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08/05/2002 | SUISSE | N°4C.385/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 mai 2002, 4C.385/2001


«/2»

4C.385/2001

I e C O U R C I V I L E
*****************************

8 mai 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz,
Mme Klett, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Favre, juges.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

_________________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ AG, appelée en cause et recourante, représentée
par Me Philipp Ganzoni, avocat à Genève,

et

Y.________, défendeur et intimé, représenté par Me Jean
Patry, avoc

at à Genève;

(LFors; actions identiques)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X._...

«/2»

4C.385/2001

I e C O U R C I V I L E
*****************************

8 mai 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz,
Mme Klett, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Favre, juges.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

_________________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ AG, appelée en cause et recourante, représentée
par Me Philipp Ganzoni, avocat à Genève,

et

Y.________, défendeur et intimé, représenté par Me Jean
Patry, avocat à Genève;

(LFors; actions identiques)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X.________ AG, dont le siège est en Thurgovie,
produit des machines textiles. De 1987 à 1995, Y.________ a
été un membre influent du comité exécutif du conseil d'admi-
nistration de la société. A des dates non précisées, il au-
rait demandé à A.________, président du conseil d'administra-
tion de Z.________ S.A. (ci-après: Z.________), d'intervenir
en faveur de X.________ AG dans le cadre d'une vente de ma-
chines textiles en Syrie. X.________ AG a versé à Z.________
par deux fois des honoraires de 1 000 000 DM; elle a refusé
en revanche de payer un tel montant pour une prétendue troi-
sième intervention.

B.- Le 2 juin 1998, Z.________ a ouvert action
contre Y.________, à Genève. Elle concluait à ce que le dé-
fendeur soit condamné à lui verser la somme de 820 600 fr.
(contre-valeur de 1 000 000 DM), plus intérêts.

Y.________ a dénoncé formellement le litige à
X.________ AG. S'adressant spontanément au Tribunal de
première instance du canton de Genève, X.________ AG a
conclu
à ce qu'elle soit autorisée à participer aux côtés de
Y.________ à la procédure pendante entre Z.________ et
Y.________, notamment en y prenant des conclusions, sans que
cette participation n'implique pour X.________ AG une renon-
ciation à son for naturel, ni la reconnaissance de la vali-
dité du droit de recours de Y.________ contre elle-même. Par
jugement du 30 avril 1999, le Tribunal de première instance
a
débouté X.________ AG de toutes ses conclusions. En appel,
la
Cour de justice a confirmé le jugement de première instance.
Le 7 septembre 2000, le Tribunal fédéral a rejeté le recours

de droit public que X.________ AG avait formé contre cette
décision.

Le 3 janvier 2000, à la suite de l'entrée en vigueur
de la nouvelle Constitution fédérale, Y.________ a déposé
une
demande d'appel en cause de X.________ AG. Cette demande a
été déclarée irrecevable par jugement du 28 septembre 2000
du
Tribunal de première instance.

Par lettre du 13 novembre 2000 adressée en copie à
X.________ AG, Y.________ a fait savoir au Tribunal de pre-
mière instance qu'il déposerait une nouvelle demande d'appel
en cause après l'entrée en vigueur, prévue le 1er janvier
2001, de la loi fédérale du 24 mars 2000 sur les fors en ma-
tière civile (LFors; RS 272). Ce qu'il fit en date du 3 jan-
vier 2001. En effet, l'entrée en vigueur simultanée de
l'art.
8 LFors, de l'art. 57A al. 2 de la loi genevoise sur l'orga-
nisation judiciaire et de l'art. 104 de la loi de procédure
civile genevoise (LPC/GE) permettait désormais l'appel en
cause d'un tiers non domicilié dans le canton de Genève.

Quelques jours plus tôt, le 20 décembre 2000,
X.________ avait déposé devant le Juge de paix d'Arbon une
requête en conciliation dirigée contre Y.________. Ses con-
clusions étaient libellées ainsi:

«1. Es sei der Beklagte gerichtlich zu verpflichten, der
Klägerin den Betrag von CHF 68'406.25 nebst 5% Zins ab
14. September 2000 anzuerkennen und zu bezahlen, im Sinn
einer Teilsumme und unter ausdrücklichem Vorbehalt des
Nachklagerechtes;
2. In der von der Klägerin gegen den Beklagten angehobenen
Betreibung Nr. ... W des Betreibungsamtes Arve-Lac
(Genève) vom 8./14.September 2000 sei für den Teilbetrag
von CHF 68'406.25 nebst 5% Zins ab 14. September 2000
der
Rechtsvorschlag des Beklagten aufzuheben;
3. Es sei festzustellen, dass der Beklagte der Klägerin für
allen weiteren Schaden, Kosten und Entschädigungsfolgen
haftet und ersatzpflichtig ist, welche der Klägerin aus
einer allfälligen gerichtlich auferlegten Zahlungs-

verpflichtung gegenüber der Z.________ SA, Panama,
betreffend eine bestrittene Provisionszahlung, insbe-
sondere aus dem in Genf zwischen der Z.________ SA,
Panama, und dem Beklagten anhängigen Streitverfahren
erwachsen, einschliesslich aller damit zusammenhän-
gendenden oder nachfolgenden Haupt-, Zwischen- oder
Nebenverfahren.
4. Es sei festzustellen, dass der Beklagte verpflichtet
ist,
die Klägerin von allen Ansprüchen der Z.________ SA,
Panama, freizustellen bzw. diese zu eigenen Lasten ohne
Rückgriff gegenüber der Klägerin zu tragen, insbesondere
dass ihm kein Freistellungs- oder Rückgriffsanspruch
gegenüber der Klägerin aus einem allfälligen Unterliegen
des Beklagten in der vor dem Tribunal de Première
Instance, Genève, unter Geschäftsnummer C/.../1998 gegen
ihn von der Z.________ SA angehobenen Forderungsklage
zusteht, lautend auf die Forderungssumme von CHF
820'600.-- (...), nebst Zinsen zu 5% seit dem 24.
September 1997, sowie Kosten und Entschädigungsfolgen.»

Le Juge de paix a délivré l'autorisation de citer le
31 janvier 2001. X.________ AG a déposé la demande le 1er
mars 2001 devant le Tribunal de district d'Arbon.

A l'audience d'introduction devant le Tribunal de
première instance du canton de Genève, X.________ AG a sou-
levé un incident d'incompétence ratione loci. Par jugement
du
26 avril 2001, le tribunal a déclaré recevable l'appel en
cause déposé par Y.________ à l'encontre de X.________ AG,
mais a suspendu la cause jusqu'à ce que le Tribunal de dis-
trict d'Arbon ait statué sur sa compétence dans la cause
introduite le 20 décembre 2000.

Statuant le 12 octobre 2001 sur appel de Y.________,
la Chambre civile de la Cour de justice a annulé la suspen-
sion prononcée en première instance.

C.- X.________ AG interjette un recours en réforme
au Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt
attaqué et à la confirmation du jugement de première ins-
tance.

Y.________ propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- L'arrêt attaqué ne constitue pas une décision
finale au sens de l'art. 48 al. 1 OJ, mais une décision inci-
dente prise séparément du fond (cf. ATF 123 III 414 consid.
2
p. 417). Aux termes de l'art. 49 al. 1 OJ, le recours en
réforme est recevable contre une telle décision pour viola-
tion des prescriptions de droit fédéral sur la compétence à
raison de la matière ou sur la compétence territoriale, soit
locale, soit internationale. Le Tribunal fédéral a rangé
parmi les décisions sur la compétence la suspension de cause
ordonnée sur la base de l'art. 21 de la Convention de Lugano
du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale
(ci-après: Convention de Lugano ou CL; RS 0.275.11) (ATF 123
III 414 consid. 2b et c p. 418/419). Rien ne s'oppose à qua-
lifier de la même manière la décision par laquelle, comme en
l'espèce, le tribunal suprême d'un canton refuse de
suspendre
la cause en application de l'art. 35 LFors, qui est le pen-
dant, en droit interne, de l'art. 21 CL (cf. Message du 18
novembre 1998 concernant la loi sur les fors, in FF 1999
III,
p. 2632, où le Conseil fédéral insiste sur le lien très
étroit existant entre les questions relatives aux actions
identiques et la compétence territoriale). Le recours est
par
conséquent recevable.

2.- a) La présente espèce met en jeu l'art. 35
LFors, qui a trait aux actions identiques. L'alinéa 1 de
cette disposition prévoit que, lorsque des actions portant
sur le même objet de litige entre les mêmes parties sont

introduites devant plusieurs tribunaux, tout tribunal saisi
ultérieurement sursoit à la procédure jusqu'à ce que le
tribunal saisi en premier lieu ait statué sur sa compétence.

Selon l'arrêt attaqué, l'action négatoire de l'appe-
lée en cause en Thurgovie a été introduite avant l'appel en
cause devant la juridiction genevoise. Cependant, la cour
cantonale, se fondant sur l'arrêt publié aux ATF 105 II 229,
a nié l'identité entre l'action en constat négative et l'ac-
tion condamnatoire; elle a ainsi considéré que l'une des con-
ditions cumulatives d'une suspension au sens de l'art. 35
al.
1 LFors n'était pas réalisée dans le cas particulier.

b) L'appelée en cause reproche à la Chambre civile
d'avoir violé le droit fédéral en ne reconnaissant pas
l'identité des deux actions en cause. Premièrement, la cour
cantonale aurait faussement qualifié d'action condamnatoire
l'appel en cause formé à Genève, alors que cette procédure
ne
tendrait qu'à faire constater l'existence d'un droit de re-
cours du défendeur à l'égard de l'appelée en cause; la juris-
prudence citée à l'appui du refus de la suspension ne serait
dès lors pas déterminante, s'agissant de deux actions en
constatation, l'une négative, l'autre positive. Au
demeurant,
l'appelée en cause est d'avis que la notion étendue d'identi-
té des objets adoptée par la jurisprudence dans le cadre de
l'art. 21 CL est également valable pour interpréter l'art.
35
LFors; ainsi, tant le Tribunal fédéral, à l'ATF 123 III 414,
que la Cour de Justice des Communautés Européennes
(ci-après:
CJCE) ont admis qu'une action en exécution et une action en
négation de droit étaient identiques dans la mesure où elles
étaient fondées sur le même contexte de faits.

3.- Il convient à présent d'examiner les deux ac-
tions introduites par l'appelée en cause, respectivement le
défendeur.

a) Il ne fait aucun doute que l'action engagée en
Thurgovie met aux prises les mêmes parties que celles oppo-
sées dans l'appel en cause genevois. A cet égard, le rôle
des
parties dans chacune des procédures est sans importance; que
X.________ AG soit, d'un côté, demanderesse et, de l'autre
côté, appelée en cause contre laquelle sont prises des
conclusions récursoires, ne l'empêche pas de se prévaloir de
l'exception de litispendance (Peter Ruggle/Kristina Tenchio-
Kuzmic, Bundesgesetz über den Gerichtsstand in Zivilsachen,
in Kommentar zum Schweizerischen Zivilprozessrecht, n. 6 et
7
ad art. 35, p. 351; Franz Kellerhals/Andreas Güngerich,
GestG-Kommentar, Berne 2001, n. 4 ad art. 35, p. 277; Felix
Dasser, Kommentar GestG, Zurich 2001, n. 8 et 10 ad art. 35,
p. 856; Yves Donzallaz, Commentaire de la loi fédérale sur
les fors en matière civile, n. 28, p. 739 et n. 38, p. 744;
Jean-Marc Reymond, L'exception de litispendance, thèse
Lausanne 1990, p. 205/206, p. 208/209, p. 243/244 et p.
302).
La condition de l'identité subjective est réalisée.

b) L'application de l'art. 35 LFors suppose en outre
l'identité de l'objet du litige. En relation avec
l'exception
de chose jugée, le Tribunal fédéral a admis que tel était le
cas lorsque, dans l'un et l'autre procès, les parties soumet-
tent au juge la même prétention en se fondant sur les mêmes
causes juridiques et les mêmes faits (ATF 123 III 16 consid.
2a p. 18; 121 III 474 consid. 4a p. 477 et l'arrêt cité).
L'identité de l'objet du litige s'entend au sens matériel;
il
n'est pas nécessaire, ni même déterminant que les
conclusions
soient formulées de manière identique (ATF 123 III 16
consid.
2a p. 19; 121 III 474 consid. 4a p. 478; cf. également Don-
zallaz, op. cit., n. 31, p. 740/741).

aa) La conclusion principale de l'appel en cause
tend à «condamner X.________ AG à relever et garantir M.
Y.________ de toute condamnation qui pourrait être prononcée

contre lui dans le cadre de la cause N° C/... en capital,
intérêts et frais». Quoi qu'en dise l'appelée en cause,
cette
action récursoire est bien de nature condamnatoire, car elle
tend à l'exécution d'une prestation en faveur du défendeur
(cf. Charles Ceppi, Les conclusions en procédure civile -
supplément, p. 9).

Parmi les conclusions de la demande déposée devant
le Tribunal de district d'Arbon, seule la quatrième, par
laquelle l'appelée en cause veut notamment faire constater
l'absence de recours du défendeur au cas où ce dernier per-
drait son procès contre Z.________, repose sur le même fonde-
ment juridique et le même complexe de faits que l'appel en
cause formé à Genève. A priori, il y a identité de l'objet
du
litige. Cependant, la question de l'éventuelle identité
entre
une action négatoire et une action condamnatoire est contro-
versée; elle mérite dès lors un plus ample examen dans le
cadre de la LFors.

bb) Dans l'arrêt publié aux ATF 105 II 229, rendu
en application d'une convention bilatérale d'exécution de
décisions judiciaires, le Tribunal fédéral a rejeté l'excep-
tion de litispendance, faute d'identité entre une action
négatoire de droit antérieure et une action condamnatoire
déposée postérieurement; il a considéré comme déterminant à
cet égard le fait qu'en cas de rejet, l'action en constat
négative n'excluait pas une action en paiement ultérieure
(consid. 1b p. 233). En revanche, cette jurisprudence a été
expressément écartée dans le cadre de la Convention de Luga-
no. S'inspirant des arrêts rendus par la CJCE, le Tribunal
fédéral a jugé que l'action tendant à faire constater, en
Suisse, que les demanderesses ne devaient rien à la défende-
resse en raison des faits exposés dans la demande déposée en
Grande-Bretagne, portait sur le même objet et la même cause
au sens de l'art. 21 CL que l'action condamnatoire
introduite

outre-Manche par la défenderesse (ATF 123 III 414 consid. 5
p. 422/423; cf. également ATF 125 III 346 consid. 4b). En
effet, le
but visé par l'art. 21 CL est d'éviter que les
tribunaux des Etats contractants rendent des décisions exécu-
toires contradictoires; or, ce but ne peut être atteint que
si la disposition sur la litispendance s'applique à toutes
les procédures judiciaires où ce risque existe (ATF 123 III
414 consid. 5 p. 422).

Les auteurs sont partagés sur la question. Pour
certains, la jurisprudence de l'ATF 105 II 229 est valable
sous l'empire de la LFors. Ils en tirent la conclusion qu'il
ne peut y avoir identité objective si l'action négatoire
précède l'action condamnatoire (Ruggle/Tenchio-Kuzmic, op.
cit., n. 14 ad art. 35, p. 354; Kellerhals/Güngerich, op.
cit., n. 7 et note de pied 2 ad art. 35, p. 278). Sans pren-
dre réellement position, Donzallaz observe que la jurispru-
dence très extensive de la CJCE et du Tribunal fédéral à
propos de l'art. 21 CL conduit parfois à des résultats cho-
quants, notamment en cas de procès dilatoire ou de blocage
(op. cit., n. 42 et 43 ad art. 35 et note de pied 2864 décri-
vant le procédé dit de l'Italian Torpedo, p. 746). Pour Das-
ser, le cas d'une action négatoire antérieure à une action
condamnatoire relève de l'art. 36 LFors, relatif aux actions
connexes; la suspension supposerait alors l'existence d'un
intérêt particulier à la constatation demandée (op. cit., n.
17 ad art. 35, p. 858). Le même auteur relève pourtant que
l'entrée en vigueur de la LFors peut être l'occasion d'adap-
ter la jurisprudence suisse à la solution européenne (op.
cit., n. 17 ad art. 35, p. 858/859). C'est précisément l'opi-
nion de Isaak Meier, qui estime que la notion d'actions iden-
tiques doit s'interpréter de la même manière à l'art. 21 CL
et à l'art. 35 LFors (GestG - Konzept des neuen Rechts und
erste Antworten auf offene Fragen, in Revue de l'Avocat
1/2001, p. 29).

L'art. 35 LFors tend à éviter des jugements contra-
dictoires au cas où des actions identiques sont introduites
à
plusieurs endroits (Message concernant la LFors, in FF 1999
III, p. 2632; Jacques Haldy, Présentation générale des nou-
veaux fors fédéraux, in Les nouveaux fors fédéraux et les
nouvelles organisations judiciaires, CEDIDAC 2001, p. 21).
Cette disposition poursuit donc le même but que l'art. 21 CL
(cf. ATF 123 III 414 consid. 5 p. 422). Du reste, le Conseil
fédéral souligne le parallélisme entre l'art. 36 du projet
(= art. 35 LFors) et l'art. 21 CL; en note de bas de page,
il
se réfère même expressément à l'arrêt publié aux ATF 123 III
414, rendu en application de l'art. 21 CL (FF 1999 III, p.
2632/2633; Donzallaz, op. cit., n. 18 ad art. 35, p. 734;
Haldy, op. cit., p. 21).

Vu l'analogie entre les deux dispositions et leur
but semblable, on ne voit pas pourquoi la notion de l'iden-
tité de l'objet du litige développée par la jurisprudence
dans le cadre de la Convention de Lugano ne serait pas vala-
ble également dans le cadre de la LFors (cf. Donzallaz, op.
cit., n. 30 ad art. 35, p. 740, pour lequel l'objet du
litige
se définit de la même manière à l'art. 35 LFors et à l'art.
21 CL). Si elles opposent les mêmes parties et portent sur
le
même complexe de faits, une action négatoire et une action
condamnatoire doivent ainsi être considérées comme
identiques
au sens de l'art. 35 LFors (cf. ATF 123 III 414 consid. 5 p.
423). Peu importe à cet égard que l'action en négation de
droit précède ou suive l'action en exécution, car il serait
contraire à la logique de faire dépendre la notion
d'identité
de l'ordre d'introduction des procédures: soit les actions
sont identiques, soit elles ne le sont pas (cf. Dasser, op.
cit., n. 18 ad art. 35, p. 859). Par ailleurs, le risque de
blocage évoqué plus haut ne doit pas être surestimé. Les
tribunaux suisses ne paraissent pas avoir pour habitude de
laisser les affaires s'enliser. On peut dès lors compter sur

la rapidité du juge saisi en premier à se prononcer sur sa
compétence, voire à rendre une décision d'irrecevabilité en
cas de défaut d'intérêt manifeste à la constatation.

Au demeurant, cette solution s'impose indépendamment
du parallélisme existant entre l'art. 35 LFors et l'art. 21
CL. En effet, la jurisprudence consacrée à l'ATF 105 II 229
ne peut être reprise pour les raisons exposées ci-après. Se-
lon l'arrêt susmentionné, il n'y a litispendance que si la
première procédure permet d'aboutir à un jugement ayant auto-
rité de chose jugée, c'est-à-dire qui tranche définitivement
le sort de la prétention faisant l'objet des deux
procédures.
Or, en cas de rejet de l'action en négation de droit, le dé-
fendeur n'obtient pas le résultat que l'admission de ses con-
clusions condamnatoires lui assurerait. Tirant argument de
ce
cas de figure, le Tribunal fédéral a refusé de qualifier
d'identiques les actions négatoire et condamnatoire (ATF 105
II 229 consid. 1b p. 233). Cette jurisprudence a été criti-
quée par Kummer (Die privatrechtliche Rechtsprechung des
Bundesgerichts im Jahre 1979, in RJB/ZBJV 117/1981, p. 162
ss; approuvé par Poudret, COJ II, n. 1.3.2.6 ad art. 43, p.
117; cf. également Reymond, op. cit., p. 221). Comme cet
auteur le fait observer avec pertinence, la coexistence des
deux actions crée un risque de décisions contradictoires.
Or,
l'art. 35 LFors, qui tend précisément à éviter des jugements
contradictoires, doit être interprété de manière à écarter
un
tel risque. En l'occurrence, si aucun des deux procès n'est
suspendu, le Tribunal de district d'Arbon pourrait, par hypo-
thèse, reconnaître le principe de la dette de l'appelée en
cause envers le défendeur, en rejetant l'action négatoire,
alors que le juge genevois, qui doit trancher cette question
préalablement, pourrait y répondre négativement et rejeter
l'appel en cause; le risque de décisions contradictoires
existe donc. A l'inverse, un jugement thurgovien antérieur
admettant l'action en constat négative aurait autorité de

chose jugée et rendrait la procédure genevoise sans objet.
Mais, dans cette hypothèse-là également, des motifs d'écono-
mie du procès plaident pour ne pas laisser les deux
instances
se dérouler en parallèle. La suspension de la seconde procé-
dure sur la base de l'art. 35 LFors apparaît dès lors comme
le moyen adéquat pour éviter des jugements contradictoires
ou
un procès inutile lorsqu'une action en négation de droit est
opposée à une action condamnatoire.

Sur le vu de ce qui précède, la cour cantonale a
violé l'art. 35 LFors en considérant que l'action négatoire
introduite en Thurgovie n'était pas identique à l'appel en
cause genevois.

4.- Cela étant, le défendeur, dans son mémoire de
réponse, conteste l'antériorité de l'action introduite à
Arbon par l'appelée en cause.

a) L'art. 38 du projet de LFors prévoyait que la
litispendance est créée par l'ouverture de l'action. Cette
solution n'a pas été retenue par le Parlement, qui ne
voulait
pas d'un concept unifié au plan fédéral. C'est dès lors au
regard du droit cantonal qu'il conviendra de définir la li-
tispendance, afin de déterminer le juge saisi en premier
(Ruggle/Tenchio-Kuzmic, op. cit., n. 18ss ad art. 35, p.
355ss; Kellerhals/Güngerich, op. cit., n. 8 ad art. 35, p.
278; Dasser, op. cit., n. 18ss ad Vorbemerkungen zu Art.
35-36, p. 848ss; Donzallaz, op. cit., n. 9 ad art. 35, p.
726).

b) En droit thurgovien, le § 90 de la loi de procé-
dure civile du 6 juillet 1988 traite de la litispendance.
Son
alinéa 1 a la teneur suivante:

«Klage und Widerklage werden mit der Einlassung in den
Rechtsstreit und, wo kein Vermittlungsvorstand stattfin-

det, mit dem Eintreffen der erforderlichen Eingabe beim
Gericht rechtshängig.»

Même si la formulation adoptée n'est pas des plus
claires, il est admis que la litispendance est créée par le
dépôt de la requête en conciliation (Ruggle/Tenchio-Kuzmic,
n. 25 ad art. 35, p. 357). Comme l'appelée en cause a in-
troduit la procédure de conciliation en Thurgovie le 20 dé-
cembre 2000, son action en constat négative est antérieure à
l'appel en cause formé par le défendeur à Genève le 3
janvier
2001.

Les conditions d'une suspension au sens de l'art. 35
LFors sont réunies en l'espèce. Il ne s'impose dès lors pas
de se prononcer sur l'éventuelle application de l'art. 36
LFors, préconisée par l'appelée en cause à titre
subsidiaire.

5.- a) Enfin, il convient d'examiner le moyen tiré
de l'abus de droit, écarté en instance cantonale mais repris
par le défendeur dans son mémoire de réponse.

b) Selon l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un
droit n'est pas protégé par la loi. L'adjectif «manifeste»
indique qu'il convient de se montrer restrictif dans l'admis-
sion de l'abus de droit (arrêt 4C.225/2001 du 16 novembre
2001, consid. 2b). Ce principe vaut également dans le
domaine
de la procédure (ATF 123 III 220 consid. 4d p. 238; 111 II
62
consid. 3, 429 consid. 2d p. 438; 107 Ia 206 consid. 3a). Il
peut y avoir abus de droit, par exemple, lorsqu'une institu-
tion juridique est détournée de son but (ATF 122 II 134 con-
sid. 7b, 289 consid. 2a; 122 III 321 consid. 4a) ou lorsque
l'exercice d'un droit ne répond à aucun intérêt (ATF 123 III
200 consid. 2b p. 203).

c) Le défendeur reproche à l'appelée en cause de
s'être dépêchée d'introduire action en Thurgovie («forum run-
ning») afin de pouvoir soulever à Genève l'exception de li-
tispendance. En réalité, le juge genevois n'avait pas à
juger
si ce reproche était fondé et si le comportement décrit cons-
tituait un abus de droit. En effet, il appartiendra au juge
thurgovien d'examiner les conditions de l'action en constat
négative, qui suppose précisément un intérêt du demandeur,
en
particulier pour éviter un abus de droit (sur cette
question,
voir Gion Jegher, Mit schweizerischer negativer Fest-
stellungsklage ins europäische Forum Running - (Gedanken
anlässlich BGE 123 III 414), in RDS 1999/118 I, p. 31ss,
spéc. p. 41ss).

Quant à se prévaloir d'une action antérieure, il ne
saurait s'agir d'un abus de droit puisque, dans le système
de
l'art. 35 LFors, le juge saisi en second lieu devrait même
prononcer la suspension d'office, si cette tâche ne se heur-
tait pas à des difficultés pratiques (Haldy, op. cit., p.
21).

6.- En conclusion, il y a lieu d'admettre le recours
et d'annuler l'arrêt attaqué. Comme dans le jugement de pre-
mière instance, la suspension sera limitée à la procédure
d'appel en cause.

Le défendeur, qui succombe, supportera les frais
judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) et versera à l'appelée en
cause une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours, annule l'arrêt attaqué et dit
qu'il est sursis à la procédure d'appel en cause jusqu'à ce
que le Tribunal de district d'Arbon ait statué sur sa compé-
tence dans la cause introduite le 20 décembre 2000 par
X.________ AG contre Y.________;

2. Renvoie la cause à la cour cantonale pour nou-
velle décision sur les frais et dépens de la procédure canto-
nale;

3. Met un émolument judiciaire de 9000 fr. à la
charge du défendeur;

4. Dit que le défendeur versera à l'appelée en cause
une indemnité de 9000 fr. à titre de dépens;

5. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

____________

Lausanne, le 8 mai 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.385/2001
Date de la décision : 08/05/2002
1re cour civile

Analyses

Actions identiques (art. 35 LFors). Si elles opposent les mêmes parties et portent sur le même complexe de faits, une action en constat négative et une action condamnatoire doivent être considérées comme identiques au sens de l'art. 35 LFors (consid. 3). Le juge saisi en premier lieu au sens de l'art. 35 LFors se détermine en fonction de la litispendance définie au regard du droit cantonal (consid. 4).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-05-08;4c.385.2001 ?
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