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05/04/2002 | SUISSE | N°4C.315/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 05 avril 2002, 4C.315/2001


«/2»

4C.315/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

5 avril 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz,
Mme Klett, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Favre, juges.
Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Société X.________ S.A., défenderesse et recourante
principale, représentée par Me Philippe Nordmann, avocat à
Lausanne,

et

Y.________ AB, demanderesse et intimée, recourante par voie
de

jonction, représentée par Me Marc-Aurèle Vollenweider,
avocat à Lausanne;

(droit international privé; garantie; droit de rec...

«/2»

4C.315/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

5 avril 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz,
Mme Klett, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Favre, juges.
Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Société X.________ S.A., défenderesse et recourante
principale, représentée par Me Philippe Nordmann, avocat à
Lausanne,

et

Y.________ AB, demanderesse et intimée, recourante par voie
de jonction, représentée par Me Marc-Aurèle Vollenweider,
avocat à Lausanne;

(droit international privé; garantie; droit de recours)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- La société Y.________ AB (ci-après: la
société-mère), sise à Stockholm (Suède), a fondé, en 1988,
la
société Z.________ S.A. (ci-après: la société-fille) dont
elle détenait la totalité du capital-actions. Ces deux socié-
tés ont pris à bail de la SI W.________ S.A. un ensemble
d'habitations avec services, destiné à être exploité à l'en-
seigne "X.________".

En 1990, la société-fille a obtenu différents prêts
de A.________ S.A. à Luxembourg (ci-après: la banque). Par
une lettre du 18 octobre 1991, la société-mère a rassuré la
banque sur la situation financière délicate de sa société-
fille. Elle a confirmé qu'il s'agissait d'une filiale à 100%
et qu'elle le resterait; elle a manifesté la volonté de su-
perviser la gestion de sa filiale de manière à ce que
celle-ci soit en tout temps à même de remplir ses obliga-
tions. Ayant reçu ces assurances, la banque a renouvelé les
prêts consentis à la société-fille.

Le 17 mars 1992, la société-mère a vendu à la SI
W.________ S.A. l'intégralité du capital-actions de sa
société-fille, laquelle a changé de raison sociale, devenant
la Société X.________ S.A. (ci-après: X.________). Ayant
appris cela, la banque, s'adressant directement à la
société-mère par lettre du 28 avril 1992, a demandé le rem-
boursement des prêts.

Par lettre du 9 juin 1992 adressée à la société-
fille, la banque a également sollicité de X.________ le
remboursement desdits prêts. X.________ a répondu le 23 juin
1992 qu'elle n'était pas en mesure de rembourser immédiate-
ment, si bien qu'elle proposait un plan d'amortissement. La

banque lui a fait savoir qu'elle n'était pas intéressée.
A.________ S.A. a persisté à réclamer le remboursement en
s'adressant à la société-mère.

Par pli du 17 août 1992, l'ancienne société-mère a
informé X.________ qu'elle avait décidé de payer la banque,
afin de conserver ses bonnes relations avec celle-ci; il ne
s'agissait toutefois que d'une solution temporaire et son
avocat en Suisse prendrait contact avec X.________ et lui
donnerait des instructions pour rembourser le prêt et les
intérêts dus.

Une expertise comptable a montré que la banque
avait prêté au total 2 050 000 fr. en capital à la société-
fille. 350 000 fr. en capital avaient déjà été remboursés le
29 janvier 1992. Le solde des prêts, soit 1 700 000 fr. en
capital, représentant avec les intérêts 1 778 000 fr., a été
remboursé par la société-mère pour le compte de
l'emprunteuse
le 5 août 1992. Dans les livres de la société-fille cette
opération a été portée au débit du compte de la banque avec
le libellé "versement d'un inconnu".

Par lettre du 25 novembre 1992, l'avocat de la
société-mère a mis en demeure le président du conseil d'admi-
nistration de X.________ de rembourser le montant de
1 778 000 fr. jusqu'au 30 novembre 1992. X.________ a con-
testé avoir une quelconque obligation à l'égard de la
société-mère.

B.- Par acte du 16 juillet 1993, Y.________ AB a
saisi les tribunaux vaudois d'une demande en paiement
dirigée
contre la Société X.________ S.A., réclamant à cette
dernière
la somme de 1 778 000 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er dé-
cembre 1992.

La défenderesse a conclu à libération. En cours de
procédure, elle a invoqué la compensation avec des créances
en paiement d'arriérés de loyers contre la demanderesse qui
lui avaient été cédées par SI W.________ S.A.

Par jugement du 5 octobre 2000, la Cour civile du
Tribunal cantonal vaudois a condamné la défenderesse à payer
à la demanderesse la somme de 889 000 fr. avec intérêts à 5%
l'an dès le 1er décembre 1992. En substance, la cour canto-
nale a estimé que la défenderesse ne devait que la moitié de
la somme réclamée en vertu de l'art. 148 al. 1 et 2 CO; elle
a jugé également que la défenderesse n'était pas parvenue à
prouver les faits permettant de constater l'existence des
créances compensatoires invoquées.

C.- La Société X.________ S.A. exerce un recours
en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à la réforme de
la décision attaquée en ce sens que les conclusions de la
demande sont entièrement rejetées.

L'intimée propose le rejet du recours. Elle forme
également un recours joint, requérant la réforme du jugement
attaqué en ce sens que sa partie adverse doit être condamnée
à lui payer la somme de 1 778 000 fr. avec intérêt légal dès
le 1er décembre 1992.

La recourante principale conclut au rejet du re-
cours joint dans la mesure où il est recevable.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Se prévalant d'une violation de l'art. 117 de
la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit internatio-
nal privé (RS 291; LDIP), la recourante principale soutient

que, en raison du lien économique et temporel entre le prêt
et la lettre de confort du 18 octobre 1991, un seul droit
étranger s'appliquerait, celui de la prestation
caractéristique, à savoir le droit du Luxembourg, siège de
la
banque prêteuse; comme les parties n'ont pas établi ce droit
étranger, c'est le droit suisse qui régirait l'ensemble de
leurs relations juridiques. Selon la défenderesse, il n'y
avait pas de solidarité passive entre les parties au sens de
l'art. 143 CO, de sorte que l'art. 148 al. 1 CO n'était pas
applicable. Enfin, les magistrats vaudois n'auraient pas dû
faire application de l'art. 144 LDIP, puisque la prétendue
dette de la société-mère envers la banque n'existait pas.

La recourante par voie de jonction soutient que la
cour cantonale a violé le droit fédéral en ne lui allouant
que la moitié de ses conclusions. A son sens, la Cour civile
aurait commis une erreur dans l'application de l'art. 148
CO,
du moment qu'un règlement par parts égales après paiement du
créancier principal n'aurait pas été convenu entre les par-
ties. Il résulterait en effet des faits établis que la défen-
deresse devait prendre en charge l'entier du paiement fait à
la banque.

2.- a) Il convient d'analyser tout d'abord le pre-
mier rapport juridique qui est à l'origine de la créance li-
tigieuse, à savoir le rapport entre la banque et la société-
fille.

La qualification doit être opérée selon la loi du
for (ATF 127 III 123 consid. 2c, 553 consid. 2c).

Il ressort des constatations cantonales - qui lient
le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (art. 63
al. 2 OJ) - que la banque s'est engagée à mettre des fonds à
disposition de la société-fille pour que celle-ci les
utilise
à son profit, à charge pour elle de rembourser une somme

équivalente et de payer l'intérêt convenu. L'accord passé se
caractérise, selon la loi du for, comme un prêt de consomma-
tion (cf. art. 312 CO).

Il ne résulte pas de l'état de fait déterminant
qu'une élection de droit ait été convenue (art. 116 LDIP).

En pareille situation, le contrat est régi par le
droit de l'Etat avec lequel il présente les liens les plus
étroits (art. 117 al. 1 LDIP). Ces liens sont réputés
exister
avec l'Etat dans lequel la partie qui doit fournir la presta-
tion caractéristique a sa résidence habituelle ou, si le con-
trat est conclu dans l'exercice d'une activité profession-
nelle ou commerciale, son établissement (art. 117 al. 2
LDIP). Comme le prêt de consommation a pour objet de
conférer
l'usage d'une somme d'argent ou d'un autre fongible, il faut
considérer qu'il s'agit là de la prestation caractéristique
(art. 117 al. 3 let. b LDIP; pour l'application de cette dis-
position au prêt de consommation: ATF 123 III 494 consid.
3a). En conséquence, le prêt de consommation, en droit in-
ternational privé suisse, est régi, en l'absence d'élection,
par le droit de l'Etat dans lequel le prêteur a sa résidence
habituelle.

Du moment que la banque a conclu le contrat dans
l'exercice de son activité professionnelle ou commerciale,
c'est le lieu de son établissement qui est déterminant
(art. 117 al. 2 LDIP). L'établissement d'une société se
trouve dans l'Etat dans lequel elle a son siège ou une suc-
cursale (art. 21 al. 3 LDIP). En l'espèce, il n'a pas été re-
tenu que le contrat aurait été passé avec une succursale. Le
rattachement dépend ainsi du siège social de la banque, le-
quel se trouve dans le grand-duché de Luxembourg. Ce contrat
est donc régi par le droit luxembourgeois.

S'agissant d'une cause patrimoniale, la cour canto-
nale, faisant usage de la faculté offerte par l'art. 16 al.
1
3e phrase LDIP, a mis la preuve du droit étranger à la
charge
des parties. Comme elles n'ont pas apporté cette preuve, le
droit suisse s'applique en vertu de l'art. 16 al. 2 LDIP, ce
qui n'est d'ailleurs pas contesté en instance de réforme.

Lorsque la cour cantonale a appliqué le droit suis-
se pour le motif que le contenu du droit étranger n'a pas
été
établi, le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme,
peut contrôler librement la bonne application du droit fédé-
ral (ATF 109 III 112 consid. 1).

b) Il faut examiner ensuite le second rapport appa-
ru dans l'ordre chronologique, à savoir celui qui serait né
de la lettre du 18 octobre 1991 adressée par la société-mère
à la banque.

Il y a lieu de reprendre ici la même méthode d'ana-
lyse que celle employée ci-dessus sous lettre a; cf. aussi
ATF 127 III 123 consid. 2c).

Il ressort clairement du contenu de cette lettre -
tel qu'il a été constaté définitivement par la cour
cantonale
- que la société-mère a voulu assurer à la banque que la det-
te de sa société-fille serait honorée. Selon la loi du for,
le seul rapport juridique qui peut entrer en considération
est le contrat de garantie. Dès lors qu'il n'a pas été
retenu
qu'une élection de droit ait été convenue, l'existence de ce
contrat est régie par la loi de l'établissement - s'agissant
de l'exercice d'une activité professionnelle ou commerciale
-
de la société qui se porte garante, ce qui constitue la pres-
tation caractéristique en vertu de l'art. 117 al. 3 let. e
LDIP. Comme il n'apparaît pas que la société-mère ait agi
par
l'entremise d'une succursale, son établissement se trouve
dans l'Etat où elle a son siège (art. 21 al. 3 LDIP). Dès

l'instant où la société-mère a son siège à Stockholm en Suè-
de, l'existence et les effets du contrat de garantie relè-
vent, selon le droit international privé suisse, du droit
suédois.

Le contenu du droit suédois ayant été établi, la
cour cantonale a retenu que la lettre du 18 octobre 1991
constituait un engagement de garantie valable en droit sué-
dois et obligeait la société-mère; dès lors que celle-ci a
désintéressé le créancier principal, elle dispose, selon le
droit suédois, d'un recours pour la totalité de la somme
versée contre la débitrice dont elle s'est portée garante.

Ces questions relèvent entièrement de l'application
du droit étranger désigné par le droit international privé
suisse et ne peuvent être revues, s'agissant d'une cause pé-
cuniaire, dans un recours en réforme (cf. ATF 127 III 123
consid. 2f; 126 III 492 consid. 3a).

c) Il a été établi en fait que la société-mère a
payé la somme due à la banque. La question litigieuse est de
savoir si elle peut en demander remboursement à sa société-
fille (qui a changé d'actionnaire et de raison sociale, mais
qui est demeurée la même personne morale).

L'analyse doit s'opérer sur la base des comporte-
ments et déclarations constatés de manière souveraine par la
cour cantonale (art. 63 al. 2 OJ).

Il n'est pas concevable que l'engagement de l'em-
prunteuse et l'engagement de la garante soient totalement in-
dépendants l'un de l'autre en ce sens que la banque pourrait
réclamer deux fois la même somme. Une telle construction ju-
ridique, dépourvue de toute justification économique, heur-
terait le bon sens. Cette interprétation des déclarations
faites, qui ne trouve du reste aucun point d'appui sérieux

dans les constatations cantonales, doit d'emblée être reje-
tée.

On ne peut pas imaginer non plus que la banque
doive rembourser la société-mère pour s'adresser à la
société-fille. La banque a clairement manifesté la volonté
d'être couverte immédiatement par la société-mère et cette
dernière a accepté de donner satisfaction à la banque pour
conserver ses bonnes relations avec elle. La construction
juridique évoquée ne trouve aucune assise dans l'état de
fait
déterminant.

Il apparaît encore moins que la banque doive pour-
suivre la société-fille pour, après avoir reçu paiement de
cette dernière, rembourser la société-mère. Un tel régime
obligerait la banque à agir contre la société-fille. Or,
c'est précisément ce que la banque ne voulait manifestement
pas faire, puisque, lorsque la défenderesse lui a fait
savoir
qu'elle ne pouvait pas rembourser et lui a proposé un plan
d'amortissement, ladite banque s'est adressée à la société-
mère afin d'être désintéressée.

On doit donc déduire des circonstances, telles
qu'elles peuvent être comprises de bonne foi, que le
paiement
effectué par la société-mère
a eu non seulement pour effet
de
la libérer à l'égard de la banque de l'engagement qu'elle
avait pris en vertu du contrat de garantie de droit suédois,
mais qu'il a libéré également la société-fille de l'engage-
ment qu'elle avait contracté à l'égard de la banque en vertu
du contrat de prêt soumis au droit suisse (applicable comme
droit de substitution).

Arrivée à ce stade du raisonnement, la Cour civile
aurait dû se demander si la société-mère et la société-fille
avaient passé un accord entre elles pour déterminer laquelle
des deux devait en définitive supporter la charge économique

de l'extinction de la dette qu'elles avaient l'une et
l'autre
contractée à l'égard de la banque. Un tel contrat, qui
serait
soumis à la loi du siège de la société qui se serait obligée
à assumer cette charge, couperait court à la question liti-
gieuse. La société qui se serait engagée à supporter la
charge sur le plan interne devrait alors exécuter son obli-
gation contractuelle, sans qu'il y ait lieu de se demander
s'il existe ou non un droit de recours en vertu de la loi.

Il ressort de la lettre du 18 octobre 1991 que la
société-mère partait de l'idée qu'elle ferait en sorte que
la
société-fille puisse assumer ses obligations; dans son es-
prit, il incombait manifestement à la société-fille de payer
la banque. Lors du paiement, la société-mère a clairement ex-
pliqué à son ancienne société-fille qu'il s'agissait d'une
solution provisoire et que son avocat allait s'adresser à
elle. On peut en déduire que la société-mère voulait que la
charge économique soit en définitive supportée par la
société-fille. Il ne résulte cependant pas des constatations
cantonales une déclaration ou un comportement dont on puisse
déduire que la société-fille a accepté un tel engagement.
Comme un tel accord aurait été soumis au droit suisse (siège
de la société-fille), il n'est pas question d'une
acceptation
tacite s'agissant d'un accord imposant une charge (cf. art.
6
CO).

Dès lors qu'aucun accord entre la société-mère et
la société-fille n'a été établi, il y a lieu d'examiner s'il
existe un droit de recours en vertu de la loi.

d) Consacrant la solution jurisprudentielle retenue
en matière de subrogation (ATF 109 II 65 consid. 1; 107 II
489), le législateur, à l'art. 144 al. 1 LDIP, a prévu que
le
droit international privé suisse ne reconnaît l'existence
d'un droit de recours "que dans la mesure où les droits ré-
gissant les deux dettes l'admettent". Il faut ainsi que le

recours existe aussi bien selon le droit qui régit le
rapport
juridique en vertu duquel le créancier principal a été désin-
téressé (en l'espèce: le droit suédois) que selon le droit
qui régit le rapport juridique unissant le créancier princi-
pal au débiteur recherché sur recours (cf. ATF 118 II 502
consid. 2c; Paolo Michele Patocchi/Elliott Geisinger, Inter-
nationales Privatrecht, Zurich 2000, n. 1 et 2 ad art. 144
LDIP; Max Keller/Daniel Girsberger, IPRG-Kommentar, n. 15 ad
art. 144 LDIP; Bernard Dutoit, Commentaire de la loi
fédérale
du 18 décembre 1987, 3ème éd., n. 3 ad art. 144 LDIP; Felix
Dasser, Commentaire bâlois, n. 6 ad art. 144 LDIP).

aa) La cour cantonale est parvenue à la conclusion
que le droit suédois (qui régit la garantie d'espèce) permet
au garant qui a payé de recourir pour la totalité contre
l'emprunteur qu'il a libéré. Cette question touche la bonne
application du droit étranger désigné par le droit interna-
tional privé suisse et ne peut donc pas être examinée en ins-
tance de réforme, puisque la présente contestation est de na-
ture pécuniaire (cf. art. 43a al. 2 OJ a contrario).

bb) On doit ensuite se demander si le droit suisse
(qui régit par défaut le prêt) accorderait un recours au ga-
rant qui a remboursé le prêt.

Sur ce point, la cour cantonale s'est égarée. Dès
lors que le droit international privé suisse désigne en l'es-
pèce le droit suédois pour régir l'accord résultant de la
lettre du 18 octobre 1991 et que ce droit y voit une
garantie
contractuelle valable, il en résulte nécessairement que l'or-
dre juridique suisse reconnaît, dans le litige d'espèce, la
garantie de droit suédois. Il n'est donc pas question,
arrivé
au stade de l'art. 144 al. 1 LDIP, de qualifier la lettre se-
lon le droit interne suisse (alors que celui-ci est inappli-
cable: art. 117 al. 3 let. e LDIP), pour conclure qu'il n'y
a
pas de garantie valable.

Le contrat de prêt étant soumis au droit suisse (le
contenu du droit luxembourgeois n'ayant pas été établi), il
sied de contrôler si ce droit permet à une personne qui a
désintéressé le prêteur, en vertu d'une garantie de droit
suédois reconnue en Suisse, de recourir contre l'emprunteur
libéré.

Certes, le droit suisse ne connaît pas nécessaire-
ment une garantie identique à celle du droit suédois. Il
faut
donc appliquer les principes du droit suisse en matière de
recours, en prenant en compte la garantie du droit suédois,
telle qu'elle est, et en raisonnant par analogie à son sujet
(cf. ATF 107 II 489 consid. 5a).

Le droit suisse attache une grande importance à la
distinction entre l'engagement indépendant et la garantie ac-
cessoire. Pour dire si l'on se trouve en présence d'un enga-
gement indépendant ou d'une garantie accessoire, il
recherche
les traits caractéristiques de l'engagement, en fonction de
plusieurs indices (sur l'ensemble de la question: cf. arrêt
4C.191/1999 du 22 septembre 1999, publié in SJ 2000 I p. 305
ss, consid. 1a).

Ainsi, il y a indice en faveur d'un engagement in-
dépendant:

- lorsque celui qui s'engage y a un intérêt person-
nel distinct, plus ou moins équivalent à celui du codébiteur
(ATF 111 II 276 consid. 2b et 2c);

- si la somme qu'il s'engage à payer ne correspond
pas à celle due par l'autre débiteur ou n'est pas définie
par
référence à celle-ci (ATF 113 II 434 consid. 2b);

- si l'engagement est pris à un moment où l'on sait
que l'autre débiteur ne pourra pas s'exécuter (arrêt

4C.19/1988 du 25 juillet 1988, publié in SJ 1988 p. 553,
consid. 1c/aa);

- si l'on peut penser que l'engagement aurait été
pris même si l'obligation du codébiteur n'existait pas,
était
nulle ou invalidée (ATF 125 III 305 consid. 2b).

En l'espèce, ces différentes approches aboutissent
au même résultat.

Les fonds empruntés (qui sont à l'origine de la
prétention litigieuse) ont été reçus par la société-fille,
qui les a utilisés pour son activité. Etant la destinatrice
des fonds, elle avait un intérêt primordial à ce que le prêt
soit consenti et maintenu; en comparaison, l'intérêt de la
société-mère apparaît secondaire et accessoire.

L'engagement de la société-mère portait exactement
sur la même somme que l'engagement de la société-fille: il
s'agissait d'assurer le remboursement du prêt.

D'après les constatations cantonales, il n'était
nullement certain, au moment de l'envoi de la lettre du 18
octobre 1991, que la société-fille ne serait pas à même de
payer; la société-mère ne pouvait donc pas savoir qu'elle
allait payer à la place de la société-fille. Il ressort au
contraire des termes employés dans l'écriture précitée que
la
demanderesse avait bon espoir que la dette soit éteinte par
la filiale.

La société-mère a manifestement voulu aider une fi-
liale naissante et en difficultés financières; on ne peut
pas
imaginer qu'elle se serait engagée si l'obligation de la fi-
liale avait été nulle ou invalidée.

Au vu de ce qui précède, la garantie accordée en
l'espèce (qui relève du droit suédois) se caractérise, si on
lui applique les concepts du droit suisse, comme une
garantie
accessoire. Or, s'agissant de garantir la dette d'autrui, le
droit suisse accorde systématiquement un recours pour la to-
talité de son versement au garant qui a désintéressé le
créancier principal. On peut se référer à cet égard aux
règles sur le cautionnement (art. 507 al. 1 CO), à celles
sur
l'aval (art. 1022 al. 3 CO), voire - à supposer que l'on
considère le cas comme comparable - à celles sur le payeur
par intervention (art. 1062 al. 1 CO).

Ainsi, la garantie de droit suédois présente les
caractéristiques, selon les conceptions suisses, d'une ga-
rantie accessoire et le droit suisse reconnaît un recours,
pour la totalité de la somme payée, au garant accessoire qui
libère le débiteur principal en payant le créancier princi-
pal.

cc) En conséquence, le droit suédois et le droit
suisse admettent que le garant accessoire peut recourir con-
tre l'emprunteur dans toute la mesure où il l'a libéré à
l'égard du prêteur. Dès lors, le droit international privé
suisse reconnaît l'existence du recours en l'espèce (art.
144
al. 1 LDIP). Comme il a été constaté, sans contestation, que
la société-mère a payé le montant du capital emprunté et des
intérêts, le recours doit être accordé pour le tout, à savoir
1 778 000 fr. en capital.

3.- En définitive, si le recours principal doit
être rejeté, le recours joint doit être admis et le jugement
déféré réformé en ce sens que la défenderesse devra payer à
son adverse partie le montant de 1 778 000 fr. plus intérêts
à 5% dès le 1er décembre 1992. La recourante principale, qui
succombe intégralement, doit être condamnée aux frais et dé-
pens (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

La cause devra être retournée à la cour cantonale
pour nouvelle décision sur les frais et dépens de l'instance
cantonale (art. 159 al. 6 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours principal;

2. Admet le recours joint et réforme le jugement
attaqué en ce sens que la défenderesse est condamnée à
verser
à la demanderesse la somme de 1 778 000 fr. avec intérêts à
5% l'an dès le 1er décembre 1992;

3. Met un émolument judiciaire de 20 000 fr. à la
charge de la défenderesse;

4. Dit que la défenderesse versera à la demande-
resse une indemnité de 25 000 fr. à titre de dépens;

5. Renvoie la cause à la cour cantonale pour
qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la pro-
cédure cantonale;

6. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
du canton de Vaud.

__________

Lausanne, le 5 avril 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.315/2001
Date de la décision : 05/04/2002
1re cour civile

Analyses

Art. 117 LDIP; droit international privé; rattachement du contrat de prêt de consommation et du contrat de garantie. Lorsque les parties contractantes n'ont pas choisi un autre droit, le contrat de prêt de consommation est soumis, en droit international privé suisse, au droit de l'Etat dans lequel le prêteur a sa résidence habituelle (consid. 2a). En l'absence d'élection de droit, le contrat de garantie est, pour sa part, régi par la loi de l'établissement de la société qui s'est portée garante (consid. 2b). Art. 144 LDIP; droit international privé; recours entre codébiteurs. Un débiteur ne peut recourir contre un codébiteur que si le droit de recours existe aussi bien selon le droit qui régit le rapport juridique en vertu duquel le créancier principal a été désintéressé que selon le droit qui régit le rapport juridique noué entre le créancier principal et le débiteur recherché sur recours (consid. 2d). Engagement indépendant ou garantie accessoire? Pour distinguer ces deux espèces de sûretés, il convient, en droit suisse, de rechercher les traits caractéristiques de l'engagement en fonction de plusieurs indices. Description des indices de l'existence d'un engagement indépendant (consid. 2d/bb).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-04-05;4c.315.2001 ?
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