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13/06/2002 | SUISSE | N°5C.217/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 juin 2002, 5C.217/2001


«/2»
5C.217/2001

IIe C O U R C I V I L E
******************************

13 juin 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mmes Nordmann
et Hohl, juges. Greffière: Mme Mairot.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, défendeur et recourant, représenté par Me Anne
Reiser, avocate à Genève,

et

Y.________, demanderesse et intimée;

(action en revendication; prêt à usage)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les

f a i t s suivants:

A.- Les époux Z.________ étaient propriétaires d'un
immeuble à Corsier. Depuis 1984, ils avaient laissé l'usa...

«/2»
5C.217/2001

IIe C O U R C I V I L E
******************************

13 juin 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mmes Nordmann
et Hohl, juges. Greffière: Mme Mairot.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, défendeur et recourant, représenté par Me Anne
Reiser, avocate à Genève,

et

Y.________, demanderesse et intimée;

(action en revendication; prêt à usage)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Les époux Z.________ étaient propriétaires d'un
immeuble à Corsier. Depuis 1984, ils avaient laissé l'usage
de cet immeuble à leur petit-fils, X.________. En échange,
celui-ci avait mis un appartement à leur disposition, dont
il
assumait partiellement le paiement du loyer.

En 1988, lesdits époux ont fait donation de l'immeu-
ble précité à Y.________, leur fille et belle-fille, mère de
X.________; celle-ci en a laissé l'usage à son fils sans lui
réclamer de loyer. En 1999, à la suite du divorce de
X.________ et du départ de ses enfants de la maison de Cor-
sier, Y.________ a, dans un premier temps, demandé à son
fils
de lui payer un loyer, puis elle l'a enjoint de quitter les
lieux. X.________ a opposé une fin de non-recevoir à sa mère.

Le 16 mai 2000, Y.________ a ouvert action en re-
vendication contre X.________.

B.- Par jugement du 14 décembre 2000, le Tribunal de
première instance du canton de Genève a, préalablement, dé-
claré irrecevables les conclusions en paiement d'une indemni-
té pour occupation illicite de l'immeuble formulées par
Y.________. Au fond, il a condamné X.________ à évacuer immé-
diatement de sa personne et de ses biens l'immeuble sis à
Corsier.

Statuant le 15 juin 2001 sur l'appel de X.________,
la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève
a
confirmé le jugement de première instance.

C.- a) Agissant par la voie du recours en réforme au
Tribunal fédéral, X.________ conclut principalement à l'annu-
lation de l'arrêt du 15 juin 2001 et au renvoi de la cause à
l'autorité cantonale pour qu'elle complète les faits avant
de
statuer à nouveau, l'intimée étant déboutée de toutes
autres,
plus amples ou contraires conclusions. Subsidiairement, au
cas où il serait condamné à restituer le bien immobilier con-
sidéré à la demanderesse, il demande au Tribunal fédéral de
dire qu'il est fondé à en refuser la délivrance tant et
aussi
longtemps qu'elle ne lui aura pas remboursé les impenses
qu'il a faites.

L'intimée, alors représentée par un avocat, a déposé
une réponse dans laquelle elle conclut à ce qu'il lui soit
donné acte qu'elle ne s'oppose pas à un renvoi de la cause à
l'autorité cantonale pour compléter les constatations de
fait, et à ce qu'il soit dit que chacune des parties suppor-
tera elle-même ses propres frais.

b) Le recourant a également formé un recours de
droit public contre le même arrêt.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis,
en règle générale, à l'arrêt sur le recours en réforme jus-
qu'à droit connu sur le recours de droit public. En effet,
le
Tribunal fédéral ne saurait, comme autorité de réforme, modi-
fier ou confirmer un jugement cantonal susceptible d'être an-
nulé pour violation de droits constitutionnels. S'il devait
d'abord examiner le recours en réforme, son arrêt se substi-
tuerait à la décision cantonale, rendant ainsi sans objet le
recours de droit public, faute de décision susceptible
d'être
attaquée par cette voie. Cette disposition souffre toutefois

des exceptions dans des situations particulières, qui justi-
fient l'examen préalable du recours en réforme. Il en est
ainsi lorsque, comme en l'espèce, ce recours paraît devoir
être admis indépendamment de l'issue du recours de droit pu-
blic (ATF 122 I 81 consid. 1 p. 83; 120 Ia 377 consid. 1 p.
378/379 et les arrêts cités). Le recours en réforme sera dès
lors examiné en premier lieu.

2.- a) Interjeté en temps utile contre une décision
finale rendue par le tribunal suprême du canton, le recours
est recevable au regard des art. 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ. Il
l'est également selon l'art. 46 OJ (cf. arrêt 5C.258/1989 du
8 mai 1990, consid. 1), la valeur litigieuse dépassant mani-
festement 8'000 fr.

b) Le recourant se plaint principalement d'une vio-
lation de son droit à la preuve déduit de l'art. 8 CC. Formu-
lé dans ce cadre-là, le chef de conclusions tendant à l'annu-
lation de l'arrêt entrepris et au renvoi de la cause à l'au-
torité cantonale satisfait aux exigences de l'art. 55 al. 1
let. b OJ, car le Tribunal fédéral, en cas d'admission de ce
moyen, ne pourrait pas procéder lui-même aux constatations
de
fait nécessaires, mais devrait inviter la Cour de justice à
réparer la violation du droit à la preuve du défendeur (ATF
125 III 412 consid. 1b p. 414; 111 II 384 consid. 1 p. 386;
106 II 201 consid. 1 in fine; 103 II 267 consid. 1b p. 270).

3.- A l'appui de son grief de violation de l'art. 8
CC, le recourant reproche à l'autorité cantonale de n'avoir
pas ordonné l'interrogatoire des parties, ni l'audition de
témoins, au sujet de l'accord, passé oralement avec sa mère,
qui lui concéderait le droit de jouir gratuitement de l'im-
meuble litigieux jusqu'au décès de celle-ci. Il soutient
avoir expressément allégué et offert de prouver l'existence
d'un tel contrat viager tant en première qu'en deuxième ins-
tance, notamment dans son mémoire d'appel.

a) L'art. 8 CC confère à la partie chargée du far-
deau de la preuve la faculté de prouver ses allégations dans
les contestations relevant du droit civil fédéral (ATF 115
II
300 consid. 3 p. 303), pour autant qu'elle ait formulé un al-
légué régulier selon le droit de procédure, que les faits in-
voqués soient juridiquement pertinents au regard du droit ma-
tériel et que l'offre de preuve correspondante satisfasse,
quant à sa forme et à son contenu, aux exigences du droit
cantonal (ATF 122 III 219 consid. 3c p. 223 et les arrêts ci-
tés). A ce droit de la partie correspond un devoir de l'auto-
rité de prendre position sur les allégations et les offres
de
preuve qui lui sont soumises (ATF 106 Ia 161 consid. 2b p.
162 et l'arrêt cité).

b) La Cour de justice a considéré que le recourant
alléguait être au bénéfice d'un droit d'habitation et qu'il
estimait que son droit à la preuve avait été violé, dès lors
qu'il ne lui avait pas été possible de faire entendre des té-
moins sur ce point. Or le titre d'acquisition d'une telle
servitude - soumise aux règles de l'usufruit - était généra-
lement un contrat, qui devait en principe revêtir la forme
authentique; la constitution d'un droit d'habitation
exigeait
en outre une inscription au registre foncier. En l'occurren-
ce, aucun contrat constitutif de droit d'habitation n'avait
été signé et un tel droit n'était pas mentionné au registre
foncier. C'était dès lors à juste titre que le juge de pre-
mière instance n'avait pas procédé à une instruction sur ce
point, l'audition des parties ou de témoins ne pouvant en au-
cun cas être de nature à apporter un éclairage quelconque au
litige. L'autorité cantonale a relevé que le recourant avait
invoqué des accords, lui ayant conféré l'usage à titre gra-
cieux de la villa. Elle a cependant passé sous silence l'ar-
gumentation de celui-ci selon laquelle, dans l'hypothèse où
un droit d'habitation ne pourrait être retenu, il y aurait
lieu de considérer qu'il était au bénéfice d'un prêt à usage
de caractère viager, l'intimée lui ayant accordé oralement
le

droit de jouir gratuitement de la villa jusqu'à son décès,
ce
qu'il entendait démontrer par l'audition de témoins. Outre
la
comparution personnelle des parties et l'ouverture d'enquê-
tes, le recourant a demandé, dans son mémoire d'appel, à
être
acheminé à prouver par toute voie de droit les faits
allégués
dans son écriture.

c) On ne saurait considérer, eu égard aux questions
juridiques qui se posent en l'espèce, que les faits ainsi in-
voqués n'étaient pas pertinents pour la solution de la pré-
sente cause. En effet, le prêt à usage est un contrat par le-
quel le prêteur s'oblige à céder à l'emprunteur l'usage
d'une
chose que l'emprunteur s'engage à lui rendre après s'en être
servi (art. 305 CO). Il s'agit donc d'un contrat qui porte
sur la cession de l'usage d'une chose pendant une certaine
durée. Les art. 309 à 311 CO règlent la durée du contrat, la
résiliation anticipée et le congé ordinaire. Selon l'art.
309
CO, lorsque la durée du contrat n'a pas été fixée convention-
nellement, le prêt à usage prend fin aussitôt que l'emprun-
teur a fait de la chose l'usage convenu, ou par l'expiration
du temps dans lequel cet usage aurait pu avoir lieu (al. 1).
Le prêteur peut toutefois réclamer la chose, même
auparavant,
si l'emprunteur en fait un usage contraire à la convention,
s'il la détériore, s'il autorise un tiers à s'en servir, ou
enfin s'il survient au prêteur lui-même un besoin urgent et
imprévu de la chose (al. 2). L'art. 310 CO prévoit que le
prêteur est libre de réclamer la chose quand bon lui semble
si le prêt a été fait pour un usage dont ni le but ni la du-
rée ne sont déterminés. Enfin, le contrat étant conclu en
considération de sa personne, la mort de l'emprunteur met
fin
au contrat (art. 311 CO). En revanche, en cas de décès du
prêteur, le contrat se poursuit avec ses héritiers (cf. no-
tamment Tercier, Les contrats spéciaux, 2e éd., n. 2336 p.
285).

Selon la jurisprudence, les art. 309 et 310 CO doi-
vent être interprétés de la manière suivante. Si la durée du
prêt a été déterminée, par un terme, une durée ou l'usage
convenu, les parties sont liées par cet accord et le prêteur
ne peut réclamer sa chose de façon anticipée qu'aux condi-
tions de l'art. 309 al. 2 CO. En revanche, si la durée du
prêt ne peut être déterminée ni par la convention des par-
ties, ni par l'usage convenu, le prêteur peut réclamer la
chose en tout temps, en application de l'art. 310 CO (ATF
125
III 363 consid. 2h p. 366/367 et les références). Un contrat
est conclu pour une "durée déterminée" non seulement quand
la
date de son expiration peut être fixée d'avance d'après des
unités de temps, mais encore quand la fin du contrat dépend
de l'arrivée d'un événement déterminé, pourvu qu'il soit cer-
tain que cet événement se produira et cela dans un avenir
prévisible (ATF 56 II 189 ss). En ce qui concerne les engage-
ments de longue durée, la jurisprudence et la doctrine
posent
le principe qu'un engagement de nature purement obligatoire
ne saurait être conclu ni maintenu "pour l'éternité", seuls
les droits réels pouvant et étant destinés à procurer d'une
façon durable l'usage d'une chose (ATF 114 II 159 consid. 2a
p. 161 et les références). Mais il n'y a pas de durée
maximum
pour tous les cas. Cette durée dépend de la nature et de
l'intensité de l'engagement en cause, ainsi que des circons-
tances de l'espèce (Grossen, Les personnes physiques, Traité
de droit civil suisse, Tome II, 2, p. 14). Un contrat
d'usage
conclu pour la vie de l'un des contractants est en principe
admissible, dès lors qu'il ne comporte que la renonciation à
la disposition d'une certaine chose pendant une durée
limitée
(ATF 56 II 189 précité, p. 191).

Il appartenait ainsi à la cour cantonale de définir
si les parties avaient conclu un prêt à usage de durée déter-
minée ou indéterminée, les règles d'extinction du contrat
n'étant pas les mêmes dans les deux cas. La régularité des
allégués et des offres de preuve du recourant n'étant pas

contestée au regard du droit cantonal de procédure, la Cour
de justice a dès lors violé l'art. 8 CC. Il convient par con-
séquent de lui renvoyer la cause (art. 64 al. 1 OJ) pour
qu'elle se prononce à nouveau en se conformant aux motifs ci-
dessus, c'est-à-dire en permettant au recourant d'apporter
la
preuve de la durée viagère du contrat. Elle statuera ensuite
sur l'existence d'un tel contrat et jugera en conséquence.
Il
n'y a donc pas lieu d'examiner les autres moyens soulevés
par
le recourant.

4.- En conclusion, le recours doit être admis, l'ar-
rêt entrepris annulé et l'affaire renvoyée à l'autorité can-
tonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Le recourant obtient gain de cause, de sorte qu'il
n'a pas à supporter de frais judiciaires ni de dépens (art.
156 al. 1 et 159 al. 1 OJ). De son côté, l'intimée - qui a
déposé une réponse par l'intermédiaire d'un mandataire pro-
fessionnel - relève avec raison qu'elle n'est nullement res-
ponsable du défaut d'administration des preuves concernées,
à
laquelle elle n'a pas fait obstacle; elle ne s'oppose pas
non
plus au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour com-
pléter les constatations de fait. En refusant d'administrer
des preuves offertes conformément à la loi cantonale de pro-
cédure, portant sur des faits régulièrement allégués et ju-
ridiquement pertinents, la Cour de justice a enfreint une rè-
gle claire et fondamentale. Il se justifie par conséquent de
mettre exceptionnellement l'émolument judiciaire à la charge
du canton de Genève (ATF 87 IV 45 consid. 4 p. 48; J.-F. Pou-
dret, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciai-
re, n. 3 ad art. 156, p. 145). Ce dernier versera en outre
une indemnité de dépens à chacune des parties (art. 156 al.
6
OJ, applicable selon l'art. 159 al. 5 OJ; arrêts 5P.378/1997
du 18 novembre 1997; 5C.221/1994 du 24 février 1995;
5P.226/1994 du 14 septembre 1994).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours, annule l'arrêt entrepris et

renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle déci-
sion dans le sens des considérants.

2. Met un émolument judiciaire de 1'500 fr. à la
charge du canton de Genève.

3. Condamne le canton de Genève à payer une indem-
nité de 1'500 fr. au recourant et une indemnité de 500 fr. à
l'intimée, à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève.

__________

Lausanne, le 13 juin 2002
MDO/frs
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.217/2001
Date de la décision : 13/06/2002
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-06-13;5c.217.2001 ?
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