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06/06/2002 | SUISSE | N°4P.59/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 juin 2002, 4P.59/2002


«/2»

4P.59/2002

Ie C O U R C I V I L E
****************************

6 juin 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme de Montmollin.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________, représentée par Me Alain Lévy, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 18 janvier 2002 par la Chambre civile de la
Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose la recou-
rante à X.________, représen

tée par Me Pierre Du Pasquier,
avocat à Genève;

(arbitraire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t ...

«/2»

4P.59/2002

Ie C O U R C I V I L E
****************************

6 juin 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme de Montmollin.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________, représentée par Me Alain Lévy, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 18 janvier 2002 par la Chambre civile de la
Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose la recou-
rante à X.________, représentée par Me Pierre Du Pasquier,
avocat à Genève;

(arbitraire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Au début de l'année 1988, A.________ a fait la
connaissance à Genève de B.________ et de C.________, venus
des Etats-Unis, qui lui ont dit qu'ils s'occupaient d'une
affaire internationale relative à des métaux précieux im-
pliquant la société Y.________ Limited (ci-après:
Y.________). C.________ a présenté A.________ à D.________,
qui était à l'époque directeur de la succursale genevoise de
X.________ et également trustee de Y.________.

Avant même l'arrivée des deux hommes d'affaires à
Genève, A.________, désireuse de leur venir en aide, a effec-
tué des démarches pour trouver un appartement et elle a re-
connu qu'elle avait fait diverses avances de fonds, dans
l'espoir d'être engagée par eux.

En février 1988, à la suite de son intervention, un
bail a été conclu portant sur un appartement à Genève.

Ce contexte a donné lieu à trois litiges distincts
entre A.________ (ci-après: la demanderesse) et X.________
(ci-après: la banque).

Le premier litige concerne une garantie bancaire en
relation avec les sûretés exigées par le bailleur. Il a été
tranché définitivement par un arrêt du Tribunal fédéral du
2 novembre 2001, qui a confirmé le rejet des prétentions de
la demanderesse (cause 4C.183/2001). Seuls les deux autres
différends font l'objet de la présente procédure.

Le deuxième litige concerne le paiement de trois mois
de loyer pour l'appartement. Il ressort des pièces produites
que la demanderesse a ouvert un compte auprès de la banque
le
6 octobre 1988 et qu'elle a prélevé, le même jour, 10 800
fr.
qu'elle a reversés sur le compte dont elle était titulaire à
Z.________. Deux jours après, elle s'est fait remettre par
Z.________ un chèque bancaire de 10 800 fr. à l'ordre du
bailleur, qui a reçu le chèque le 10 octobre 1988 en
paiement
de trois mois de loyer. La demanderesse ne conteste pas que
cet argent a été avancé par la banque, mais elle soutient
que
l'emprunt était simulé, pour cacher l'intervention de la
banque dans cette affaire. Cette dernière conteste que la
qualité d'emprunteuse de la demanderesse soit simulée.
Compte
tenu de la situation conflictuelle, elle a renoncé à
réclamer
cette somme à sa cliente, mais elle a opéré une compensation
avec un montant de 4000 fr. versé sur le compte de la deman-
deresse et dont celle-ci lui réclame paiement.

Le troisième litige porte sur une somme de 57 000 fr.
Le 25 août 1988, B.________ a remis 57 000 fr. à la banque,
en lui donnant pour instructions, par lettre, de transférer
ces fonds à Y.________ à quatre conditions alternatives.
Selon les documents produits, l'argent a été crédité sur un
compte intitulé "clients de passage", parce que B.________
n'avait alors pas de compte auprès de la banque. Selon le
journal de la banque du 12 septembre 1988, les 57 000 fr.
ont
été virés à cette date sur le compte de Y.________, valeur
27
août 1988. Au bénéfice d'une cession de créance du 11
juillet
1994, la demanderesse soutient que la banque a violé les ins-
tructions de son mandant et qu'elle est redevable de la
somme
de 57 000 fr. La banque prétend au contraire que B.________,
après le dépôt de la somme, a donné l'ordre oral de transfé-
rer le montant en question.

B.- Le 6 décembre 1995, A.________ a assigné la
banque devant les tribunaux genevois. Elle a conclu au paie-
ment de 57 000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 25 août
1988 et de 4000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 28 juin
1989.

Par jugement du 17 mai 2001, le Tribunal de première
instance du canton de Genève a entièrement rejeté l'action.

Statuant sur appel de la demanderesse le 18 janvier
2002, la Chambre civile de la Cour de justice a confirmé le
jugement du 17 mai 2001.

C.- A.________ interjette un recours de droit public
au Tribunal fédéral. Invoquant l'interdiction de l'arbi-
traire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt du 18 janvier
2002. L'effet suspensif, qu'elle sollicite également, lui a
été refusé par ordonnance du 28 février 2002.

L'intimée conclut au rejet du recours, à la confirma-
tion de l'arrêt attaqué et, subsidiairement, à la compensa-
tion avec diverses créances alléguées.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Hormis certaines exceptions - qui ne sont pas
réalisées en l'espèce -, le recours de droit public n'a
qu'un
caractère cassatoire et ne peut tendre qu'à l'annulation de
la décision attaquée (ATF 127 II 1 consid. 2c; 127 III 279
consid. 1b; 126 III 534 consid. 1c; 124 I 327 consid. 4a).

b) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel in-
voqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF
127 I 38 consid. 3c; 127 III 279 consid. 1c; 126 III 524
consid. 1c, 534 consid. 1b; 125 I 492 consid. 1b).

2.- a) La recourante n'invoque qu'un seul grief, à
savoir l'interdiction de l'arbitraire prévue par l'article 9
Cst.

Selon la jurisprudence, l'arbitraire ne résulte pas
du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en consi-
dération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédé-
ral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci
est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contra-
diction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gra-
vement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou en-
core lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de
la justice et de l'équité; l'annulation d'une décision pour
cause d'arbitraire ne suppose pas seulement que la
motivation
formulée soit insoutenable; il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 127 I 56
consid.
2b; 126 I 168 consid. 3a; 125 I 166 consid. 2a; 124 I 247
consid. 5; 124 V 137 consid. 2b).

S'agissant plus précisément de l'appréciation des
preuves et de l'établissement des faits, la décision est ar-
bitraire si le juge n'a manifestement pas compris le sens et
la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sé-
rieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modi-
fier la décision attaquée ou encore si, sur la base des élé-
ments recueillis, il a fait des déductions insoutenables.

b) En ce qui concerne le prêt de 10 800 fr., la dem-
anderesse (recourante) ne conteste pas avoir reçu cette
somme
de la banque. Elle admet également avoir ouvert en son
propre

nom un compte auprès de la banque le même jour. Les deux
faits sont dans une relation chronologique étroite. La recou-
rante n'explique pas pourquoi elle aurait ouvert le compte
ce
jour-là, si ce n'est en relation avec la remise de l'argent
par la banque. On doit raisonnablement en déduire que l'ou-
verture du compte en son propre nom était une condition mise
par la banque pour le versement des fonds. La recourante a
ensuite versé l'argent reçu sur son propre compte auprès
d'une autre banque, ce qui corrobore l'impression générale
qu'elle agissait en son propre nom. Elle a fait émettre un
chèque, par le débit de son compte, grâce auquel elle a payé
les trois mois de loyer.

Sachant qu'elle était par ailleurs intervenue pour
que les hommes d'affaires américains obtiennent le bail et
qu'elle leur avait avancé de l'argent, on peut en déduire
raisonnablement qu'elle agissait dans le même esprit, ayant
l'espoir d'être engagée par eux. Ce mobile est parfaitement
crédible et se déduit des déclarations faites par la recou-
rante elle-même.

La recourante tente de soutenir qu'elle n'était
qu'une emprunteuse simulée. Il est vrai que la simulation
peut porter sur l'identité du cocontractant (arrêt
5C.127/2001 du 26 octobre 2001, consid. 2; arrêt 4C.296/1995
du 26 mars 1996, consid. 6a, SJ 1996 p. 554 ss/p. 559). On
ne
saurait cependant admettre trop facilement que les déclara-
tions ou attitudes des parties ne correspondent pas à leur
volonté réelle. Le juge doit se montrer exigeant en matière
de preuve d'une simulation, dont le fardeau incombe à celui
qui l'invoque (arrêt B 50/97 du 5 mars 1998, consid. 2b; cf.
aussi: ATF 112 II 337 consid. 4a).

La recourante s'efforce d'expliquer qu'il pouvait y
avoir des raisons de la faire apparaître comme prête-nom.
Elle n'invoque cependant aucun moyen de preuve qui démontre-
rait que ces raisons ont joué un rôle lors de la remise de
l'argent. En expliquant pourquoi une simulation aurait pu
être convenue en l'espèce, la recourante ne fait qu'opposer
une hypothèse à l'arrêt cantonal; elle n'apporte pas la
preuve qu'une telle simulation a été effectivement convenue.

Quant à la renonciation de la banque à poursuivre la
recourante pour ce prêt, elle peut parfaitement s'expliquer
par le désir de ne pas entreprendre une nouvelle procédure
contre la recourante pour un montant plutôt modeste, à
savoir
10 800 fr. de prêt sur lesquels 4000 fr. ont été récupérés
par compensation. Les circonstances de cette renonciation
n'apportent pas la preuve d'une simulation.

La première réclamation de la recourante, par lettre
datée du 9 janvier 1989, est sensiblement postérieure à la
remise de l'argent, de sorte qu'elle est impropre à prouver
une simulation. On peut tout aussi bien imaginer que la re-
courante a été dans l'intervalle déçue, d'une manière ou
d'une autre, par l'un ou l'autre des hommes d'affaires amé-
ricains.

L'absence de quittance signée n'est pas davantage une
preuve de simulation. En effet, il aurait pu se justifier de
faire signer une quittance lors de la remise des fonds, même
en cas de prêt simulé. Les difficultés et conflits survenus
par la suite entre les parties n'apportent aucun élément dé-
cisif en faveur de la thèse d'une simulation.

Que le même directeur de banque ait conclu un prêt
simulé avec un tiers ne permet pas d'affirmer que le prêt
d'espèce a été simulé.

En concluant que la recourante n'avait pas apporté la
preuve d'une simulation, la cour cantonale n'a pas apprécié
les preuves d'une manière arbitraire.

c) En ce qui concerne le transfert de 57 000 fr., la
recourante agit en qualité de cessionnaire des droits du ti-
tulaire du compte. Elle soutient que la banque a violé les
instructions reçues de son mandant.

La banque, suivie par les autorités cantonales, pré-
tend que le client a modifié ses premières instructions écri-
tes par un ordre oral.

Le directeur de la succursale a affirmé qu'il avait
reçu un tel ordre oral. Bien qu'elle ait déposé plainte, la
recourante n'a pas prouvé la fausseté de ce témoignage par
une condamnation pénale.

Entendu dans la procédure pénale, l'autre homme d'af-
faires américain a affirmé que le directeur de la succursale
avait téléphoné au titulaire du compte pour s'assurer qu'il
était d'accord, au vu de l'évolution de la situation, que
l'argent soit transféré; c'est alors seulement que le
montant
a été viré, soit deux ou trois semaines après le 25 août
1988. Cette déclaration corrobore le témoignage du directeur
de la succursale en ce sens que le client aurait donné de
nouvelles instructions par téléphone en raison de
l'évolution
de la situation.

Selon le journal tenu par la banque, les 57 000 fr.
ont été inscrits le 26 août 1988 sur le compte "clients de
passage" et ils n'ont été transférés à Y.________ que le
12 septembre 1988. Ces éléments documentaires viennent égale-
ment confirmer le témoignage du directeur de la succursale
et
la déclaration de l'autre homme d'affaires selon lesquels le
virement n'a pas eu lieu immédiatement.

Le témoignage du directeur de la succursale est donc
confirmé partiellement aussi bien par une autre déclaration
que par des preuves documentaires. Dans ces circonstances,
on
ne peut pas dire que la cour cantonale soit tombée dans l'ar-
bitraire en retenant l'affirmation du témoin selon laquelle
le transfert s'est fait quelque temps plus tard parce que le
client en a donné l'ordre par téléphone, revenant sur ses
précédentes instructions écrites au vu de l'évolution de la
situation.

Que le client ait rempli ou non un formulaire lors de
la remise des 57 000 fr. le 25 août 1988 est sans pertinence
pour dire s'il a ou non donné par téléphone l'ordre de trans-
férer cette somme quelque temps plus tard.

Le client, qui a cédé la créance litigieuse à la re-
courante, semble affirmer, dans un simple fax, qu'il n'a ja-
mais modifié ses instructions écrites; dès lors qu'il n'est
pas venu témoigner en justice, on ne saurait croire cette
version sur la base de cette seule pièce.

On ne voit pas quelle disposition légale ou quelle
clause contractuelle interdisait à la banque de tenir compte
d'un ordre donné par téléphone. Même si la banque s'est écar-
tée des usages, cela ne permet pas d'affirmer que l'ordre
n'a
pas été donné.

Savoir si la banque pouvait garder la somme sur le
compte "clients de passage" ou devait ouvrir un autre compte
n'importe guère, puisqu'il ne s'agit pas là d'un acte domma-
geable dont la recourante puisse déduire une créance. La seu-
le question déterminante est de savoir si le client a donné
ou non, par la
suite, l'ordre de transférer les fonds sur le
compte de Y._______.

Que la banque ait ou non mis des fonds à disposition
de Y.________ avant le transfert des 57 000 fr. n'est pas
décisif. Aussi longtemps que la somme restait sur le compte
"clients de passage" au crédit du client, celui-ci ne subis-
sait aucun préjudice; si celui-ci n'avait pas consenti au
transfert envisagé dès l'origine, la banque aurait été cré-
ancière de Y.________; on ne peut en déduire aucun argument
déterminant en faveur d'une absence d'instruction orale.

La recourante soutient que le directeur de la suc-
cursale et l'autre homme d'affaires américain agissent de
connivence. Elle ne présente à cet égard que des indices,
qui
ne permettent pas de constater la fausseté des déclarations
recueillies, confirmées d'ailleurs, dans la chronologie des
événements, par le journal de la banque.

Il n'est ainsi pas démontré que la cour cantonale ait
statué arbitrairement en retenant que la recourante n'avait
pas prouvé que la banque avait violé les instructions
données
par son client.

Le recours doit donc être entièrement rejeté.

3.- Les frais et dépens seront mis à la charge de la
recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 3000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 3500 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 6 juin 2002
MMH/svc

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.59/2002
Date de la décision : 06/06/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-06-06;4p.59.2002 ?
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