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06/05/2002 | SUISSE | N°I.275/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 mai 2002, I.275/01


«AZA 7»
I 275/01 Mh

IIe Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Widmer et Frésard.
Greffier : M. Métral

Arrêt du 6 mai 2002

dans la cause

L.________, recourante, représentée par Me Jacqueline de
Quattro, avocate, chemin des Charmettes 9, 1002 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud,
avenue Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé,

et

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

A.- L.________ a travaillé au se

rvice de l'entreprise
X.________ SA, en qualité d'employée d'usine. Elle a pré-
senté de nombreuses périodes d'inactivité dès le ...

«AZA 7»
I 275/01 Mh

IIe Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Widmer et Frésard.
Greffier : M. Métral

Arrêt du 6 mai 2002

dans la cause

L.________, recourante, représentée par Me Jacqueline de
Quattro, avocate, chemin des Charmettes 9, 1002 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud,
avenue Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé,

et

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

A.- L.________ a travaillé au service de l'entreprise
X.________ SA, en qualité d'employée d'usine. Elle a pré-
senté de nombreuses périodes d'inactivité dès le mois de
mai 1997, en raison de douleurs diffuses dans le dos et les
jambes, et n'a pas repris le travail depuis le 27 août
1997. Son médecin traitant, la doctoresse A.________,

attesta d'un incapacité de travail totale depuis le 14 mai
1997, en raison notamment d'un syndrome fibromyalgique,
d'un syndrome vertébral et cervical sur trouble statique,
de lombo-sciatalgies droites sur hernie discale, d'une
épicondylite gauche et d'un état dépressif chronique.
Le 24 décembre 1997, L.________ déposa une demande de
prestations de l'assurance-invalidité. L'Office de l'assu-
rance-invalidité pour le canton de Vaud (ci-après : l'of-
fice AI) fit réaliser une expertise par les docteurs
B.________ et C.________, de la Policlinique médicale
Y.________. Ces praticiens se sont adjoint les services de
plusieurs spécialistes, notamment de la doctoresse
D.________, psychiatre. Au terme de leur rapport, ils
attestèrent d'une incapacité de travail de 70 % depuis le
mois de mai 1997, en raison de troubles somatoformes
douloureux; la capacité de travail résiduelle de 30 %
pouvait être mise à profit dans une activité légère
permettant d'adopter une position adéquate (semi-assise).
Considérant que cette expertise ne permettait pas de
retenir l'existence d'une maladie psychique et que les
atteintes à la santé physique de la recourante ne la
rendaient pas invalide, l'Office de l'assurance-invalidité
rejeta sa demande de prestations, par décision du 13 avril
2000.

B.- Le Tribunal des assurances du canton de Vaud
rejeta le recours formée par l'assurée contre cette
décision, par jugement du 30 janvier 2001.

C.- L.________ interjette un recours de droit admi-
nistratif contre ce jugement, en produisant notamment une
attestation médicale établie par le docteur E.________,
chirurgien. En substance, elle conclut, sous suite de frais
et dépens, à l'annulation du jugement entrepris et à
l'allocation d'une rente entière d'invalidité. A titre
préalable, elle requiert du Tribunal fédéral des assurances
la mise en oeuvre d'une expertise psychiatrique et l'octroi

de l'assistance judiciaire. L'office AI conclut au rejet du
recours, alors que l'Office fédéral des assurances sociales
ne s'est pas déterminé.

Considérant en droit :

1.- La recourante fait d'abord valoir une violation de
son droit d'être entendu, au motif que l'office AI aurait
présenté une argumentation nouvelle à l'appui de la déci-
sion entreprise, dans ses déterminations adressées à la
juridiction cantonale. Ce grief est mal fondé : d'une part,
la motivation de la décision litigieuse était suffisante,
au regard des exigences posée par la jurisprudence en la
matière (ATF 122 IV 14 consid. 2c et les références; cf.
également ATF 126 I 102 consid. 2b, 124 V 181 consid. 1a et
les références); d'autre part, L.________ a eu la possi-
bilité de se déterminer sur l'ensemble de l'argumentation
présentée par l'intimé devant le premier juge. En parti-
culier, elle a répliqué au mémoire-réponse de l'office AI
et n'a pas manifesté sa volonté d'obtenir un nouvel échange
d'écritures, à réception de la duplique. Aussi son droit
d'être entendu et, de manière plus générale, son droit à un
procès équitable (art. 29 al. 1 et 2 Cst, art. 6 par. 1
CEDH; cf. JAAC 2001 129 1347; RDAT 1999 I 54 p. 194 con-
sid. 3c), ont-ils été respectés.

2.- Le jugement entrepris (consid. 2a) expose correc-
tement le contenu des art. 4, 28 et 29 LAI relatifs à la
notion d'invalidité, à l'échelonnement des rentes selon le
taux d'invalidité de l'assuré, à la manière d'évaluer ce
taux et au moment où le droit à une rente prend naissance,
de sorte que, sur ces points, on peut y renvoyer.

3.- Sur le fond, le litige porte principalement sur le
point de savoir dans quelle mesure les troubles somato-

formes douloureux dont souffre la recourante réduisent sa
capacité de travail et de gain. A cet égard, le premier
juge a considéré que l'expertise pluridisciplinaire signée
par les docteurs B.________ et C.________ revêtait une
pleine valeur probante et rendait superflue la mise en
oeuvre d'une nouvelle expertise psychiatrique. Il a
toutefois retenu que la recourante était pleinement capable
de travailler dans une activité légère, bien que les
experts aient fait état d'une capacité de travail rési-
duelle de 30 %. D'après la juridiction cantonale, en effet,
les troubles somatoformes douloureux n'entraîneraient
d'invalidité au sens de la LAI que lorsqu'ils sont liés à
une comorbidité psychiatrique grave, inexistante en
l'espèce.

a) aa) Parmi les atteintes à la santé psychique, qui
peuvent, comme les atteintes physiques, provoquer une inva-
lidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI, on doit mentionner
- à part les maladies mentales proprement dites - les
anomalies psychiques qui équivalent à des maladies. On ne
considère pas comme des conséquences d'un état psychique
maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge
par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité
de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de
bonne volonté; la mesure de ce qui est exigible doit être
déterminée aussi objectivement que possible. Il faut donc
établir si et dans quelle mesure un assuré peut, malgré son
infirmité mentale, exercer une activité que le marché du
travail lui offre, compte tenu de ses aptitudes. Le point
déterminant est ici de savoir quelle activité peut raison-
nablement être exigée dans son cas. Pour admettre l'exis-
tence d'une incapacité de gain causée par une atteinte à la
santé mentale, il n'est donc pas décisif que l'assuré
exerce une activité lucrative insuffisante; il faut bien
plutôt se demander s'il y a lieu d'admettre que la mise à
profit de sa capacité de travail ne peut, pratiquement,
plus être raisonnablement exigée de lui, ou qu'elle serait

même insupportable pour la société (ATF 102 V 165; VSI 2001
p. 224 consid. 2b et les références; cf. aussi 127 V 298
consid. 4c in fine).

bb) Avant de conférer pleine valeur probante à un
rapport médical, le juge des assurances sociales s'assurera
que les points litigieux ont fait l'objet d'une étude
circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens
complets, qu'il prend également en considération les
plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il a été
établi en pleine connaissance de l'anamnèse, que la des-
cription du contexte médical et l'appréciation de la
situation médicale sont claires et enfin que les conclu-
sions de l'expert sont dûment motivées (ATF 125 V 352 con-
sid. 3a et les références).
Les troubles somatoformes douloureux entrent dans la
catégorie des affections psychiques, pour lesquelles une
expertise psychiatrique est en principe nécessaire quand il
s'agit de se prononcer sur l'incapacité de travail qu'ils
sont susceptibles d'entraîner. La tâche de l'expert consis-
te alors à poser un diagnostic dans le cadre d'une classi-
fication reconnue et se prononcer sur le degré de gravité
de l'affection. Il doit évaluer le caractère exigible de la
reprise par l'assuré d'une activité lucrative. Ce pronostic
tiendra compte de divers critères, tels une structure de la
personnalité présentant des traits prémorbides, une comor-
bidité psychiatrique, des affections corporelles chroni-
ques, une perte d'intégration sociale, un éventuel profit
tiré de la maladie, le caractère chronique de celle-ci sans
rémission durable, une durée de plusieurs années de la
maladie avec des symptômes stables ou en évolution, l'échec
de traitements conformes aux règles de l'art. Le cumul des
critères précités fonde un pronostic défavorable. Enfin
l'expert doit s'exprimer sur le cadre psychosocial de la
personne examinée. Au demeurant, la recommandation de refus
d'une rente doit également reposer sur différents critères.

Au nombre de ceux-ci figurent la divergence entre les dou-
leurs décrites et le comportement observé, l'allégation
d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent
vagues, l'absence de demande de soins, les grandes diver-
gences entre les informations fournies par le patient et
celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes
très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que
l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement
psychosocial intact (VSI 2000 p. 154 consid. 2c; Mosimann,
Somatoforme Störungen : Gerichte und (psychiatrische)
Gutachten, RSAS 1999, p. 1 ss et 105 ss).

b) Il ne ressort nullement de ce qui précède que seuls
des troubles somatoformes douloureux liés à une commorbi-
dité psychiatrique grave seraient susceptibles d'entraîner
une invalidité au sens de la LAI. Une telle commorbidité
constitue tout au plus l'un des critères, certes important,
à prendre en considération dans le cadre d'une évaluation
globale de la situation médicale. A cet égard, la signifi-
cation donnée par la juridiction cantonale à la juris-
prudence publiée dans la revue Pratique VSI 2000 p. 156 est
inexacte : dans l'arrêt en question, le Tribunal fédéral
des assurances avait nié l'existence d'une incapacité de
travail fondée sur des troubles somatoformes douloureux; il
s'était notamment référé à un rapport psychiatrique
excluant une commorbidité psychiatrique grave, mais ce
document ne faisait que corroborer les conclusions d'une
expertise psychiatrique complète, sur laquelle reposait la
conviction du tribunal.
En réalité, l'expertise figurant au dossier, de même
que les rapports établis par la doctoresse A.________,
présentent une valeur probante insuffisante pour admettre
ou exclure que les troubles somatoformes douloureux dont
souffre la recourante l'empêchent de travailler. Présentées
en huit lignes dans l'expertise - on peut à cet égard
regretter qu'un rapport complet n'ait pas été annexé - les

observations effectuées par la doctoresse D.________
semblent toutes aller dans le sens d'une pleine capacité de
travail de l'assurée; cependant, sans autre explication
dans l'expertise, la doctoresse D.________ fait état d'une
incapacité de travail de 70 % en raison de troubles soma-
toformes douloureux. Cette simple affirmation, reprise
telle quelle par les docteurs B.________ et C.________, ne
saurait emporter la conviction. Mais en l'absence de docu-
ments médicaux probants, ni l'intimé, ni le premier juge ne
pouvait se dispenser d'instruire la cause et de mettre en
oeuvre une expertise psychiatrique complète. Aussi la cause
sera-t-elle retournée à l'office AI pour instruction com-
plémentaire et nouvelle décision.

4.- La recourante soutient également que son état de
santé physique ne lui permet plus de travailler. A cet
égard toutefois, l'expertise réalisée par les docteurs
B.________ et C.________ est convaincante et permet
d'exclure, sur le plan strictement somatique, une inca-
pacité de travail dans une profession adaptée, au moment de
la décision litigieuse. Sur ce point, le recours est donc
mal fondé, étant précisé qu'une éventuelle péjoration de
l'état de santé de L.________ postérieure au 13 avril 2000
- le rapport du docteur E.________ date du 4 mai 2001 - est
dépourvue de pertinence en l'espèce (cf. ATF 121 V 366 con-
sid. 1b et les arrêts cités). Cas échéant, une telle évolu-
tion de la situation devra cependant être prise en considé-
ration par l'office intimé lorsqu'il se prononcera à
nouveau sur la demande de prestations de l'assurée.

5.- La procédure, qui porte sur l'octroi ou le refus
de prestations d'assurance, est gratuite (art. 134 OJ). Par
ailleurs, la recourante obtient pour l'essentiel gain de
cause et peut prétendre une plein indemnité de dépens
(art. 159 OJ, en corrélation avec l'art. 135 OJ), si bien
que sa requête d'assistance judiciaire est sans objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est admis en ce sens que le jugement du
30 janvier 2001 du Tribunal des assurances du canton
de Vaud ainsi que la décision du 13 avril 2000 de
l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de
Vaud sont annulés, l'affaire étant renvoyée à l'intimé
pour instruction complémentaire au sens des considé-
rants et nouvelle décision.

II. Il n'est pas perçu de frais de justice.

III. L'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de
Vaud versera à la recourante la somme de 2500 fr. (y
compris la taxe à la valeur ajoutée) à titre de dépens
pour l'instance fédérale.

IV. Le Tribunal des assurances du canton de Vaud statuera
sur les dépens pour la procédure de première instance,
au regard de l'issue du procès de dernière instance.

V. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
Tribunal des assurances du canton de Vaud et à
l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 6 mai 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIe Chambre :

Le Greffier :


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.275/01
Date de la décision : 06/05/2002
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-05-06;i.275.01 ?
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