La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/05/2002 | SUISSE | N°1P.175/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 mai 2002, 1P.175/2002


{T 0/2}
1P.175/2002 /dxc

Arrêt du 10 mai 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Féraud, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

Banque X.________ SA,
recourante, représentée par Me Daniel Perren, avocat,
carrefour de Rive 1, 1207 Genève,

contre

Procureur général du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3.

refus de procéder à une évacuation

(recours

de droit public contre les décisions du Procureur
général du canton de Genève des 20 et 26 mars 2002)
Faits:

A.
Le 7 novemb...

{T 0/2}
1P.175/2002 /dxc

Arrêt du 10 mai 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Féraud, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

Banque X.________ SA,
recourante, représentée par Me Daniel Perren, avocat,
carrefour de Rive 1, 1207 Genève,

contre

Procureur général du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3.

refus de procéder à une évacuation

(recours de droit public contre les décisions du Procureur
général du canton de Genève des 20 et 26 mars 2002)
Faits:

A.
Le 7 novembre 1997, la Banque X.________ SA a acquis aux enchères
publiques
les parcelles nos 6085 et 6088 de la Commune de Versoix, qui
accueillent une
ancienne ferme convertie en maison d'habitation, une annexe
comportant des
bureaux en duplex et un appartement pour le personnel. Au terme d'une
longue
procédure judiciaire, elle a obtenu la libération des locaux de leurs
précédents propriétaires le 31 mars 2001, en ce qui concerne la maison
d'habitation, puis le 31 janvier 2002, s'agissant de l'annexe. Par
convention
du 9 avril 2001, elle a autorisé l'une de ses employées, Y.________,
à
occuper la maison d'habitation à titre précaire, dès le 1er mai 2001,
pour le
montant mensuel de 600 fr., cette dernière s'engageant à maintenir
les lieux
en l'état et à les restituer en tout temps sur simple préavis d'un
mois pour
la fin d'un mois. Y.________ a occupé la maison d'habitation avec sa
fille de
manière permanente jusqu'en été 2001, pour n'y passer ensuite que les
fins de
semaine.

B.
Le 15 mars 2002, un collectif d'étudiants, intitulé «Collectif 202»
(ci-après: le «Collectif 202»), a pris possession des lieux; il a
écrit à la
Banque X.________ SA afin d'établir avec elle un contrat de confiance
autorisant ses membres à occuper les locaux jusqu'à ce que des
travaux de
rénovation complète et définitive soient entrepris, moyennant la
prise en
charge des factures d'eau, d'électricité et de chauffage et
l'engagement de
préserver en l'état le bâtiment et ses alentours.
Le 18 mars 2002, la Banque X.________ SA a déposé plainte contre les
membres
du «Collectif 202» pour violation de domicile; elle exposait
notamment avoir
reçu une offre d'achat de l'immeuble occupé illicitement, qui
risquait de ne
pas aboutir en raison de la présence de squatters; elle sollicitait en
conséquence leur évacuation immédiate. Y.________ a également déposé
plainte
pénale le 18 mars 2002; elle reprochait aux membres du «Collectif
202» de
s'être rendus coupables de violation de domicile et de contrainte en
entrant
contre sa volonté dans la maison d'habitation, en utilisant certaines
des
affaires personnelles qu'elle y avait laissées et en l'empêchant de
réintégrer les lieux pour nourrir ses poules et son chat et pour y
passer le
week-end avec sa fille.
Par lettre du 20 mars 2002, le Procureur général du canton de Genève
(ci-après: le Procureur général) a informé le conseil des plaignants
de la
politique suivie par les autorités genevoises consistant à ne pas
faire appel
à la force publique lorsque le résultat d'une telle intervention
revient à
laisser un immeuble d'habitation vide et, partant, sujet à une
nouvelle
occupation illicite. Tel étant le cas en l'espèce, il a exclu le
recours à la
force publique pour évacuer les squatters aussi longtemps que le futur
acquéreur ne serait pas en mesure de prendre concrètement possession
des
lieux.
Le 25 mars 2002, la Banque X.________ SA a informé le Procureur
général que
l'acquéreur potentiel de l'immeuble avait réduit son offre d'achat en
raison
de la présence de squatters et conditionné la conclusion définitive du
contrat au fait que les lieux soient libérés de leurs occupants; elle
réitérait en conséquence sa demande d'évacuation immédiate des
membres du
«Collectif 202» de manière à pouvoir signer l'acte de vente le 28
mars 2002.
Dans un courrier du 26 mars 2002, le Procureur général a refusé
d'intervenir
pour les motifs évoqués dans sa lettre du 20 mars 2002.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, la Banque X.________
SA
demande au Tribunal fédéral d'annuler les décisions du Procureur
général des
20 et 26 mars 2002 refusant de faire évacuer les squatters occupant
l'immeuble et d'ordonner à ce magistrat l'évacuation desdits
squatters par
la force publique. Elle voit dans l'inaction du Procureur général un
déni de
justice formel ainsi qu'une violation de la garantie de la propriété
et une
atteinte à l'ordre public que ce magistrat a l'obligation de
préserver en
vertu du droit cantonal.
Le Procureur général conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours
qui lui sont soumis (ATF 128 II 13 consid. 1a p. 16, 46 consid. 2a p.
47 et
les arrêts cités).

1.1 Même si leur forme extérieure est celle d'une simple lettre, les
actes
attaqués, datés respectivement des 20 et 26 mars 2002, revêtent le
caractère
d'une décision, puisque le Procureur général refuse de faire appel à
la force
publique pour évacuer les membres du «Collectif 202» occupant
illicitement
l'immeuble dont la recourante est propriétaire à Versoix. Par
décision, la
jurisprudence entend en effet un acte étatique qui affecte d'une façon
quelconque la situation juridique de l'intéressé, l'astreignant à
faire, à
s'abstenir ou à tolérer quelque chose, ou qui règle d'une autre
manière ses
rapports avec l'Etat (ATF 125 I 119 consid. 2a p. 121 et les arrêts
cités).
Le recours est donc infondé, en tant que la recourante se plaint d'un
déni de
justice. Pour le surplus, seul le recours de droit public est ouvert
contre
les décisions attaquées, dans la mesure où elle se plaint d'une
application
arbitraire du droit cantonal et d'une violation de la garantie de la
propriété.

1.2 En règle générale, le recours de droit public ne peut tendre qu'à
l'annulation de la décision attaquée et toute autre conclusion est
irrecevable (ATF 127 II 1 consid. 2c p. 5). Toutefois, dans les cas
exceptionnels où il ne suffit pas de casser le prononcé attaqué pour
rétablir
une situation conforme à la constitution, le recourant est habilité à
réclamer que les injonctions nécessaires soient adressées à l'autorité
intimée; il peut notamment solliciter la mise en oeuvre d'une mesure
d'exécution forcée (ATF 124 I 327 consid. 4b/bb p. 333; 119 Ia 28
consid. 1
p. 30). La conclusion du recours visant à ce que le Tribunal fédéral
ordonne
au Procureur général de faire évacuer les squatters occupant
l'immeuble dont
la recourante est propriétaire à Versoix est ainsi recevable.

1.3 Formé en temps utile contre des décisions finales prises en
dernière
instance cantonale, le recours répond au surplus aux exigences des
art. 86
al. 1 et 89 al. 1 OJ, de sorte qu'il convient d'entrer en matière sur
le
fond.

2.
Le Procureur général a refusé d'ordonner l'évacuation des squatters
en accord
avec la politique suivie par les autorités genevoises consistant à ne
pas
recourir à la force publique lorsque le résultat d'une telle
intervention
revient à laisser un immeuble d'habitation vide et, par conséquent,
sujet à
une nouvelle occupation illicite, sous réserve des cas où la
tranquillité du
voisinage ou la sécurité de tiers sont en cause. Il a cependant
précisé qu'il
ferait, le cas échéant, appel à la force publique aussitôt que la
recourante
ou le futur acquéreur de l'immeuble sera en mesure de prendre
concrètement
possession des lieux, respectivement de faire un usage effectif des
locaux,
le passage occasionnel pour nourrir un chat ou des poules ne pouvant
être
assimilé à un tel usage. Ces considérations échappent au grief
d'arbitraire.
La recourante, même s'il n'est pas dans son intention de laisser
l'immeuble
vide, n'occupe pas personnellement les lieux; elle a certes passé
avec l'une
de ses employées, Y.________, un contrat de confiance autorisant cette
dernière à occuper la maison d'habitation à titre précaire; si cette
personne
a effectivement séjourné en permanence dans la maison avec sa fille
jusqu'au
début de l'été 1991, elle n'y réside plus, quand bien même elle
déclare y
passer occasionnellement les week-ends et durant la semaine pour
nourrir les
poules et le chat qu'elle y a laissés. Dans ces circonstances, le
Procureur
général pouvait de manière encore soutenable admettre qu'il ne
s'agissait pas
d'une occupation effective de l'immeuble justifiant l'intervention
immédiate
de la force publique, selon la pratique suivie par les autorités
genevoises.

3.
La recourante voit dans le refus du Procureur général d'ordonner
l'évacuation
immédiate des squatters une application arbitraire de l'art. 43 al. 1
let. c
de la loi genevoise sur l'organisation judiciaire (LOJ gen.), qui
commande à
ce magistrat de veiller à tout ce qui peut concerner l'ordre public,
et une
atteinte inadmissible à son droit de propriété garanti à l'art. 26
al. 1 Cst.

3.1 La recourante ne peut se prévaloir d'un jugement d'expulsion, qui
la
protégerait contre une application arbitraire des règles concernant
l'exécution de ce prononcé (cf. ATF 119 Ia 28 consid. 3 p. 32). Il est
cependant admis que les actes d'usurpation ou de trouble de la
possession
visés à l'art. 926 CC portent également atteinte à l'ordre public au
respect
duquel le Procureur général a la charge de veiller en vertu de l'art.
43 al.
1 let. c LOJ gen. (arrêt du Tribunal fédéral 1P.624/1989 du 8 mai
1991 paru à
la SJ 1991 p. 602 consid. 3a p. 604). La victime de tels actes doit
cependant
s'adresser en priorité au juge civil pour obtenir le respect ou le
rétablissement de ses droits. Aussi, une mesure de police, telle que
l'évacuation de squatters, fondée directement sur l'art. 43 al. 1
let. c LOJ
gen. ne se justifie que si la valeur des intérêts en jeu et la
gravité de
l'atteinte qui leur est portée nécessitent une intervention immédiate,
impossible à obtenir en temps utile par la voie civile (arrêt du
Tribunal
fédéral du 23 octobre 1980 paru à la SJ 1981 p. 114 consid. 6c p.
122).
La Banque X.________ SA ne prétend pas que le recours immédiat à la
force
publique se justifierait pour assurer la sécurité des biens et des
personnes,
parce que les membres du «Collectif 202» auraient causé des dégâts ou
qu'ils
auraient menacé de s'en prendre à son employée. Il n'y a pas lieu
d'examiner
si, comme elle le prétend, la présence de squatters a effectivement
dissuadé
l'acheteur potentiel de l'immeuble de finaliser la vente et si une
intervention immédiate de la police aurait permis d'éviter l'échec des
négociations; une telle intervention ne donnait en effet de toute
manière au
futur acquéreur aucune garantie contre une éventuelle occupation
ultérieure
des lieux jusqu'à l'exécution des travaux de rénovation; aussi, en
l'absence
d'un jugement d'expulsion ou d'une décision analogue définitive et
exécutoire, le Procureur général n'a pas failli au devoir de préserver
l'ordre public que lui impose le droit cantonal en admettant que
l'assurance
donnée à la recourante ou au futur acquéreur d'une intervention
immédiate de
la force publique aussitôt que les travaux de rénovation seraient
entrepris
constituait une garantie suffisante pour le propriétaire des lieux de
pouvoir
jouir sans entrave de sa propriété et que l'intérêt privé de la
recourante à
concrétiser la vente de l'immeuble ne justifiait pas une telle
intervention.
La Banque X.________ SA voit également une atteinte à l'ordre public
propre à
justifier le recours immédiat à la force publique dans le fait que la
présence des squatters empêcherait son employée d'utiliser les locaux
conformément à la convention passée avec elle le 9 avril 2001. Il est
cependant établi que Y.________ ne séjourne pas en permanence à
Versoix, mais
de manière irrégulière, principalement durant les week-ends, et
qu'elle y
passe la semaine pour nourrir ses poules et son chat. Par ailleurs, la
recourante ne prétend pas que ses membres du «Collectif 202»
empêcheraient la
jeune femme de pénétrer dans la propriété pour s'occuper des animaux
ou
qu'ils n'en prendraient pas soin personnellement. Le Procureur
général n'a
donc pas appliqué l'art. 43 al. 1 let. c LOJ gen. arbitrairement en
considérant qu'une intervention immédiate de la force publique ne
s'imposait
pas dans de telles circonstances, mais que Y.________ pouvait être
renvoyée à
faire valoir ses droits devant le juge civil.

3.2 Il reste ainsi à examiner si l'application non arbitraire du droit
cantonal est compatible avec la garantie de la propriété ancrée à
l'art. 26
al. 1 Cst., question que le Tribunal fédéral examine librement (ATF
121 I 326
consid. 2b p. 329; 119 Ia 13 consid. 3a in fine p. 17; 116 Ia 345
consid. 4b
et 5a p. 348 ss et les arrêts cités). Dans un arrêt du 11 février
1993 paru
aux ATF 119 Ia 28, ce dernier n'a pas tranché le point de savoir si la
garantie de la propriété permettait d'exiger une prestation positive
de
l'Etat sous la forme d'une évacuation forcée des squatters; cette
question
peut également rester indécise en l'espèce, car à supposer qu'une
telle
prétention puisse être tirée de l'art. 26 al. 1 Cst., elle ne serait
pas
absolue ou inconditionnelle, mais dépendrait d'une pesée des intérêts
en
présence et de la proportionnalité d'une intervention immédiate de la
force
publique.

En l'occurrence, l'assurance donnée à la Banque X.________ SA et au
futur
acquéreur de pouvoir demander l'expulsion immédiate des squatters si
ceux-ci
refusaient de quitter volontairement les lieux lorsque les travaux de
rénovation auront débuté est propre à concilier l'intérêt privé du
propriétaire à jouir sans entrave de son bien et l'intérêt public à
ne pas
ordonner l'évacuation forcée d'un immeuble susceptible d'être
réoccupé dans
les jours suivant l'intervention de la force publique. De ce point de
vue, le
refus d'ordonner en l'état l'évacuation immédiate des membres du
«Collectif
202» ne consacre aucune violation de la garantie de la propriété
ancrée à
l'art. 26 al. 1 Cst. (cf. ATF 119 Ia 28 consid. 2 in fine p. 32).

4.
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure où il est
recevable, aux frais de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1
OJ). Il
n'y a pas lieu d'octroyer des dépens (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante et au
Procureur général du canton de Genève.

Lausanne, le 10 mai 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.175/2002
Date de la décision : 10/05/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-05-10;1p.175.2002 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award