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03/04/2002 | SUISSE | N°1P.15/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 03 avril 2002, 1P.15/2002


{T 0/2}
1P.15/2002/col

Arrêt du 3 avril 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

T.________, recourant, représenté par Me Yvan Jeanneret, avocat, rue
du
Conseil-Général 18, 1205 Genève,

contre

Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève, place du Bourg-de-F

our 1, case
postale
3108, 1211 Genève 3.

art. 29, 32 Cst. et 6 § 3 CEDH; procédure pénale; assistance d'un
avocat;
...

{T 0/2}
1P.15/2002/col

Arrêt du 3 avril 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

T.________, recourant, représenté par Me Yvan Jeanneret, avocat, rue
du
Conseil-Général 18, 1205 Genève,

contre

Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3108, 1211 Genève 3.

art. 29, 32 Cst. et 6 § 3 CEDH; procédure pénale; assistance d'un
avocat;
nécessité d'une confrontation; appréciation des preuves

(recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du
canton de
Genève du 14 décembre 2001)
Faits:

A.
Par arrêt du 18 juin 2001, la Cour d'assises du canton de Genève a
condamné
T.________ à la peine de dix ans de réclusion et à quinze ans
d'expulsion du
territoire suisse sans sursis, pour infractions graves à la loi
fédérale sur
les stupéfiants, séquestrations et enlèvements aggravés; elle a en
outre
révoqué le sursis accordé le 18 mai 1999 par le Juge d'instruction du
canton
de Genève à quatre mois d'emprisonnement pour infraction simple à la
loi
fédérale sur les stupéfiants.
Le jury a retenu en substance que T.________ avait, de concert avec
M.________ et A.________, contraint B.________, S.________ et
G.________,
ressortissants albanais alors âgés respectivement de douze, treize et
quinze
ans, en échange de leur hébergement, de se rendre dans le secteur
d'Uni Mail,
à Genève, et à proximité de la piscine du Grand-Lancy pour vendre des
sachets
de cinq grammes d'héroïne, ce à raison de sept à huit sachets par
jour durant
une dizaine de jours, au prix de 250 fr. le sachet. Le jury a
également admis
que les accusés avaient retenu les trois mineurs prisonniers pendant
près de
six heures dans l'appartement mis à disposition de ces derniers par
T.________, afin d'obtenir la restitution d'une somme de 13'500 fr.
provenant
du trafic de drogue, que les jeunes auraient conservée à leur insu,
et que,
pour ce faire, ils les avaient frappés avec les poings et les pieds
sur le
visage et sur tout le corps, qu'ils leur avaient ligoté les mains
dans le dos
avec du câble d'antenne de télévision, qu'ils les avaient menacés à
l'aide
d'un couteau, et qu'ils les avaient frappés avec des bouteilles de
bière sur
la tête et avec un câble d'antenne de télévision, avant que l'accusé
ne se
rende avec M.________ et les deux plus jeunes sur les lieux où ces
derniers
avaient caché l'argent.

B.
Statuant par arrêt du 14 décembre 2001, la Cour de cassation du
canton de
Genève (ci-après: la Cour de cassation ou la cour cantonale) a rejeté
le
pourvoi formé par T.________ contre ce prononcé. Elle a refusé de
voir une
violation des droits de la défense dans le fait que l'accusé avait été
confronté aux mineurs le 11 octobre 2000 alors qu'il n'était pas
encore
assisté d'un avocat d'office, dès lors qu'il avait refusé une telle
assistance lors de son audition par la police. Elle a estimé que les
dépositions des mineurs étaient parfaitement claires quant à la
participation
de T.________ dans le trafic de stupéfiants et quant aux sévices
subis,
excluant tout arbitraire dans l'appréciation des preuves. Elle a
enfin jugé
qu'au regard de l'ensemble des circonstances, la peine infligée à
l'accusé
n'était pas excessivement sévère.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, T.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Il voit une violation des
droits de la
défense garantis aux art. 6 § 3 let. c CEDH, 14 ch. 3 let. d Pacte
ONU II et
29 al. 2 et 3 Cst. dans le fait qu'une audience d'instruction a été
tenue le
11 octobre 2000 alors qu'il n'était pas assisté d'un avocat. Il
soutient en
outre que les art. 6 § 3 let. d CEDH et 14 ch. 3 let. e Pacte ONU II
auraient
été violés, car il n'a jamais été en mesure d'exercer valablement son
droit à
l'interrogatoire des témoins à charge. Il prétend enfin que sa
condamnation
reposerait sur une appréciation arbitraire des preuves et violerait la
présomption d'innocence garantie aux art. 6 § 2 CEDH, 14 ch. 2 Pacte
ONU II
et 32 al. 1 Cst. Il requiert l'assistance judiciaire.
La cour cantonale se réfère à son arrêt. Le Procureur général du
canton de
Genève conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal
fédéral n'est
pas ouvert pour se plaindre d'une appréciation arbitraire des preuves
et des
constatations de fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p.
83) ou
pour invoquer la violation directe d'un droit constitutionnel ou
conventionnel, tel que le droit à l'assistance d'un défenseur ancré
aux art.
6 § 3 let. c CEDH, 14 ch. 3 let. d Pacte ONU II et 29 al. 2 et 3
Cst., le
droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge,
garanti aux
art. 6 § 3 let. d CEDH et 14 ch. 3 let. e Pacte ONU II (ATF 127 IV 215
consid. 2d p. 218), ou la présomption d'innocence, consacrée aux art.
32 al.
1 Cst., 6 § 2 CEDH et 14 ch. 2 Pacte ONU II (ATF 120 Ia 31 consid. 2b
p.
35/36). Au vu des arguments soulevés, seul le recours de droit public
est
ouvert en l'occurrence.
Le recourant est directement touché par l'arrêt attaqué qui le
condamne à une
peine de dix ans de réclusion et à son expulsion du territoire suisse
pour
une durée de quinze ans; il a un intérêt personnel, actuel et
juridiquement
protégé à ce que cet arrêt soit annulé et a, partant, qualité pour
recourir
selon l'art. 88 OJ. Interjeté en temps utile contre une décision
finale prise
en dernière instance cantonale, le recours répond au surplus aux
réquisits
des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

2.
Le recourant voit une violation des droits de la défense garantis aux
art. 6
§ 3 let. c CEDH, 14 ch. 3 let. d Pacte ONU II et 29 al. 2 et 3 Cst.
dans le
fait qu'une audience d'instruction a été tenue le 11 octobre 2000
alors qu'il
n'était pas assisté d'un avocat; la confrontation avec les mineurs
intervenue
à ce moment-là ne constituerait pas une occasion adéquate et
suffisante de
contester leurs témoignages à charge, au sens des art. 6 § 3 let. d
CEDH et
14 ch. 3 let. e Pacte ONU II.

2.1 En l'occurrence, nul ne conteste que les conditions à l'octroi
d'un
défenseur d'office étaient réunies eu égard à la peine à laquelle le
recourant était exposé (cf. ATF 126 I 194 consid. 3a p.195/196 et la
jurisprudence citée); le Juge d'instruction lui a d'ailleurs désigné
un
avocat d'office en la personne de Me Yvan Jeanneret deux jours après
l'audience incriminée du 11 octobre 2000. La seule question à
trancher est
celle de savoir si le recourant aurait déjà dû être assisté d'un
conseil à
cette occasion et, dans l'affirmative, si la confrontation avec les
mineurs
est intervenue dans le respect des droits que lui confère l'art. 6 §
3 let. d
CEDH, étant précisé que l'art. 14 ch. 3 let. e Pacte ONU II n'a pas
de portée
plus étendue sur ce point (cf. ATF 122 I 109 consid. 3c p. 114; 120
Ia 247
consid. 5b p. 255).

2.2 A teneur de l'art. 6 § 3 CEDH, tout accusé a le droit notamment
d'être
informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et
d'une
manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée
contre
lui (let. a), de disposer du temps et des facilités nécessaires à la
préparation de sa défense (let. b) et de se défendre lui-même ou avoir
l'assistance d'un défenseur de son choix (let. c). L'art. 107A du
Code de
procédure pénale genevois (CPP gen.) prévoit que, lorsqu'une personne
est
entendue comme auteur présumé d'une infraction, elle est rendue
attentive,
sans délai, par la remise du présent article dans une langue comprise
par
elle, à ce qu'elle a le droit d'obtenir la visite d'un avocat et de
conférer
librement avec lui, dès la fin de son interrogatoire par l'officier de
police, mais au plus tard à la première heure ouvrable à l'issue des
vingt-quatre heures suivant le début de l'audition par la police
(let. g),
qu'elle peut, si elle ne connaît pas d'avocat, s'en faire désigner un
(let.
h) et qu'elle peut, le cas échéant, faire appel à l'assistance
juridique, aux
conditions prévues par la loi (let. i). L'art. 41 al. 1 let. a CPP
gen.
dispose qu'au début de la première comparution devant le juge
d'instruction,
tout inculpé doit être expressément informé de son droit de choisir
son ou
ses défenseurs ou de s'en faire désigner d'office.

2.3 En l'occurrence, le recourant a été interpellé le 3 octobre 2000,
puis
entendu par la police, après avoir été rendu attentif à la
possibilité de se
faire représenter par un avocat, conformément à l'art. 107A CPP gen.;
il n'a
pas sollicité la désignation d'un défenseur d'office et ne s'est pas
opposé à
son audition par la police. Le Juge d'instruction l'a entendu le 4
octobre
2000; il lui a donné connaissance du contenu de l'art. 41 CPP gen. et
l'a
rendu attentif à la possibilité de se constituer un défenseur
d'office, ce à
quoi il a renoncé en l'état, acceptant d'être interrogé en l'absence
d'un
avocat. Le Juge d'instruction a interrogé les trois mineurs, en
présence de
leur conseil, dans son cabinet le 11 octobre 2000; à cette occasion,
ils ont
été confrontés aux prévenus. T.________ n'était alors pas assisté d'un
avocat, contrairement à A.________, qui avait sollicité la
désignation d'un
défenseur d'office à l'issue de son audition devant le Juge
d'instruction le
4 octobre 2000. Il aurait donc aussi pu bénéficier de l'assistance
d'un
avocat lors de l'audience du 11 octobre 2000, s'il en avait fait la
demande.
Dans ces conditions, le fait que cette audience se soit déroulée
alors que le
recourant n'était pas assisté d'un avocat ne consacre aucune
violation de
l'art. 6 § 1 et 3 let. c CEDH. A cet égard, la référence à l'arrêt du
Tribunal fédéral paru aux ATF 113 Ia 218 est dénuée de toute
pertinence,
s'agissant d'un cas concernant l'absence de l'avocat du prévenu à
l'audience
de jugement. Reste ainsi uniquement à examiner si la confrontation
avec les
mineurs intervenue dans ces conditions lors de l'audience du 11
octobre 2000
respectait les droits de la défense.

2.4 L'art. 6 § 3 let. d CEDH reconnaît à tout accusé le droit
d'interroger ou
de faire interroger les témoins à charge et d'obtenir la citation et
l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que
les
témoins à charge. Ce droit, qui découle également de l'art. 29 Cst.
(ATF 125
I 127 consid. 6b p. 133; 124 I 274 consid. 5b p. 284; 121 I 306
consid. 1b p.
308 et les arrêts cités), ne vaut pas seulement à l'encontre des
témoins au
sens classique du terme, mais à l'encontre de toutes les personnes
qui font
des dépositions à charge, fussent-elles également impliquées comme
coïnculpées dans la procédure pénale (arrêt du Tribunal fédéral
6P.65/1999,
consid. 1b, paru à la RVJ 2000 p. 204). Les éléments de preuve
doivent en
principe être produits en présence de l'accusé lors d'une audience
publique,
en vue d'un débat contradictoire (ATF 125 I 127 consid. 6b p. 132).
Cette
règle tend à assurer l'égalité des armes entre l'accusateur public et
la
défense (ATF 121 I 306 consid. 1b p. 308; 104 Ia 314 consid. 4b p.
316). Il
n'est toutefois pas exclu de tenir compte des dépositions à charge
recueillies durant la phase de l'enquête, pour autant que l'accusé ait
disposé d'une occasion adéquate et suffisante de les contester et d'en
interroger ou d'en faire interroger les auteurs (ATF 125 I 127
consid. 6b p.
132/133 et les arrêts cités). Exceptionnellement, le juge peut
prendre en
considération une déposition faite au cours de l'enquête alors que
l'accusé
n'a pas eu l'occasion d'en faire interroger l'auteur, en particulier
s'il
n'est plus possible de faire procéder à une audition contradictoire
en raison
du décès ou d'un empêchement durable du témoin (ATF 125 I 127 consid.
6c/dd
p. 136; 105 Ia 396 consid. 3b p. 397). Cette exception ne vaut pas
toutefois
lorsqu'une confrontation était possible durant l'enquête et
apparaissait
indiquée parce que le témoin pourrait ne plus être disponible par la
suite et
lorsque, pour des motifs qui ne sont pas imputables à l'accusé, cette
confrontation n'a pas eu lieu et qu'il s'avère ensuite impossible d'y
procéder; dans un tel cas, la déposition faite par le témoin en
l'absence de
l'accusé ne peut être retenue à la charge de ce dernier (arrêt
6P.43/1999 du
15 juin 1999, consid. 2c). S'il n'est pas possible d'organiser une
confrontation avec les témoins à charge, l'accusé doit avoir la
possibilité
de faire poser par écrit des questions complémentaires à ces témoins
(ATF 124
I 274 consid. 5b p. 286; 118 Ia 462 consid. 5a/aa p. 469 et les arrêts
cités). Tel est en particulier le cas lorsque ceux-ci se trouvent à
l'étranger et qu'ils ne peuvent être entendus que par le biais d'une
commission rogatoire (ATF 125 I 127 consid. 6c/ee p. 137; 118 Ia 462
consid.
5a/bb p. 470 et les arrêts cités).
L'exercice du droit à l'interrogatoire des témoins est soumis aux
dispositions de la loi de procédure applicable, qui peut poser des
conditions
de forme et de délai; il peut aussi être renoncé, expressément ou
tacitement,
à ce droit; une telle renonciation ne rend pas nulles les dépositions
recueillies en cours d'enquête et ne donne
aucun droit à ce qu'elles
soient
répétées (ATF 125 I 127 consid. 6c/bb p. 134; 121 I 306 consid. 1b p.
309 et
les arrêts cités). La volonté de l'accusé de renoncer à son droit
d'être
confronté aux témoins à charge ne doit pas être admise trop
facilement, en
particulier lorsque celui-ci ne maîtrise pas la langue de la
procédure et
qu'il n'est pas assisté d'un défenseur et d'un interprète, mais doit
être
établie de manière non équivoque et s'entourer d'un minimum de
garanties
correspondant à sa gravité (ATF 121 I 30 consid. 5f p. 37/38).
Dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l'homme
s'emploie à
rechercher si la procédure, examinée dans son ensemble, revêt un
caractère
équitable (arrêt de la CourEDH Van Mechelen c. Pays-Bas, du 23 avril
1997,
Recueil 1997-III, § 50, p. 711). La question de savoir si le droit
d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge garanti à
l'art. 6 §
3 let. d CEDH est respecté doit en conséquence être examinée dans
chaque cas
en fonction de l'ensemble de la procédure et des circonstances
concrètes de
l'espèce.

2.5 En l'espèce, le recourant a été brièvement confronté aux mineurs
lors de
l'audience tenue le 11 octobre 2000 dans le cabinet du Juge
d'instruction, en
présence de ses coaccusés; les adolescents ont confirmé avoir vendu
des
sachets d'héroïne sur une période de quatre à cinq jours pour le
compte des
accusés et leur avoir remis l'argent en provenance de ce trafic; ils
ont
aussi réaffirmé avoir été privés de liberté, frappés sauvagement et
menacés
par les trois hommes durant plusieurs heures dans l'un des
appartements que
T.________ avait mis à leur disposition, parce qu'ils ne voulaient
plus
travailler pour eux. Un interprète en langue albanaise assistait à
l'audience; le recourant connaissait ainsi les déclarations faites
par les
mineurs à cette occasion; il pouvait les comparer avec les
informations qui
lui avaient été communiquées par la police lors de son audition le 3
octobre
2000, puis le lendemain devant le Juge d'instruction, et leur poser
toutes
les questions utiles quant à d'éventuelles contradictions. Or,
interpellé par
le Juge d'instruction, il s'est borné à déclarer connaître les trois
mineurs
depuis sept jours et ignorer qu'ils vendaient de la drogue, ajoutant
ne pas
avoir de questions à leur poser. La possibilité offerte au recourant
de
répondre aux témoignages des mineurs a donc été adéquate et
suffisante, même
s'il n'était alors pas assisté d'un avocat. La Cour européenne des
droits de
l'homme a d'ailleurs conclu en ce sens dans un cas analogue (arrêt de
la
CourEDH du 19 février 1991 dans la cause Isgrò c. Italie, série A 194
A, § 30
ss), contrairement à l'avis de la Commission européenne des droits de
l'homme, qui avait été jugé décisif pour admettre une violation dans
le cas
paru aux ATF 116 Ia 289. Par ailleurs, la Cour d'assises n'a pas
refusé
d'entendre les mineurs à l'audience de jugement. Elle n'a cependant
pas pu le
faire parce qu'ils avaient été refoulés à destination de leur pays
d'origine,
à l'issue du jugement rendu le 31 octobre 2000 par le Tribunal de la
jeunesse
du canton de Genève. Le fait qu'ils n'aient pas répondu à la
convocation par
voie édictale n'empêchait cependant pas de prendre en considération
les
déclarations faites durant l'enquête (cf. arrêt du Tribunal fédéral
6P.65/1999, consid. 1b, paru à la RVJ 2000 p. 204). Enfin, les
déclarations
des mineurs ne constituent pas les seuls éléments à charge; la Cour
d'assises
a également forgé sa conviction sur le témoignage de l'inspecteur de
police
qui a procédé à l'interpellation des mineurs et qui a recueilli leurs
déclarations, suivant lequel T.________ était connu dans le milieu
comme un
trafiquant de drogue, respectivement pour récupérer l'argent par
d'autres
trafiquants, ainsi que sur divers indices matériels corroborant la
réalité de
la séquestration et des sévices subis.
Dans ces conditions, les droits de la défense n'ont pas été violés.

3.
Le recourant prétend que sa condamnation reposerait sur une
appréciation
arbitraire des faits et violerait le principe de la présomption
d'innocence
ancré aux art. 32 al. 1 Cst., 6 § 2 CEDH et 14 ch. 2 Pacte ONU II.

3.1 En tant qu'elle a trait à la constatation des faits et à
l'appréciation
des preuves, la maxime "in dubio pro reo", déduite de la présomption
d'innocence, est violée lorsque l'appréciation objective de
l'ensemble des
éléments de preuve laisse subsister un doute insurmontable sur la
culpabilité
de l'accusé (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 IV 86 consid. 2a p.
88). Elle
n'a toutefois pas de portée propre lorsque, comme en l'espèce, elle
est
invoquée cumulativement avec l'interdiction de l'arbitraire dans
l'appréciation des preuves (ATF 120 Ia 31 consid. 2e p. 31; 118 Ia 28
consid.
1b p. 30). Saisi d'un recours de droit public mettant en cause
l'appréciation
des preuves, le Tribunal fédéral examine seulement si le juge
cantonal a
outrepassé son pouvoir d'appréciation et établi les faits de manière
arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4 p.
211). Une
constatation de fait n'est pas arbitraire pour la seule raison que la
version
retenue par le juge ne coïncide pas avec celle de l'une ou l'autre des
parties; encore faut-il que l'appréciation des preuves soit
manifestement
insoutenable, en contradiction flagrante avec la situation effective,
constitue la violation d'une règle de droit ou d'un principe
juridique clair
et indiscuté ou encore qu'elle heurte de façon grossière le sentiment
de la
justice et de l'équité (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30). Enfin, il ne
suffit
pas que la décision attaquée soit fondée sur une motivation
insoutenable; il
faut encore qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 127 I 38
consid.
2a p. 41, 54 consid. 2b p. 56).

3.2 En l'occurrence, T.________ a été condamné pour infractions
graves à la
loi fédérale sur les stupéfiants pour avoir, de concert avec
M.________ et
A.________, contraint B.________, S.________ et G.________ à se
livrer à un
trafic d'héroïne, en échange de leur hébergement, en leur procurant
la drogue
et en encaissant chaque soir le produit de la vente de celle-ci. La
Cour
d'assises s'est fondée sur les dépositions des mineurs, jugées
suffisamment
concordantes sur ce point, en retenant la solution la plus favorable
aux
accusés s'agissant des quantités de drogue écoulées. La Cour de
cassation a
vu des éléments propres à confirmer les déclarations des mineurs dans
le fait
que T.________ jouissait de plusieurs logements, qu'il venait d'en
trouver un
à Versoix lorsqu'il a été interpellé, ainsi que dans les déclarations
des
accusés. Le recourant se prévaut des contradictions émaillant les
dépositions
des trois jeunes, quant à la quantité d'héroïne qu'ils auraient été
contraints de vendre, et du fait que la perquisition de ses
appartements n'a
permis de découvrir ni drogue, ni argent, ni matériel susceptible
d'être
utilisé pour couper la drogue, la peser ou la conditionner, afin de
contester
toute implication de sa part dans un trafic de stupéfiants. Il ne se
prononce
en revanche pas, comme il lui appartenait de le faire en vertu de
l'art. 90
al. 1 let. b OJ (cf. ATF 127 I 38 consid. 3c p. 43), sur la valeur
probante
des autres éléments qui corroboraient, selon la Cour de cassation, les
déclarations à charge des mineurs. La recevabilité du recours sur ce
point
peut cependant demeurer indécise. L'autorité intimée pouvait en effet
sans
arbitraire voir dans le fait que T.________ jouissait de plusieurs
appartements, qu'il a mis à disposition des trois jeunes et de ses
coaccusés,
un indice en faveur de l'exploitation des jeunes dans un trafic de
stupéfiants qu'il aurait mis en place avec l'aide de ses coaccusés.
L'implication du recourant dans un trafic de drogue impliquant des
mineurs
repose également sur les déclarations de l'inspecteur de police l
E.________,
suivant lesquelles les trois jeunes auraient, de source
confidentielle, été
passés à tabac par leur fournisseur, le nom de T.________ étant alors
évoqué.
Lors de sa première audition, A.________ a déclaré savoir que les
mineurs se
livraient à un trafic de stupéfiants, car ils revenaient tous les
soirs avec
une somme d'argent importante. Il a également affirmé que T.________
avait
voulu récupérer l'argent que ceux-ci avaient retiré de ce trafic et
précisé
avoir obtenu la somme de 13'500 fr. Le recourant a tenu des propos
semblables
lors de sa première audition, avant de se rétracter. Il n'était dès
lors
nullement arbitraire de tirer de l'ensemble de ces faits des indices
corroborant la version des mineurs; il était parfaitement soutenable
de
préférer les déclarations des prévenus faites à la police, puis
confirmées
devant le Juge d'instruction en présence de deux interprètes
différents, à
leurs rétractations ultérieures, fondées sur une prétendue
retranscription
erronée de leurs propos. Le fait que les perquisitions ordonnées par
le Juge
d'instruction n'ont pas permis de mettre la main sur de la drogue, de
l'argent ou du matériel lié au conditionnement ou à la préparation de
celle-ci n'est pas déterminant, dans la mesure où le recourant avait
été
condamné pour une infraction semblable, après qu'une balance
électronique et
des sachets minigrips aient été saisis à son domicile. Il en va de
même des
variations entre les mineurs quant à la quantité de drogue revendue,
ceux-ci
ayant en effet intérêt à minimiser celle-ci pour ne pas se charger.
Pour le surplus, la culpabilité du recourant des chefs d'enlèvement
et de
séquestration aggravés résulte des déclarations concordantes des
mineurs,
confirmées par divers indices matériels, tels que la présence de
traces de
sang compatible avec celui de G.________ sur un drap, un short et un
câble
d'antenne noué à l'armature du lit, des traces de vomi ainsi que des
bouteilles de bière et un bocal de cornichons dont T.________ se
serait servi
pour frapper l'un des jeunes au bras, dans l'appartement dans lequel
ces
derniers déclarent avoir été retenus prisonniers. L'examen médical
auquel
G.________ a été soumis le 29 septembre 2000 a d'ailleurs confirmé la
présence de lésions compatibles avec les sévices qu'il déclare avoir
subis,
confirmant en particulier le fait qu'il a été frappé, puis ligoté à
l'aide
d'un câble d'antenne de télévision; l'absence de lésion constatée
chez les
deux autres mineurs quatre jours après les faits tend il est vrai à
relativiser l'ampleur des coups qu'ils prétendent avoir reçus, mais
elle
n'exclut nullement qu'ils aient fait l'objet de menaces; elle ne remet
nullement en cause le fait que les trois jeunes ont été privés de leur
liberté contre leur gré, par l'usage de la violence, pour G.________,
et de
la menace, pour les deux autres.
En définitive, on ne discerne aucun arbitraire dans l'appréciation des
preuves à laquelle se sont livrées la Cour d'assises, puis la Cour de
cassation; le grief tiré d'une violation de la présomption
d'innocence est
ainsi mal fondé.

4.
Le recours doit par conséquent être rejeté dans la mesure où il est
recevable. Les conditions de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il
convient
de donner suite à la demande d'assistance judiciaire présentée par le
recourant et de statuer sans frais. Me Yvan Jeanneret sera désigné
comme
avocat d'office de T.________ pour la présente procédure et une
indemnité de
1'500 fr. lui sera allouée à titre d'honoraires (art. 152 al. 2 OJ).
Il n'y a
pas lieu d'octroyer de dépens (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni alloué de dépens.

4.
Me Yvan Jeanneret est désigné comme avocat d'office du recourant et
une
indemnité de 1'500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer
par la
caisse du Tribunal fédéral.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant,
au
Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.

Lausanne, le 3 avril 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.15/2002
Date de la décision : 03/04/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-04-03;1p.15.2002 ?
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