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28/03/2002 | SUISSE | N°I.14/02

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 28 mars 2002, I.14/02


«AZA 7»
I 14/02 Kt

Ière Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Borella, Widmer,
Ursprung et Frésard. Greffière : Mme Moser-Szeless

Arrêt du 28 mars 2002

dans la cause

Office cantonal AI Genève, boulevard du Pont-d'Arve 28,
1205 Genève, recourant,

contre

R.________, intimée, représentée par Me Gilbert Bratschi,
avocat, rue d'Aoste 4, 1204 Genève,

et

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève

A.- Par décision du 3 mai 2001, l'

Office cantonal ge-
nevois de l'assurance-invalidité (ci-après : l'office) a
refusé d'allouer une rente à R.________. L'office se fo...

«AZA 7»
I 14/02 Kt

Ière Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Borella, Widmer,
Ursprung et Frésard. Greffière : Mme Moser-Szeless

Arrêt du 28 mars 2002

dans la cause

Office cantonal AI Genève, boulevard du Pont-d'Arve 28,
1205 Genève, recourant,

contre

R.________, intimée, représentée par Me Gilbert Bratschi,
avocat, rue d'Aoste 4, 1204 Genève,

et

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève

A.- Par décision du 3 mai 2001, l'Office cantonal ge-
nevois de l'assurance-invalidité (ci-après : l'office) a
refusé d'allouer une rente à R.________. L'office se fon-
dait principalement sur un rapport d'expertise, rédigé en
langue italienne, du Centre d'observation médicale de
l'assurance-invalidité (COMAI) de Bellinzone du 3 dé-
cembre 1999.

B.- Par écriture du 6 juin 2001, R.________ a recouru
contre cette décision devant la Commission cantonale gene-
voise de recours en matière d'AVS/AI (ci-après : la commis-
sion cantonale) en demandant, préalablement, une traduction
en langue française du rapport d'expertise du COMAI, aux
frais de l'office.
Statuant le 9 novembre 2001, la commission cantonale a
annulé la décision attaquée et a ordonné à l'office de
faire procéder à ses frais à la traduction, en langue fran-
çaise, de l'expertise du COMAI. Elle lui a imparti à cet
effet un délai échéant le 20 décembre 2001 et l'a invité à
reprendre ensuite l'instruction de la cause et à rendre une
nouvelle décision. La première page de son jugement
(rubrum) mentionne comme suit la composition de la commis-
sion :

"Pour la Commission : Me Jean-Marie FAIVRE, Président
P. RUMO, W. FEHR,
Me LOCCIOLA absent, G. CRETTENAND,
Membres
K. STECK, Greffière-juriste."

C.- L'office interjette un recours de droit adminis-
tratif dans lequel il conclut à l'annulation du jugement
attaqué et au renvoi de la cause à la commission cantonale
pour nouvelle décision.
R.________ conclut au rejet du recours. Les premiers
juges se sont également déterminés à son sujet. Quant à
l'Office fédéral des assurances sociales, il ne s'est pas
prononcé.

Considérant en droit :

1.- Le recourant se plaint d'une violation de la ga-
rantie d'un tribunal indépendant et impartial. Il fait

valoir que l'un des membres de la commission, Maurizio
Locciola, avocat à Genève, aurait dû se récuser. En effet,
dans une affaire similaire, Me Locciola, agissant en quali-
té de mandataire d'un assuré, a contesté devant la Commis-
sion cantonale genevoise de recours en matière d'AVS/AI le
refus de l'office de l'assurance-invalidité de procéder à
une traduction française d'une expertise effectuée par le
COMAI de Bellinzone. L'office en conclut que, quand bien
même Me Locciola était «absent» au moment où le jugement du
9 novembre 2001 a été rendu, on peut légitimement se deman-
der si, en sa qualité de membre de la commission de re-
cours, il n'y a pas projeté des opinions déjà acquises,
voire émises, à propos de la traduction des rapports d'ex-
pertise des COMAI.
Dans ses déterminations sur le recours, la commission
cantonale expose que Me Locciola n'a pas participé à la
prise de la décision, attendu qu'il était absent.
Il convient d'examiner en premier lieu le grief d'or-
dre formel que le recourant soulève contre le déroulement
de la procédure de première instance, car il se pourrait
que le tribunal accueille le recours sur ce point et ren-
voie la cause à l'autorité cantonale sans examen du litige
au fond (ATF 124 V 92 consid. 2 et la référence).

2.- a) Selon l'art. 30 al. 1 Cst. - qui, de ce point
de vue, a la même portée que l'art. 6 § 1 CEDH (ATF
127 I 198 consid. 2b) -, toute personne dont la cause doit
être jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce que
sa cause soit portée devant un tribunal établi par la loi,
compétent, indépendant et impartial. Le droit des parties à
une composition régulière du tribunal et, partant, à des
juges à l'égard desquels il n'existe pas de motif de récu-
sation, impose des exigences minimales en procédure canto-
nale (ATF 123 I 51 consid. 2b). Cette garantie permet,
indépendamment du droit cantonal, d'exiger la récusation
d'un juge dont la situation et le comportement sont de

nature à faire naître un doute sur son impartialité (ATF
126 I 73 consid. 3a); elle tend notamment à éviter que des
circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer
le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle
n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention
effective du juge est établie, car une disposition interne
de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que les
circonstances donnent l'apparence de la prévention et fas-
sent redouter une activité partiale du magistrat. Seules
les circonstances constatées objectivement doivent être
prises en considération; les impressions purement indivi-
duelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives
(ATF 127 I 198 consid. 2b, 125 I 122 consid. 3a, 124 I 261
consid. 4a).
Le plaideur est fondé à mettre en doute l'impartialité
d'un juge lorsque celui-ci révèle, par des déclarations
avant ou pendant le procès, une opinion qu'il a déjà acqui-
se sur l'issue à donner au litige. Les règles cantonales
sur l'organisation judiciaire doivent être conçues de façon
à ne pas créer de telles situations; ainsi, il est inadmis-
sible que le même juge cumule plusieurs fonctions et soit
donc amené, aux stades successifs d'un procès, à se pronon-
cer sur des questions de fait ou de droit étroitement
liées. On peut craindre, en effet, que ce juge ne projette
dans la procédure en cours les opinions qu'il a déjà émises
à propos de l'affaire, à un stade antérieur, qu'il ne ré-
solve les questions à trancher selon ces opinions et, sur-
tout, qu'il ne discerne pas les questions que se poserait
un juge non prévenu (ATF 116 Ia 139 consid. 3b; voir aussi
ATF 125 I 122 consid. 3a).
Qu'un avocat soit membre d'une autorité de recours
devant laquelle il peut être amené à plaider dans des af-
faires n'intéressant pas les parties aux litiges dont il a
à connaître dans sa fonction de juge ne suffit pas en soi à
mettre en doute - et de manière générale - son impartiali-
té. La jurisprudence considère cependant que certains

liens, en particulier professionnels, entre un juge et une
partie, peuvent constituer un motif de récusation. Il en va
ainsi, par exemple, d'un juge suppléant appelé à statuer
dans une affaire soulevant les mêmes questions juridiques
qu'une autre cause pendante qu'il plaide comme avocat (ATF
124 I 121).

b) Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, le
motif de récusation doit être invoqué dès que possible, à
défaut de quoi le plaideur est réputé avoir tacitement
renoncé à s'en prévaloir (ATF 119 Ia 228 sv.; Jean-François
Egli/Olivier Kurz, La garantie du juge indépendant et im-
partial dans la jurisprudence récente, in : Recueil de
jurisprudence neuchâteloise [RJN] 1990 p. 28 sv.). En
particulier, il est contraire à la bonne foi d'attendre
l'issue d'une procédure pour tirer ensuite argument, à
l'occasion d'un recours, de la composition incorrecte de
l'autorité qui a statué, alors que le motif de récusation
était déjà connu auparavant (ATF 124 I 123 consid. 2,
119 Ia 228 sv. consid. 5a). Cela ne signifie toutefois pas
que l'identité des juges appelés à statuer doive nécessai-
rement être communiquée de manière expresse au justiciable;
il suffit en effet que le nom de ceux-ci ressorte d'une
publication générale facilement accessible, par exemple
l'annuaire officiel. La partie assistée d'un avocat est en
tout cas présumée connaître la composition régulière du
tribunal (ATF 117 Ia 323 consid. 1c; Egli/Kurz, loc. cit.,
p. 29). En revanche, un motif de prévention concernant un
juge suppléant peut, en principe, encore être valablement
soulevé dans le cadre d'une procédure de recours, car le
justiciable pouvait partir de l'idée que le tribunal de
première instance statuerait dans sa composition ordinaire.
Cette jurisprudence au sujet des juges suppléants doit
s'appliquer de la même manière quand il s'agit d'examiner
si un justiciable devait ou non s'attendre à la présence
d'un assesseur qui est appelé à fonctionner, de cas en cas,

dans la composition du tribunal saisi de l'affaire (voir
SVR 2001 BVG n° 7 p. 28 consid. 1c, non publié aux ATF
126 V 303).

3.- a) Selon l'art. 17 de la loi cantonale genevoise
d'application de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse
et survivants du 13 décembre 1947 (RS GE J 7 05), il est
institué, en application de l'art. 85 al. 1 LAVS, une com-
mission cantonale de recours nommée pour quatre ans au
début de chaque législature (al. 1). La commission est
constituée d'un président titulaire et de présidents sup-
pléants, tous de formation juridique et nommés par le Con-
seil d'Etat, et d'assesseurs familiarisés avec les ques-
tions juridiques, fiscales ou d'assurances sociales, tous
nommés par le Grand Conseil à raison de trois par parti
représenté au Grand Conseil (al. 2). La commission siège
dans une composition de cinq membres constituée d'un prési-
dent titulaire ou suppléant et de quatre assesseurs, qui
siègent à tour de rôle (al. 3).
La commission siège avec le concours d'un greffier
juriste ayant voix consultative et qui est chargé de la
préparation des séances de la commission; le président peut
le charger de procéder à l'instruction des causes et de
rédiger des projets de jugement (art. 19).
Selon le règlement de la commission édicté par le
Conseil d'Etat le 27 octobre 1993 (RS GE J 7 05.20), les
séances et les audiences de la commission ont lieu à huis
clos (art. 9). Pour siéger valablement, la commission doit
comprendre le président ou l'un de ses suppléants, ainsi
que trois membres ou suppléants sur quatre (art. 5).

b) Dans le cas particulier, l'identité des membres de
la commission n'a pas été communiquée d'avance aux parties.
Elle est indiquée sur la première page du jugement attaqué
(rubrum), qui a été notifié aux parties après son prononcé.
D'autre part, Me Locciola est assesseur de la commission

de recours. Il convient donc d'admettre, sur le vu de la
jurisprudence précitée, que le motif tiré de la récusation
peut encore être valablement invoqué dans la procédure fé-
dérale, d'autant que la liste des membres de la commission
(présidents, suppléants et assesseurs) ne figure pas dans
l'annuaire officiel de la République et canton de Genève
(édition 2001) publié par la Chancellerie d'Etat.

c) D'autre part, contrairement à ce que suggère la
commission de recours dans ses observations, Me Locciola
est réputé avoir fait partie de l'autorité qui a rendu le
jugement attaqué, dans la mesure où son nom figure sur le
rubrum de ce jugement. Le fait que le rubrum contient la
mention «absent» à côté du nom de Me Locciola ne justifie
pas une autre conclusion. On peut seulement en déduire que
Me Locciola n'était pas présent à l'audience de jugement.
Cela ne permet pas de conclure - en tout cas pas de manière
certaine - à l'absence de toute intervention de sa part
dans le cours du procès. L'exigence d'une justice indépen-
dante et impartiale impose une certaine transparence dans
le déroulement de la procédure. En l'occurrence, l'audience
de jugement a eu lieu à huis clos. On ne sait pas à quel
moment Me Locciola a été désigné pour fonctionner comme
assesseur au sein de la commission. On ignore de surcroît
les motifs pour lesquels il était absent le jour de l'au-
dience. On ne sait pas davantage s'il a été appelé à jouer
un rôle au cours de l'instruction de la cause. Il paraît en
tout cas certain qu'à aucun moment il ne s'est récusé. A
défaut d'éléments contraires, on ne peut dès lors exclure
qu'il ait pu, en sa qualité de membre de la commission,
exercer d'une manière ou d'une autre une influence sur la
décision, par exemple en faisant connaître son point de vue
avant l'audience ou au cours de l'instruction de la cause
ou encore au stade de la rédaction des motifs.

d) Il est par ailleurs établi que dans une affaire
similaire, qui posait également le problème de la traduc-
tion en langue française d'une expertise du COMAI de Bel-
linzone rédigée en italien, Me Locciola a formé au nom de
l'assuré un recours devant la Commission cantonale gene-
voise de recours en matière d'AVS/AI. Il se plaignait,
précisément, d'une violation du droit d'être entendu de son
client, du fait que celui-ci n'avait pas obtenu une traduc-
tion en français du rapport du COMAI. Par une décision
incidente du 23 avril 2001, la commission de recours a
imparti un délai à l'office de l'assurance-invalidité «afin
de faire procéder à ses frais à la traduction de l'experti-
se du COMAI en langue française». L'office de l'assurance-
invalidité a alors interjeté un recours de droit adminis-
tratif contre cette décision incidente, que le Tribunal
fédéral des assurances a rejeté par arrêt du 27 février
2002 (cause I 321/01). Objectivement, l'ensemble de ces
circonstances était de nature à jeter un doute, dans la
présente procédure, sur l'impartialité de Me Locciola, dans
la mesure où celui-ci, en tant qu'avocat, avait clairement
révélé, dans ses écritures devant la commission de recours
puis devant le Tribunal fédéral des assurances l'opinion
qu'il avait sur l'issue du litige. Cette suspicion était
d'autant plus fondée qu'il y a pratiquement concomitance
entre les deux procédures, puisque l'affaire dans la cause
I 321/01 (entrée au Tribunal fédéral des assurances le
21 mai 2001) était pendante devant la Cour de céans au mo-
ment où le jugement ici attaqué a été rendu. Les premiers
juges reconnaissent d'ailleurs eux-mêmes, dans leurs déter-
minations devant la Cour de céans, que Me Locciola aurait

dû se récuser s'il avait été présent à l'audience de juge-
ment. Or, comme il a déjà été mentionné, l'absence du prén-
ommé ne permet pas de conclure qu'il ne faisait pas partie
de l'autorité qui a rendu le jugement attaqué, dès lors que
son nom figure sur le rubrum du jugement. Sa récusation
s'imposait donc.

4.- Il s'ensuit que le grief soulevé par le recourant
est bien fondé. Il convient donc d'annuler le jugement
attaqué et de renvoyer la cause à la commission pour
qu'elle statue à nouveau dans une composition qui offre aux
parties la garantie d'un tribunal indépendant et impartial.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est admis et le jugement du 9 novembre 2001
de la Commission cantonale genevoise de recours en ma-
tière d'AVS/AI est annulé.

II. La cause est renvoyée à la commission cantonale de
recours pour nouveau jugement au sens des motifs.

III. Il n'est pas perçu de frais de justice.

IV. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la
Commission cantonale genevoise de recours en matière
d'assurance-vieillesse, survivants et invalidité, et à
l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 28 mars 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la Ière Chambre :

p. la Greffière :


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.14/02
Date de la décision : 28/03/2002
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 30 al. 1 Cst.; art. 6 par. 1 CEDH: Garantie du juge naturel; récusation. - Un juge est réputé avoir fait partie de l'autorité qui a rendu le jugement attaqué, dans la mesure où son nom figure sur le rubrum de ce jugement, même avec la mention "absent". - Il y a motif à récusation lorsqu'un juge de l'autorité cantonale de recours est appelé à statuer sur une affaire soulevant les mêmes questions juridiques - en l'occurrence, le problème de la traduction en français d'une expertise du Centre d'observation médicale de l'assurance-invalidité rédigé en italien - qu'une autre cause pendante qu'il plaide comme avocat.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-28;i.14.02 ?
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