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18/06/2002 | SUISSE | N°4P.29/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 18 juin 2002, 4P.29/2002


«/2»

4P.29/2002

Ie C O U R C I V I L E
****************************

18 juin 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Carruzzo.

_________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., représentée par Me Michel Lambelet, avocat,
à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 10 octobre 2001 la Cour d'appel des
prud'hommes du canton de Genève dans la cause qui oppose la
recourante à A.________, repr

ésenté par Me Catherine Gavin,
avocate, à Genève;

(art. 9 et 29 Cst.; appréciation des preuves; droit d'être
entendu; pro...

«/2»

4P.29/2002

Ie C O U R C I V I L E
****************************

18 juin 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Carruzzo.

_________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., représentée par Me Michel Lambelet, avocat,
à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 10 octobre 2001 la Cour d'appel des
prud'hommes du canton de Genève dans la cause qui oppose la
recourante à A.________, représenté par Me Catherine Gavin,
avocate, à Genève;

(art. 9 et 29 Cst.; appréciation des preuves; droit d'être
entendu; procédure civile genevoise)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X.________ S.A. est une société suisse spécia-
lisée dans la tuyauterie industrielle et la construction mé-
tallique.

A.________ a travaillé pour le compte de ladite
société, en qualité de soudeur spécialisé dans le domaine
pétrolier, à partir de septembre 1993. Auparavant, il avait
déjà travaillé pour elle, du 25 février au 11 juillet 1991,
sur la base d'un contrat de durée déterminée.

De mai 1996 à mars 1997, A.________ a travaillé sur
le chantier Z.________, à Genève. Il s'agissait d'un ouvrage
important (27 km de tuyauterie) et techniquement difficile,
nécessitant une main-d'oeuvre qualifiée. Initialement
devisés
à 800 000 fr., les travaux réalisés par X.________ S.A. ont
finalement coûté 1 300 000 fr.

Par pli recommandé du 18 mai 1998, X.________ S.A.
a signifié à A.________ son licenciement avec effet
immédiat,
lui reprochant notamment d'avoir abandonné son emploi. Le
travailleur a contesté le congé et réclamé en vain diverses
indemnités à son employeur.

B.- a) Le 16 juin 1998, A.________ a formé, contre
X.________ S.A., une demande visant au paiement de
79 107 fr. à titre d'arriérés de salaire et de diverses in-
demnités.

La défenderesse a soulevé sans succès l'exception
d'incompétence ratione loci.

La procédure relative à cette demande a abouti, en
dernier ressort, à un arrêt sur partie, rendu le 19 juin
2000, par lequel la Cour d'appel des prud'hommes du canton
de
Genève a condamné X.________ S.A. à payer à A.________ la
somme brute de 13 770 fr.

b) Entre-temps, plus précisément le 18 août 1998,
A.________ avait amplifié sa demande et réclamé le paiement
d'un montant supplémentaire de 50 000 fr., avec intérêts à
5%
dès le mois de mai 1998. Il avait produit, à cette fin, un
document établi sur papier à en-tête de l'entreprise,
imprimé
en offset au nom de X.________ S.A., qui comporte un texte,
situé au centre de la feuille, dactylographié au moyen d'une
machine à écrire électrique munie d'une touche correctrice
(deux corrections sont visibles dans le texte) et suivi d'un
timbre apposé avec un tampon encreur ainsi que d'une
signature paraissant être celle de B.________. Le texte
figurant sur ce document est libellé en ces termes:

"Je soussigné, B.________, m'engage à régler la
somme de SFr. 50'000.- à A.________, si
celui-ci termine le chantier de Z.________
comme prévu.

Fait à Y.________, le 4 juillet 1996."

Le 31 mars 1999, X.________ S.A., arguant cette
pièce de faux, a déposé plainte pénale contre A.________, en-
suite de quoi la procédure prud'homale a été suspendue.

Un premier classement de la procédure pénale a été
annulé par la Chambre d'accusation genevoise. L'expert en
graphologie, commis alors par le juge d'instruction, est ar-
rivé à la conclusion qu'il n'y avait aucun doute quant à
l'authenticité de la signature incriminée. Il a considéré
comme "envisageable" l'hypothèse d'un abus de blanc-seing,
tout en constatant qu'il n'y avait pas, en l'état, d'indice

technique permettant de la confirmer. A son avis, l'examen
du
ruban de la machine à écrire utilisée aurait peut-être
permis
de vérifier si le texte avait bien été dactylographié à la
date indiquée. Aussi le juge d'instruction a-t-il essayé,
mais en vain, de retrouver cette machine à écrire. Finale-
ment, la procédure pénale a été classée, en date du 14 décem-
bre 2000, par une ordonnance du Procureur général qui n'a
fait l'objet d'aucun recours et l'instruction de la cause ci-
vile a été reprise.

Par jugement du 10 mai 2001, le Tribunal des
prud'hommes a condamné la défenderesse à payer au demandeur
la somme nette de 50 000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le
3
juin 1998.

Statuant par arrêt sur partie du 10 octobre 2001,
la Cour d'appel des prud'hommes a confirmé le montant alloué
au demandeur, tout en précisant qu'il s'agissait d'une somme
brute et que les intérêts n'avaient commencé à courir que le
18 août 1998. Les juges d'appel ont considéré, en résumé,
que
la pièce produite par le demandeur valait reconnaissance de
dette au sens de l'art. 17 CO, partant qu'il incombait à la
défenderesse d'apporter la contre-preuve à cet égard. Ex-
cluant, sur le vu des expertises, que la signature
litigieuse
ait pu ne pas être authentique, ils ont alors examiné si les
indices fournis par la défenderesse permettaient
d'accréditer
la thèse de l'abus de blanc-seing. Ils ont abouti à la con-
clusion que tel n'était pas le cas et ont dès lors condamné
la défenderesse à verser au demandeur la somme de 50 000
fr.,
avec intérêts, à titre de prime.

C.- Parallèlement à un recours en réforme,
X.________ S.A. a déposé un recours de droit public. Elle y
invoque la violation des art. 9 et 29 Cst. pour conclure à
l'annulation de l'arrêt sur partie.

L'intimé propose le rejet du recours dans la mesure
de sa recevabilité. La Cour d'appel déclare persister dans
les termes de son arrêt.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le Tribunal fédéral examine d'office et li-
brement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF
128 II 13 consid. 1a, 46 consid. 2a).

L'arrêt sur partie rendu le 10 octobre 2001, à la
suite d'un premier arrêt du même type prononcé le 19 juin
2000, a mis un terme, sur le plan cantonal, au différend op-
posant la recourante à l'intimé. Il s'agit d'une décision fi-
nale (art. 86 al. 1 OJ) qui peut faire l'objet d'un recours
de droit public dans la mesure où la recourante invoque la
violation directe d'un droit de rang constitutionnel. En re-
vanche, eu égard à la valeur litigieuse de la présente con-
testation (art. 46 OJ), c'est par la voie du recours en ré-
forme que la recourante pouvait invoquer la violation du
droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ), de sorte que tous les
griefs relatifs à l'application de ce droit sont d'emblée
irrecevables dans la procédure du recours de droit public
(84
al. 2 OJ).

La recourante est personnellement touchée par la
décision attaquée, qui confirme sa condamnation à paiement,
de sorte qu'elle a un intérêt personnel, actuel et juridique-
ment protégé à ce que cette décision n'ait pas été prise en
violation de ses droits constitutionnels. En conséquence, el-
le a qualité pour recourir (art. 88 OJ).
Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans
la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), le recours
est
recevable.

b) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel in-
voqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF
127 I 38 consid. 3c; 127 III 279 consid. 1c; 126 III 524 con-
sid. 1c, 534 consid. 1b; 125 I 492 consid. 1b p. 495).

En l'occurrence, la recourante formule trois griefs
à l'encontre de l'arrêt attaqué. Elle soutient, en premier
lieu, que les preuves ont été appréciées d'une manière arbi-
traire. Elle se plaint ensuite de la violation de son droit
d'être entendue. Elle reproche enfin aux juges cantonaux
d'avoir méconnu une dispostion du droit de procédure
genevois
imposant la maxime d'office.

Il convient d'examiner successivement ces trois
griefs.

2.- a) L'interdiction de l'arbitraire, déduite de
l'art. 4 aCst., est expressément consacrée à l'art. 9 Cst.
Selon la jurisprudence rendue sous l'ancien droit et
toujours
valable (ATF 126 I 168 consid. 3a p. 170), l'arbitraire ne
résulte pas du seul fait qu'une autre solution que celle re-
tenue par l'autorité cantonale pourrait entrer en considéra-
tion ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral
ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci est
manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradic-
tion claire avec la situation de fait, qu'elle viole grave-
ment une norme ou un principe juridique clair et indiscuté
ou
encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment
de la justice et de l'équité. Pour qu'une décision soit annu-
lée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motiva-
tion formulée soit insoutenable; il faut encore que la déci-
sion apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 126 III
438
consid. 3 p. 440; 125 I 166 consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a
p. 15, 129 consid. 5b p. 134; 124 I 247 consid. 5 p. 250;
124
V 137 consid. 2b).

En matière d'appréciation des preuves, une juris-
prudence constante reconnaît au juge du fait un large
pouvoir
d'appréciation. Le Tribunal fédéral n'intervient, en consé-
quence, que si le juge cantonal a abusé de ce pouvoir, en
particulier lorsqu'il parvient à des conclusions manifeste-
ment insoutenables, lorsqu'il méconnaît des preuves pertinen-
tes ou qu'il n'en tient arbitrairement pas compte, lorsque
des constatations de fait sont manifestement fausses ou heur-
tent gravement le sens de la justice, enfin lorsque l'appré-
ciation des preuves est tout à fait insoutenable, soit lors-
qu'elle est fondée exclusivement sur une partie des moyens
de
preuve (ATF 120 Ia 31 consid. 4b; 118 Ia 28 consid. 1b; 112
Ia 369 consid. 3).

b) Il appartient à la partie recourante d'établir
la réalisation de ces conditions en tentant de démontrer,
par
une argumentation précise, que la décision incriminée est in-
soutenable (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 126 III 534 consid.
1b; 122 I 70 consid. 1c; 119 Ia 197 consid. 1d p. 201; 117
Ia
393 consid. 1c p. 395; 110 Ia 1 consid. 2a p. 3). Le
Tribunal
fédéral n'entre pas en matière sur des griefs motivés de fa-
çon insuffisante ou sur des critiques purement appellatoires
(ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495; 117 Ia 412 consid. 1c p.
415).

Dans un chapitre intitulé "Faits", la recourante
soumet au Tribunal fédéral, sous la forme de 36 allégués dé-
taillés couvrant une dizaine de pages, sa propre version des
circonstances de la cause, comme si elle agissait devant une
juridiction d'appel pouvant revoir librement les faits et
les
preuves qui les étayent. Procéder ainsi, c'est méconnaître
l'art. 90 al. 1 let. b OJ selon lequel l'acte de recours
doit
contenir "un exposé des faits essentiels". Par conséquent,
le
Tribunal fédéral fera abstraction des affirmations appella-
toires faites par la recourante dans ce chapitre pour se con-
centrer uniquement sur les allégations qui accompagent les

griefs articulés par l'intéressée dans la partie juridique
de
son mémoire de recours.

3.- La Cour d'appel a examiné, au considérant 2b de
son arrêt, les six indices que la recourante lui avait four-
nis à l'effet d'établir l'abus de blanc-seing imputé par
elle
à l'intimé. La recourante lui reproche de n'avoir pas retenu
que ce faisceau d'indices suffisait à éveiller des doutes
sur
ce point. Il convient de rechercher, sur le vu des seuls
griefs dûment motivés dans l'acte de recours, si la conclu-
sion à laquelle les juges d'appel ont abouti est entachée ou
non d'arbitraire.

a) aa) Le premier grief a trait au "rôle de l'inti-
mé sur le chantier". Selon la recourante, la Cour d'appel se-
rait tombée dans l'arbitraire en admettant que l'intimé
avait
assumé la direction des travaux pendant toute la durée du
chantier Z.________. Elle se serait mise en contradiction
avec une autre constatation faite par elle, aurait mal appré-
cié les déclarations des témoins et protagonistes, notamment
quant aux pouvoirs conférés au dénommé D.________, n'aurait
pas tenu compte d'un aveu judiciaire de l'intimé relatif au
fait que le véritable directeur des travaux était un certain
C.________ et, enfin, aurait renoncé sans raison valable à
procéder aux enquêtes nécessaires pour déterminer le rôle
exact de l'intimé sur le chantier Z.________.

bb) Selon la reconnaissance de dette litigieuse,
l'intimé avait droit à la prime stipulée s'il terminait le
chantier Z.________ comme prévu. Il ressort du texte même de
cet écrit que l'octroi de ladite prime n'était pas lié à la
position occupée par l'intimé sur le chantier en question et
qu'il ne dépendait notamment pas du fait que cette personne
assumât la direction des travaux. L'intimé lui-même assure
que la reconnaissance de dette ne lui a pas été remise ès
qualités et ses dires ne sont en rien infirmés par ceux de
la

recourante. Quant à la cour cantonale, elle retient que, eu
égard aux conséquences que pouvait entraîner un retard dans
la réalisation de travaux devisés à plusieurs centaines de
milliers de francs, il était dans l'intérêt de l'employeur
de
garder à son service "un employé compétent", qui désirait
quitter l'entreprise, par la promesse d'une importante grati-
fication. Elle paraît donc, elle aussi, ne pas vouloir subor-
donner le droit à la récompense prévue à la situation hiérar-
chique qu'occupait l'intimé sur le chantier Z._______, quand
bien même elle constate, par ailleurs, qu'il ne ressort pas
du dossier qu'une autre personne que l'intimé ait assumé la
direction des travaux.

Il appert de ces considérations que le rôle dévolu
à
l'intimé sur le chantier Z.________ n'est pas un fait juri-
diquement pertinent pour la solution du litige. Les
critiques
formulées sous cet angle par la recourante sont dès lors to-
talement impropres à établir que la décision attaquée serait
arbitraire dans son résultat.

Quoi qu'il en soit, de telles critiques tombent à
faux. Le reproche fait à la cour cantonale de n'avoir pas
instruit suffisamment la cause sur le problème controversé
n'a rien à voir avec l'appréciation des preuves, mais relève
du droit à la preuve ou de l'application du droit de procédu-
re cantonal. Quant à l'argument voulant que les juges
d'appel
se soient contredits en retenant, au considérant 2b ch. 7 de
leur arrêt (p. 13), que l'intimé était le directeur des tra-
vaux, alors qu'ils venaient de constater que celui-ci "n'as-
sumait aucune responsabilité particulière sur le chantier
Z.________" (ibid.), il procède soit d'une inadvertance mani-
feste, soit d'une évidente mauvaise foi. En effet, la mise
en
parallèle du passage cité et de celui qui figure sous let.
G., dernier tiret, du même arrêt (p. 4) démontre clairement
que les termes placés ci-dessus entre guillemets ne corres-
pondent pas à une constatation de la cour cantonale, mais

consistent dans le simple rappel des arguments énoncés par
la
recourante et déjà mentionnés dans le passage précité de la
partie "En fait" dudit arrêt. Pour le surplus, s'il faut con-
céder à la recourante que D.________ aurait pu théoriquement
être responsable du chantier Z.________, bien qu'il ne fît
pas partie de son personnel, il n'est pas du tout établi
qu'il l'ait été effectivement. C'est du reste le contraire
qui résulte des propres déclarations de la recourante, selon
lesquelles le véritable directeur des travaux était un cer-
tain C.________. Cependant, quoi qu'elle en dise, cette
dernière affirmation n'a pas fait l'objet d'un aveu judi-
ciaire de la part de l'intimé. A cet égard, la recourante,
non seulement n'indique pas en vertu de quelle disposition
du
droit de procédure genevois le silence gardé par une partie
face à une affirmation de l'autre devrait être qualifié
d'aveu judiciaire, mais, de surcroît, l'intimé démontre,
dans
sa réponse au recours, en se référant à une écriture déposée
en instance d'appel, qu'il a contesté formellement, devant
la
cour cantonale, les allégations de la recourante au sujet
des
responsabilités confiées au dénommé C.________.

b) La recourante formule, par ailleurs, une série
de critiques se rapportant directement à la reconnaissance
de
dette litigieuse.

aa) Dans ce contexte et à titre préalable, la re-
courante soutient que la cour cantonale "aurait dû examiner
le cas particulier en tenant compte de la jurisprudence du
Tribunal fédéral s'appuyant sur la théorie de Yung". Elle se
réfère, à ce propos, à un passage de la thèse présentée à
Genève en 1930 par Walter Yung et intitulée "La théorie de
l'obligation abstraite et la reconnaissance de dette non cau-
sée en droit suisse" (p. 149 ss). Selon elle, cet auteur in-
diquerait que la preuve, incombant au débiteur, de l'absence
de cause de la reconnaissance de dette est facilitée lorsque

le créancier adopte une attitude équivoque au mépris de la
bonne foi.

Le reproche fait aux juges d'appel de n'avoir pas
suivi la théorie de l'auteur précité, prétendument adoptée
par le Tribunal fédéral, n'a pas sa place dans un recours de
droit public. Le degré de la contre-preuve, au même titre
que
celui de la preuve, est en effet une question qui ressortit
au droit fédéral (art. 8 CC et 17 CO; Poudret, COJ, n. 4.6
ad
art. 43 OJ).

bb) Examinant ensuite l'écrit lui-même (p. 21 ss,
let. A), la recourante concentre son attention sur l'auteur
de l'engagement (let. A.1) et sur la cause de l'obligation
(let. A.2).

En ce qui concerne le premier problème, elle se
borne toutefois à avancer une série de faits - souvent ex-
trinsèques - censés étayer son point de vue, sans même pren-
dre le soin d'indiquer d'où elle les tire. L'argumentation
qu'elle développe est de nature purement appellatoire, de
sorte qu'elle échappe, comme telle, à l'examen de la juridic-
tion constitutionnelle. Aussi bien, la recourante se
contente
d'énumérer derechef, sans plus amples explications, les di-
vers indices qu'elle avait soumis à l'appréciation des juges
cantonaux, alors qu'il lui appartenait bien plutôt de préci-
ser en quoi les motifs, avancés par ceux-ci pour ne pas at-
tribuer à ces différents indices le même poids qu'elle,
étaient à ses yeux insoutenables. Elle devait aussi éventuel-
lement démontrer que si ces indices, pris individuellement,
ne revêtaient peut-être pas une force probante suffisante,
considérés dans leur ensemble, ils n'en formaient pas moins
un faisceau dont le caractère concluant ne pouvait pas être
exclu sans arbitraire. Au demeurant, comme l'intimé le souli-
gne dans sa réponse, la recourante allègue pour la première
fois devant le Tribunal fédéral que l'engagement de verser

les 50 000 fr. aurait été souscrit par B.________ à titre
personnel et non pas pour le compte de X.________ S.A. Il
s'agit là d'une allégation nouvelle, irrecevable dans un re-
cours fondé sur la violation de l'art. 9 Cst. (ATF 124 I 208
consid. 4b p. 212; 121 I 367 consid. 1b p. 370; 113 Ia 225
consid. 1b/bb p. 229 et les arrêts cités).

Relativement à la cause de l'obligation, la recou-
rante fonde son argumentation sur le fait que l'intimé n'au-
rait pas assumé lui-même la direction des travaux sur le
chantier Z.________. Comme on l'a déjà démontré, un tel fait
n'est pas pertinent en droit (cf. consid. 3a/bb ci-dessus).

La recourante fait encore valoir, quant au "délai
convenu" pour terminer le chantier, que la Cour d'appel ne
pouvait décider que cette condition suspensive, mentionnée
dans la reconnaissance de dette, était réalisée sans avoir
instruit au préalable la cause sur ce point. Savoir si la
condition suspensive qui affecte une obligation est réalisée
ou non sur le vu des faits retenus par la juridiction canto-
nale est un problème de droit, qui n'a rien à voir avec l'ap-
préciation des preuves. Est également étranger à celle-ci le
reproche fait à la cour cantonale de n'avoir pas instruit
suffisamment la cause sur la question du délai convenu pour
l'achèvement des travaux.

Pour le reste, la distinction captieuse proposée
par la recourante entre le fait, pour l'intimé, de finir le
chantier et celui de rester jusqu'à la fin du chantier est
totalement impropre à démontrer l'attitude contradictoire
que
la première prête au second.

cc) S'agissant du montant de la reconnaissance de
dette, la recourante affirme que la cour cantonale aurait ju-
gé invraisemblable qu'une prime de 50 000 fr. soit promise
pour un chantier devisé à 800 000 fr. Ce faisant, une fois
de

plus (voir déjà consid. 3a/bb ci-dessus) elle ignore, par
inadvertance, ou feint d'ignorer que les juges cantonaux
n'ont fait que rappeler, dans leur arrêt (consid. 2b ch. 7,
p. 13), son propre argument relatif au montant de la prime,
avant de le réfuter.

Dans la mesure où la recourante reproche aux juges
d'appel de n'avoir pas procédé à des enquêtes pour connaître
les pourcentages pratiqués dans la construction et pouvoir
comparer la prime litigieuse avec ceux-ci, elle soulève à
nouveau un moyen qui n'a rien à voir avec l'appréciation des
preuves.

En alléguant que cette prime équivaudrait à quelque
60% du salaire de l'intimé, la recourante avance un fait nou-
veau, irrecevable dans un recours de droit public, puis-
qu'aussi bien l'arrêt attaqué ne contient aucune
constatation
au sujet du salaire de l'intimé.

Que ce dernier n'ait pas envoyé un commandement de
payer pour les 50 000 fr. à l'époque où il avait terminé le
chantier Z.________ ne constitue pas une circonstance
déterminante, contrairement à l'avis de la recourante. En
effet, le travailleur pouvait avoir de bonnes raisons de ne
pas mettre en poursuite son employeur pendant la durée des
rapports de travail (cf. art. 341 al. 1 CO).

Pour le surplus, la cour cantonale a jugé plausible
l'explication donnée par l'intimé au fait qu'il n'avait ré-
clamé en justice le paiement des 50 000 fr. que deux mois
après avoir déposé sa demande touchant ses autres préten-
tions. On cherche en vain, dans l'acte de recours, une criti-
que dûment motivée de cette appréciation des dires de l'inti-
mé.

dd) La recourante consacre la dernière partie de
son argumentation concernant l'appréciation des preuves au
problème de la signature.

La première branche de son argumentation est inti-
tulée "Principe". Elle ne consiste qu'en un énoncé de cir-
constances, prétendument avérées, dont est absente toute ré-
férence précise aux passages topiques de la décision
attaquée
ou des éléments de preuve invoqués. C'est ainsi que la recou-
rante affirme péremptoirement que "le rapport de l'expert et
le rapport du service d'identification judiciaire attestent
que la possibilité de l'emploi abusif d'un blanc-seing est
hautement probable". Il ressort pourtant de l'arrêt attaqué
que les conclusions du Service d'identification judicaire
ont
abouti au classement (annulé par la suite) de la procédure
pénale et que l'expert en graphologie a estimé que l'hypothè-
se d'un abus de blanc-seing était "envisageable", mais qu'il
n'y avait aucun "indice technique" permettant de la soutenir.
La critique purement appellatoire de la recourante quant à
l'appréciation du rapport d'expertise faite par la cour can-
tonale n'est dès lors pas recevable.

Au demeurant, on ne voit pas en quoi le fait que la
recourante n'a pas invalidé la reconnaissance de dette et la
circonstance qu'elle a déposé une plainte pénale pour faux
dans les titres plutôt que pour contrainte constitueraient
des éléments de preuve décisifs propres à établir qu'il y
avait une haute probabilité que le texte du document incrimi-
né n'avait pas été rédigé par son signataire.

La reconnaissance de dette litigieuse porte la date
du 4 juillet 1996 et la mention de Y.________ (canton de
...). Or, à cette date, B.________ se trouvait à Brindisi
(Italie), selon une constatation de la cour cantonale qui
n'apparaît nullement insoutenable sur le vu des pièces qui
l'étayent et que l'intimé critique dès lors en pure perte.
Il

n'a donc pas pu signer le document litigieux ce jour-là à
Y.________ (canton de ...) ni la remettre le même jour à son
bénéficiaire. La Cour d'appel souligne, toutefois, que la
pratique des documents post ou antidatés était monnaie cou-
rante chez la recourante et elle en déduit que la date du 4
juillet n'est pas déterminante pour retenir un abus de blan-
c-seing de la part de l'intimé. De même, elle considère que
la divergence des déclarations de l'intimé concernant la
date
de remise du document en cause n'est pas significative,
compte tenu du temps écoulé. Ce raisonnement n'est pas mani-
festement insoutenable, même si les circonstances mises en
évidence par la recourante sont effectivement curieuses,
pour
reprendre le qualificatif utilisé par les juges cantonaux.
Il
l'est d'autant moins que l'on ne saurait conclure à la
légère
à l'existence d'un abus de blanc-seing, soit à la commission
d'une infraction pénale (art. 251 ch. 1 CP). La Cour d'appel
pouvait donc, sans arbitraire, ne pas franchir ce pas. On ne
peut d'ailleurs exclure l'hypothèse selon laquelle la
mention
du 4 juillet 1996 s'expliquerait par une simple erreur de
date commise par B.________. Quoi qu'il en soit, sous le
seul
angle de l'arbitraire, les déductions faites par les deux
instances cantonales résistent à l'examen.

En dernier lieu et toujours sur le mode appellatoi-
re, la recourante relève certaines divergences dans les dé-
clarations de l'intimé "quant à ses débuts" chez elle. Toute-
fois, on ne discerne pas en quoi le point de savoir quand
l'intimé a commencé à travailler pour la recourante serait
pertinent en droit, s'agissant d'établir l'existence d'un
abus de blanc-seing. Il appartenait à la recourante de le
démontrer, ce qu'elle n'a pas fait, si bien qu'il n'y a pas
lieu d'examiner plus avant cette question.

Force est d'admettre, en conclusion, que la cour
cantonale n'a pas apprécié les preuves dont elle disposait
de
manière insoutenable en arrivant à la conclusion que les in-

dices qui lui avaient été fournis n'étaient pas suffisants
pour éveiller des doutes quant à la réalité de la reconnais-
sance de dette litigieuse.

4.- La recourante allègue ensuite une violation de
son droit d'être entendue, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst.
A
l'en croire, la cour cantonale aurait méconnu ce droit en ne
lui permettant pas de faire entendre le dénommé C.________.

En tant qu'elle invoque une violation de son droit
à la preuve, la recourante soulève un moyen irrecevable, en
vertu de la subsidiarité du recours de droit public (art. 84
al. 2 OJ), attendu que cette garantie découle déjà de l'art.
8 CC.

Quoi qu'il en soit, il est constant que la recou-
rante n'a pas requis expressément l'audition de ce témoin.
Au
demeurant, l'absence de pertinence en droit du fait à
prouver
par cette audition - qui était le directeur des travaux? - a
déjà été soulignée plus haut (cf. consid. 3a/bb). En n'admi-
nistrant pas, sur un fait juridiquement non pertinent, une
preuve non régulièrement offerte, la cour cantonale n'a en
aucun cas violé le droit à la preuve de la recourante.

Supposé recevable, le grief en question serait
ainsi dénué de tout fondement.

5.- Dans un dernier moyen, la recourante se plaint
d'une application arbitraire de l'art. 29 de la loi
genevoise
sur la juridiction des
prud'hommes (LJP gen.), qui institue
la maxime d'office. A cet égard, elle reproche à la cour can-
tonale de n'avoir pas établi plus précisément le rôle des
différents protagonistes sur le chantier Z.________ et,
singulièrement, celui du dénommé C.________.

a) A teneur de l'art. 29 LJP gen., le tribunal éta-
blit d'office les faits, sans être limité par les offres de
preuve des parties. Contrairement à l'art. 343 al. 4 CO, qui
prévoit la maxime inquisitoire lorsque la valeur litigieuse
ne dépasse pas 30 000 fr., la disposition cantonale précitée
a introduit la maxime d'office sans limitation de la valeur
litigieuse.

Selon l'art. 66 LJP gen., sauf disposition contrai-
re du présent chapitre, les articles régissant la procédure
devant le tribunal sont applicables devant la Cour d'appel.
Cependant, à son art. 59 al. 3, la loi considérée apporte un
tempérament à son art. 29 en exigeant que l'écriture d'appel
mentionne expressément si une réouverture des enquêtes est
demandée et, dans ce cas, qu'elle indique la liste des té-
moins à entendre ou à réentendre ainsi que tout autre moyen
de preuve. Il faut en déduire que, pour les contestations
dont la valeur litigieuse dépasse 30 000 fr., la maxime in-
quisitoire est atténuée en appel par le devoir qui incombe à
la partie appelante de réclamer expressis verbis la réouver-
ture des enquêtes et, le cas échéant, d'indiquer les preuves
qu'elle entend faire administrer (sur l'application de la ma-
xime inquisitoire dans la procédure de recours cantonale
pour
les causes ne dépassant pas 30 000 fr., cf. ATF 107 II 233
consid. 3 confirmé par l'arrêt 4C.146/1995 du 1er février
1996, consid. 2a; voir aussi ATF 118 II 50 consid. 2a).

Au demeurant, la maxime inquisitoire ne constitue
pas une maxime officielle absolue; elle ne dispense pas les
parties d'une collaboration active à la procédure.

b) Dans le cas particulier, la recourante s'est
bornée à réclamer, devant la Cour d'appel, dans une conclu-
sion subsidiaire, la possibilité de prouver par toutes voies
utiles les faits allégués par elle. Semblable conclusion,

s'apparentant à une clause de style, ne satisfaisait manifes-
tement pas aux exigences de l'art. 59 al. 3 LJP gen.

Plus généralement, il apparaît que la recourante
n'a pas fait preuve de la collaboration requise des parties
même dans un litige soumis à la maxime inquisitoire, si bien
qu'elle est malvenue d'en imputer la faute aux juges canto-
naux.

De toute façon, les circonstances de fait qu'elle
souhaitait voir éclaircies n'étaient pas de nature à
modifier
l'appréciation juridique du cas, comme on l'a déjà souligné.

6.- Cela étant, le présent recours doit être rejeté
dans la mesure où il est recevable. Par conséquent, les
frais
et dépens qu'il a occasionnés seront supportés par son
auteur
(art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est
recevable;

2. Met un émolument judiciaire de 2500 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimé une
indemnité de 3000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux
mandataires des parties et à la Cour d'appel des prud'hommes
du canton de Genève (Cause n° C/16401/1998-1).

___________

Lausanne, le 18 juin 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.29/2002
Date de la décision : 18/06/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-06-18;4p.29.2002 ?
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