au mois de juin 1996, date de la survenance
de son incapacité de travail. Or, à ce moment-là, elle
était affiliée à la Fondation Patrimonia, si bien qu'il
appartenait à cette dernière de répondre de son invalidité.

Après avoir appelé en cause X.________ SA, le tribunal
a admis la demande et renvoyé la cause à la Fondation
Patrimonia pour qu'elle verse à R.________ les prestations
d'invalidité dues (jugement du 6 mars 2001).

C.- La fondation interjette recours de droit adminis-
tratif, en concluant, sous suite de frais et dépens, prin-
cipalement, à l'annulation du jugement cantonal, subsidiai-
rement au renvoi de la cause au tribunal administratif pour
instruction et nouveau jugement.
R.________ conclut au rejet du recours. De son côté,
l'Office fédéral des assurances sociales renonce à se dé-
terminer.

Considérant en droit:

1.- a) Ont droit aux prestations d'invalidité les
personnes qui sont invalides à raison de 50 % au moins, et
qui étaient assurés lors de la survenance de l'incapacité
de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité
(art. 23 LPP). Selon la jurisprudence, l'événement assuré
au sens de l'art. 23 LPP est uniquement la survenance d'une
incapacité de travail d'une certaine importance, indépen-
damment du point de savoir à partir de quel moment et dans
quelle mesure un droit à des prestations d'invalidité est
né (ATF 123 V 263 consid. 1a, 118 V 45 consid. 5).

b) Conformément à l'art. 26 al. 1 LPP, les disposi-
tions de la LAI (art. 29 LAI) s'appliquent par analogie à
la naissance du droit aux prestations d'invalidité. Si une
institution de prévoyance reprend - explicitement ou par
renvoi - la définition de l'invalidité dans l'AI, elle est
en principe liée, lors de la survenance du fait assuré, par

l'estimation de l'invalidité des organes de l'assurance-
invalidité, sauf lorsque cette estimation apparaît d'emblée
insoutenable (ATF 126 V 311 consid. 1 in fine). Cette force
contraignante vaut non seulement pour la fixation du degré
d'invalidité (ATF 115 V 208), mais également pour la déter-
mination du moment à partir duquel la capacité de travail
de l'assuré s'est détériorée de manière sensible et durable
(ATF 123 V 271 consid. 2a et les références citées).
Dans le cas particulier, les conditions générales de
la fondation, ainsi que le plan de prévoyance auquel elles
renvoient, font mention du droit aux prestations en cas
d'invalidité, mais ne contiennent aucune disposition rela-
tive à la notion même d'invalidité. Il y a donc lieu de
s'en tenir à celle définie dans la LAI.

c) S'agissant par ailleurs de délimiter les responsa-
bilités respectives de deux institutions de prévoyance
auxquelles un assuré a été successivement affilié, la
jurisprudence a déduit de l'art. 23 LPP qu'il ne suffit
pas, pour que l'ancienne institution de prévoyance reste
tenue à prestations, que l'incapacité de travail ait débuté
à une époque où l'assuré lui était affilié, mais qu'il
devait en outre exister, entre cette incapacité de travail
et l'invalidité, une relation d'étroite connexité, tempo-
relle et matérielle.
Il y a connexité matérielle si l'affection à l'origine
de l'invalidité est la même que celle qui s'est déjà mani-
festée durant l'affiliation à la précédente institution de
prévoyance (et qui a entraîné une incapacité de travail).
La connexité temporelle implique qu'il ne se soit pas écou-
lé une longue interruption de l'incapacité de travail; elle
est rompue si, pendant une certaine période, l'assuré est à
nouveau apte à travailler. L'ancienne institution de pré-
voyance ne saurait, en effet, répondre de rechutes lointai-

nes ou de nouvelles manifestations de la maladie plusieurs
années après que l'assuré a recouvré sa capacité de tra-
vail. Mais une brève période de rémission ne suffit pas
pour interrompre le rapport de connexité temporelle (ATF
123 V 264 consid. 1c, 120 V 117 consid. 2c/aa).

2.- a) En l'occurrence, il ressort des questionnaires
remplis à l'intention de l'office AI par les médecins trai-
tants de l'intimée, que cette dernière présente plusieurs
affections dont l'origine remonte à des périodes différen-
tes. Ainsi, le docteur A.________, ophtalmologue, a-t-il
fait état d'une atteinte rétinienne à l'oeil droit depuis
1979 dont les suites - restées longtemps sans incidence sur
la capacité de travail de l'assurée - étaient susceptibles,
selon lui, d'entraîner dès 1995 une certaine diminution de
son rendement à cause du développement d'une presbytie im-
portante à l'oeil gauche (rapport du 5 novembre 1996); la
doctoresse B.________, psychiatre, d'une dépression majeure
dont elle a situé la genèse en automne 1995 (rapport du
23 octobre 1996); enfin, le docteur C.________, spécialiste
FMH en médecine interne, de troubles rhumatismaux (fibro-
myalgie) nécessitant un traitement médical depuis 1994
(rapport du 28 octobre 1996). Tous trois n'ont toutefois
attesté d'une incapacité de travail due aux affections pré-
citées que dès le mois de juin 1996.
Entendu en cours de procédure cantonale, le docteur
A.________ a encore précisé que si l'état des yeux de
R.________ était resté stable depuis 1995, à partir de
cette année-là, la reconnaissance d'une capacité de travail
diminuée de 20 % à 50 % dans sa profession de secrétaire
pouvait se justifier d'un point de vue médical, même si la
prénommée avait effectivement travaillé à un taux supé-
rieur; il a également ajouté qu'il avait prescrit une in-
capacité de travail de 100 % du 1er juin au 31 août 1995

sur la demande de l'intéressée, qui s'était plainte à
l'époque d'une fatigabilité accrue des yeux (cf. procès-
verbal du 15 décembre 1999).

b) Compte tenu de ces indications médicales, la déci-
sion de l'office AI fixant le droit de l'intimée à une
demi-rente d'invalidité au 1er décembre 1995 paraît mani-
festement insoutenable. Cette décision implique en effet de
considérer que l'intimée a subi, dès le 1er décembre 1994
déjà, une incapacité de travail d'une certaine ampleur.
Rien au dossier ne permet cependant de retenir une telle
conclusion puisque hormis la période allant du 1er juin au
31 août 1995, R.________ a exercé son activité auprès de la
société X.________ SA normalement (soit à 100 %), et ce
jusqu'à la fin de ses rapports de service au 31 novembre
1995. Certes, l'avis exprimé par le docteur A.________
montre que l'assurée a dû subir une diminution de son
acuité visuelle à la même époque; on ne saurait cependant
en inférer le début d'une invalidité. Ce n'est en effet pas
l'apparition des troubles comme telle qui fonde l'événement
assuré au sens de l'art. 23 LPP, mais bien la survenance
d'une incapacité de travail d'une certaine importance due à
l'affection invalidante (VSI 1998 p. 126 consid. 3c).
Partant, c'est en vain que la recourante s'est référée
à la date de la survenance de l'invalidité retenue par
l'office AI dans sa décision du 12 février 1998 pour refu-
ser ses prestations.

c) La recourante ne peut pas non plus obvier à sa res-
ponsabilité au motif que l'incapacité de travail survenue
chez R.________ dès le mois juin 1996 (soit durant la
période d'assurance) serait dans une relation d'étroite
connexité matérielle et temporelle avec celle qui s'est
manifestée du 1er juin au 31 août 1995 (date à laquelle la

prénommée était affiliée à l'institution de prévoyance de
son précédent employeur).
Des déclarations faites par le docteur A.________
devant les premiers juges, on peut retenir deux choses.
D'une part, que l'intimée souffre de longue date de
troubles de la vue qui se sont aggravés en 1995, au point
de justifier depuis lors une réduction de son aptitude à
travailler d'au moins 20 %. D'autre part, que la situation
médicale de l'intimée sur le plan strictement ophtalmolo-
gique n'a pas connu d'évolution significative entre 1995 et
1996. Or, force est de constater qu'à raison de ces seuls
troubles, R.________ n'a jamais présenté, avant ou après le
1er décembre 1995, une incapacité de travail propre à fon-
der une invalidité lui ouvrant le droit à des prestations
de la prévoyance professionnelle. L'arrêt de travail de
trois mois en été 1995 doit, à cet égard, être considéré
comme l'expression d'une aggravation passagère d'un état
pathologique préexistant. Après cet épisode, l'intimée a
d'ailleurs été en mesure de poursuivre son activité durant
plusieurs mois, d'abord à 100 %, par la suite à 80 %, sans
rencontrer de problèmes particuliers en relation avec ses
yeux. L'incapacité de travail pour laquelle l'intimée s'est
vue allouer une rente AI doit bien plutôt être imputée à
l'apparition de la grave dépression dont la doctoresse
B.________ a fait état dans son rapport du 23 octobre 1996.
Il est vrai que selon la psychiatre l'atteinte psychique
remonterait à l'automne 1995, soit à une époque où
R.________ n'était pas encore affiliée à la recourante;
toutefois, à ce moment-là, le trouble en cause n'avait en-
core aucune incidence sur sa capacité de travail.
Dans ces conditions, on ne peut pas retenir l'existen-
ce d'une connexité matérielle entre l'invalidité de l'inti-
mée et l'incapacité de travail survenue alors qu'elle tra-
vaillait au service de X.________ SA; la question de savoir

s'il existe également une relation de connexité temporelle
peut ainsi rester ouverte.

3.- Il suit de là que le recours de droit administra-
tif est mal fondé.
Vu la nature du litige, la procédure est gratuite
(art. 134). D'autre part, l'intimée, qui obtient gain de
cause, a droit à une indemnité de dépens à la charge de la
recourante (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e:

I. Le recours est rejeté.

II. Il n'est pas perçu de frais de justice.

III. La recourante versera à l'intimée une indemnité de
2'500 fr. (y compris la taxe à la valeur ajoutée) à
titre de dépens pour l'instance fédérale.

IV. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
Tribunal administratif du canton de Genève et à
l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 27 juin 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIIe Chambre:

La Greffière :


Synthèse
Numéro d'arrêt : B.36/01
Date de la décision : 27/06/2002
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-06-27;b.36.01 ?
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