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11/04/2002 | SUISSE | N°4C.357/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 11 avril 2002, 4C.357/2001


{T 0/2}
4C.357/2001 /svc

Arrêt du 11 avril 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz, Klett, Nyffeler et Favre,
greffière Aubry Girardin.

P. ________, demanderesse et recourante, représentée par
Me Violaine Jaccottet Sherif, avocate, rue Charles-Monnard 6, case
postale
910, 1001 Lausanne,

contre

L.________, défenderesse et intimée, représentée par
Me Thierry de Haller, avocat, rue Saint-Pierre 2, case postale 2673,
1003
Lausanne.

prot

ection de la marque; concurrence déloyale

(recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal
canton...

{T 0/2}
4C.357/2001 /svc

Arrêt du 11 avril 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz, Klett, Nyffeler et Favre,
greffière Aubry Girardin.

P. ________, demanderesse et recourante, représentée par
Me Violaine Jaccottet Sherif, avocate, rue Charles-Monnard 6, case
postale
910, 1001 Lausanne,

contre

L.________, défenderesse et intimée, représentée par
Me Thierry de Haller, avocat, rue Saint-Pierre 2, case postale 2673,
1003
Lausanne.

protection de la marque; concurrence déloyale

(recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal
cantonal
vaudois du 5 janvier 2001)
Faits:

A.
P. ________ est une société française qui s'occupe de l'entreposage,
de la
vente et de l'import-export de marchandises, parmi lesquelles
figurent des
modèles réduits d'armes.

I. ________ fabrique des répliques d'armes sous la marque "KWC" et en
est
l'unique producteur.

Le 21 avril 1995, P.________ a obtenu un certificat d'enregistrement
international de la marque "KWC" d'une durée de 10 ans à partir de
son dépôt
du 6 mars 1995.

Par contrat de distribution prenant effet dès le 1er janvier 1997,
I.________
a conféré à P.________ le droit exclusif de vendre sa ligne complète
de
produits en Suisse notamment.

Les 11 juin et 7 juillet 1997, P.________ et I.________ ont signé un
accord
selon lequel P.________ s'engageait à céder à I.________ la pleine et
entière
propriété de la marque internationale "KWC" déposée le 6 mars 1995 en
contrepartie de l'octroi par I.________ d'une licence exclusive sur
la marque
"KWC" dans un certain nombre de pays européens, dont la Suisse.

P. ________ est titulaire pour la Suisse des marques internationales
"Nastoff" et "Boland", qui sont des noms de modèles d'armes de poing
américaines. Les répliques de ces armes sont distribuées en Suisse
sous la
marque "KWC". Elle possède aussi les marques internationales "M92 FS"
et "Hop
Up".

P. ________ est en outre au bénéfice en Suisse d'une licence exclusive
portant entre autres sur des répliques d'armes comportant les marques
"Smith
& Wesson" et "Colt".

A partir de juillet 1994, la société L.________, qui a pour but le
commerce
et la représentation notamment de jouets et de modèles réduits, a
distribué
des produits fournis par P.________. A une date qui n'a pas été
établie,
P.________ a appris que L.________ mettait également sur le marché des
produits "KWC", répliques des armes "Nastoff" et "Boland", provenant
d'une
filière parallèle. Elle a alors cessé immédiatement toute relation
commerciale avec celle-ci.

L. ________ a continué à distribuer en Suisse des produits de la
marque "KWC"
acquis sur le marché gris à l'étranger, ce qui lui a permis de
proposer des
prix plus avantageux que les modèles importés par P.________.

Les répliques d'armes vendues en Suisse par L.________ sont des
modèles
originaux qui proviennent de chez I.________.

P. ________ a commandé à I.________ un certain nombre d'améliorations
à
effectuer sur les produits lui étant destinés, comme des spécificités
propres
à chaque pays de distribution.

Par courrier du 20 mai 1996, P.________ a vainement mis en demeure
L.________
de ne plus distribuer la marque "KWC".

B.
Par demandes du 26 novembre 1996 et du 26 mars 1997, P.________. a
introduit
une action en justice à l'encontre de L.________ auprès du Tribunal
cantonal
vaudois. Elle a finalement conclu à ce qu'il soit fait interdiction à
L.________ de diffuser les produits KWC, ainsi que tous ceux portant
les
marques Nastoff, Boland, M92 FS, Hop Up, Soft Air, Smith & Wesson,
Sig Sauer,
Colt et Desert Eagle (Samson) (I), à ce que la totalité des produits
KWC et
ceux sur lesquels figurent les marques précitées se trouvant en
possession de
L.________ soient confisqués (II), à ce que cette dernière soit
reconnue sa
débitrice de 375'000 fr. sous réserve d'amplification à titre de
dommage
matériel (III) auxquels s'ajoutent 100'000 fr. à titre de tort moral
(IV), à
ce qu'il soit donné l'ordre à L.________ d'indiquer la provenance des
objets
KWC, ainsi que de ceux portant les marques précitées qu'elle mettait
sur le
marché illégalement (V) et, enfin, à ce que le jugement soit publié
aux frais
de L.________ dans les principaux journaux de Suisse (VI).

Par jugement du 5 janvier 2001, la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois a
débouté P.________ de l'ensemble de ses conclusions. Elle a en
substance nié
que la protection issue du droit des marques permette à la
demanderesse de
s'opposer à l'importation parallèle des produits litigieux; par
ailleurs,
elle a considéré que le comportement de L.________ n'était pas
contraire aux
règles de la concurrence.

C.
Contre le jugement du 5 janvier 2001, P.________ (la demanderesse)
interjette
un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à l'admission
du
recours et, principalement, à la réforme du jugement entrepris dans
le sens
d'une admission des conclusions de sa demande, avec suite de dépens,
subsidiairement au renvoi de la cause à la cour cantonale.

Pour sa part, L.________ (la défenderesse) propose le rejet du
recours.

Parallèlement à son recours au Tribunal fédéral, P.________ a
également
déposé un recours en nullité auprès de la Chambre des recours du
Tribunal
cantonal vaudois, qu'elle a retiré le 4 décembre 2001. Par décision
du 5
décembre 2001, le Président de la Chambre des recours a pris acte de
ce
retrait et rayé la cause du rôle.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le jugement entrepris, qui porte sur une contestation civile au sens
de
l'art. 45 let. a OJ, revêt le caractère d'une décision finale au sens
de
l'art. 48 al. 1 OJ, dès lors qu'il ne peut faire l'objet d'un recours
ordinaire de droit cantonal, soit d'un recours ayant un effet
suspensif et
dévolutif (ATF 120 II 93 consid. 1b p. 94 s.). La voie du recours en
réforme
est donc ouverte, parallèlement à celle d'un éventuel recours
extraordinaire
de droit cantonal (Messmer/Imboden, Die eigenössischen Rechtsmittel in
Zivilsachen, Zurich 1992, no 64), qui a en l'occurrence été déposé
par la
demanderesse. Celle-ci l'ayant retiré, il n'y a plus de raison de
surseoir au
présent arrêt (art. 57 al. 1 OJ).

2.
La cour cantonale n'a pas reconnu la qualité pour agir de la
demanderesse en
relation avec les marques "Sig Sauer", "Desert Eagle", "Soft Air" et
"Beretta". Le présent recours ne remettant pas en cause le jugement
entrepris
sur ce point, cette question ne sera pas revue (cf. art. 55 al. 1
let. b et c
OJ).

Quant à l'argumentation de la défenderesse selon laquelle la
demanderesse
n'aurait pas non plus eu qualité pour agir en relation avec d'autres
marques
d'armes s'agissant de la mise en circulation de jouets, elle n'a
d'intérêt
que s'il s'avérait, contrairement à ce qui ressort du jugement
entrepris, que
les prétentions de cette dernière reposant sur le droit des marques
étaient
fondées.

3.
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve
n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant
sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter
les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte
de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127
III 248
consid. 2c et les arrêts cités). Hormis ces exceptions que le
recourant doit
invoquer expressément, il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55
al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est pas ouvert pour se
plaindre de
l'appréciation des preuves et des constatations de fait qui en
découlent (ATF
127 III 519 consid. 2a p. 522 in fine; 126 III 10 consid. 2b p. 13).

La demanderesse semble avoir largement perdu de vue ces principes,
confondant
le recours en réforme avec un appel: à l'appui de tous ses moyens,
elle
présente un état de fait qui s'écarte de celui retenu par la cour
cantonale
ou alors elle discute les éléments de fait constatés, opposant sa
propre
version à celle ressortant du jugement entrepris. Comme on vient de
l'indiquer, une telle motivation n'est pas admissible. A un seul
endroit, la
demanderesse invoque expressément l'art. 64 OJ, mais à propos d'un
point non
pertinent (cf. infra consid. 8.2).

C'est donc exclusivement à la lumière des faits retenus par les juges
cantonaux que la Cour de céans vérifiera l'application du droit
fédéral, ce
qui a pour effet de vider de leur substance la plupart des griefs
invoqués.

4.
Selon le jugement attaqué, la demanderesse est, pour de nombreux pays
européens dont la Suisse, au bénéfice d'une licence exclusive pour les
marques "Smith & Wesson", "Colt" et "KWC". Cette dernière marque lui a
d'ailleurs appartenu durant une période, puis elle l'a cédée à
I.________ en
contrepartie d'une licence exclusive. La demanderesse est en outre
titulaire
des marques internationales "Nastoff", "Boland" "M92 FS" et "Hop Up".
La
défenderesse met, pour sa part, en circulation sur le marché suisse
des
modèles d'armes comportant ces mêmes marques qu'elle a acquis à
l'étranger.
Il a été retenu qu'il s'agit d'articles originaux produits par
I.________,
mais dans une version qui, pour certains modèles, s'écarte de celle
commercialisée par la demanderesse.

Dans ce contexte, le litige revient à se demander si la LPM (RS
232.11) ou la
LCD (RS 241) permettent à la demanderesse, comme elle le soutient, de
s'opposer valablement à la mise en circulation en Suisse par la
défenderesse
des produits litigieux provenant du même fabriquant.

5.
Invoquant l'ATF 126 III 129, la demanderesse reproche tout d'abord à
la cour
cantonale d'avoir violé le but de la LPM, de la LCD et l'institution
de
l'épuisement.

Bien que la LPM ne le mentionne pas, le droit des marques est soumis
au
principe de l'épuisement. Selon cette règle, le droit exclusif de
commercialisation d'un bien protégé par un droit de propriété
intellectuelle
s'épuise à la première mise en circulation par laquelle le bien est
aliéné de
manière licite. L'épuisement sera national, régional ou international
selon
l'espace déterminant pour la première mise en circulation (ATF 122
III 469
consid. 5e p. 478 et les références citées).

Dans l'ATF 126 III 129 cité par la demanderesse, le Tribunal fédéral
s'est
prononcé sur la question de l'admission des importations parallèles en
matière de droit des brevets et il a opté en faveur de la règle de
l'épuisement national (arrêt op. cit. consid. 4 à 8). Cette solution
n'est
cependant pas celle qui prévaut en droit des marques. En effet, dans
ce même
arrêt, la Cour de céans a souligné qu'elle avait récemment tranché en
faveur
du principe de l'épuisement international dans le domaine des marques
et,
loin de remettre en cause cette jurisprudence, elle a rappelé que les
importations parallèles ne portent pas atteinte à la fonction de
marque en
tant que signe distinctif et qu'en plus, le principe constitutionnel
de la
liberté du commerce et de l'industrie comprend également la liberté du
commerce avec l'étranger (ATF 126 III 129 consid. 6a renvoyant à
l'ATF 122
III 469 consid. 5f et g, p. 479 s. [arrêt "Channel"]; cf. également
ATF 124
III 321 consid. 2c p. 327). Il en ressort que les principes en faveur
de
l'épuisement national posés dans l'ATF 126 III 129 s'appliquent aux
brevets,
mais ne sont pas transposables en droit des marques, domaine pour
lequel la
jurisprudence issue de l'arrêt "Channel" reste d'actualité (cf.
François
Dessemontet, La propriété intellectuelle, Lausanne 2000, no 478). La
demanderesse fait ainsi fausse route lorsqu'elle se prévaut de l'ATF
126 III
129 pour démontrer que la cour cantonale aurait violé le droit
fédéral dans
le cas d'espèce.

6.
La demanderesse soutient ensuite que la cour cantonale a considéré à
tort que
ses droits sur les reproductions mises en circulation en Suisse par la
défenderesse auraient été épuisés sur le plan international.

6.1 Comme on vient de le voir, la jurisprudence a admis en droit des
marques
le principe de l'épuisement international (cf. supra consid. 5). Il en
découle qu'une première mise en circulation, même à l'étranger,
suffit à
faire perdre au titulaire de la marque (respectivement à son ayant
droit) les
prérogatives qui lui permettraient d'interdire une mise en circulation
ultérieure des produits concernés. Le Tribunal fédéral a toutefois
précisé
que l'épuisement international ne se réalise que si la première mise
en
circulation n'a pas été effectuée de manière illicite (cf. ATF 122
III 469
consid. 5e p. 478). La première mise en circulation intervient de
manière
illicite par exemple lorsqu'une cargaison a été volée. Il suffit, pour
admettre l'illicéité, que l'acquisition se fasse en violation des
droits du
titulaire de la marque.

6.2 Dans ce contexte, la jurisprudence a retenu que l'acquisition
n'est en
tout cas pas illicite dès qu'elle intervient avec le consentement de
l'ayant
droit (cf. arrêt du 3 mars 1992 dans la cause 4P.189/1991 publié in
RSPI 1993
I 159 consid. 5b/aa; cf. également ATF 124
III 321 consid. 2j p. 333
en
matière de droit d'auteur). Lorsque le titulaire de la marque a
organisé un
réseau international de distribution en accordant des licences
nationales, il
a consenti à l'acquisition auprès du licencié dans le pays en
question (cf.
Troller, Précis du droit suisse des biens immatériels, Bâle 2001, p.
271 in
fine). Si plusieurs sociétés s'organisent pour exploiter une marque
sur le
plan international, aucune d'entre elles ne peut faire valoir qu'elle
n'a pas
consenti, lorsque le consentement a été donné par une autre société
dans le
cadre de leur organisation (cf. ATF 122 III 469 consid. 5e p. 478 s.;
cf.
David, Commentaire bâlois, art. 13 LPM no 17 in fine).

6.2.1 Ces principes s'appliquent à la demanderesse, dans la mesure où
elle
est au bénéfice de licences et que l'acquisition a été faite à
l'étranger
conformément au réseau de distribution mis en place par le titulaire
du droit
à la marque. En effet, les répliques d'armes commercialisées par la
défenderesse proviennent elles aussi du producteur de Taiwan, qui
n'était pas
le seul fabricant de la demanderesse et dont il n'a pas été démontré
qu'il
aurait agi contrairement au réseau de distribution mis en place par
les
titulaires du droit à la marque.

6.2.2 Dès lors que la demanderesse est également titulaire, dans un
certain
nombre de pays européens dont la Suisse, de différentes marques
apposées sur
les modèles d'armes mis en circulation par la défenderesse, en
particulier
les marques "Boland" et "Nastoff", il convient de se demander si
l'acquisition faite à l'étranger n'est pas intervenue de manière
illicite. A
cet égard, il ressort du jugement entrepris, d'une manière qui lie le
Tribunal fédéral en instance de réforme (art. 63 al. 2 OJ), que la
demanderesse fait fabriquer les modèles comportant ces marques par un
producteur qui ne dépend pas d'elle. Elle n'établit pas, ni n'allègue
qu'elle
se serait fait promettre l'exclusivité de la production sur le plan
mondial,
les indices en possession des juges cantonaux tendant plutôt à
prouver le
contraire. Par conséquent, la demanderesse a nécessairement accepté
l'éventualité que le fabricant livre les mêmes produits dans d'autres
parties
du monde, pour lesquelles elle n'a pas de droit à l'exclusivité. Une
acquisition faite à l'étranger dans ces circonstances ne peut être
qualifiée
d'illicite, de sorte que l'on ne discerne pas d'obstacle à l'effet
d'épuisement international.

6.3 Par ailleurs, on ne voit pas que l'on puisse reprocher à la cour
cantonale d'avoir violé l'art. 8 CC en considérant que la demanderesse
n'avait pas démontré que les marques en cause auraient été apposées
illicitement sur les répliques d'armes litigieuses et en lui faisant
supporter l'échec de la preuve sur ce point. En effet, comme
l'importation
parallèle de produits originaux en marge d'un réseau de distribution
sélective n'est en principe pas contraire au droit des marques (cf.
ATF 122
III 469), il appartenait à la demanderesse de démontrer l'existence de
circonstances propres à s'opposer aux importations de la
défenderesse. Quant
aux conclusions qu'a tirées la cour cantonale après examen des
indices en sa
possession, elles relèvent de l'appréciation des preuves, de sorte
qu'elles
ne peuvent être revues dans le cadre de la présente procédure (cf.
supra
consid. 3).

6.4 Pour démontrer l'absence d'épuisement international, la
demanderesse
produit de larges extraits d'un avis de droit. Celui-ci doit être
assimilé
aux développements juridiques figurant dans le recours (ATF 105 II 1
consid.
1) et, comme il se fonde sur des prémisses qui s'écartent des faits
retenus
par la cour cantonale, les conclusions qui en ressortent ne sont pas
pertinentes.

7.
Il convient encore de se demander si le principe de l'épuisement
international vaut pour tous les modèles d'armes importés
parallèlement par
la défenderesse, y compris pour les reproductions comportant des
différences
avec celles commercialisées par la demanderesse.

7.1 La jurisprudence a admis l'importation parallèle de produits
rigoureusement semblables à ceux vendus par les distributeurs agréés
(ATF 122
III 469 consid. 5h p. 480). En revanche, la question de savoir comment
traiter, sous l'angle du nouveau droit, des importations parallèles
d'articles revêtus licitement de la même marque, mais produits dans
une
version différente de celle mise sur le marché en Suisse par le
circuit
officiel a été laissée ouverte; le Tribunal fédéral s'est seulement
demandé
s'il ne faudrait pas, dans cette hypothèse, prendre en compte le
risque de
tromperie pour le consommateur suisse, par référence à la
jurisprudence "Omo"
rendue sous l'ancien droit (cf. ATF 122 III 469 consid. 5h p. 481).
En effet,
dans l'ATF 105 II 49, il a été admis que l'art. 24 aLMF ne s'opposait
pas à
l'importation parallèle de produits de marques identiques apposées de
manière
licite à l'étranger, à condition cependant que le consommateur suisse
ne
puisse pas être trompé sur la provenance du produit et/ou sur sa
qualité. Il
ne faut toutefois pas perdre de vue que la LPM ne contient pas de
dispositions qui correspondent, par leur structure ou par leur
teneur, à
l'art. 24 aLMF (cf. ATF 122 III 469 consid. 5b p. 474 s.). De plus,
le droit
des marques n'a en principe pas pour fonction de garantir la qualité
du
produit sur lequel la marque est apposée (ATF 122 III 469 consid. 5f
p. 479),
sous réserve des marques de garantie (art. 21 LPM) et des marques de
haute
renommée (art. 15 LPM) (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4C.354/1999 du
12
janvier 2000, in sic! 2000 p. 310, consid. 2). Enfin, il a été
récemment
précisé que le risque de confusion au sens de l'art. 3 LPM est par
définition
exclu lorsque les signes se rapportent à des produits originaux. Cette
affirmation n'a cependant pas été faite dans le contexte des
importations
parallèles (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4C.142/2001 du 30 janvier
2002,
destiné à la publication, consid. 2a).

La doctrine est pour sa part divisée sur la question de l'admission
des
importations parallèles de produits de marque qui ne sont pas
parfaitement
identiques à ceux provenant des réseaux de distribution officiels. La
plupart
des auteurs considèrent qu'il convient d'appliquer par analogie la
jurisprudence OMO au nouveau droit (cf. Dessemontet, op. cit. no 479;
David,
op. cit., art. 13 LPM no 17; Eugen Marbach, Markenrecht,
Kennzeichenrecht/SIW
III, Bâle 1996, p. 204 s.; Yvan Cherpillod, Remarques concernant
l'arrêt
Channel, sic! 1997 p. 91; François Perret, Importations parallèles et
droit
des brevets d'invention, in: Les contrats de distribution, Mélanges en
l'honneur du Professeur François Dessemontet, Lausanne 1998, p. 165
ss, 175,
qui se limite cependant à l'erreur sur la provenance; Ursula
Nordmann-Zimmermann, Importations parallèles et droit des marques, in:
Conflit entre importations parallèles et propriété intellectuelle?
Genève
1996, p. 9 ss, 25; Marianne Bieri-Gut, Rechtsprobleme beim Absatz auf
grauen
Märkten, thèse Zurich 1993, p. 276; Georg Rauber, Parallelimporte
zwischen
Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht: eine Übersicht, in
Parallelimporte im
Schnittstellenbereich zwischen Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht,
Zurich
2000, p. 1 ss, 15), ce qui suppose une différence réelle du point de
vue de
la qualité entre les produits (Dessmontet, op. cit., no 479). Pour
quelques
auteurs cependant, l'éventuelle tromperie du public ne peut fonder
l'interdiction d'une importation parallèle sous l'angle de la LPM
(Ralph
Schlosser, L'épuisement international en droit des marques: étendues
et
limites, sic! 1999 p. 396 ss; Jean-Daniel Pasche, La nouvelle loi
fédérale
sur la protection des marques, Lausanne 1994, p. 165 s.; en ce sens
également
Troller, Manuel du droit suisse des biens immatériels, tome II, Bâle
etc.
1996, p. 771). En l'espèce, il n'y a pas lieu de se prononcer sur
cette
controverse, dès lors que de toute manière les faits retenus excluent
tout
risque de tromperie.

7.2 En matière de propriété intellectuelle, le risque de confusion ou
de
tromperie est une notion de droit que le Tribunal fédéral apprécie
librement,
du moins dans les cas où, comme en l'espèce, le litige revient à
évaluer
l'impact d'un produit sur le grand public et non sur un cercle de
personnes
disposant de connaissances spécifiques dans un secteur particulier
(ATF 127
III 33 consid. 3c/aa p. 39, 126 III 239 consid. 3a). La détermination
de ce
risque implique que l'on examine l'impression d'ensemble qui se
dégage de la
marque pour le public intéressé par le produit ou le service en
question (cf.
ATF 122 III 382 consid. 5a; 121 III 377 consid. 2a et b).

Selon le jugement entrepris, les produits mis sur le marché en Suisse
par les
deux parties sont des originaux qui proviennent du même fabriquant de
Taiwan,
ce qui exclut toute tromperie sur leur provenance. Certains
exemplaires des
répliques d'armes importées par la défenderesse comportent des
différences
qualifiées de non significatives par les juges cantonaux comparées aux
modèles distribués par la demanderesse: il s'agit soit de
l'utilisation
d'autres composants dont il n'est pas établi qu'ils présentent une
qualité
moindre, soit de l'absence de certains dispositifs (système "Hop Up",
viseur
électronique à point rouge). Or, il a été retenu que le consommateur
était en
mesure de se rendre compte de leur présence ou de leur absence lors de
l'achat du produit. Sur la base de ces constatations de fait, qui ne
peuvent
être remises en cause dans le cadre d'un recours en réforme (art. 63
al. 2
OJ), on ne peut reprocher à la cour cantonale d'avoir estimé que le
public
n'avait pas de risque d'être trompé en acquérant des répliques d'armes
provenant du marché gris.

Par ailleurs, on ne saurait discerner de violation des règles sur le
fardeau
de la preuve (art. 8 CC) lorsque les juges ont au surplus relevé que
la
demanderesse n'était pas parvenue à démontrer des différences
sensibles de
nature à induire en erreur les consommateurs suisses. En effet, comme
on l'a
déjà indiqué (cf. supra consid. 6.3), les importations parallèles en
marge
d'un réseau de distribution sélective étant en principe admissibles
sous
l'angle de la LPM, il appartient au distributeur agréé qui entend s'y
opposer
de démontrer l'existence de circonstances propres à les empêcher.

Dans ces circonstances, il n'apparaît pas que la cour cantonale ait
violé le
droit fédéral en considérant que la demanderesse ne pouvait se
prévaloir de
la LPM pour s'opposer aux importations parallèles des reproductions
d'armes
litigieuses par la défenderesse.

8.
Qu'un comportement déterminé ne soit pas contraire au droit des
marques
n'empêche pas de manière absolue qu'il ne puisse violer les règles de
la
concurrence (cf. ATF 127 III 33 consid. 3). Par conséquent, il
convient
encore d'examiner si c'est à juste titre que la cour cantonale a
rejeté
l'application de la LCD.

8.1 La LCD fournit tout d'abord une définition générale du
comportement
déloyal (art. 2) avant de dresser une liste non exhaustive de cas de
concurrence déloyale (art. 3 à 8).

Concernant l'art. 2 LCD, le Tribunal fédéral, confirmant la
jurisprudence
rendue sous l'ancienne loi, considère que les importations parallèles
en
marge d'un système de distribution sélective sont en tant que telles
admissibles, car la simple exploitation par un tiers d'une violation
d'engagements contractuels liés à un réseau de distribution fermé
n'est pas
contraire à cette disposition (ATF 124 III 321 consid. 4 p. 335; 122
III 469
consid. 7; 114 II 91 consid 4b p. 101 s.). Il y a en revanche
concurrence
déloyale lorsqu'en raison de circonstances particulières le
comportement de
l'importateur ou du revendeur parallèle apparaît contraire à la bonne
foi ou
qu'il entraîne des effets négatifs sur la concurrence (ATF 124 III 321
consid. 4 p. 335; 122 III 469 consid. 10).

En l'espèce, rien dans les faits ressortant du jugement entrepris ne
permet
d'en conclure à l'existence de circonstances propres à faire
apparaître que
la défenderesse aurait adopté un comportement contraire à la bonne
foi ou de
nature à déployer des effets négatifs sur la concurrence. Il a été
relevé que
cette dernière avait mis en circulation des modèles originaux
apparemment
standards, d'une qualité dont il n'a pas été démontré qu'elle serait
moindre
par rapport aux reproductions d'armes provenant du distributeur agréé
et sans
que l'on puisse établir une tromperie du public.
En outre, la cour cantonale n'a retenu aucun élément donnant à penser
que la
défenderesse aurait adopté un comportement tombant sous le coup des
art. 3 à
8 LCD, ce que la demanderesse ne soutient du reste pas.

8.2 Les critiques de la demanderesse qui tendent à établir le
comportement
déloyal de la défenderesse, sont, dans la mesure de leur recevabilité,
dépourvues de toute pertinence.

Elle soutient tout d'abord que la défenderesse aurait cherché à la
dénigrer
en laissant entendre en 1996 au fabriquant de Taiwan qu'elle serait en
faillite, afin de traiter avec celui-ci. Contrairement à ce que laisse
entendre la demanderesse, la cour cantonale n'a pas passé ce point
sous
silence, mais elle a retenu que cette déclaration n'avait eu aucun
effet, car
le fabriquant n'y avait pas donné suite et qu'aucun lien de causalité
avec
une éventuelle violation des engagements contractuels
entre celui-ci
et la
demanderesse ne pouvait être démontré. De telles constatations
excluent un
acte de concurrence déloyale en relation avec les importations
parallèles en
cause. Lorsque la demanderesse soutient l'inverse, elle s'en prend à
l'appréciation des preuves, ce qui n'est pas admissible (cf. supra
consid.
3).

Invoquant une constatation de fait incomplète au sens de l'art. 64
OJ, la
demanderesse reproche également à la cour cantonale de n'avoir pas
tenu
compte d'un jugement français qui démontrerait le comportement
illicite et
contraire à la bonne foi de la défenderesse s'agissant de la marque
"Beretta". Ce jugement apparaît cependant comme dénué de toute
pertinence
puisque la cour cantonale a considéré que la demanderesse n'était pas
légitimée à agir concernant cette marque, ce que cette dernière ne
conteste
pas (cf. supra consid. 2).

En considérant que la défenderesse n'avait pas adopté un comportement
contraire à la LCD, la cour cantonale n'a donc pas non plus
contrevenu au
droit fédéral.

Dans ces circonstances, le recours doit être rejeté et le jugement
attaqué
confirmé.

9.
Les frais et dépens seront mis à la charge de la demanderesse, qui
succombe
(art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté et le jugement attaqué confirmé.

2.
Un émolument judiciaire de 8'000 fr. est mis à la charge de la
demanderesse.

3.
La demanderesse versera à la défenderesse une indemnité de 10'000 fr.
à titre
de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Cour
civile du
Tribunal cantonal vaudois.

Lausanne, le 11 avril 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.357/2001
Date de la décision : 11/04/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-04-11;4c.357.2001 ?
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