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12/04/2002 | SUISSE | N°C.364/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 avril 2002, C.364/01


«AZA 7»
C 364/01 Mh

IIe Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Widmer et Frésard.
Greffier : M. Beauverd

Arrêt du 12 avril 2002

dans la cause

Caisse cantonale genevoise de chômage, rue de Mont-
brillant 40, 1201 Genève, recourante,

contre

F.________, intimé, représenté par Me Claude Aeberle,
avocat, route de Malagnou 32, 1208 Genève,

et

Commission cantonale de recours en matière d'assurance-
chômage, Genève

A.- F.________ a travaillé au

service de X.________ SA
depuis le 1er octobre 1998 en qualité de «product coordi-
nator». Les parties ont convenu d'un salaire mensue...

«AZA 7»
C 364/01 Mh

IIe Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Widmer et Frésard.
Greffier : M. Beauverd

Arrêt du 12 avril 2002

dans la cause

Caisse cantonale genevoise de chômage, rue de Mont-
brillant 40, 1201 Genève, recourante,

contre

F.________, intimé, représenté par Me Claude Aeberle,
avocat, route de Malagnou 32, 1208 Genève,

et

Commission cantonale de recours en matière d'assurance-
chômage, Genève

A.- F.________ a travaillé au service de X.________ SA
depuis le 1er octobre 1998 en qualité de «product coordi-
nator». Les parties ont convenu d'un salaire mensuel brut
de 7500 fr. La société a été dissoute par suite de faillite
prononcée par jugement du Tribunal de première instance de
Genève le 15 juin 1999. F.________ a produit dans la fail-
lite une créance de salaire de 73 125 fr. pour les mois

d'octobre 1998 à juin 1999 (soit neuf mois de salaire à
7500 fr., plus une part au 13ème mois de salaire de
5625 fr.), ainsi qu'une créance pour des frais de dépla-
cement de 17 550 fr. (1950 fr. par mois). Le 19 juillet
1999, il a présenté une demande d'indemnité en cas
d'insolvabilité.
Par décision du 12 août 1999, la Caisse cantonale
genevoise de chômage a rejeté cette demande, au motif que
l'assuré, sous réserve d'un acompte de 5000 fr. versé à fin
1998, n'avait pas reçu de salaire durant huit mois environ,
sans faire valoir de prétention à ce titre et sans avoir
entrepris aucune mesure susceptible de sauvegarder ses
droits. De ce fait, il n'avait pas satisfait à l'obligation
générale qui incombe à tout assuré de réduire le dommage.
Par décision du 24 janvier 2000, le Groupe réclama-
tions de l'Office cantonal de l'emploi a rejeté le recours
formé contre cette décision par l'assuré.

B.- F.________ a recouru contre cette dernière déci-
sion devant la Commission cantonale genevoise de recours en
matière d'assurance-chômage.
Après avoir entendu plusieurs témoins, cette autorité
a statué le 21 septembre 2000. Elle a admis le recours et
annulé la décision attaquée, en renvoyant la cause à la
caisse pour nouvelle décision au sens des motifs.

C.- La Caisse cantonale genevoise de chômage inter-
jette un recours de droit administratif contre ce jugement,
dont elle demande l'annulation. F.________ conclut au rejet
du recours. Quant au Secrétariat d'Etat à l'économie
(seco), il ne s'est pas déterminé à son sujet.

Considérant en droit :

1.- a) Aux termes de l'art. 51 al. 1 let. a LACI, les
travailleurs assujettis au paiement des cotisations, qui
sont au service d'un employeur insolvable sujet à une
procédure d'exécution forcée en Suisse ou employant des
travailleurs en Suisse, ont droit à une indemnité pour
insolvabilité lorsqu'une procédure de faillite est engagée
contre leur employeur et qu'ils ont, à ce moment-là, des
créances de salaire envers lui. Selon l'art. 52 al. 1 LACI
(dans sa version en vigueur jusqu'au 31 août 1999), l'in-
demnité en cas d'insolvabilité couvre les créances de
salaire portant sur les six derniers mois du rapport de
travail, jusqu'à concurrence, pour chaque mois, du montant
maximum selon l'art. 3 al. 1 LACI; les allocations dues au
travailleur sont réputées partie intégrante du salaire.
L'art. 53 al. 1 LACI dispose que lorsque l'employeur a
été déclaré en faillite, le travailleur doit présenter sa
demande d'indemnisation à la caisse publique compétente à
raison du lieu de l'office des poursuites ou des faillites
dans un délai de 60 jours à compter de la date de la publi-
cation de la faillite dans la Feuille officielle Suisse du
commerce.
Les dispositions des art. 51 ss LACI ont introduit une
assurance perte de gain en cas d'insolvabilité d'un emplo-
yeur, destinée à combler une lacune dans le système de
protection sociale. Pour le législateur, le privilège
conféré par la LP aux créances de salaire (art. 219 LP) ne
donnait en effet pas une garantie suffisante au travail-
leur, si bien qu'il était nécessaire de lui assurer la
protection par le droit public, à tout le moins pendant une
période limitée et déterminée. Il s'est donc agi de proté-
ger des créances de salaire du travailleur pour lui assurer
les moyens d'existence et éviter que des pertes ne le
touchent durement dans son existence (Message du Conseil
fédéral concernant une nouvelle loi fédérale sur l'assu-

rance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insol-
vabilité du 2 juillet 1980, FF 1980 III 532 sv; ADRIAN
STAEHELIN, Die zeitliche Begrenzung des von der Insolvenz-
entschädigung gedeckten Lohnes, in Mélanges en l'honneur de
Jean-Louis Duc, Lausanne 2001, p. 315 sv; THOMAS
NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung, in : Schweizerisches
Bundesverwaltungsrecht [SBVR], 1998, ch. 492).

b) Selon l'art. 55 al. 1 LACI, dans la procédure de
faillite ou de saisie, le travailleur est tenu de prendre
toutes les mesures propres à sauvegarder son droit envers
l'employeur, jusqu'à ce que la caisse l'informe de la su-
brogation dans ladite procédure.
D'après la jurisprudence antérieure, lorsque l'ouver-
ture de la faillite ou la demande de saisie intervient
après la fin des rapports de travail, le droit à l'indem-
nité présuppose que l'employeur ait déjà été insolvable au
moment de la dissolution des rapports de travail et que
l'ouverture de la faillite ou la demande de saisie ait été
différée pour des motifs sur lesquels l'assuré n'avait
aucune prise (ATF 114 V 59 consid. 3d). Par la suite, le
Tribunal fédéral des assurances a jugé qu'il existait
également un droit à l'indemnité en cas d'insolvabilité
lorsque l'insolvabilité de l'employeur ne survient qu'après
la dissolution des rapports de travail (arrêt B. du 18 fé-
vrier 2000 [C 362/98], dont un compte-rendu est publié dans
la RSAS 2001 p. 92). L'obligation de diminuer le dommage
qu'exprime l'art. 55 al. 1 LACI exige toutefois du travail-
leur qui n'a pas reçu son salaire, en raison de difficultés
économiques rencontrées par l'employeur, qu'il entreprenne
à l'encontre de ce dernier toute démarche utile en vue de
récupérer sa créance, sous peine de perdre son droit à
l'indemnité en cas d'insolvabilité. Il s'agit d'éviter que
l'assuré ne reste inactif en attendant le prononcé de la
faillite de son ex-employeur (ATF 114 V 60 consid. 4; DTA
1999 no 24 p. 143 consid. 1c).

En principe, l'obligation de diminuer le dommage à la
charge du travailleur existe également avant la dissolution
du rapport de travail, quand l'employeur ne verse pas - ou
pas entièrement - le salaire et que le salarié peut s'at-
tendre à subir une perte. Ce n'est pas le but de l'indem-
nité en cas d'insolvabilité de couvrir des créances de
salaire auxquelles l'assuré a renoncé sans raison justi-
fiée. L'obligation de diminuer le dommage qui incombe à
l'assuré avant la résiliation des rapports de travail n'est
toutefois pas soumise aux mêmes exigences que la même obli-
gation qui lui incombe après la résiliation des rapports de
travail. L'étendue des démarches qui peuvent être exigées
du travailleur pour récupérer tout ou partie de son salaire
avant la fin des rapports de travail dépend de l'ensemble
des circonstances du cas concret. On n'exige pas néces-
sairement de l'assuré qu'il introduise sans délai une
poursuite contre son employeur ou qu'il ouvre action contre
ce dernier. Il faut en tout cas que le salarié montre de
manière non équivoque et reconnaissable pour l'employeur le
caractère sérieux de sa prétention de salaire (arrêt N. du
15 octobre 2001 [C 194/01]).
Une absence de liquidités de l'employeur de longue
durée peut justifier une demande de sûretés par le travail-
leur (art. 337a CO), si ce dernier peut craindre légitime-
ment que son salaire ne lui soit pas versé conformément au
contrat, cela à la différence d'un retard exceptionnel et
de peu d'importance qui ne saurait compromettre la confian-
ce du travailleur dans le respect par l'employeur de ses
obligations (GABRIEL AUBERT, L'employeur insolvable, in :
Journée 1992 du droit du travail et de la sécurité sociale,
p. 110). Lorsqu'il apparaît, selon les circonstances, que
l'employeur ne pourra ou ne voudra pas s'acquitter, sans un
retard excessif, de ses obligations, il est normal que le
salarié soit mis en mesure d'exiger des sûretés et de rési-
lier son contrat avec effet immédiat si ces dernières ne
lui sont pas fournies (AUBERT, loc. cit., p. 110). Du point

de vue de l'assurance-chômage, il importe d'éviter que le
personnel d'un employeur insolvable renonce à réclamer les
arriérés de salaire pendant de nombreux mois, en tablant
sur le fait que l'assurance-chômage garantisse la couver-
ture de ses arriérés si l'employeur tombe en faillite (cf.
le message du Conseil fédéral concernant le programme de
stabilisation 1998 du 28 septembre 1998, FF 1999 32).

2.- a) Les premiers juges retiennent, sur la base des
témoignages recueillis en procédure cantonale et des pièces
versées au dossier, que l'intimé s'est plaint du non-paie-
ment de son salaire en envoyant des fax à l'administrateur
de la société. Les témoins entendus ont confirmé que l'in-
téressé avait souvent réclamé le paiement de son dû. La
juridiction cantonale retient aussi que l'administrateur de
la société savait habilement convaincre ses interlocuteurs
de l'arrivée prochaine de sources de financement. Toutes
les personnes ayant eu affaire à lui ont cru à la réussite
du projet que les employés de la société étaient chargés de
réaliser (il s'agissait d'une valise, appelée «Mobile
Office», contenant tout ce qui est nécessaire à un homme ou
une femme d'affaires en déplacement, comme un ordinateur
personnel, un fax, une imprimante, un scanner ou encore le
téléphone). Aussi bien la commission considère-t-elle qu'on
ne saurait reprocher à l'intimé de n'avoir pas envoyé des
commandements de payer à son employeur, car il aurait pris
le risque d'être licencié et aurait par ailleurs mis en
péril le développement de l'affaire pour laquelle l'emplo-
yeur cherchait un financement.

b) Il est établi en l'occurrence que la créance de
salaire de l'intimé était déjà compromise au début des
rapports de travail, en octobre 1998. A ce moment-là, la
société était à court de liquidités puisqu'elle n'a même
pas été en mesure de verser le premier salaire mensuel. Au
dire de l'intimé, il aurait reçu en tout et pour tout, à

fin 1998, un versement de 5000 fr. à titre d'acompte. On
peut d'ailleurs s'interroger sur la réalité de ce versement
dès lors que l'intimé ne l'a pas porté en déduction de sa
production de salaire dans la faillite. Quoi qu'il en soit,
l'intimé était parfaitement au courant du fait que l'emplo-
yeur n'était pas à même de le rémunérer. En fait, comme il
l'a déclaré en procédure cantonale, s'il a accepté de tra-
vailler sans rémunération, c'est notamment en raison de la
«qualité» du projet qu'il était chargé de réaliser. Sur la
base de ces déclarations et compte tenu de la durée pendant
laquelle l'intimé n'a pas été rémunéré, on est fondé à con-
sidérer que le versement d'un salaire, en réalité, était
subordonné à la réalisation et au succès du projet que la
société était chargée de développer, situation dont l'in-
timé s'est accommodé. On a d'autant plus de raison de le
penser que l'intimé, à la différence d'autres salariés de
la société, n'a été déclaré, durant la période en cause, ni
à l'AVS ni à l'institution de prévoyance de son employeur.
Les télécopies auxquelles les premiers juges font
allusion ne permettent pas d'admettre que l'intimé ait reçu
des assurances de son employeur au sujet de son salaire, ou
qu'il ait eu des raisons de croire que sa créance serait
réglée à brève échéance. Ces documents n'établissent pas
non plus l'existence de démarches utiles de la part de
l'assuré en vue de recouvrer son salaire. Ces pièces - non
datées - adressées à l'administrateur de la société - mon-
trent qu'à un moment donné, l'intimé a réclamé une partie
des salaires arriérés pour parer aux échéances les plus
pressantes. Compte tenu de la demeure prolongée - et à
l'évidence excessive - de l'employeur, l'intimé devait
prendre des mesures contraignantes et non pas seulement se
contenter de réclamations orales ou écrites qui n'offraient
aucune garantie. A cet égard, on ne trouve au dossier aucun
indice qui aille dans le sens d'une mise en demeure sérieu-
se ou d'une quelconque pression exercée par l'intimé sur
l'employeur pour obtenir le versement de son salaire.

Quant aux témoignages recueillis en procédure canto-
nale, ils n'apportent pas non plus d'éléments propres à
établir l'existence de telles démarches, bien au contraire.
Ainsi, selon le procès-verbal d'audition d'un technicien en
informatique (ex-employé de la société), l'intimé a accepté
de travailler sans recevoir de salaire parce que l'adminis-
trateur affirmait qu'il allait recevoir «des millions de
dollars», ce qui tend à confirmer que l'intéressé avait
accepté de différer l'encaissement de sa créance à des
jours meilleurs, sans véritable garantie que l'employeur
fût en mesure de remplir un jour ses obligations.

c) Dans ces conditions on doit admettre que l'intimé
n'a d'aucune manière satisfait à son obligation de diminuer
le dommage. C'est donc à bon droit que la caisse a refusé
de lui accorder l'indemnité en cas d'insolvabilité.
Le recours se révèle ainsi bien fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est admis et le jugement de la Commission
cantonale genevoise de recours en matière d'assurance-
chômage du 21 septembre 2000 est annulé.

II. Il n'est pas perçu de frais de justice.

III. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la
Commission cantonale genevoise de recours en matière
d'assurance-chômage
et au Secrétariat d'Etat à
l'économie.

Lucerne, le 12 avril 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIe Chambre :

Le Greffier :


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.364/01
Date de la décision : 12/04/2002
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-04-12;c.364.01 ?
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