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30/04/2002 | SUISSE | N°I.382/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 avril 2002, I.382/01


«AZA 7»
I 382/01 Mh

IIe Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Widmer et Frésard.
Greffier : M. Berthoud

Arrêt du 30 avril 2002

dans la cause

A.________, recourant, représenté par Me Jean-Pierre
Huguenin, avocat, Passage Max.-Meuron 1, 2001 Neuchâtel,

contre

Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel,
Espacité 4-5, 2302 La Chaux-de-Fonds, intimé,

et

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

A.- Le 23 juin 1997, A.__

______, menuisier, a été
victime d'un accident qui a entraîné une fracture-tassement
avec séparation du plateau tibial externe gau...

«AZA 7»
I 382/01 Mh

IIe Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Widmer et Frésard.
Greffier : M. Berthoud

Arrêt du 30 avril 2002

dans la cause

A.________, recourant, représenté par Me Jean-Pierre
Huguenin, avocat, Passage Max.-Meuron 1, 2001 Neuchâtel,

contre

Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel,
Espacité 4-5, 2302 La Chaux-de-Fonds, intimé,

et

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

A.- Le 23 juin 1997, A.________, menuisier, a été
victime d'un accident qui a entraîné une fracture-tassement
avec séparation du plateau tibial externe gauche, traitée
par ostéosynthèse et greffe. La Caisse nationale suisse
d'assurance en cas d'accidents (CNA) a pris les suites de
cet événement à sa charge.

Le 15 septembre 1998, le prénommé s'est annoncé à
l'assurance-invalidité en demandant une rente. Son médecin
traitant, le docteur B.________, a diagnostiqué diverses
affections entraînant, à son avis, une incapacité de tra-
vail de 50 % (rapport du 6 octobre 1998). Par lettre du
4 mai 1999, l'Office de l'assurance-invalidité du canton de
Neuchâtel (l'office AI) a informé l'assuré et le docteur
B.________ qu'il avait confié un mandat d'expertise médi-
cale au docteur C.________, spécialiste en médecine interne
et rhumatologie; l'assuré s'est soumis à l'examen sans
réagir. Dans son rapport d'expertise rhumatologique du
8 juillet 1999, le docteur C.________ a rappelé que le
patient avait séjourné à la clinique X.________, où des
troubles thymiques et des tendances à la somatisation
avaient été soulignés, dans un contexte d'accident et de
fibromyalgie; l'expert a indiqué qu'il avait contacté le
psychiatre de l'assuré, le docteur D.________, lequel avait
constaté un état dépressif. L'expert C.________ a néanmoins
retenu que rien ne s'opposait à la reprise du travail par
l'assuré, dont la capacité restait entière dans un emploi
de menuisier; quant à une reconversion professionnelle,
elle n'était pas nécessaire.
L'assuré a produit les avis de deux autres médecins.
Le docteur D.________ estimait que sa capacité de travail
était réduite en raison d'affections d'ordre psychique,
notamment des troubles dépressifs, dissociatifs et somato-
formes douloureux (rapports des 22 septembre et 15 décembre
1999). Quant au docteur E.________, spécialiste en maladies
rhumatismales, il a mis en évidence un état dépressif en-
traînant une incapacité de travail (rapport du 6 janvier
2000).
Par décision du 20 avril 2000, l'office AI a rejeté la
demande.

B.- A.________ a recouru contre cette décision devant
le Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, en

concluant à l'allocation d'une rente entière d'invalidité.
Il a par ailleurs demandé la mise en oeuvre d'expertises
psychiatrique et pluridisciplinaire.
Par jugement du 11 mai 2001, la juridiction cantonale
a rejeté le recours.

C.- A.________ interjette recours de droit administra-
tif contre ce jugement dont il demande l'annulation, avec
suite de dépens, en concluant derechef au versement d'une
rente entière d'invalidité. Il renouvelle sa demande d'ex-
pertises, tant psychiatrique que rhumatologique, et propose
en plus d'ordonner une expertise permettant d'établir
l'existence d'un trouble somatoforme douloureux. Par
ailleurs, il produit un certificat de la Division autonome
de neuropsychologie du Centre Hospitalier Y.________, où il
a été examiné le 18 juin 2001.
L'intimé conclut au rejet du recours, tandis que
l'Office fédéral des assurances sociales ne s'est pas
déterminé.

Considérant en droit :

1.- Le litige porte sur le droit du recourant à une
rente d'invalidité, justifiée selon lui par l'état de sa
santé physique et psychique.

2.- Selon l'art. 4 al. 1 LAI, l'invalidité est la
diminution de la capacité de gain, présumée permanente ou
de longue durée, qui résulte d'une atteinte à la santé
physique ou mentale provenant d'une infirmité congénitale,
d'une maladie ou d'un accident.

3.- Le recourant adresse diverses critiques à l'encon-
tre du rapport d'expertise rhumatologique du docteur
C.________ du 8 juillet 1999. Il reproche en particulier à

cet expert d'avoir manqué d'impartialité, dans la mesure où
il était jadis son médecin traitant.
Ainsi que les premiers juges l'ont admis à juste
titre, le moyen tiré de l'apparence de prévention est
tardif, car le recourant a attendu de connaître le résultat
de l'expertise rhumatologique avant de se plaindre du choix
de l'expert (cf. consid. 3a du jugement attaqué). En effet,
selon la jurisprudence en matière de récusation d'un juge
(et qui s'applique par analogie à la récusation d'un
expert; VSI 2001 p. lll consid. 4a/aa) un motif de récusa-
tion doit être invoqué dès que possible, soit en principe
dès le début des débats, mais au plus tard dès que le
plaideur a connaissance de l'identité des membres composant
l'autorité, à défaut de quoi il est réputé avoir tacitement
renoncé à s'en prévaloir (ATF 119 Ia 228 sv., 118 Ia 284
consid. 3a, 215, 116 Ia 138 consid. 2d, 115 V 262 con-
sid. 4b, 114 V 62 consid. 2b; Egli/Kurz, La garantie du
juge indépendant et impartial dans la jurisprudence ré-
cente, Recueil de jurisprudence neuchâteloise [RJN] 1990
p. 28 sv.). La jurisprudence précise qu'il est contraire à
la bonne foi d'attendre la procédure de recours pour deman-
der la récusation d'un juge ou d'un fonctionnaire alors que
le motif de récusation était déjà connu auparavant (ATF
114 Ia 280 consid. 3e).
Mal fondée, la requête d'expertise rhumatologique doit
donc être écartée.

4.- a) Parmi les atteintes à la santé psychique, qui
peuvent, comme les atteintes physiques, provoquer une inva-
lidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI, on doit mentionner
- à part les maladies mentales proprement dites - les ano-
malies psychiques qui équivalent à des maladies. On ne
considère pas comme des conséquences d'un état psychique
maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge

par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité
de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de
bonne volonté; la mesure de ce qui est exigible doit être
déterminée aussi objectivement que possible. Il faut donc
établir si et dans quelle mesure un assuré peut, malgré son
infirmité mentale, exercer une activité que le marché du
travail lui offre, compte tenu de ses aptitudes. Le point
déterminant est ici de savoir quelle activité peut raison-
nablement être exigée dans son cas. Pour admettre l'exis-
tence d'une incapacité de gain causée par une atteinte à la
santé mentale, il n'est donc pas décisif que l'assuré exer-
ce une activité lucrative insuffisante; il faut bien plutôt
se demander s'il y a lieu d'admettre que la mise à profit
de sa capacité de travail ne peut, pratiquement, plus être
raisonnablement exigée de lui, ou qu'elle serait même in-
supportable pour la société (ATF 102 V 165; VSI 2000 p. 153
consid. 2a et les références).
Selon la jurisprudence, des troubles somatoformes dou-
loureux peuvent, dans certaines circonstances, provoquer
une incapacité de travail (ATF 120 V 119 consid. 2c/cc;
RSAS 1997 p. 75; RAMA 1996 n° U 256 pp. 217 ss consid. 5
et 6). De tels troubles entrent dans la catégorie des af-
fections psychiques, pour lesquelles une expertise psychia-
trique est en principe nécessaire quand il s'agit de se
prononcer sur l'incapacité de travail qu'ils sont suscepti-
bles d'entraîner (VSI 2000 p. 160 consid. 4b).
A cet égard, la doctrine a décrit en détail la tâche
de l'expert médical, lorsque celui-ci doit se prononcer sur
le caractère invalidant de troubles somatoformes. Selon
Mosimann, sur le plan psychiatrique, l'expert doit poser un
diagnostic dans le cadre d'une classification reconnue et
se prononcer sur le degré de gravité de l'affection. Il
doit évaluer le caractère exigible de la reprise par l'as-
suré d'une activité lucrative. Ce pronostic tiendra compte
de divers critères, tels une structure de la personnalité
présentant des traits prémorbides, une comorbidité psychia-

trique, des affections corporelles chroniques, une perte
d'intégration sociale, un éventuel profit tiré de la mala-
die, le caractère chronique de celle-ci sans rémission
durable, une durée de plusieurs années de la maladie avec
des symptôme stables ou en évolution, l'échec de traite-
ments conformes aux règles de l'art. Le cumul des critères
précités fonde un pronostic défavorable. Enfin, l'expert
doit s'exprimer sur le cadre psychosocial de la personne
examinée. Au demeurant, la recommandation de refus d'une
rente doit également reposer sur différents critères. Au
nombre de ceux-ci figurent la divergence entre les douleurs
décrites et le comportement observé, l'allégation d'inten-
ses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues,
l'absence de demande de soins, les grandes divergences
entre les informations fournies par le patient et celles
ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très
démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que
l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement
psychosocial intact (Mosimann, Somatoforme Störungen :
Gerichte und [psychiatrische] Gutachten, RSAS 1999, p. 1 ss
et 105 ss; VSI 2000 p. 155 consid. 2c).

b) Le recourant rappelle que le psychiatre qui l'avait
examiné, le docteur BD.________, avait décelé divers
troubles psychiques qui réduisent sa capacité de travail. A
cet égard, il reproche à l'intimé d'avoir écarté l'avis du
spécialiste en psychiatrie au profit des conclusions de
l'expert rhumatologue, le docteur C.________, qui niait le
caractère invalidant desdites affections psychiques.
L'existence de telles affections chez le recourant
(notamment des troubles dépressifs, dissociatifs et somato-
formes douloureux) est effectivement documentée, tant par
le docteur C.________ (rapport du 8 juillet 1999), par ses
confrères D.________ (rapports des 22 septembre et 15 dé-
cembre 1999) et E.________ (rapport 6 janvier 2000), que
par les responsables de Y.________ (compte-rendu d'examen
du 18 juin 2001). Toutefois, on ignore à ce stade si les

conséquences de ces troubles doivent être supportées par
l'AI, dès lors que la gravité du syndrome douloureux et son
éventuel caractère invalidant (cf. art. 4 LAI) n'a pas été
instruite à satisfaction. En effet, en l'absence d'une
expertise psychiatrique répondant aux exigences posées par
la jurisprudence (cf. VSI 2000 p. 155 consid. 2c), il est
impossible de se prononcer sur l'incapacité de travail que
ledit syndrome douloureux, de même que les autres affec-
tions psychiques, seraient éventuellement susceptibles
d'entraîner chez le recourant (VSI 2000 p. 160 consid. 4b).
C'est ainsi à juste titre que ce dernier a requis un
complément d'instruction dans ses conclusions subsidiaires.
L'intimé, à qui la cause doit être renvoyée (cf. RAMA 1993
n° U 170 p. 136 consid. 4a), mettra en oeuvre une expertise
psychiatrique, puis statuera à nouveau sur la prétention du
recourant à une rente.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est admis en ce sens que le jugement du
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel du
11 mai 2001 et la décision de l'Office de l'assurance-
invalidité du canton de Neuchâtel du 20 avril 2000
sont annulés, la cause étant renvoyée à l'intimé pour
instruction complémentaire au sens des considérants et
nouvelle décision.

II. Il n'est pas perçu de frais de justice.

III. L'intimé versera au recourant la somme de 2500 fr. à
titre de dépens (y compris la taxe à la valeur ajou-
tée) pour l'instance fédérale.

IV. Le Tribunal administratif du canton de Neuchâtel
statuera sur les dépens pour la procédure de première
instance, au regard de l'issue du procès de dernière
instance.

V. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel et à
l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 30 avril 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIe Chambre :

Le Greffier :


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.382/01
Date de la décision : 30/04/2002
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-04-30;i.382.01 ?
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