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10/04/2002 | SUISSE | N°4P.28/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 avril 2002, 4P.28/2002


«/2»

4P.28/2002

Ie C O U R C I V I L E
****************************

10 avril 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________,
X.________ S.A.,
tous deux représentés par Me Mauro Poggia, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 14 décembre 2001 par la Cour de justice du
canton de Genève dans la cause qui oppose les recourants à

Société Y.________ S.A., représentée par Me Matteo Inaudi,
avocat à Genève;

(art. 36 CA; procédure arbitrale; contrat de manda...

«/2»

4P.28/2002

Ie C O U R C I V I L E
****************************

10 avril 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________,
X.________ S.A.,
tous deux représentés par Me Mauro Poggia, avocat à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 14 décembre 2001 par la Cour de justice du
canton de Genève dans la cause qui oppose les recourants à
Société Y.________ S.A., représentée par Me Matteo Inaudi,
avocat à Genève;

(art. 36 CA; procédure arbitrale; contrat de mandat ou con-
trat de société simple ?)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Société Y.________ S.A. (ci-après:
Y.________ ou la demanderesse), qui a pour principal action-
naire et directeur général B.________, est une société
active
dans la gestion de fortune; le gérant de fortune A.________
en a été vice-président puis directeur général adjoint jus-
qu'à la fin 1997.

En 1987, Y.________ a acquis une participation
d'environ 7% dans le groupe français Z.________, dirigé par
les frères Y.________.

B.________ et A.________ ont été par la suite im-
pliqués dans des procédures judiciaires ouvertes en France
contre les frères D.________ pour détournement de fonds au
préjudice du groupe précité et pour escroquerie commise dans
le cadre de la vente en 1991 à des tiers de la participation
des frères Y.________ au groupe Z.________. B.________ et
A.________ ont ainsi été condamnés en France à des peines
d'emprisonnement pour abus de biens sociaux. Sur le plan ci-
vil, Y.________, B.________ et A.________ ont signé le 16
avril 1997 un "Protocole de transaction", par lequel ils
s'engageaient à participer à l'assainissement du groupe
Z.________ à concurrence de 8'000'000 FF et à verser un
montant supplémentaire de 13'500'000 FF à cette société et
aux tiers lésés.

Par courrier du 22 avril 1997 contresigné par
B.________, Y.________ a confirmé à A.________ que sa parti-
cipation au règlement des sommes susmentionnées serait limi-
tée à 5'000'000 FF.

b) A la suite de ces événements, Y.________ et
A.________, afin de se conformer aux exigences des autorités
bancaires et boursières helvétiques, ont décidé que leurs
relations devaient désormais se poursuivre sur de nouvelles
bases, A.________ ne devant plus exercer ses activités en
tant que cadre dirigeant de Y.________, mais avec le statut
indépendant de "tiers-gérant", et cela par le truchement de
la nouvelle société qu'il avait créée, soit X.________ S.A.

Le 24 novembre 1997, Y.________, d'une part,
A.________ et X.________ S.A., d'autre part, ont conclu une
convention. Il résulte de cet accord que Y.________ prenait
préalablement l'engagement de ne pas invoquer à l'encontre
de
A.________ un juste motif de résiliation qui serait lié au
passé de ce dernier dans Y.________, et singulièrement au
déroulement de "l'affaire dite 'D.________'" (ch. II in fi-
ne); sous l'intitulé "Obligations de Monsieur A.________ et
X.________ S.A.", A.________ et X.________ S.A.
s'engageaient
à négocier pour le compte de Y.________ avec leur clientèle
pour qu'elle place ses avoirs et les maintienne auprès de
Y.________ (ch. III.A); A.________ et X.________ S.A. décla-
raient vouloir "suivre scrupuleusement les instructions de
Y.________ tant relativement à l'ouverture des comptes, que
quant à leur gestion" (ch. III.D); A.________, qui démis-
sionnait de sa qualité d'employé de Y.________ avec effet au
31 décembre 1997, n'était plus autorisé, dès le 1er janvier
1998, à pénétrer dans les locaux occupés par Y.________, et
devait éviter tout contact avec les employés de cette
société
sans l'accord préalable de la direction générale de
Y.________ (ch. III.I); de son côté, Y.________ mettait à
disposition privative de A.________ et X.________ S.A. un
bureau, des locaux communs et un secrétariat (ch. IV.A/B/C);
Y.________ s'engageait à verser annuellement à A.________ et
X.________ S.A. la somme totale de 336'500 fr., soit
260'000 fr. à titre de rétribution globale pour leur clien-
tèle, 36'000 fr. pour les frais de représentation, 28'500
fr.
à titre de participation au leasing d'une voiture et
12'000 fr. pour le matériel de communication (ch. IV/D); les
charges assumées par Y.________ sur la base du ch. IV de-
vaient correspondre à un apport de clientèle de
40'000'000 fr., plus ou moins 5% (ch. V.A/B); en cas de bais-
se supérieure à ce pourcentage du montant géré, la rémunéra-
tion globale serait réduite au prorata (ch. V/C); en cas de
hausse de plus de 5% du montant géré, Y.________ verserait
aux tiers-gérants la moitié de la rétribution nette dont
elle
bénéficierait à raison des nouveaux avoirs mis sous gestion
(ch. V/D); conclue pour une durée de six ans, à savoir du
1er
janvier 1998 au 31 décembre 2003 (ch. VI), la convention pré-
voyait que pour tout litige relatif à son interprétation ou
à
son exécution, les parties contractantes convenaient de la
compétence exclusive d'un tribunal arbitral formé de trois
arbitres, ayant son siège à Genève et appliquant les règles
du Concordat intercantonal sur l'arbitrage (ch. VII).

Le même jour, A.________ et une société panaméenne
contrôlée par la famille du prénommé ont vendu à B.________
les actions Y.________ qu'ils détenaient. La somme revenant
à
A.________, par 4'215'064 fr., a été virée sur son compte
auprès de Y.________ le 26 novembre 1997. Le 28 novembre
1997, le montant de 1'209'000 fr., contre-valeur de
5'000'000 FF correspondant à la participation maximale de
A.________ au "Protocole de transaction", telle qu'elle
avait
été convenue par pli du 22 avril 1997, a été débitée du comp-
te Y.________ de ce dernier. Ce débit a été effectué sans
l'accord exprès ni la signature de A.________; celui-ci, qui
a affirmé en avoir appris l'existence huit jours plus tard,
ne s'est à ce moment pas opposé à ce transfert de fonds.

c) Les relations entre les parties à la convention
du 24 novembre 1997, qui étaient déjà tendues dès le début
1998, se sont dégradées en juin 1998.

Le 11 juin 1998, l'avocat de A.________ a ainsi
invité B.________ à lui adresser une copie de l'ordre qui a
permis de débiter 5'000'000 FF dans les avoirs de son client
auprès de Y.________; constatant que B.________ était dans
l'impossibilité de produire l'ordre de débit en question, le
conseil de A.________, par un second courrier du 19 juin
1998, a mis en demeure B.________ de recréditer le compte de
son client du montant litigieux dans les 48 heures.

Le 10 juillet 1998, A.________ a ouvert action
contre Y.________ devant le Tribunal de première instance de
Genève, concluant au paiement de 5'000'000 FF plus intérêts
à
5% dès le 28 novembre 1997. Il faisait notamment valoir que
l'ordre de débiter de son compte le montant précité avait
été
indûment signé par B.________ et qu'en toute hypothèse le
protocole d'accord du 16 avril 1997 avait été signé sous la
contrainte. Ultérieurement, A.________ a partiellement
retiré
son action, en ce sens qu'il n'a plus réclamé le rembourse-
ment du capital susrappelé, mais s'est contenté de
solliciter
le versement d'intérêts pour la période courant du 28 novem-
bre 1997 (date du débit) au 5 juillet 1999, date de l'arrêt
par lequel la Cour d'appel de Rennes a fixé les montants dus
aux parties civiles constituées dans le cadre du procès des
frères D.________.

Par une écriture du 23 octobre 1998, notifiée par
huissier le 26 octobre 1998, Y.________ a déclaré mettre un
terme à la convention du 24 novembre 1997 "pour justes
motifs
et avec effet immédiat". Y.________ a fait valoir que la
mise
en demeure de A.________ du 19 juin 1998 et l'action qu'il
avait déposée le mois suivant contre Y.________ devant le
Tribunal de première instance avaient porté un coup fatal au
climat de confiance sur lequel reposait ladite convention.
A.________ a été en conséquence sommé d'évacuer son bureau,
de restituer tous biens appartenant à Y.________, laquelle
lui a en outre demandé de clôturer ses comptes et de trans-

férer les comptes de ses clients dans un autre établissement
pour le 30 novembre 1998.

B.- a) Y.________ a mis en oeuvre à la fin 1998 la
procédure arbitrale prévue par la convention du 24 novembre
1997. Le Tribunal arbitral a été composé de trois arbitres,
à
savoir G.________, avocat et professeur honoraire de l'Uni-
versité de Genève, auquel la présidence a été confiée,
E.________, avocat à Genève, et F.________, juge à la Cour
de
justice genevoise.

Dans son mémoire du 5 février 1999, Y.________ a
conclu à ce qu'il soit dit et constaté que la convention
litigieuse a été valablement résiliée par la demanderesse
avec effet au 26 octobre 1998 et qu'en conséquence
Y.________
est libre de tout engagement à l'endroit de A.________ et
X.________ S.A. à compter de cette date, à ce que ces der-
niers restituent à Y.________ le véhicule mis à leur dispo-
sition ainsi que tous documents en leur possession apparte-
nant à Y.________ et à ce que A.________ soit condamné à
verser à Y.________ 9'343 fr. représentant le coût du
leasing
et 3'129 fr.30 par mois dès février 1999 jusqu'à la date de
restitution du véhicule précité. Y.________ a en particulier
invoqué le libre droit de résiliation garanti par l'art.
418r
CO pour le contrat d'agence et par l'art. 404 al. 1 CO pour
le mandat.

A.________ et X.________ S.A. (ci-après: les défen-
deurs) ont conclu au déboutement de la demanderesse de
toutes
ses conclusions. Ils ont affirmé que l'art. 404 al. 1 CO
n'était pas applicable à la convention, car celle-ci devait
être qualifiée de contrat de société simple et nullement de
mandat au sens des art. 394 ss CO. Comme aucun juste motif
permettant la résiliation anticipée du contrat de société
simple, selon l'art. 545 ch. 7 CO, n'était réalisé, la con-

vention du 24 novembre 1997 devait être respectée jusqu'à
son
échéance.

Le Tribunal arbitral a rendu sa sentence le 15 no-
vembre 2000. Il a dit et constaté que la convention du 24 no-
vembre 1997 a été valablement résiliée par Y.________ avec
effet au 26 octobre 1998 (1) et que Y.________ n'a plus
d'obligation à l'endroit de A.________ et X.________ S.A.
fondée sur cet accord (2), condamné A.________ à verser à
Y.________ un montant de 21'905 fr.10 avec intérêts à 5% du
1er novembre 1998 au 15 février 1999 (3), condamné
A.________
et X.________ S.A. à restituer à Y.________ tout document
appartenant à celle-ci encore en leur possession (4), statué
sur les frais et dépens de la procédure arbitrale (5) et dé-
bouté les parties de toutes autres conclusions (6).

b) A.________ et X.________ S.A. ont recouru en
nullité contre cette sentence. Par arrêt du 14 décembre
2001,
la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève
a
annulé le point 2 du dispositif de ladite sentence au motif
que le tribunal arbitral avait statué ultra petita au sens
de
l'art. 36 let. e CA en examinant si une indemnité devait
être
octroyée sur la base de l'art. 404 al. 2 CO; en raison de
l'admission de ce grief, la Cour de justice a annulé le
point
5 du dispositif de la sentence et réparti entre les parties
les frais et dépens de la procédure arbitrale, statué sur
les
frais et dépens de la procédure cantonale et rejeté le re-
cours pour le surplus.

C.- A.________ et X.________ S.A. forment un re-
cours de droit public au Tribunal fédéral contre l'arrêt du
14 décembre 2001, dont ils demandent l'annulation.

L'intimée conclut au rejet du recours, alors que
l'autorité cantonale se réfère aux considérants de son
arrêt.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Selon la jurisprudence, lorsqu'il est saisi
d'un recours de droit public pour violation du Concordat
intercantonal sur l'arbitrage (RS 279; CA), le Tribunal fé-
déral examine librement - sans limitation - si l'autorité
cantonale a admis ou nié à tort l'arbitraire au sens de
l'art. 36 let. f CA (ATF 119 II 380 consid. 3b p. 382; 112
Ia
350 consid. 1). A teneur de cette disposition, une sentence
n'est arbitraire que si elle repose sur des constatations
manifestement contraires aux faits résultant du dossier ou
constitue une violation évidente du droit - matériel (ATF
112
Ia 350 consid. 2) - ou de l'équité. Ce moyen se confond avec
la protection contre l'arbitraire ancrée à l'art. 9 Cst., la
notion concordataire de l'arbitraire ayant été empruntée à
celle qui est fondée sur cette disposition constitutionnelle
(ATF 115 II 102 consid. 2; Lalive/Poudret/Reymond, Le droit
de l'arbitrage interne et international en Suisse, p. 212,
let. f).

Il suit de là que l'arbitraire ne résulte pas du
seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considé-
ration ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal
fédéral
ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci est
manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradic-
tion claire avec la situation de fait, qu'elle viole grave-
ment une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore
lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la
justice et de l'équité (sur la notion d'arbitraire en géné-
ral, cf. ATF 127 I 54 consid. 2b; 126 I 168 consid. 3a).

Pour que les constatations posées par le tribunal
arbitral soient considérées comme arbitraires, il faut
qu'elles soient contraires au dossier; ce sera le cas si
ledit tribunal a omis certaines pièces du dossier ou leur a

prêté un contenu qu'elles n'avaient pas ou s'il est parti
faussement de l'idée qu'un
fait était établi, alors que le
fait retenu ne trouve aucune assise dans le dossier (Rüede/
Hadenfeldt; Schweizerisches Schiedsgerichtsrecht, 2e éd., p.
346; Jolidon, Commentaire du Concordat suisse sur l'arbitra-
ge, n. 94 ad art. 36 CA). L'adoption de constatations mani-
festement contraires aux faits résultant du dossier ne con-
duit toutefois à l'annulation de la sentence attaquée que si
elles font apparaître celle-ci arbitraire dans son résultat
(Lalive/Poudret/Reymond, op. cit., loc. cit.).

Les critiques de nature purement appellatoire diri-
gées contre la sentence arbitrale sont irrecevables (ATF 119
II 380 consid. 3b p. 382).

2.- a) Devant la cour cantonale, les recourants,
qui se référaient à l'art. 36 let. f CA, avaient prétendu
que
c'est par une violation évidente du droit et de l'équité que
le Tribunal arbitral avait assimilé la convention du 24 no-
vembre 1997 à un contrat de mandat, en écartant la qualifica-
tion de société simple qu'ils avaient soutenue dans l'instan-
ce arbitrale. Ils avaient fait valoir que la convention
avait
été conclue pour six ans, ce qui ne s'accordait pas à l'idée
d'un contrat de mandat, que l'intimée avait appuyé sa rési-
liation par l'invocation de justes motifs et que la rémunéra-
tion des tiers-gérants était directement en rapport avec la
masse des avoirs en gestion en sorte que "les bénéfices
étaient partagés par moitié entre les parties".
Contrairement
à l'opinion des arbitres, les contractants avaient un but
commun au sens de l'art. 530 CO, à savoir celui de maintenir
dans un premier temps, malgré les aléas de la procédure péna-
le française, les avoirs déposés auprès de l'intimée et
gérés
par les défendeurs, puis d'augmenter progressivement lesdits
avoirs; dans cette société simple, les gérants avaient appor-
té initialement 40'000'000 fr. d'avoirs sous gestion et la
demanderesse son infrastructure, ses bureaux et un véhicule
de service. Les recourants avaient encore soutenu qu'ils
n'avaient aucune instruction à recevoir de la demanderesse
dont ils étaient totalement indépendants et qu'ils ne dispo-
saient pas d'un pouvoir de représentation de l'intimée,
alors
que tout mandataire devait disposer d'un tel pouvoir. Enfin,
à suivre les recourants, le Tribunal arbitral avait méconnu
que A.________ s'était déclaré disposer à céder ses actions
Y.________ à B.________ à la condition de pouvoir conserver
durant plusieurs années les revenus qui étaient les siens en
tant qu'employé de la demanderesse, si bien qu'il n'aurait
pas accepté la conclusion d'un contrat de mandat, lequel,
par
sa nature, ne lui offrait aucune garantie de rémunération.

La Cour de justice a écarté d'emblée le moyen pris
de la violation évidente de l'équité, dès l'instant où les
arbitres n'avaient pas été autorisés à statuer selon
l'équité
en application de l'art. 31 al. 3 CA. Puis elle a jugé que
le
tribunal arbitral n'avait pas versé dans l'arbitraire en rat-
tachant la convention litigieuse de manière prépondérante
aux
normes légales régissant le mandat. Si ladite convention
avait un caractère complexe, la fourniture de services par
les défendeurs en constituait l'élément prépondérant, de sor-
te que la qualification juridique effectuée par les arbitres
ne tombait pas sous le coup de l'art. 36 let. f CA. Que la
durée de l'accord ait été fixée à six ans ne s'opposait pas
à
son rattachement aux art. 394 ss CO, puisque le droit de li-
bre révocation du mandat ne pouvait être ni exclu ni limité
contractuellement. La cour cantonale a relevé que les recou-
rants n'avaient d'ailleurs cité aucun auteur de doctrine ex-
primant un avis différent de ceux cités par le tribunal ar-
bitral, qui qualifiaient le contrat entre le gérant externe
et la banque de mandat simple. La Cour de justice a encore
admis que le fait que la rémunération des défendeurs devait
varier en fonction de la masse des avoirs sous gestion ne
permettait pas de conclure à l'existence d'un véritable ani-
mus societatis, dès lors que la rémunération du mandataire
en

fonction du résultat de son activité est fréquente dans les
contrats de mandat. Enfin, l'autorité cantonale a considéré
que la position inégale des parties, concrétisée, d'une
part,
par l'obligation des défendeurs de suivre les instructions
de
la demanderesse à propos de l'ouverture des comptes et de
leur gestion, et, d'autre part, par l'interdiction de
A.________ d'accéder aux locaux de l'intimée dès le 1er
janvier 1998, s'opposait à l'admission d'un but commun que
les plaideurs auraient cherché à atteindre en unissant leurs
ressources.

b) Les recourants soutiennent que la manière de
voir de l'autorité cantonale est arbitraire. A les en
croire,
du moment que les parties à la convention du 24 novembre
1997
auraient exclu une résiliation ordinaire anticipée de l'ac-
cord et strictement limité les justes motifs pouvant être in-
voqués pour y mettre fin, ce ne serait pas uniquement la du-
rée du contrat prévue au ch. VI qui plaiderait pour une qua-
lification juridique autre que celle du mandat, mais bien la
claire et commune volonté des parties exprimée au ch. II de
ladite convention. En outre, la Cour de justice n'aurait pas
pris en compte que la convention en question est un contrat
mixte comprenant les éléments de divers contrats. Le mode de
rémunération des défendeurs adopté contractuellement, qui
prévoyait une répartition paritaire des bénéfices si les
avoirs en dépôt auprès de Y.________ devaient augmenter,
serait un facteur essentiel de la convention, qui ferait des
parties contractantes des membres d'une société simple. Les
gérants externes, contrairement à des mandataires, ne jouis-
saient d'ailleurs d'aucun pouvoir de représentation de l'in-
timée. Les recourants font enfin valoir qu'il était
impératif
pour A.________, qui avait vendu le 24 novembre 1997 les ac-
tions Y.________ qu'il détenait et avait accepté de quitter
son poste de dirigeant auprès de cette société, d'obtenir,
en
contrepartie, les garanties financières que le maintien de
la

convention pour la durée initiale convenue était à même de
lui offrir.

3.- Il y a lieu de vérifier si l'autorité cantona-
le a retenu à bon droit que les arbitres n'avaient pas
statué
arbitrairement en qualifiant la convention du 24 novembre
1997 de contrat de mandat au sens des art. 394 ss CO, et non
de société simple comme le soutenaient les recourants.

a) Un des éléments caractéristiques pour qu'il y
ait société simple est l'existence d'un but commun. En vertu
de l'autonomie privée (art. 19 al. 1 CO), les parties sont
libres de fixer comme elles l'entendent le but qu'elles sou-
haitent atteindre, dans les limites toutefois des art. 19
al.
2 et 20 CO et 27 CC (Pierre Engel, Contrats de droit suisse,
2e éd., p. 700, ch. 2; Pierre Tercier, Les contrats
spéciaux.
2e éd., n. 5547 p. 676 et n. 5552 p. 677). Il y a toutefois
une controverse en doctrine à propos de la société simple
dite "commerciale". Pour certains auteurs, une société
simple
ne saurait viser une activité commerciale, en raison du ca-
ractère subsidiaire de cette société et du fait qu'elle ne
peut être inscrite comme telle au registre du commerce (cf.
Tercier, op. cit., n. 5553 p. 677; Arthur Meier-Hayoz/Peter
Forstmoser, Schweizerisches Gesellschaftsrecht, 8e éd., § 4,
n. 61 ss, p. 112-114); pour d'autres, dès l'instant où,
comme
en l'espèce, un groupement composé de personnes physiques et
morales se donne un but économique, la forme de la société
simple lui est ouverte (Engel, op. cit., p. 700, ch. 3;
Lukas
Handschin, Commentaire bâlois, n. 4 ad art. 530 CO).

Dans le cas présent, les recourants soutiennent
eux-mêmes (cf. recours de droit public, p. 16) que, par l'ac-
cord litigieux, ils sont convenus avec l'intimée d'unir
leurs
efforts en vue d'atteindre un but commun, qui est celui de
gérer ensemble les avoirs de plus en plus importants qui se-
raient confiés aux associés par l'intermédiaire des défen-

deurs. Il est donc indubitable que le but de la société sim-
ple qui aurait ainsi été prétendument constituée avait trait
à une activité commerciale, laquelle consistait à gérer de
manière professionnelle les fonds apportés par des tiers. A
considérer le but économique commun entrant en ligne de comp-
te, il ne semble pas qu'il était arbitraire d'écarter la thè-
se de la conclusion d'un contrat de société simple, puisque
cette opinion est professée par une partie de la doctrine.

Cette question souffre de rester indécise, du mo-
ment que le recours doit de toute manière être rejeté pour
les motifs qui seront exposés ci-dessous.

b) L'animus societatis, qui caractérise la société
simple, doit résulter de la volonté des parties (art. 18
CO).
Il est admis par la jurisprudence et la doctrine que lorsque
la position des parties n'est pas égale, ainsi si l'un des
partenaires peut donner unilatéralement des instructions à
l'autre, on est généralement en présence d'un contrat bilaté-
ral, et non d'une société (ATF 104 II 108 consid. 2; Engel,
op. cit., p. 702; Josef Hofstetter, Der Auftrag und die
Geschäftsführung ohne Auftrag, in Schweizerisches Privat-
recht, vol. VII/6, 2e éd., p. 25).

Selon le chiffre III.D de la convention litigieuse,
les recourants s'engageaient à suivre "scrupuleusement" les
instructions que leur donnerait l'intimée concernant l'ouver-
ture des comptes de leurs clients et la gestion des mêmes
comptes. De plus, A.________, à compter du 1er janvier 1998,
n'était plus autorisé à pénétrer dans les locaux de la deman-
deresse et devait éviter tout contact avec les employés de
celle-ci sauf approbation préalable de la direction générale
de Y.________ (ch. III.I). Il y avait ainsi une disparité ma-
nifeste dans le statut juridique des parties contractantes,
puisque seule l'intimée pouvait donner, dans le cadre de la
gestion des avoirs déposés chez elle, des instructions aux

recourants, qui devaient les respecter fidèlement. De sur-
croît, si les défendeurs ne pouvaient plus se rendre dans
les
locaux occupés par la demanderesse, aucune interdiction simi-
laire n'était stipulée pour celle-ci en rapport avec les bu-
reaux mis à disposition des recourants. Dans ces conditions,
étant donné que les défendeurs étaient encore tenus, à moins
d'obtenir une autorisation, de ne pas entrer en relation
avec
le personnel de la demanderesse, il n'était pas insoutenable
d'admettre qu'ils n'étaient pas du tout sur un pied
d'égalité
avec l'intimée, ce qui excluait la passation d'un contrat de
société simple et plaidait pour la conclusion d'un accord sy-
nallagmatique.

c) L'autorité cantonale a considéré que les arbi-
tres n'avaient pas commis arbitraire en assimilant le
contrat
bilatéral conclu par les parties à celui passé entre un gé-
rant externe et une banque, lequel est soumis aux règles du
mandat (art. 394 ss CO). La Cour de justice s'est référée à
ce propos au même avis de doctrine (Martin Hess, Zur
Stellung
des externen Vermögensverwalters im Schweizer
Finanzmarktrecht, AJP 11/1999, p. 1433 ch. 3) que les
arbitres dans leur sentence du 15 novembre 2000.

Les recourants, qui ne discutent même pas l'opinion
de cet auteur, n'invoquent aucun précédent ou opinion doctri-
nale susceptibles de faire admettre que la cour cantonale a
approuvé sans droit le raisonnement des arbitres, lequel
était encore étayé par une seconde citation d'auteur.

Les différentes critiques que font valoir les dé-
fendeurs dans leur recours ne démontrent aucune violation du
droit concordataire.

aa) Les recourants allèguent qu'il résulte du chif-
fre II de la convention que les parties contractantes ont en-

tendu exclure toute résiliation ordinaire anticipée et limi-
ter les justes motifs de résiliation pouvant être invoqués.

Tout d'abord, quoi qu'en pensent les défendeurs, le
chiffre II de l'accord n'a pas trait à une cause ordinaire
de
résiliation, mais à la cause de résiliation extraordinaire
pour justes motifs, comme l'atteste clairement son en-tête
dont le contenu est "Caractère personnel de la présente con-
vention - limitation des justes motifs éventuels pouvant
être
invoqués pour une résiliation immédiate".

Selon le chiffre II précité, Y.________ prenait
notamment l'engagement de ne pas invoquer à l'encontre de
A.________ un juste motif de résiliation qui serait lié à
l'activité passée de l'intéressé au sein de la demanderesse.

On ne voit pas en quoi cet élément serait incompa-
tible avec les règles du mandat. Dès lors que les parties à
un tel contrat peuvent parfaitement le résilier si elles dis-
posent d'un juste motif (cf. Tercier, op. cit., n. 4161 p.
508), il leur est également loisible, en vertu de
l'autonomie
privée, de prévoir que des motifs justifiés précisément dési-
gnés ne pourront pas être invoqués pour se libérer du con-
trat.

bb) Les recourants font grand cas de la circonstan-
ce que la convention a été conclue pour six ans. Une telle
durée contractuelle, qui serait inconciliable avec le carac-
tère du mandat, aurait eu pour fin d'assurer à A.________
une
contrepartie financière pour l'abandon de son poste de diri-
geant auprès de l'intimée et la vente de ses actions
Y.________.

Le fait qu'un contrat soit conclu pour plusieurs
années ne s'oppose nullement à sa qualification de mandat.
Dans l'ATF 104 II 108, le Tribunal fédéral a ainsi soumis
aux

règles du mandat un "contrat de management" prévu pour durer
cinq ans.

A propos de la renonciation de A.________ à son
poste de cadre chez la demanderesse, le tribunal arbitral a
retenu, sans que l'arbitraire ait été invoqué sur ce point,
qu'elle a été dictée par
les suites de l'affaire
"Z.________"
et le souhait de l'intimée de se conformer aux exigences des
autorités de surveillance bancaires et boursières.

A cela s'ajoute que la vente des actions Y.________
a procuré à A.________ la somme substantielle de 4'215'064
fr. en novembre 1997, de sorte que l'on cherche vainement à
quelle contrepartie financière les recourants font allusion.

cc) Les recourants font grief à la cour cantonale
de n'avoir pas pris en compte que la convention du 24 novem-
bre 1997 est un contrat mixte.

L'autorité cantonale n'a pas ignoré la nature de la
convention, qu'elle a qualifiée de "complexe", dès lors
qu'elle comportait, outre la fourniture par les défendeurs
d'une clientèle à la demanderesse, la mise à disposition de
ces derniers notamment de locaux et d'un secrétariat. La
Cour
de justice n'a pas prêté le flanc à la critique en considé-
rant qu'il n'était pas arbitraire de soumettre ce contrat
mixte aux règles du mandat, car la fourniture de services
par
les défendeurs en constituait l'élément prépondérant. Il ap-
paraît en effet que la convention a été conclue intuitu per-
sonae, en raison notamment des qualités réelles ou supposées
de gestionnaire de A.________, et qu'elle était dominée par
un rapport de confiance, dont la rupture autorisait la révo-
cation unilatérale des relations contractuelles en applica-
tion de l'art. 404 al. 1 CO (cf. ATF 110 II 375 consid. 1b;
sur la théorie de l'absorption: Hofstetter, op. cit., p. 30;
Engel, op. cit., p. 740).

dd) A suivre les recourants, le mode de rémunéra-
tion adopté dans la convention litigieuse serait un partage
des bénéfices, lequel serait caractéristique de la société
simple.

Selon la jurisprudence, si les parties contractan-
tes ont stipulé une participation aux bénéfices, le contrat
conclu n'en devient pas pour autant une société simple (ATF
104 II 108 consid. 2 p. 112 et la référence doctrinale). Les
services rendus par le mandataire en vue d'atteindre le ré-
sultat escompté peuvent en effet l'être à la fois dans l'in-
térêt du mandant et dans celui du mandataire (mandatum mea
et
tua gratia; Hofstetter, op. cit., p. 25; Tercier, op. cit.,
n. 3935, p. 481). Du reste, il est possible de convenir que
la rémunération du mandataire dépendra du résultat atteint,
afin que ce dernier soit intéressé à l'affaire (Tercier, op.
cit., n. 4121, p. 503; Rolf H. Weber, Commentaire bâlois, n.
37 ad art. 394 CO).

La cour cantonale a ainsi considéré à bon droit que
les arbitres avaient admis sans arbitraire que la "rétribu-
tion globale" annuelle flexible des défendeurs, en ce sens
qu'elle était susceptible de varier notamment à la hausse si
la masse des avoirs de la clientèle déposés chez la demande-
resse devait dépasser 42'000'000 fr. (ch. V/D de la conven-
tion), ne permettait pas de retenir l'existence du but
commun
nécessaire pour qu'il y ait une société simple.

ee) Les recourants prétendent enfin qu'ils ne dis-
posaient d'aucun pouvoir de représentation de l'intimée,
alors que tout mandataire a la faculté de représenter son
mandant.

Il ressort du chiffre III/A de la convention que
les défendeurs s'engageaient à négocier pour le compte de
Y.________ (c'est le Tribunal fédéral qui souligne) avec

leurs clients afin que ceux-ci déposent leurs avoirs auprès
de la demanderesse. Partant, les recourants étaient bel et
bien dotés d'un pouvoir de représenter la demanderesse, à
tout le moins indirectement. Or, le régime juridique appli-
cable au contrat de mandat n'exige pas que le mandataire ait
le pouvoir de représenter directement le mandant (ATF 118 II
313 consid. 2a p. 316).

4.- En définitive, le recours doit être rejeté.
Les frais et dépens seront mis solidairement à la charge des
recourants qui succombent (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 7'000 fr.
solidairement à la charge des recourants;

3. Dit que les recourants verseront solidairement à
l'intimée une indemnité de 8'000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève.

_____________

Lausanne, le 10 avril 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.28/2002
Date de la décision : 10/04/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-04-10;4p.28.2002 ?
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