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25/04/2002 | SUISSE | N°4P.17/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 25 avril 2002, 4P.17/2002


«AZA 1/2»
4P.17/2002

Ie C O U R C I V I L E
****************************

25 avril 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

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Statuant sur le recours de droit public
formé par

Polcon Italiana S.R.L., à Milan (Italie), et Polcon Italiana
(M) SDN. BHD., à Kuala Lumpur (Malaisie), toutes deux repré-
sentées par Me Horace Gautier, avocat à Genève,

contre

la sentence finale rendue le 29 novembre 2001 pa

r le
Tribunal
arbitral composé de MM. Pierre-André Morand, président,
Christoph Brunner et Philippe de Coulon, arbitr...

«AZA 1/2»
4P.17/2002

Ie C O U R C I V I L E
****************************

25 avril 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

____________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Polcon Italiana S.R.L., à Milan (Italie), et Polcon Italiana
(M) SDN. BHD., à Kuala Lumpur (Malaisie), toutes deux repré-
sentées par Me Horace Gautier, avocat à Genève,

contre

la sentence finale rendue le 29 novembre 2001 par le
Tribunal
arbitral composé de MM. Pierre-André Morand, président,
Christoph Brunner et Philippe de Coulon, arbitres, dans la
cause qui oppose les recourantes à PT. Perkebunan Nusantara
III (Persero), à Medan (Indonésie), représentée par M. le
Professeur Mariam Darus, SH, Law Offices of Dr. Darus &
Partners, à Jakarta (Indonésie);

(arbitrage international; droit d'être entendu; interdiction
de statuer ultra petita)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Un contrat daté du 15 avril 1992 a été conclu
entre, d'une part, PT. Perkebunan Nusantara III (Persero), à
Medan (Indonésie) (ci-après: PTP) et, d'autre part, les so-
ciétés Polcon Italiana S.R.L., à Milan (Italie), et Polcon
Italiana (M) SDN. BHD., à Kuala Lumpur (Malaisie) (ci-après:
les sociétés Polcon). Il prévoit que les sociétés Polcon
sont
chargées de vendre la production (des filaments de
caoutchouc) de PTP, principalement en Europe et en Amérique
du sud. Les parties sont convenues que tout litige à ce
sujet
serait soumis exclusivement à un tribunal arbitral siégeant
à
Genève.

Dès février 1995, deux sociétés brésiliennes et une
société mexicaine (toutes trois appartenant à la même per-
sonne) n'ont pas payé les factures que leur avaient
adressées
les sociétés Polcon pour de la marchandise produite par PTP
que les sociétés latino-américaines avaient achetée. Il en
est résulté un différend entre les parties, chacune
soutenant
qu'il appartenait à l'autre d'assumer le risque d'un non-
paiement. N'étant pas payée, PTP a retenu des livraisons et
les sociétés Polcon ont de leur côté retenu des versements
relatifs à d'autres ventes.

B.- Pour trancher le litige, un Tribunal arbitral
siégeant à Genève a été constitué, composé de Pierre-André
Morand, président, de Christoph Brunner et de Philippe de
Coulon.

Les arbitres, par sentence du 31 mai 1999, ont dé-
cidé d'appliquer le droit suisse. Ils ont tranché certaines

questions litigieuses par une sentence préliminaire du 31
janvier 2001.

Par sentence finale du 29 novembre 2001, le Tri-
bunal arbitral a condamné solidairement les sociétés Polcon
à
payer à PTP, avec intérêts, les sommes suivantes:

- 2'621'479,26 US$
- 1'351'001,40 US$
- 859'310'865 ITL

Sur la demande reconventionnelle présentée par Polcon Italia-
na S.R.L., ledit tribunal a condamné PTP à payer à cette so-
ciété la somme de 33'289'600 ITL avec intérêts. Il a déclaré
que les sommes précitées pouvaient être compensées.

C.- Les sociétés Polcon forment un recours de
droit public au Tribunal fédéral contre la sentence du 29 no-
vembre 2001. Soutenant que le Tribunal arbitral a violé leur
droit d'être entendues et statué ultra petita en admettant
la
solidarité entre elles, les sociétés Polcon concluent à
l'annulation de la sentence attaquée. Elles ont sollicité
par
ailleurs l'effet suspensif, qui leur a été refusé par ordon-
nance présidentielle du 2 avril 2002.

Le Tribunal arbitral, par l'organe de son prési-
dent, présente des observations tendant au rejet du recours
dans la mesure de sa recevabilité.

PTP n'a pas pris part à la procédure devant le
Tribunal fédéral.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Selon l'art. 85 let. c OJ, le recours de
droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre une sen-
tence arbitrale aux conditions des art. 190 ss LDIP. Il con-
vient donc d'examiner en premier lieu si les conditions pré-
vues par ces dispositions sont réunies.

Comme le siège du Tribunal arbitral a été fixé en
Suisse (à Genève) et que l'une des parties au moins n'avait,
au moment de la conclusion de la convention d'arbitrage, ni
son domicile, ni sa résidence habituelle en Suisse, les art.
190 ss LDIP sont applicables (art. 176 al. 1 LDIP), étant
observé que les parties n'en ont pas exclu l'application par
écrit en choisissant d'appliquer exclusivement les règles de
la procédure cantonale en matière d'arbitrage (art. 176 al.
2
LDIP). Le recours au Tribunal fédéral prévu par l'art. 191
al. 1 LDIP est ici ouvert, puisque les parties n'ont pas
choisi, en lieu et place, le recours à l'autorité cantonale
(art. 191 al. 2 LDIP). En prévoyant la compétence exclusive
du Tribunal arbitral, la clause compromissoire se réfère
manifestement au jugement du litige en première instance;
elle ne traite nullement de l'hypothèse d'un recours, de
sorte que l'on ne peut en déduire que les parties ont voulu,
avec la précision requise, exclure conventionnellement le
recours au Tribunal fédéral (cf. art. 192 LDIP; ATF 116 II
639 consid. 2c).

Le recours ne peut être formé que pour l'un des mo-
tifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP
(ATF 128 III 50 consid. 1a; 127 III 279 consid. 1a p. 282;
119 II 380 consid. 3c p. 383).

La sentence attaquée étant une décision finale, le
recours est ouvert pour tous les motifs prévus par l'art.
190
al. 2 LDIP (art. 190 al. 3 LDIP a contrario).

Ayant ainsi constaté que le recours est ouvert, il
sied maintenant de vérifier si les règles de procédure ont
été respectées.

b) Pour le recours en matière d'arbitrage interna-
tional, la procédure devant le Tribunal fédéral est régie
par
les dispositions de la loi fédérale d'organisation
judiciaire
relatives au recours de droit public (art. 191 al. 1 2ème
phrase LDIP).

Les recourantes sont personnellement touchées par
la sentence attaquée, qui les condamne solidairement à paie-
ment, de sorte qu'elle ont un intérêt personnel, actuel et
juridiquement protégé à ce que cette décision n'ait pas été
rendue en violation des garanties découlant de l'art. 190
al.
2 LDIP; en conséquence, elles ont qualité pour recourir
(art.
88 OJ).

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 et 34 al. 1
let. c OJ), dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1
OJ), le recours est en principe recevable.

Hormis certaines exceptions, il n'a qu'un caractère
cassatoire (ATF 128 III 50 consid. 1b; 127 III 279 consid.
1b; 126 III 524 consid. 1b).

c) Dès lors que les règles de procédure sont celles
du recours de droit public, la partie recourante doit invo-
quer ses griefs conformément aux exigences de l'art. 90 al.
1
let. b OJ. Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs admissibles qui ont été
invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours. La

partie recourante doit donc indiquer quelle hypothèse de
l'art. 190 al. 2 LDIP est à ses yeux réalisée et, en partant
de la décision attaquée, montrer de façon circonstanciée en
quoi consisterait la violation du principe invoqué (cf. ATF
128 III 50 consid. 1c; 127 III 279 consid. 1c; 126 III 524
consid. 1c); ce n'est qu'à ces conditions qu'il est possible
d'entrer en matière.

2.- a) Les recourantes soutiennent que la sentence
attaquée a été rendue en violant leur droit d'être entendues.

b) Ce motif d'annulation, prévu par l'art. 190 al.
2 let. d LDIP, a pour but d'assurer le respect de la règle
de
procédure impérative contenue à l'art. 182 al. 3 LDIP (ATF
119 II 386 consid. 1b p. 388; 117 II 346 consid. 1a).

Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par
les art. 182 al. 3 et 190 al. 2 let. d LDIP, n'a en principe
pas un contenu différent de celui consacré en droit constitu-
tionnel (ATF 127 III 576 consid. 2c; 119 II 386 consid. 1b;
117 II 346 consid. 1a).

Ainsi, il a été admis, dans le domaine de l'arbi-
trage, que chaque partie avait le droit de s'exprimer sur
les
faits essentiels pour le jugement, de présenter son argumen-
tation juridique, de proposer ses moyens de preuves sur des
faits pertinents, de prendre part aux séances du tribunal et
de prendre connaissance du dossier (ATF 127 III 576 consid.
2c; 116 II 639 consid. 4c).

S'agissant du droit de s'exprimer, il convient de
rappeler que le tribunal arbitral n'est pas tenu de signaler
quels sont les faits déterminants pour la décision à rendre,
à moins qu'il n'envisage d'admettre une argumentation juri-
dique à laquelle les parties n'avaient pas à s'attendre
(arrêt 4P.260/2000 du 2 mars 2001, consid. 6). Quant au
droit

de faire administrer des preuves, il faut qu'il ait été exer-
cé en temps utile et selon les règles de forme applicables
(ATF 119 II 386 consid. 1b).

On doit encore rappeler qu'un vice de procédure
doit, sous peine de forclusion, être invoqué immédiatement
devant le tribunal arbitral, à un moment où il pourrait en
principe être encore corrigé; il serait contraire aux règles
de la bonne foi de garder un argument en réserve pour ne le
faire valoir qu'en cas d'issue défavorable de la procédure
(ATF 119 II 386 consid. 1a).

c) En l'espèce, il ressort des explications des re-
courantes (acte de recours p. 18/19 no. 8-11) que l'intimée,
en tant que partie demanderesse, a d'emblée conclu à ce que
les deux sociétés recourantes (les défenderesses) soient con-
damnées à lui payer les mêmes sommes dûment précisées. Dans
ce contexte, il était évident que l'intimée ne demandait pas
à recevoir deux fois un montant identique. Elle n'a pas non
plus divisé la créance invoquée, de manière à déterminer une
somme individualisée due par chacune des sociétés défende-
resses. Elle a clairement réclamé le tout aux deux défende-
resses, dans des conditions qui montraient que le paiement
qui pourrait être fait par l'une d'elles libérait l'autre
d'autant. Même si le terme exact n'a pas été employé, cette
figure juridique est la solidarité (cf. Schnyder,
Commentaire
bâlois, n. 1 ad art. 143 CO; von Tuhr/Escher, Allgemeiner
Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, vol. II, p.
297;
Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2ème éd., p.
831 ss).

Ainsi, il apparaissait d'emblée que l'intimée, même
si elle n'a pas employé le terme exact, demandait que les
sociétés défenderesses soient condamnées solidairement à lui
payer une somme d'argent. Face à une telle demande, il appar-
tenait aux recourantes, si elles entendaient contester le ca-

ractère solidaire de leur obligation éventuelle, de le dire
dans leur réponse et d'offrir leurs moyens de preuve à cet
égard. On ne voit pas ce qui les empêchait de le faire.

Il semble que ce soient les recourantes qui aient
provoqué un effet de surprise en contestant pour la première
fois dans leur écriture finale du 15 mai 2001 (après la pro-
duction des pièces et l'audition des témoins) l'existence
d'un rapport de solidarité (p. 7, 10 et 11 de la sentence
attaquée). Selon les explications fournies dans la sentence
attaquée - qui ne sont pas remises en cause dans le présent
recours -, le Tribunal arbitral a interpellé les parties sur
cette question lors de l'audience de plaidoiries du 21 juin
2001. La demanderesse, interprétant ses propres conclusions,
a confirmé qu'elle demandait une condamnation solidaire
(p. 12 de la sentence attaquée). Les recourantes ont ainsi
eu
l'occasion de s'exprimer au sujet de l'absence prétendue de
solidarité à deux reprises: dans leur écriture du 15 mai
2001
et lors des plaidoiries du 21 juin 2001.

A l'issue de l'audience de plaidoiries, le Tribunal
arbitral a prononcé la clôture des débats, après que les par-
ties ont déclaré qu'elles n'avaient pas d'objections à soule-
ver quant au déroulement de la procédure (sentence attaquée
p. 8). En se déclarant satisfaites du déroulement de la pro-
cédure, alors que celle-ci arrivait à son terme et que les
recourantes savaient que la question de la solidarité était
litigieuse, les sociétés défenderesses ont, par leur attitu-
de, renoncé à toute autre mesure probatoire. Si elles esti-
maient que la procédure avait été irrégulière, elles ne
pouvaient le dissimuler, à un moment où des mesures auraient
encore pu être prises, pour n'invoquer ce moyen qu'en cas
d'issue défavorable du litige.

En conséquence, il apparaît que les recourantes ont
eu l'occasion de s'exprimer et d'offrir leurs preuves sur la

question de la solidarité, si bien que leur droit d'être en-
tendues n'a aucunement été violé.

3.- a) Les recourantes font valoir que le Tribunal
arbitral a statué au-delà des demandes dont il était saisi
(art. 190 al. 2 let. c LDIP).

b) Une sentence statue ultra ou extra petita si
elle alloue davantage ou autre chose que ce qui a été
demandé
(ATF 120 II 172 consid. 3a; 116 II 639 consid. 3a).

c) En l'occurrence, il résulte des conclusions re-
produites par les recourantes dans leur mémoire de recours
(p. 18-23) que la demanderesse a constamment conclu à ce
qu'elles soient l'une et l'autre condamnées à payer les
mêmes
sommes. Comme on l'a exposé ci-dessus, ces conclusions impli-
quaient un rapport de solidarité. On ne voit d'ailleurs pas
ce qui interdisait au Tribunal arbitral d'interpréter les
conclusions prises par la partie demanderesse, dès lors
qu'il
s'agissait de dégager le sens et la portée d'une manifesta-
tion de volonté.

Au demeurant, il ressort des explications contenues
dans la sentence attaquée (p. 12/13) que la demanderesse, à
la suite de la contestation de la solidarité dans l'écriture

des recourantes du 15 mai 2001, a précisé le sens de ses con-
clusions en confirmant, lors de l'audience de plaidoiries du
21 juin 2001, qu'elle demandait une condamnation solidaire.
On cherche vainement ce qui interdisait à l'intimée de préci-
ser le sens de ses conclusions lors de l'audience en ques-
tion. Du moment que la demanderesse avait clairement solli-
cité, en cette occasion, une condamnation solidaire, le Tri-
bunal arbitral, en l'accordant, n'a évidemment pas statué
ultra petita.

Ce grief, totalement infondé, confine à la témé-
rité.

4.- Il suit de là que le recours doit être rejeté.
Les frais doivent être mis solidairement à la charge des
recourantes qui succombent (art. 156 al. 1 et 7 OJ).

Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens à l'intimée,
puisqu'elle n'a pas pris part à la procédure devant le Tribu-
nal fédéral (cf. art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 25 000 fr. soli-
dairement à la charge des recourantes;

3. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et au président du Tribunal arbitral.

____________

Lausanne, le 25 avril 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.17/2002
Date de la décision : 25/04/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-04-25;4p.17.2002 ?
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