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28/03/2002 | SUISSE | N°2P.207/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 28 mars 2002, 2P.207/2000


«AZA 1/2»
2P.207/2000

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

28 mars 2002

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges fédéraux
Wurzburger, Président, Betschart, Hungerbühler, Müller,
Yersin, Merkli et Aeschlimann. Greffier: M. Cassina.
_______________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

1. l'Association suisse des annonceurs, Zurich,
2. l'Association suisse de publicité extérieure, Zurich,
3. la Fédération romande de p

ublicité et de communication,

Lausanne,
4. Naville S.A., Carouge,
5. la Société générale d'affichage, ...

«AZA 1/2»
2P.207/2000

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

28 mars 2002

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges fédéraux
Wurzburger, Président, Betschart, Hungerbühler, Müller,
Yersin, Merkli et Aeschlimann. Greffier: M. Cassina.
_______________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

1. l'Association suisse des annonceurs, Zurich,
2. l'Association suisse de publicité extérieure, Zurich,
3. la Fédération romande de publicité et de communication,

Lausanne,
4. Naville S.A., Carouge,
5. la Société générale d'affichage, Genève,
6. la Fédération suisse des spiritueux, Berne,
7. Bacardi-Martini (Suisse) S.à.r.l., Meyrin,
8. Bols-Cynar-Ballantine's AG, Zurich,
9. Emil Ebneter & Co. AG, Appenzell,
10. Moët Hennessy (Suisse) SA, Genève,
11. Perisem SA, Carouge,
12. Seagram (Schweiz) AG, Rüschlikon,
13. United distilleries and vintners S.A., Renens,
14. la Communauté de l'industrie suisse de la cigarette,
Fribourg,

15. la Fédération suisse des négociants en tabacs-journaux

- section de Genève -, Genève,
16. British-American Tobacco S.A., Boncourt,
17. JT International AG, Dagmersellen,
18. Philip Morris S.A., Lausanne,
tous représentés par Me Bruno Megevand, avocat à Genève,

contre

la loi genevoise du 9 juin 2000 sur les procédés de réclame;

(force dérogatoire du droit fédéral, liberté économique,
liberté d'information, liberté de la presse, garantie de la
propriété, interdiction de l'arbitraire et droit à
l'égalité)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 24 juin 1999, le Conseil d'Etat du canton de
Genève a déposé un projet de loi sur les procédés de réclame
(cf. Mémorial des séances du Grand Conseil 1999, p. 4895 et
ss) ayant pour but:

- de réunir dans une seule loi les dispositions applicables
aux procédés de réclame,
- d'étendre le champ d'application de la loi aux procédés de
réclame situés sur fonds publics et sur fonds privés visi-

bles du domaine public,
- d'octroyer aux communes la compétence de délivrer des auto-
risations pour l'installation des procédés de réclame,
- de distinguer les procédés de réclame pour compte propre
et
ceux pour compte de tiers afin de préserver l'aspect
visuel
du territoire cantonal,
- de donner aux communes la possibilité de concéder le droit
exclusif d'employer des procédés de réclame sur le domaine
public,
- de donner aux communes la possibilité d'établir un concept
directeur et
- d'instaurer dans ce domaine des voies de recours au niveau
cantonal.

Dans le canton de Genève, la matière était régie
jusqu'alors par plusieurs lois et règlements, dont la loi du
24 juin 1961 sur le domaine public (LDP/GE), la loi du
28 avril 1967 sur les routes (LR/GE), la loi du 4 juin 1976
sur la protection des monuments, de la nature et des sites
(LPMNS/GE) et le règlement du 10 novembre 1976 sur l'affi-
chage public et la publicité sur la voie publique. Aucune
disposition cantonale ne permettait de limiter la pose des
procédés de réclame sur le domaine privé visibles du domaine

public, sous réserve de quelques cas particuliers régis par
la prédite loi cantonale sur la protection des monuments, de
la nature et des sites. Une telle possibilité était prévue,
au niveau fédéral, par la loi fédérale du 19 décembre 1958
sur la circulation routière (LCR; RS 741.01) et l'ordonnance
du 5 septembre 1979 sur la signalisation routière (OSR; RS
741.21).

B.- Le 9 juin 2000, après débats parlementaires
nourris, le Grand Conseil de la République et canton de
Genève a adopté la loi sur les procédés de réclame
(ci-après:
LPR/GE), publiée dans la Feuille d'Avis Officielle du canton
de Genève du vendredi 16 juin 2000 pour permettre l'exercice
du droit de référendum.

Cette loi comprend notamment les dispositions sui-
vantes:

"Art. 2
Sont considérés comme des procédés de réclame au
sens de la présente loi tous les moyens graphiques,
plastiques, éclairés, lumineux, sonores, olfactifs
ou autres, perceptibles depuis le domaine public,
dans un but direct ou indirect de publicité, de
promotion d'activités culturelles ou sportives, de
prévention ou d'éducation.

Art. 3 al. 1
Sont soumis aux dispositions de la présente loi et
à ses dispositions d'application tous les procédés
de réclame, perceptibles depuis le domaine public,
qu'ils soient situés sur le domaine public ou pri-
vé.

Art. 4
L'apposition, l'installation, l'utilisation ou la
modification d'un procédé de réclame est soumise à
l'octroi préalable d'une autorisation.

Art. 8 al. 2
Les procédés de réclame sur les façades borgnes des
bâtiments sont en principe interdits.

Art. 9 al. 2
L'affichage, sous quelque forme que ce soit, de pu-
blicité en faveur du tabac et des alcools de plus
de 15 volumes pour 100 sur le domaine public, sur
le domaine privé visible du domaine public, est in-
terdit. Il en est de même à l'intérieur et aux
abords des bâtiments ou lieux publics, propriété de
l'Etat, des communes, de collectivités publiques ou
de fondations de droit public.

Art. 24 al. 1
Les communes peuvent établir un concept directeur
des procédés de réclame visant tant le domaine pu-
blic que le domaine privé."

Par arrêté du 28 juillet 2000, constatant qu'aucune
demande de référendum n'avait été présentée, le Conseil
d'Etat genevois a promulgué la loi en question et fixé son
entrée en vigueur au 20 octobre 2000.

C.- Agissant le 11 septembre 2000 par la voie du re-
cours de droit public, l'Association suisse des annonceurs,
l'Association suisse de publicité extérieure, la Fédération
romande de publicité et de communication, Naville S.A., la
Société générale d'affichage, la Fédération suisse des spiri-
tueux, Bacardi-Martini (Suisse) S.à.r.l., Bols-Cynar-
Ballantine's AG, Emil Ebneter & Co. AG, Moët Hennessy
(Suisse) SA, Perisem SA, Seagram (Schweiz) AG, United distil-
lers and vintners S.A., la Communauté de l'industrie suisse
de la cigarette, la Fédération suisse des négociants en ta-
bacs-journaux - section de Genève -, British-American
Tobacco
S.A., JT International AG et Philip Morris S.A. demandent,
avec suite de frais et dépens, au Tribunal fédéral d'annuler
les art. 2, 3 al. 1, 4, 8 al. 2, 9 al. 2 et 24 al. 1 LPR/GE.
Ils invoquent la violation des principes de la primauté du
droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst.), de la liberté économique
(art. 27 Cst.), de la liberté d'information et de la liberté
de presse (art. 16, 17 et 36 Cst.), de la garantie de la pro-
priété (art. 26 Cst.), de l'interdiction de l'arbitraire
(art. 9 Cst.) et du droit à l'égalité (art. 8 Cst.).

Le Grand Conseil genevois conclut au rejet du re-
cours.

D.- Lors d'un second échange d'écritures, les par-
ties ont confirmé leurs conclusions respectives.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

I. Procédure

1.- a) La législation genevoise ne prévoyant aucune
voie de droit cantonal permettant d'examiner la constitution-
nalité des actes législatifs, l'exigence de l'épuisement des
moyens de droit cantonal au sens de l'art. 86 OJ s'avère en
l'espèce satisfaite.

b) D'après l'art. 89 al. 1 OJ, l'acte de recours
doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les trente
jours dès la communication, selon le droit cantonal, de l'ar-
rêté ou de la décision attaqués. Lorsqu'il s'agit d'un
arrêté
soumis au référendum facultatif - comme en l'espèce - et que
le référendum n'est pas utilisé, le délai de trente jours
commence à courir au moment où l'autorité compétente donne
officiellement connaissance du fait que l'arrêté est promul-
gué pour être exécutoire dans tout le canton (SJ 1998 p. 473
consid. 1a et la jurisprudence citée). La loi cantonale sur
les procédés de réclame a été publiée à deux reprises dans
la
Feuille d'Avis Officielle du canton de Genève, d'abord le
14 juin 2000, ensuite, après l'expiration du délai référen-
daire, le 28 juillet 2000. Posté le 12 septembre 2000, le
présent recours a donc été déposé en temps utile, compte
tenu
des féries judiciaires (art. 34 al. 1 lettre b OJ).

c) aa) Selon la jurisprudence relative à l'art. 88
OJ, la qualité pour former un recours de droit public contre
un acte normatif cantonal appartient à toute personne dont
les intérêts juridiquement protégés sont effectivement ou
pourraient un jour être touchés par l'acte attaqué. Une sim-
ple atteinte virtuelle suffit, pourvu qu'il y ait un minimum
de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir ap-
pliquer les dispositions prétendument inconstitutionnelles
(ATF 125 I 369 consid. 1a et la jurisprudence citée). Par
ailleurs, une association jouissant de la personnalité juri-
dique est admise à agir sans être elle-même touchée par
l'acte attaqué, à condition que ses membres aient individuel-
lement qualité pour agir, que la défense de leurs intérêts
constitutionnellement protégés figure parmi les buts statu-
taires et enfin que l'acte lèse objectivement ses membres
dans leur majorité ou du moins en grand nombre (ATF 125 I 71
consid. 1b/aa et les arrêts cités). Parmi les recourants fi-
gurent des associations dont la qualité pour agir doit être
examinée d'emblée, sans qu'il faille à ce stade déjà
vérifier
si tous les recourants peuvent effectivement se plaindre de
la violation de chacun des droits constitutionnels invoqués
dans le recours.

bb) L'Association Suisse des Annonceurs, l'Associa-
tion Suisse de la Publicité Extérieure, la Fédération
romande
de publicité et de communication, la Fédération suisse des
spiritueux, la Communauté de l'industrie suisse de la ciga-
rette et la Fédération suisse des négociants en tabacs-jour-
naux - section de Genève - sont des associations au sens des
art. 60 ss CC, qui sont dotées de la personnalité juridique
et qui regroupent des membres actifs dans le domaine de la
publicité, de la production ou du commerce de tabacs et spi-
ritueux. Leurs statuts prévoient la défense des intérêts de
leurs membres et la représentation de ceux-ci vis-à-vis des
autorités. Dans la mesure où l'on peut admettre que la majo-
rité de leurs membres pourraient voir leurs intérêts touchés

par la législation cantonale litigieuse, la qualité pour re-
courir de ces associations doit être en principe admise.

Les autres recourants étant des sociétés anonymes
actives dans le domaine de l'affichage publicitaire, de la
production et du commerce de spiritueux ou de tabacs, leur
qualité pour agir est en principe donnée.

2.- Appelé à statuer sur un recours de droit public
dirigé contre un arrêté de portée générale, le Tribunal fédé-
ral examine librement la conformité de cet arrêté au droit
constitutionnel fédéral ou cantonal. Il n'annule toutefois
les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucu-
ne interprétation conforme au droit constitutionnel ou si en
raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une
certaine vraisemblance qu'elles soient interprétées de façon
contraire à la Constitution (ATF 125 I 369 consid. 2; 119 Ia
321 consid. 4, 348 consid. 1d). Dans la procédure dite de
contrôle abstrait des normes, il est en effet rarement possi-
ble de prévoir d'emblée tous les effets de l'application
d'un
texte légal, même si, par sa précision, celui-ci n'offre
guère de marge d'appréciation à l'autorité chargée de l'ap-
pliquer. Si une norme semble compatible avec la
Constitution,
au regard des circonstances ordinaires que le législateur de-
vait considérer, le juge constitutionnel ne l'annulera pas
pour le seul motif qu'on ne peut exclure absolument l'éven-
tualité de son application inconstitutionnelle à des cas par-
ticuliers. Il ne le fera que si la perspective d'un contrôle
concret ultérieur n'offre pas de garanties suffisantes aux
destinataires de la norme litigieuse. Le rejet du grief d'in-
constitutionnalité invoqué dans le cadre du contrôle direct
d'une norme n'empêche en effet pas le recourant de soulever
à
nouveau ce grief contre la même disposition à l'occasion de
son application à un cas d'espèce. L'arrêt rendu au terme de
la procédure de contrôle abstrait ne bénéficie, dans cette

mesure, que d'une autorité relative de la chose jugée. Le lé-
gislateur n'en a pas moins pour devoir d'adopter une régle-
mentation à même de prévenir, autant que possible, la viola-
tion ultérieure des droits fondamentaux. Il doit ainsi pren-
dre en considération les conditions dans lesquelles la règle
qu'il édicte sera appliquée et, en particulier, la qualité
des organes chargés de cette application. Cela étant, le
juge
constitutionnel ne saurait laisser subsister une norme dont
la teneur permet de craindre, avec une certaine
vraisemblance
et au vu des circonstances, qu'elle ne soit interprétée à
l'avenir contrairement à la Constitution (ATF 119 Ia 321 con-
sid. 4 et les arrêts cités).

II. Art. 9 al. 2 LPR/GE

3.- a) Les recourants affirment que l'art. 9 al. 2
LPR/GE serait contraire au principe de la primauté du droit
fédéral (art. 49 al. 1 Cst.). Selon eux, cette disposition
tend à réglementer une matière déjà régie par le droit fédé-
ral, en particulier l'art. 42b de la loi fédérale du 21 juin
1932 sur l'alcool (Lalc; RS 680) pour ce qui est de la limi-
tation de la publicité pour les boissons alcooliques, l'art.
18 al. 5 de la loi fédérale du 21 juin 1991 sur la radio et
la télévision (LRTV; RS 784.40), l'art. 15 al. 1 de l'ordon-
nance du 6 octobre 1996 sur la radio et la télévision (ORTV;
RS 784.401) et les art. 3 al. 3, 48 al. 1 lettre l et 60 de
la loi fédérale du 9 octobre 1992 sur les denrées
alimentai-
res et les objet usuels (LDAI; RS 817.0). Ils ajoutent que,
sur la base des art. 105 Cst. (art. 32 bis aCst.) et 122
Cst.
(recte: art. 118 al. 2 lettre a Cst. et art. 69bis aCst.),
la
Confédération dispose d'une compétence législative étendue,
voire exhaustive, en ce qui concerne la réglementation de la
vente et des réclames en matière d'alcool et de tabac. Par
conséquent, les cantons ne pourraient légiférer dans ces do-
maines. Ils soulignent qu'au niveau fédéral, le législateur
a

introduit des limitations sans opter pour un régime de prohi-
bition absolue. Les motifs justifiant de ne pas interdire to-
talement la publicité en faveur de l'alcool et du tabac au-
raient déjà été pris en compte par les autorités fédérales,
qui auraient expressément autorisé une certaine publicité en
raison du caractère licite que présente le commerce de bois-
sons distillées et des produits du tabac, d'une part, et de
l'importance de la publicité en matière d'information du pu-
blic d'autre part. Ils rappellent l'existence d'un accord
passé le 24 août 1992 entre la Communauté de l'industrie
suisse de la cigarette et la Commission suisse pour la
loyauté en publicité, qui règle d'une façon rigoureuse la pu-
blicité en faveur du tabac.

Tous les recourants sont légitimés à invoquer la
violation du principe de la primauté du droit fédéral, ce
que
ne conteste pas le Grand Conseil genevois.

b) Ce principe constitutionnel fait obstacle à
l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui élu-
dent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredi-
sent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les
moyens qu'elles mettent en oeuvre, ou qui empiètent sur des
matières que le législateur fédéral a réglementées de façon
exhaustive (ATF 127 I 60 consid. 4a et les arrêts cités;
Häfelin/Haller, Schweizerisches Bundesstaatsrecht - Die neue
Bundesverfassung -, 5ème éd., Zurich 2001, n. 1185 à 1187).
L'existence ou l'absence d'une législation fédérale exhaus-
tive constitue donc le critère principal pour déterminer
s'il
y a conflit avec une règle cantonale. Il faut toutefois sou-
ligner que, même si la législation fédérale est considérée
comme exhaustive dans un domaine donné, une loi cantonale
peut subsister dans le même domaine si la preuve est rappor-
tée qu'elle poursuit un autre but que celui recherché par la
mesure fédérale (Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitu-
tionnel suisse, Vol. I, Berne 2000, n. 1031, p. 364). Cela a

par exemple conduit le Tribunal fédéral à considérer que,
dans la mesure où une loi cantonale renforçait l'efficacité
de la réglementation fédérale, le principe de la force déro-
gatoire n'était pas violé (ATF 91 I 17 consid. 5). Il
résulte
par ailleurs de la jurisprudence plus récente que, même si,
en raison du caractère exhaustif de la législation fédérale,
le canton ne peut plus légiférer dans une matière, il n'est
pas toujours privé de toute possibilité d'action (ZBl 1995
457, consid. 6). Ce n'est que lorsque la législation
fédérale
règle de manière très complète et exhaustive un domaine par-
ticulier que le canton n'est plus du tout compétent pour
adopter des dispositions complémentaires, quand bien même
celles-ci ne contrediraient pas le droit fédéral ou seraient
même en accord avec celui-ci (Häfelin/Haller, op. cit.,
n. 1185; Peter Saladin, in: Commentaire de la Constitution
de
la Confédération suisse, Bâle/Berne/Zurich, ad art. 2 disp.
trans. aCst, n. 25).

C'est à la lumière de ces principes qu'il convient
d'examiner la portée des dispositions fédérales, respective-
ment cantonales en cause, afin de déterminer si le canton de
Genève était ou non compétent pour édicter des règles en ma-
tière de publicité en faveur de l'alcool et du tabac sans em-
piéter sur les compétences de la Confédération.

c) Il ressort du message du Conseil d'Etat et des
débats du Grand Conseil genevois que la loi sur les procédés
de réclame a été conçue pour mieux garantir la sécurité rou-
tière, pour protéger les sites, l'esthétique des lieux et
l'ordre public (cf. Mémorial des séances du Grand Conseil
1999, p. 4909). Elle vise à réglementer l'utilisation à des
fins commerciales de l'ensemble du territoire cantonal,
qu'il
soit public ou privé. A noter que, du point de vue de la sé-
curité routière, les restrictions en matière de publicité -
qu'elle soit placée sur le domaine public ou privé - sont

(déjà) réglées d'une façon exhaustive par la législation fé-
dérale concernant la circulation routière (ATF 128 I 3 con-
sid. 3e/cc). En ce qui concerne plus particulièrement
l'art. 9 al. 2 LPR/GE, cette disposition vise également à
protéger la santé de la population - et surtout des jeunes -
du danger d'une consommation excessive d'alcool et de tabac
(cf. Mémorial des séances du Grand Conseil 2000, p. 858 ss,
1328 ss).

aa) S'agissant de l'interdiction de la publicité en
faveur de l'alcool et du tabac sur le domaine public, il
faut
rappeler que, selon l'art. 664 al. 1 CC, les biens du
domaine
public étant soumis à la haute police de l'Etat sur le terri-
toire duquel ils se trouvent, les cantons peuvent en régle-
menter l'usage qui en est fait par les privés. Ainsi, ils
sont en principe libres de décider par qui et à quelles con-
ditions le domaine public peut être utilisé. La
jurisprudence
n'a en effet reconnu aux administrés qu'un droit
conditionnel
à l'usage accru du domaine public à des fins commerciales
(ATF 101 Ia 473 consid. 5; 104 Ia 172 consid. 3; 108 Ia 135
consid. 3; 119 Ia 445 consid. 1a/bb et 121 I 279 consid.
2a).
Cela est d'autant plus vrai en l'espèce que la mise en place
de procédés publicitaires sur le domaine public requiert un
usage privatif de celui-ci, dès lors qu'elle implique une
activité d'une certaine importance, durable et qui exclut
toute utilisation semblable par des tiers (René Rhinow/Beat
Krähenmann, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, Ergän-
zungsband, Bâle 1990, n. 119 B II, p. 360). Cela dit, on
doit
admettre que l'Etat n'est, en principe, pas obligé d'autori-
ser l'usage accru (voire privatif) du domaine public afin
que
des privés puissent faire de la publicité pour des produits
dont il cherche à limiter la consommation pour des raisons
de
santé publique.

bb) S'agissant de l'interdiction de la publicité
pour l'alcool et le tabac sur le domaine privé, il faut d'em-
blée remarquer que la proximité du domaine public peut justi-
fier que soient imposées à ses riverains des obligations spé-
cifiques, soit sous la forme de restrictions à leurs préroga-
tives de propriétaires, soit sous la forme de prestations,
sur leur terrain même, voire sur le domaine public (Pierre
Moor, Droit administratif, Vol. III, Berne 1992, p. 309).
Dans certains cas, l'Etat peut donc imposer des limitations
à
l'utilisation de la propriété privée, afin de protéger le do-
maine public et de garantir une utilisation du domaine
public
conforme à sa destination. En l'espèce, les motifs qui justi-
fient selon le Grand Conseil genevois l'extension de la res-
triction en cause à une partie du domaine privé seront exami-
nés ultérieurement.

d) Comme on vient de le voir, l'art. 9 al. 2 LPR/GE
poursuit un but de santé publique. Or, la protection de la
santé publique est une tâche qui relève en principe du domai-
ne de compétence des cantons (FF 1997 I 338; Erwin Murer,
Wohnen, Arbeit, soziale Sicherheit und Gesundheit, in:
Daniel
Thürer/Jean-François Aubert/Jörg Paul Müller (éd.), Droit
constitutionnel suisse, Zurich 2001, § 62, no 22; Peter
Saladin, Das Recht auf Werbung und seine öffentlichrechtli-
chen Schranken, thèse, Berne 1969, p. 189-190 et p. 213). La
Constitution fédérale réserve toutefois à la Confédération
certaines compétences dans ce domaine.

aa) L'art. 105 Cst. donne à la Confédération le pou-
voir de légiférer en matière d'alcool obtenu par distilla-
tion; elle doit tenir compte des effets nocifs qui découlent
de la surconsommation d'alcool. Ce mandat, motivé par la pro-
tection de la santé, était déjà prévu par l'ancienne Consti-
tution à l'art. 32bis al. 2 (FF 1997 I 319; Saladin, op.
cit., p. 191). La Confédération a donc le devoir de
soumettre
le commerce de boissons distillées à toutes les res-

trictions qui s'avèrent nécessaires pour en diminuer la con-
sommation, même en matière de publicité (FF 1979 I 108). Le
législateur fédéral a fait usage de cette compétence, en
édictant l'art. 42b Lalc qui limite la publicité en faveur
des boissons distillées.

bb) L'art. 118 Cst. règle les compétences de la Con-
fédération en matière de protection de la santé. La doctrine
parle à ce propos d'une "fragmentarische Rechtssetzungkompe-
tenz des Bundes" en matière de santé publique: la Confédéra-
tion n'aurait la compétence d'édicter des dispositions pour
protéger la santé que dans les domaines exhaustivement cités
à l'al. 2 de cette disposition constitutionnelle (Häfelin/
Haller, op. cit., n. 1086). A l'intérieur de ces domaines,
elle dispose d'une "compétence globale dotée d'un effet déro-
gatoire subséquent" (FF 1997 I 338). Elle peut notamment lé-
giférer sur l'utilisation des denrées alimentaires ainsi que
des agents thérapeutiques, des stupéfiants, des organismes,
des produits chimiques et des objets qui peuvent présenter
un
danger pour la santé (art. 118 al. 2 let. a Cst). Le législa-
teur fédéral a fait usage des compétences dont il dispose en
la matière pour édicter, entre autres réglementations, la
loi
sur les denrées alimentaires, qui concerne aussi le tabac et
les boissons alcooliques (art. 3 al. 3 LDAI; FF 1989 I 871).
Le champ d'application de cette loi s'étend même au domaine
de la réclame en faveur de denrées alimentaires et d'objets
usuels (art. 2 al. 2 lettre b LDAI; FF 1989 I 874). Le légis-
lateur a délégué au Conseil fédéral le pouvoir de
restreindre
les possibilités de réclame en faveur des boissons alcooli-
ques, des articles de tabac et des articles pour fumeurs
pour
autant que la loi ne règle pas elle-même cette question (FF
1989 I 886; art. 60 LDAI). Dans son message du 9 mars 1992
concernant les initiatives populaires "pour la prévention
des
problèmes liés au tabac" et "pour la prévention des
problèmes
liés à l'alcool", le Conseil fédéral avait soumis aux Cham-
bres un contre-projet prévoyant la révision des art. 13 LDAI

et 42b Lalc, dans le but d'introduire, voire de renforcer
les
limitations en matière de publicité pour l'alcool et le
tabac
(FF 1992 II 1141 ss, 1171 ss). Tant le Conseil des Etats que
le Conseil national avaient refusé d'entrer en matière sur
le
contre-projet du gouvernement. Ces deux initiatives ayant
été
rejetées en votation populaire le 28 novembre 1993, le Con-
seil fédéral a dû faire usage de sa compétence transitoire
établie par l'art. 60 LDAI pour édicter des limitations en
matière de publicité en faveur de l'alcool (art. 24 ODAI) et
du tabac (art. 15 de l'ordonnance du 1er mars 1995 sur le ta-
bac et les produits du tabac [OTab; RS 817.06]).

cc) L'interdiction de la publicité à la télévision
et à la radio pour le tabac et l'alcool, prévue par les
art. 18 al. 5 LRTV et 15 al. 1 ORTV, repose aussi sur des
motifs relevant de la santé publique, mais ne concerne que
les réclames diffusées par ces médias (FF 1987 III 707). La
compétence de la Confédération en matière de législation sur
la radio et la télévision ainsi que sur les autres formes de
diffusion de production et d'information ressortissant aux
télécommunications publiques repose sur l'art. 93 al. 1 Cst.

e) Il résulte de ce qui précède que le droit fédéral
prévoit une série de mesures préventives dans la lutte
contre
l'alcoolisme et le tabagisme, qui incluent aussi des limita-
tions en matière de publicité, dont le but est clairement de
protéger la santé publique et la jeunesse de la consommation
excessive de certains produits (FF 1979 I 60, 62 et 69, FF
1989 I 886, FF 1992 II 1154 ss). Les articles 93, 105 et 118
Cst. ne confèrent toutefois pas à la Confédération une compé-
tence législative complète et exhaustive en matière de publi-
cité pour le tabac et l'alcool. Elle ne dispose en effet
dans
ce domaine que d'une compétence très ponctuelle, étroitement
liée aux objectifs de santé publique que le législateur fédé-
ral s'est proposé de poursuivre en réglementant la
production

et le commerce de l'alcool, l'utilisation des denrées alimen-
taires et le secteur de la radiotélévision. Dans ces condi-
tions, on ne saurait considérer que les compétences
fédérales
éparses résultant des normes mentionnées excluent complète-
ment celles, plus générales, des cantons en matière de poli-
tique sanitaire et de réglementation de l'utilisation du do-
maine public et privé. En outre, comme l'a justement
souligné
le Grand Conseil genevois, le fait que la Confédération a
adopté des dispositions en matière de publicité ne signifie
pas que les cantons ne peuvent pas légiférer du tout dans ce
même domaine, y compris dans les hypothèses qu'elle n'a pas
réglementées. Dans le cadre de cet enchevêtrement de compé-
tences entre la Confédération et les cantons, ces derniers
jouissent donc encore de la faculté d'édicter des disposi-
tions en matière de publicité pour l'alcool et le tabac,
pour
autant - bien entendu - que celles-ci n'entravent pas les
buts que le législateur fédéral a voulu poursuivre en édic-
tant les art. 42b Lalc, 24 ODAI, 15 OTab, 18 al. 5 LRTV et
15
al. 1 ORTV (cf. Rainer J. Schweizer, Homogenität und
Vielfalt
im schweizerischen Staatsrecht, in: Daniel Thürer/Jean-
François Aubert/Jörg Paul Müller (éd.), Droit
constitutionnel
suisse, Zurich 2001, § 10, no 11). Tel n'est évidemment pas

le cas de l'art. 9 al. 2 LPR/GE qui tend plutôt à renforcer
l'efficacité des mesures préventives déjà adoptées par la
Confédération en vue de limiter la consommation d'alcool et
de tabac.

f) Dans la mesure où l'art. 9 al. 2 LPR/GE se limite
à réglementer l'emplacement sur la voie publique, ainsi que
sur la propriété privée qui est visible depuis celle-ci, des
procédés de réclame pour l'alcool et le tabac sans entraver
les objectifs poursuivis par le droit fédéral, mais, au con-
traire, en renforçant la prévention dans la lutte contre le
tabagisme et l'alcoolisme, on ne saurait dire qu'elle viole
le principe de la force dérogatoire du droit fédéral.

4.- a) Les recourants affirment que l'art. 9 al. 2
LPR/GE serait contraire à ce dernier principe également
parce
qu'il introduit une règle incompatible avec la loi fédérale
du 6 octobre 1995 sur le marché intérieur (LMI; RS 943.02).
Selon eux, la possibilité de faire de la publicité en faveur
de produits dont la commercialisation est licite entre dans
le champ d'application de cette loi de sorte qu'elle ne sau-
rait être entravée par des dispositions limitées au terri-
toire d'un seul canton.

b) L'art. 1er al. 1 LMI définit l'objet de cette
loi; il garantit l'accès libre et non discriminatoire au mar-
ché afin de pouvoir exercer une activité lucrative sur tout
le territoire suisse. L'activité lucrative protégée par
cette
réglementation doit être entendue au sens large et englobe
toute activité visant l'obtention d'un gain et bénéficiant
de
la protection de la liberté du commerce et de l'industrie
(art. 1 al. 3 LMI). Y sont compris tous les actes concernant
l'exercice d'une activité économique déterminée (choix de
l'activité lucrative ou de la profession, choix des moyens
matériels, formation des relations d'affaires, etc.) dans le
cadre du marché intérieur (FF 1995 I 1241-1242). Doctrine et
jurisprudence admettent que la liberté du commerce et de
l'industrie (actuellement: liberté économique) comprend
entre
autres le droit de faire de la publicité pour des marchandi-
ses ou pour des services (ATF 118 Ib 356 consid. 4c;
Saladin,
op. cit., p. 97 ss; René Rhinow, in: Commentaire de la Cons-
titution fédérale de la Confédération suisse, Bâle/Zurich/
Berne, ad art. 31 n. 84). Il n'y a donc apparemment aucune
raison valable d'exclure les activités de publicité du champ
d'application de la loi fédérale sur le marché intérieur
(dans ce sens: Martenet/Rapin, Le marché intérieur suisse,
Berne 1999, p. 11 et 12).

c) L'art. 2 al. 1 LMI fixe le principe du libre ac-
cès au marché, selon lequel toute personne a le droit d'of-

frir des marchandises, des services et des prestations de
travail sur tout le territoire suisse si l'exercice de l'ac-
tivité lucrative en question est autorisé dans le canton ou
la commune où elle a son siège ou son établissement. Ce prin-
cipe n'est pas absolu, puisqu'il peut être restreint au lieu
de destination de la prestation, sous certaines conditions
prévues par la loi (art. 3 LMI).

aa) Avant de vérifier si ces conditions sont rem-
plies dans le cas d'espèce, il faut se demander si la règle
prévue par l'art. 9 al. 2 LPR/GE constitue effectivement une
restriction au libre accès au marché au sens de l'art. 3
LMI.
Ni la loi fédérale sur le marché intérieur, ni les travaux
législatifs ne précisent comment il faut interpréter ce
terme. La doctrine n'a pas non plus approfondi la question.
A
première vue, on pourrait admettre qu'il y a restriction du
libre accès au marché chaque fois qu'un acte normatif règle,
en le limitant d'une façon directe ou indirecte, le commerce
de marchandises, services ou prestations de travail. Toute-
fois, une conception trop large de la notion en question
pourrait avoir des effets qui vont au-delà de ceux
recherchés
par la loi.

bb) À ce propos, il peut être utile d'examiner à ti-
tre comparatif quelle est la situation prévalant en droit eu-
ropéen dans le domaine de la libre circulation des marchandi-
ses et des services. Il faut en effet rappeler que le prin-
cipe du libre accès au marché (art. 2 LMI) et ses
limitations
(art. 3 LMI) constituent la transposition en droit suisse de
certaines dispositions du droit communautaire, en
particulier
de l'art. 28 (ex art. 30) du Traité instituant la Communauté
européenne (TUE) - qui interdit les restrictions quantitati-
ves à l'importation, ainsi que toute mesure d'effet équiva-
lent, entre Etats membres -, de l'art. 30 TUE (ex art. 36) -
qui en règle les exceptions - et de la jurisprudence "Cassis-
de-Dijon" développée pour la première fois à partir de ces

normes par les juges européens dans l'arrêt Rewe-Zentral AG/
Bundesmonopolverwaltung für Branntwein (publié in Rec. 1979
I-649 ss). En vertu de cette jurisprudence, sous réserve
d'exigences impératives relevant de l'intérêt public, un pro-
duit mis sur le marché dans un Etat membre conformément aux
règles de cet Etat peut circuler librement dans tout le mar-
ché commun (FF 1995 I 1217 ss). Or, dans un premier temps,
la
Cour de justice des Communautés européennes admettait avec
une certaine facilité l'existence de mesures ayant un effet
restrictif sur les échanges, au sens de l'art. 28 TUE, en
reconnaissant, par exemple, un tel effet à des normes
légales
nationales ou régionales qui interdisaient certaines formes
de publicité (cf. à ce sujet les arrêts du 7 mars 1990 en la
cause GB-INNO-BM, publié au Rec. 1990 I- 667 ss, et du
25 juillet 1991 en la cause Aragonesa de Publicidad Exterior
SA, publié au Rec. 1991 I-4151 ss). A la suite des critiques
exprimées par une partie de la doctrine - qui lui reprochait
d'interpréter d'une façon trop large les notions de "restric-
tion quantitative de l'importation" et de "mesures d'effet
équivalent", prévues par l'art. 28 TUE -, la Cour a précisé
sa jurisprudence en la matière dans l'arrêt Keck et
Mithouard
du 24 novembre 1993 (Rec. 1993 I-6097). Elle a affirmé que
l'application à des produits en provenance d'autres Etats
membres de dispositions nationales qui limitent ou interdi-
sent certaines modalités de vente n'était pas apte à
entraver
directement ou indirectement, actuellement ou potentielle-
ment, le commerce entre Etats membres, pourvu que les dispo-
sitions en question s'appliquent à tous les opérateurs con-
cernés et qu'elles affectent de la même manière, en droit
comme en fait, la commercialisation des produits nationaux
et
des produits en provenance d'autres Etats membres (Rec. 1993
I-6131 § 16; cf. aussi Henning Grub, in: Carl Otto Lenz,
EG-Vertrag, 2ème éd., Köln 1999, ad art. 153 n. 14; Astrid
Epiney, in: Christian Callies/Matthias Ruffert, Kommentar
des
Vertrages über die Europäische Union und des Vertrages zur
Gründung der Europäischen Gemeinschaft, Leuchterhand 1999,
ad

art. 28, § 27-30). Les juges communautaires ont ensuite qua-
lifié de modalité de vente, compatible avec l'art. 28 TUE,
l'interdiction faite aux pharmaciens du Baden-Württemberg de
faire de la publicité, en dehors de l'officine, pour les pro-
duits pharmaceutiques (arrêt du 15 décembre 1993 dans la
cause Hünermund; Rec. 1993 I-6787). Dans cette décision, il
a
été précisé que l'art. 28 TUE a pour objectif de garantir la
libre circulation des marchandises, afin de constituer un
marché unique et intégré, en éliminant les mesures
nationales
qui, de quelque façon que ce soit, créent un obstacle ou
même
de simples difficultés dans les mouvements de produits, et
non pas d'interdire les mesures les plus disparates afin
d'assurer la plus forte expansion possible du commerce (Rec.
1993 I-6814).

cc) Le message du 23 novembre 1994 du Conseil fédé-
ral ayant fait explicitement allusion aux principes dévelop-
pés par la Cour de Justice de Luxembourg dans l'arrêt Keck
et
Mithouard (FF 1995 I 1220), on peut se demander si ceux-ci
ne
sont pas applicables par analogie aussi dans le cadre de la
loi fédérale sur le marché intérieur. Dans l'affirmative, il
faudrait alors admettre que l'art. 9 al. 2 LPR/GE, qui intro-
duit une limitation quant aux modalités de promotion de cer-
tains produits (tabac et alcool), ne pourrait que difficile-
ment être considéré comme une règle restreignant le libre ac-
cès au marché au sens de l'art. 3 LMI. Certains auteurs sem-
blent nier (avec des arguments discutables) l'application
par
analogie de la jurisprudence Keck et Mithouard à l'interpré-
tation de la loi fédérale sur le marché intérieur (Martenet/
Rapin, op. cit., p. 20). Cette question peut rester indécise
en l'espèce, car, même en admettant que l'art. 9 al. 2
LPR/GE
constitue une restriction au principe du libre accès au mar-
ché, les conditions posées par l'art. 3 LMI pour y déroger
sont remplies. En particulier, il faut constater que, selon
cette disposition, de telles restrictions, pour être légiti-
mes, doivent être applicables de la même façon aux offreurs

locaux, être indispensables à la préservation d'intérêts pu-
blics prépondérants et répondre au principe de la proportion-
nalité (art. 3 al. 1 lettres a-c LMI). Les deux premières
conditions sont réalisées en l'espèce, dès lors que l'art. 3
al. 2 lettre a LMI reconnaît un intérêt public prépondérant
à
la protection de la vie et de la santé de l'être humain qui,
comme on l'a vu, est l'un des buts principaux visés par la
disposition attaquée et que celle-ci s'applique sans discri-
mination à tous les offreurs, sans égard à leur domicile ou
à
leur siège. Plus problématique est par contre la question de
savoir si la réglementation répond aussi au principe de la
proportionnalité (art. 3 al. 2 lettre c LMI). Selon la juris-
prudence du Tribunal fédéral, lorsque le principe de la pro-
portionnalité est appliqué dans le cadre de la loi sur le
marché intérieur, il doit être apprécié plus spécifiquement
au regard des buts poursuivis par cette loi, tels qu'ils
sont
expressément mentionnés à l'art. 1 al. 2 LMI. Selon cette
disposition, la loi vise en particulier à faciliter la mobi-
lité professionnelle et les échanges économiques en Suisse,
à
soutenir les efforts des cantons visant à harmoniser les con-
ditions d'autorisation d'accès au marché, à accroître la com-
pétitivité de l'économie suisse et à renforcer la cohésion
économique de la Suisse. La liberté d'accès au marché, telle
qu'elle ressort de cette loi, a ainsi une portée
constitutive
positive. En conséquence, la liberté d'accès au marché est
l'un des moyens visant à réaliser le marché intérieur
unique.
Autrement dit, pour que la loi sur le marché intérieur
puisse
atteindre ses buts, le principe de proportionnalité doit
être
appliqué strictement aux restrictions posées par un canton à
l'égard d'offreurs externes respectant la réglementation en
vigueur dans leur propre canton (ATF 125 I 474 consid. 3).
Il
faut donc se demander s'il se justifie qu'un canton puisse
édicter des dispositions plus restrictives que celles adop-
tées par la Confédération en matière de publicité pour l'al-
cool et pour le tabac, en contribuant ainsi à la fragmenta-
tion du marché publicitaire suisse de ces produits.

Force est de constater à cet égard que la limitation
prévue par l'art. 9 al. 2 LPR/GE n'empêche pas en soi de
faire de la réclame pour l'alcool et le tabac, mais tend à
ce
que les supports publicitaires ne soient pas posés sur le do-
maine public ou privé, là où ils sont visibles de tout le
monde. Cette disposition introduit donc une interdiction,
dont la portée reste limitée. Au demeurant, même si les au-
tres cantons suisses ou la Confédération ont déjà adopté des
normes visant à protéger les biens concernés par l'art. 9
al. 2 LPR/GE, on ne voit pas comment celles-ci pourraient at-
teindre le même niveau de protection de la population voulu
par le législateur genevois qui est seul compétent pour ré-
gler l'utilisation de l'ensemble du domaine public et privé,
visible du domaine public. Il découle de là que la mesure
est
conforme au principe de la proportionnalité, tel qu'il a été
défini par la jurisprudence.

d) Les conditions prévues par l'art. 3 al. 1 let-
tres a-c LMI étant remplies, l'art. 9 al. 2 LPR/GE ne contre-
vient pas à la loi sur le marché intérieur.

5.- Les recourants contestent la compatibilité de
l'art. 9 al. 2 LPR/GE avec la liberté économique (art. 27
Cst.), la liberté de la presse (art. 17 Cst.), ainsi que la
liberté d'opinion et d'information (art. 16 Cst.).

a) Selon la jurisprudence, l'affichage à but commer-
cial n'entre en principe pas dans le champ de protection de
la liberté de la presse et de la liberté d'opinion et d'in-
formation (ATF 125 I 417 consid. 3a; 100 Ia 445 consid. 6
concernant encore l'ancienne Constitution). Seules les opi-
nions dont le contenu est de nature idéale jouissent en
effet
de la protection accordée par ces libertés constitutionnel-
les: toute expression qui vise des buts commerciaux rentre
en
revanche dans le champ d'application de la liberté
économique
(ATF 125 I 417 consid. 3a; Jörg Paul Müller, Grundrechte in

der Schweiz, 3ème éd., Berne 1999, p. 204 et 253). Une excep-
tion à cette règle subsiste quand le message publicitaire
poursuit non seulement des objectifs économiques, mais aussi
des intérêts publics (Müller, op. cit., page 205). Dans ces
cas, la liberté d'opinion et d'information est toutefois tou-
chée seulement si le caractère idéal du message publicitaire
est prépondérant par rapport à son caractère commercial (cf.
ATF 120 Ib 150 consid. 2c/bb; 101 Ib 178 consid. 4c). En
l'espèce, on ne voit pas que la disposition attaquée puisse
concerner les libertés mentionnées. Il est en effet diffici-
lement concevable que des procédés publicitaires en faveur
de
produits tels que
l'alcool et le tabac puissent aussi pour-
suivre la défense d'intérêts publics. De toute façon, les
considérations émises ci-après pour la liberté économique
vaudraient également pour ces garanties constitutionnelles.

Par contre, les recourants ont certainement le droit
de faire valoir la violation, par l'art. 9 al. 2 LPR/GE, de
la liberté économique, laquelle, comme il a déjà été exposé,
comprend également le droit de faire de la publicité (ATF
123
I 201 consid. 2b et la jurisprudence citée; Saladin, op.
cit., p. 97).

b) A l'instar d'autres libertés publiques, la liber-
té économique n'est pas absolue. L'art. 36 Cst. prévoit en
effet que les restrictions des droits fondamentaux doivent
reposer sur une base légale (al. 1), être justifiées par un
intérêt public prépondérant (al. 2) et, selon le principe de
la proportionnalité, se limiter à ce qui est nécessaire à la
réalisation des buts d'intérêt public poursuivis (al. 3).
L'essence de ces droits fondamentaux est en outre inviolable
(al. 4).

aa) Les recourants contestent en premier lieu
l'existence d'une base légale suffisante. A tort, car la let-
tre de l'art. 9 al. 2 LPR/GE est claire dans sa formulation

et compréhensible tant pour les autorités qui doivent l'ap-
pliquer que pour les administrés. Il est vrai que la disposi-
tion prête à interprétation, en particulier quant à la
portée
à attribuer au terme d'"affichage". Cela n'a toutefois rien
d'exceptionnel. Bien au contraire, le législateur, qui doit
régler un nombre indéfini et abstrait de situations, est en
effet obligé d'utiliser une terminologie, dont la portée
doit
être précisée par les autorités chargées de l'application de
la loi. Or, comme le souligne à juste titre le législatif ge-
nevois dans ses observations au recours (p. 14 § 57), le
seul
fait que la norme doive d'être interprétée n'autorise pas en-
core à l'invalider, dans le cadre d'un contrôle abstrait, en
raison de sa prétendue imprécision. L'art. 9 al. 2 LPR/GE ne
portant au demeurant pas d'atteinte grave à la liberté écono-
mique des recourants, on ne saurait poser des exigences trop
sévères quant à la précision de sa formulation (sur la ques-
tion du degré de précision de la base légale cf. ATF 125 II
417 consid. 6c et la jurisprudence citée).

bb) Les recourants contestent aussi l'existence d'un
intérêt public suffisant à justifier une pareille
restriction
à leurs libertés constitutionnelles. Ce grief n'est pas fon-
dé. La protection de la santé de la population, qui est le
but principal poursuivi par l'art. 9 al. 2 LPR/GE, constitue
sans aucun doute un objectif d'intérêt public qui justifie
la
limitation de droits fondamentaux, tels que la liberté écono-
mique. Le fait que ce but ne soit pas explicitement
mentionné
à l'art. 1 LPR/GE, qui fixe les objectifs poursuivis par la
loi, n'y change rien.

cc) Les recourants affirment encore que l'art. 9
al. 2 LPR/GE violerait le principe de la proportionnalité. A
cet égard, ils cherchent principalement à démontrer l'inexis-
tence d'un lien entre la publicité pour l'alcool et le tabac
et la consommation de ces produits. Pareille argumentation

rappelle l'objection qui avait été soulevée par les milieux
du commerce et de l'industrie dans la procédure de consulta-
tion entamée par le Département fédéral des finances et des
douanes le 9 novembre 1973 dans le but d'introduire dans la
législation fédérale des limitations en matière de publicité
pour les boissons distillées. Dans son message du 11
décembre
1978 concernant la modification de la loi fédérale sur l'al-
cool, le Conseil fédéral avait considéré à ce propos qu'une
telle objection "minimise l'efficacité de la publicité. Le
but de toute publicité est pourtant, au premier chef, de pro-
mouvoir les ventes et d'augmenter le chiffre d'affaires. Des
milliards de francs ne seraient pas dépensés chaque année à
des fins publicitaires, si ce but n'était pas atteint. Or,
si
la vente de boissons distillées s'accroît, la consommation
augmente également" (FF 1979 I 82). Cet argument, valable
aussi en matière de publicité pour le tabac, conserve toute
sa valeur en l'espèce. Il faut en outre souligner que, lors-
que l'évaluation d'une mesure dépend de connaissances techni-
ques controversées, le Tribunal fédéral n'admet une
violation
du principe de proportionnalité que si l'inaptitude de cette
mesure à atteindre le résultat recherché paraît manifeste
(ZBl 92 1991 25 consid. 3d). Tel n'est toutefois pas le cas
en l'espèce. En effet, on ne saurait admettre que le fait de
limiter la publicité pour l'alcool et le tabac sur le
domaine
public ainsi que sur le domaine privé visible par le public
soit une mesure complètement inapte à limiter la
consommation
de ces produits. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner
plus
avant les effets de la publicité sur la consommation
d'alcool
et de tabac. Pour le reste, il faut relever que la restric-
tion découlant de l'art. 9 al. 2 LPR/GE ne porte aucune at-
teinte disproportionnée aux intérêts des recourants. Etant
donné que l'Etat de Genève entend mener une politique cohé-
rente de lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme sur tout
son territoire, on ne voit pas quelle autre mesure moins in-
cisive pourrait être prise pour atteindre les objectifs vi-

sés. L'extension de la restriction litigieuse à une partie
de
la propriété privée se justifie pour éviter que les buts
poursuivis par le parlement genevois ne soient éludés, en
plaçant la publicité hors du domaine public, là où elle pour-
rait néanmoins facilement être vue par le public. De sur-
croît, l'atteinte envisagée par l'art. 9 al. 2 LPR/GE à la
liberté économique des recourants est limitée. Les conséquen-
ces d'une telle restriction concernent en effet de la même
façon tous les concurrents actifs dans les mêmes branches.
Le
Grand Conseil genevois a également souligné à bon droit
qu'un
seul support publicitaire (l'affichage) est en l'espèce in-
terdit et qu'il ne l'est qu'à certains endroits (domaine pu-
blic et domaine privé visible depuis le domaine public).

dd) L'interdiction prévue par l'art. 9 al. 2
LPR/GE ne porte pas non plus atteinte à l'essence des liber-
tés invoquées. En effet, elle ne limite que très partielle-
ment la possibilité pour les recourants de faire connaître
au
public leurs produits et n'empêche pas leur commercialisa-
tion.

c) Par conséquent, en édictant l'art. 9 al. 2
LPR/GE, le Grand Conseil genevois n'a pas violé l'art. 27
Cst., pas plus du reste que les art. 16 et 17 Cst., pour au-
tant que, comme on vient de le voir (consid. 5a), ces dispo-
sitions soient effectivement applicables en l'espèce.

6.- Les recourants affirment que l'art. 9 al. 2
LPR/GE ne respecterait pas la garantie de la propriété, pro-
tégée par l'art. 26 Cst.

a) La garantie de la propriété s'étend - outre à la
propriété des biens meubles et immeubles - aux droits réels
restreints, aux droits contractuels, aux droits de la pro-
priété intellectuelle, à la possession, ainsi qu'aux droits

acquis des citoyens face à la collectivité (Georg Müller,
in:
Commentaire à la Constitution de la Confédération suisse,
Bâle/Zurich/Berne, ad art. 22ter, n. 2). Les titulaires de
la
garantie de la propriété sont donc les personnes physiques
et
morales de droit privé, détentrices de ces droits, c'est-à-
dire les propriétaires, les titulaires de servitudes, les lo-
cataires, les possesseurs, les auteurs, les
concessionnaires,
etc. (Müller, op cit., ad art. 22ter, n. 21).

Or, sur ce point, il résulte du dossier que l'entre-
prise Perisem SA est titulaire d'un droit de superficie sur
le bien-fonds duquel sont édifiés les bâtiments dans
lesquels
elle exerce ses activités. On peut donc admettre qu'elle est
fondée à se prévaloir de la garantie de la propriété et
qu'elle peut se plaindre de l'art. 9 al. 2 LPR/GE sous cet
angle. Selon le Grand Conseil genevois, aucun des autres re-
courants n'aurait démontré être légitimé à invoquer la garan-
tie constitutionnelle en cause. A tort. Comme exposé ci-des-
sus (consid. 1c/aa), dans le cadre d'un recours contre un
acte normatif cantonal, la qualité pour agir se détermine à
partir de la possibilité virtuelle d'être un jour touché
dans
ses intérêts juridiquement protégés par les dispositions at-
taquées (sur ce sujet, cf. ATF 102 Ia 201 consid. 3). On ne
peut donc pas exclure que les entreprises, du moins celles
qui ont leur siège dans le canton de Genève, pourraient à
l'avenir être touchées en tant que propriétaires par l'inter-
diction de publicité en question, suite à l'acquisition de
droits réels sur le territoire cantonal.

b) Sur le fond, le grief doit être rejeté pour des
motifs identiques à ceux qui ont déjà été exposés ci-devant
(cf. consid. 5b/aa). L'art. 9 al. 2 LPR/GE constitue une
base
légale suffisamment précise aussi pour restreindre le droit
à la propriété. Au demeurant, il ne touche que de manière li-
mitée les possibilités d'exploitation des biens-fonds
privés,

qui restent en principe libres d'accueillir de la publicité
pour tout produit, sauf le tabac et les boissons avec un
taux
d'alcool supérieur au 15 volumes pour cent. La limitation de
la garantie de propriété que comporte l'art. 9 al. 2 LPR/GE,
visant à protéger la santé publique, est justifiée par un in-
térêt public prépondérant. Ce but pourrait être facilement
éludé si l'interdiction prévue par cette disposition ne con-
cernait pas aussi la propriété privée visible depuis le do-
maine public. Par ailleurs, on a déjà vu que des riverains
du
domaine public peuvent se voir imposer certaines règles et
obligations destinées à protéger les qualités du domaine pu-
blic ou une utilisation de celui-ci conforme à sa destina-
tion. A noter encore qu'en ce qui concerne les procédés de
réclame dits "pour compte propre", c'est-à-dire les procédés
dont l'emplacement est connexe ou en rapport avec les entre-
prises, les produits, les prestations de services ou les ma-
nifestations pour lesquels ils font de la réclame, la loi
prévoit aux art. 18 ss des règles spéciales, qui devraient
en
tout cas permettre aux maisons actives dans le commerce du
tabac et de l'alcool de poser leurs propres marques sur les
bien-fonds qu'elles occupent. Cela permet de relativiser les
conséquences que la disposition attaquée peut avoir sur le
droit de propriété des recourants.

c) En édictant l'art. 9 al. 2 LPR/GE, le Grand Con-
seil genevois n'a par conséquent pas non plus violé l'art.
26
Cst.

7.- a) Les recourants affirment encore que l'art. 9
al. 2 LPR/GE serait contraire au principe de l'égalité de
traitement (art. 8 Cst.) et violerait l'interdiction de l'ar-
bitraire (art. 9 Cst.).

Ce dernier grief ne remplit toutefois pas les exi-
gences de motivation posées par la jurisprudence relative à
l'art. 90 al. 1 OJ, en vertu de laquelle, dans un recours

pour arbitraire fondé sur l'art. 9 Cst., les recourants ne
peuvent se contenter de critiquer les dispositions attaquées
comme ils le feraient dans une procédure d'appel où l'autori-
té de recours peut revoir librement l'application du droit.
Ils doivent préciser en quoi la réglementation en cause se-
rait arbitraire, ne reposerait sur aucun motif sérieux et ob-
jectif, apparaîtrait insoutenable ou heurtant gravement le
sens de la justice. Or, les recourants ne parviennent pas à
expliquer pour quelles raisons la disposition attaquée de-
vrait être considérée comme insoutenable au point d'apparaî-
tre arbitraire (sur cette notion, cf. ATF 127 I 60 consid.
5a
et les arrêts cités). De toute manière, ce grief se confond
avec les autres griefs soulevés, dont celui de la violation
de l'égalité de traitement, qui sera examiné ci-après.

b) Un arrêté de portée générale est contraire au
principe de l'égalité au sens de l'art. 8 Cst. lorsqu'il éta-
blit des distinctions juridiques qui ne se justifient par au-
cun motif raisonnable au regard de la situation de fait à ré-
glementer ou lorsqu'il omet de faire des distinctions qui
s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce
qui est semblable n'est pas traité de manière identique et
ce
qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente;
cela
suppose que le traitement différent ou semblable injustifié
se rapporte à une situation de fait importante (ATF 127 I
185
consid. 5 et la jurisprudence citée).

c) aa) Selon les recourants, la disposition querel-
lée est discriminatoire, puisqu'elle ne vise pas, excepté
l'affichage, les médias les plus importants en matière de pu-
blicité pour l'alcool et le tabac. Ils reprochent au législa-
teur genevois de ne pas avoir démontré que le support même
du
message publicitaire, selon qu'il relève de l'affichage ou
des médias, commanderait que la publicité soit totalement in-
terdite dans le premier cas, tout en demeurant possible dans
le second.

Cet argument est mal fondé. La publicité sur la voie
publique ou visible depuis celle-ci, quel que soit son sup-
port, concerne sans distinction toute personne qui fait
usage
du domaine public. La publicité diffusée à travers les
médias
est par contre plus ciblée. Elle ne touche en principe que
les catégories de public auxquelles le média concerné
s'adresse. Certes, il se trouve davantage de publicité en fa-
veur de l'alcool et du tabac dans les journaux, les magasins
ou au cinéma que sur la route, les places ou les murs des im-
meubles publics ou privés. Ce dernier procédé de diffusion
de
la publicité s'adresse toutefois à un cercle illimité de per-
sonnes et constitue donc un important moyen de transmission
du message commercial. De surcroît, il faut tenir compte du
fait que la presse
est un moyen de communication qui ne peut
pas être arrêté aux frontières cantonales, raison pour la-
quelle, dans ce domaine, une interdiction de réclame valable
uniquement sur le territoire d'un seul canton serait prati-
quement très difficile, voire impossible, à faire respecter.
En ce qui concerne les autres médias, tels que la radio et
la
télévision, il faut rappeler que les cantons n'ont pas la
compétence d'édicter des règles sur la publicité, étant
donné
que l'art. 93 Cst. réserve ce domaine au législateur
fédéral.
En ce sens, l'interdiction sélective prévue par l'art. 9
al. 2 LPR/GE, en tant qu'elle est fondée sur des raisons ob-
jectives et sérieuses, ne peut pas être considérée comme dis-
criminatoire.

bb) Selon les recourants, l'art. 9 al. 2 LPR/GE con-
trevient d'une autre manière encore au principe de l'égalité
de traitement en ce qu'il interdit l'affichage de publicité
en faveur des alcools de plus de 15 volumes pour cent, alors
que la publicité en faveur de boissons avec un taux d'alcool
inférieur est autorisée.

La distinction prévue par l'art. 9 al. 2 LPR/GE
pourrait cacher une mesure destinée à favoriser les produc-

teurs et les commerçants de vin et de bière qui ne sont pas
soumis à l'interdiction de faire de la publicité. Il est
vrai
que même en droit fédéral les restrictions prévues par
l'art. 42b Lalc ne touchent que les boissons avec un taux
d'alcool supérieur à 15 pour cent du volume. Cette distinc-
tion résulte toutefois de l'art. 105 Cst., qui ne donne à la
Confédération la possibilité de légiférer qu'en matière de
boissons distillées, au sens de l'art. 2 Lalc, et ne lui per-
met pas d'intervenir sur les alcools légers (cf. FF 1979 I
82-83). Le législatif genevois a expliqué que son choix a
été
déterminé par le caractère intrinsèquement plus dangereux
pour la santé des alcools forts. Cette justification repose
sur des motifs objectivement soutenables. Il n'est pas con-
testé que plus la teneur en alcool d'une boisson est élevée,
plus sa consommation peut avoir des effets dangereux pour la
santé. En outre, la forte chute des prix qui s'est produite
durant ces dernières années dans le domaine des alcools dis-
tillés rend ce genre de produits encore plus facilement ac-
cessibles aux consommateurs et conduit à reconnaître un inté-
rêt accru à en freiner la consommation. Dans ces conditions,
une intervention de l'Etat visant à limiter la demande des
alcools forts ne peut pas être considérée comme contraire au
principe de l'égalité de traitement, du seul fait qu'elle
n'imposerait pas les mêmes restrictions pour la publicité
des
alcools légers.

III. Art. 2, 3 al. 1, 4 et 24 al. 1 LPR/GE

8.- Le régime légal institué par les art. 2, 3
al. 1, 4 et 24 al. 1 LPR/GE soumet au contrôle de l'adminis-
tration les procédés de réclame placés tant sur le domaine
public que sur le domaine privé visible depuis le domaine pu-
blic. Les recourants ne contestent pas le contrôle des procé-
dés de réclame situés sur le domaine public, jugeant que ce

domaine relève de la gestion des biens de l'Etat au sens de
l'art. 664 al. 1 CC. Ils critiquent en revanche le contrôle
des procédés publicitaires situés sur le domaine privé. Ils
se prévalent à ce propos de la garantie de la propriété et
de
la liberté économique.

a) Pour les motifs déjà exposés ci-dessus (cf. con-
sid. 6a), la société Perisem SA et les recourants qui ont
leur siège dans le canton de Genève sont en principe légiti-
més à faire valoir la violation de la garantie de la proprié-
té. Quant au grief tiré de la violation de la liberté écono-
mique, tous les recourants disposent certainement de la qua-
lité pour agir.

b) aa) Sur le fond, les arguments des recourants
sont mal fondés et doivent être rejetés. Le régime d'autori-
sation introduit par les dispositions litigieuses ne
comporte
aucune atteinte grave aux deux garanties constitutionnelles
invoquées; elles doivent en effet être considérées comme suf-
fisamment précises et claires. En particulier, le contenu de
l'art. 2 LPR/GE, qui définit le concept de "procédé de ré-
clame", n'est pas vague au point de ne pas respecter l'exi-
gence d'une base légale claire, découlant de l'art. 36 al. 1
Cst. Au surplus, les art. 1, 3 et 4 du règlement d'applica-
tion de la loi sur les procédés de réclame du 11 octobre
2000
précisent encore le sens de certaines notions prévues par
l'art. 2 LPR/GE. Pour le reste, il incombera aux autorités
chargées de l'application de la loi et, le cas échéant, à la
jurisprudence de clarifier la portée de cette disposition,
car on ne peut exiger du législateur qu'il définisse jusque
dans les moindres détails des notions qui sont au demeurant
suffisamment précises.

bb) Les dispositions litigieuses poursuivent des
buts dignes de protection. En effet, la nécessité de régle-
menter l'affichage publicitaire - et plus généralement les

procédés de réclame - a été reconnue depuis longtemps par la
jurisprudence dans son principe, pour des raisons de
sécurité
du trafic et de protection du paysage et des sites urbains
(ATF 100 Ia 445 consid. 5b; 60 I 268 consid. 2a). Dans le
droit fil de cette jurisprudence, le Tribunal fédéral a ré-
cemment considéré que, pour atteindre ces objectifs, il faut
tenir compte de tous les procédés de réclame perceptibles du
domaine public, indépendamment du fait qu'ils soient placés
sur un bien-fonds public ou privé (ATF 128 I 3 con-
sid. 3e/bb). Au niveau fédéral, par exemple, l'obligation
prévue par l'art. 100 OSR d'obtenir une autorisation pour po-
ser des réclames le long des routes concerne aussi bien le
domaine public que le domaine privé. Une réglementation limi-
tée au seul domaine public ne serait donc que très partielle
et ne permettrait pas de réaliser les buts que le
législateur
s'est proposé d'atteindre en limitant la publicité en faveur
de l'alcool et du tabac. En particulier, il s'agit d'éviter
que la réglementation applicable au domaine public en
matière
de procédés de réclame ne puisse être vidée de son sens par
le simple déplacement du procédé publicitaire sur une pro-
priété privée voisine au domaine public et visible depuis
celui-ci.

cc) S'agissant des modalités mises en oeuvre pour
atteindre de tels objectifs, le Tribunal fédéral a pendant
longtemps considéré comme compatible avec la Constitution
l'institution de monopoles de droit d'affichage sur le do-
maine public et privé (ATF 100 Ia 445 consid. 5c). La juris-
prudence en la matière a cependant été modifiée tout récem-
ment. Dans la mesure où il touche la propriété privée, un
tel
monopole représente une atteinte disproportionnée à la liber-
té économique. Le Tribunal fédéral a jugé que l'obligation
d'obtenir une autorisation, dont l'octroi est subordonné au
respect de normes de droit matériel, suffisait pour réaliser
les buts d'intérêt public poursuivis par une loi en matière

d'affichage de publicité (ATF 128 I 3 consid. 3e/cc). Tel
est
bien le cas en l'espèce: le législateur genevois ayant opté
pour l'introduction d'un système d'autorisation des procédés
de réclame, celui-ci se révèle ainsi compatible avec le prin-
cipe de proportionnalité.

dd) En édictant les art. 2, 3 al. 1, 4 et 24 al. 1
LPR/GE, le législateur genevois n'a donc pas violé les
art. 26 et 27 Cst.

IV. Art. 8 al. 2 LPR/GE

9.- Les recourants contestent aussi la constitution-
nalité de l'art. 8 al. 2 LPR/GE, en vertu duquel les
procédés
de réclame sur les façades borgnes des bâtiments sont en
principe interdits.

a) aa) Ils font tout d'abord valoir la violation de
la garantie de la propriété (art. 26 Cst.). Les recourants,
et en particulier les entreprises qui ont leur siège dans le
canton de Genève, sont en principe légitimés à soulever un
tel grief. Même si aucun d'entre eux n'a pu démontrer être
titulaire de droits réels ou personnels sur des façades bor-
gnes dans le canton de Genève, il n'est pas exclu qu'un jour
ils pourraient acquérir de tels droits et être ainsi touchés
dans leurs intérêts juridiquement protégés par la
disposition
attaquée.

bb) Sur le fond, le grief doit être rejeté. L'art. 8
al. 2 LPR/GE, adopté surtout pour des raisons d'ordre esthé-
tique et urbanistique, est fondé sur une base légale suffi-
sante, dont le contenu est justifié par un intérêt public di-
gne de protection. Il s'agit en effet de préserver le
paysage

urbain de la prolifération de la publicité sur les murs des
immeubles. Les façades borgnes des bâtiments se prêtent en
effet à accueillir des procédés publicitaires de très grande
dimension ayant un fort impact sur le décor urbain. La res-
triction en cause respecte en outre le principe de propor-
tionnalité, puisque l'atteinte qu'elle porte au droit de pro-
priété est limitée et qu'elle prévoit une interdiction apte
à
atteindre le but poursuivi. En plus, l'art. 8 al. 2 LPR/GE
ne
prévoit pas une interdiction absolue, mais sa formulation
laisse aux autorités la possibilité d'accorder des déroga-
tions.

b) Les recourants soutiennent que cette norme vio-
lerait aussi la liberté économique. Le grief, recevable,
doit
être rejeté pour des raisons analogues à celles qu'on vient
d'exposer. A cela s'ajoute qu'à l'instar de ce que souligne
l'intimé, la disposition transitoire de l'art. 42 LPR/GE,
qui
fixe une période de deux à cinq ans pour éliminer les procé-
dés de réclame existants et non conformes à la nouvelle loi,
permet d'éviter que, dans certains cas particuliers, le prin-
cipe de la proportionnalité ne soit violé.

V. Conclusion et frais

10.- Au vu de ce qui précède, le recours, mal fondé,
doit être rejeté en tant qu'il est recevable. Succombant,
les
recourants supporteront les frais judiciaires, solidairement
entre eux (art. 156 al. 1 et 7, 153 et 153a OJ). L'autorité
intimée n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours, dans la mesure où il est
recevable.

2. Met à la charge des recourants un émolument ju-
diciaire de 10'000 fr., solidairement entre eux.

3. Communique le présent arrêt aux mandataires des
recourants et du Grand Conseil du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 28 mars 2002
CAS/dxc

Au nom de la IIe Cour de droit public
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.207/2000
Date de la décision : 28/03/2002
2e cour de droit public

Analyses

Art. 8, 9, 16, 17, 26, 27, 36, 49 al. 1, 93, 105, 118 al. 2 let. a Cst.; art. 2 et 3 LMI; loi genevoise du 9 juin 2000 sur les procédés de réclame; contrôle abstrait des normes. La norme genevoise qui interdit l'affichage de publicité en faveur du tabac et des alcools de plus de 15 volumes pour cent sur le domaine public cantonal et sur le domaine privé visible depuis le domaine public, ne viole pas: - le principe de la primauté du droit fédéral tant au regard des compétences législatives de la Confédération en matière d'alcool, de denrées alimentaires et de radio-télévision (consid. 3), qu'à celui de la loi sur le marché intérieur (consid. 4); - la liberté de la presse et celle d'opinion et d'information, pour autant que l'affichage à but commercial entre dans le champ de protection de ces libertés (consid. 5a); - la liberté économique (consid. 5b); - la garantie de la propriété (consid. 6); - le principe de l'égalité de traitement et l'interdiction de l'arbitraire (consid. 7). Compatibilité avec la garantie de la propriété et la liberté économique des normes cantonales qui soumettent au contrôle des pouvoirs publics les procédés de réclame placés, entre autres, sur le domaine privé visible depuis le domaine public (consid. 8), ainsi de la règle qui interdit de poser des procédés de réclame sur les façades borgnes des bâtiments (consid. 9).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-28;2p.207.2000 ?
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