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27/03/2002 | SUISSE | N°C.368/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 mars 2002, C.368/01


«AZA 7»
C 368/01 Mh

IIe Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Widmer et Frésard.
Greffier : M. Berthoud

Arrêt du 27 mars 2002

dans la cause

X.________ SA, recourante, représentée par Maître André
Gossin, avocat, chemin de la Nant 1, 2740 Moutier,

contre

Office cantonal de l'industrie, des arts et métiers du
travail (OCIAMT), Laupenstrasse 22, 3011 Berne, intimé,

et

Tribunal administratif du canton de Berne, Berne

A.- En 1992 et 1993, les sociét

és Y.________ SA et
X.________ SA ont déposé successivement plusieurs préavis
de réduction de l'horaire de travail. A une except...

«AZA 7»
C 368/01 Mh

IIe Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Widmer et Frésard.
Greffier : M. Berthoud

Arrêt du 27 mars 2002

dans la cause

X.________ SA, recourante, représentée par Maître André
Gossin, avocat, chemin de la Nant 1, 2740 Moutier,

contre

Office cantonal de l'industrie, des arts et métiers du
travail (OCIAMT), Laupenstrasse 22, 3011 Berne, intimé,

et

Tribunal administratif du canton de Berne, Berne

A.- En 1992 et 1993, les sociétés Y.________ SA et
X.________ SA ont déposé successivement plusieurs préavis
de réduction de l'horaire de travail. A une exception près,
la division du marché du travail de l'Office cantonal
bernois de l'industrie, des arts et métiers et du travail
(OCIAMT) ne s'est pas opposée à ces préavis.

A partir du 1er janvier 1993, la société X.________ SA
a repris l'ensemble du personnel de Y.________ SA. Cette
dernière a été déclarée en faillite le 8 novembre 1994.
L'administration de la faillite a été confiée à une
administration spéciale.
L'ex-Office fédéral de l'industrie, des arts et mé-
tiers et du travail (OFIAMT) a pratiqué un contrôle des
indemnités versées aux deux sociétés (rapports provisoire
du 15 novembre 1993 et définitif du 6 janvier 1994). Se
fondant sur les conclusions de ces rapports, la succursale
de Z.________ de la Caisse cantonale bernoise d'assurance-
chômage a réclamé à X.________ SA, par décision du 20 janv-
ier 1994, la restitution d'un montant de 89'266 fr. 90,
représentant des indemnités en cas de réduction de l'ho-
raire de travail payées en trop en 1992 et 1993.
X.________ SA et Y.________ SA, en faillite, représentée
par son administrateur, ont recouru contre cette décision
devant le Tribunal administratif du canton de Berne.
Statuant le 12 février 1996, le tribunal administratif
a partiellement admis le recours porté devant lui et il a
annulé la décision litigieuse dans la mesure où elle fixait
à 89'266 fr. 90 le montant que X.________ SA était tenue de
restituer. Il a renvoyé la cause à l'OCIAMT pour nouveau
calcul, au sens des motifs, du montant exact que les socié-
tés recourantes étaient tenues de restituer et nouvelle
décision.
Saisi d'un recours de l'OFIAMT, le Tribunal fédéral
des assurances, par arrêt du 20 novembre 1997, a annulé le
jugement attaqué (C 69/96).

B.- Le 2 novembre 1999, X.________ SA a sollicité la
remise de l'obligation de restituer la somme de
89'266 fr. 90.
Par décision du 22 janvier 2001, l'OCIAMT a rejeté la
demande, au motif que la requérante ne pouvait se prévaloir
de sa bonne foi.

C.- Par jugement du 8 novembre 2001, le Tribunal admi-
nistratif du canton de Berne a rejeté le recours formé
contre cette décision par X.________ SA.

D.- X.________ SA interjette un recours de droit
administratif en concluant, avec suite de frais et dépens,
à l'annulation du jugement attaqué et, en conséquence, à
l'admission de sa demande de remise. Subsidiairement, elle
conclut au renvoi de la cause à l'OCIAMT pour qu'il statue
sur la question de la rigueur manifeste en rapport avec la
demande de remise.
L'OCIAMT renonce à prendre position. Les premiers
juges ont présenté des observations, tandis que le Secréta-
riat d'Etat à l'économie (seco) ne s'est pas déterminé sur
le recours.

Considérant en droit :

1.- Le procès concernant la remise de l'obligation de
restituer des prestations n'a pas pour objet l'octroi ou le
refus de prestations d'assurance (ATF 122 V 136 consid. 1,
223 en haut). Dès lors, le Tribunal fédéral des assurances
doit se borner à examiner si les premiers juges ont violé
le droit fédéral, y compris par l'excès ou par l'abus de
leur pouvoir d'appréciation, ou si les faits pertinents ont
été constatés d'une manière manifestement inexacte ou in-
complète, ou s'ils ont été établis au mépris de règles
essentielles de procédure (art. 132 en corrélation avec les
art. 104 let. a et b et 105 al. 2 OJ).

2.- a) Selon l'art. 95 al. 2 LACI, si le bénéficiaire
était de bonne foi en acceptant des prestations indues et
si leur restitution devait entraîner des rigueurs particu-
lières, on y renoncera, sur demande, en tout ou partie. La
possibilité d'une telle remise est également ouverte aux
personnes morales (ATF 122 V 274 consid. 4 in fine).

En ce qui concerne la notion de bonne foi, la juris-
prudence développée à propos de l'art. 47 al. 1 LAVS vaut
par analogie en matière d'assurance-chômage (DTA 2001 n° 18
p. 162 consid. 3a). C'est ainsi que l'ignorance, par le
bénéficiaire, du fait qu'il n'avait pas droit aux presta-
tions ne suffit pas pour admettre qu'il était de bonne foi.
Il faut bien plutôt que le bénéficiaire des prestations ne
se soit rendu coupable, non seulement d'aucune intention
malicieuse, mais aussi d'aucune négligence grave. Il s'en-
suit que la bonne foi, en tant que condition de la remise,
est exclue d'emblée lorsque les faits qui conduisent à
l'obligation de restituer (ou violation du devoir d'annon-
cer ou de renseigner) sont imputables à un comportement
dolosif ou à une négligence grave. En revanche, l'intéressé
peut invoquer sa bonne foi lorsque l'acte ou l'omission
fautifs ne constituent qu'une violation légère de l'obliga-
tion d'annoncer ou de renseigner (ATF 112 V 103 consid. 2c,
110 V 180 consid. 3c; DTA 2001 n° 18 consid. 3a).

b) En matière d'indemnités en cas de réduction de
l'horaire de travail, c'est à l'employeur qu'il incombe de
communiquer à l'administration, à la demande de celle-ci,
tous les documents et informations nécessaires à un examen
approfondi du droit à l'indemnité, lorsque des doutes appa-
raissent et qu'un tel examen se révèle après coup indispen-
sable (ATF 124 V 385 consid. 2c). Récemment, le Tribunal
fédéral des assurances a jugé qu'un dirigeant d'une société
à responsabilité limitée manque gravement à son devoir de
diligence, lorsqu'il conserve les documents nécessaires à
un contrôle d'employeur avec d'autres papiers destinés à
être éliminés; si par mégarde ceux-ci viennent à disparaî-
tre, l'employeur ne peut plus se prévaloir de sa bonne foi
dans le cadre d'une demande de remise de l'obligation de
restituer (DTA 2001 n° 18 p. 160).

De même, le Tribunal fédéral des assurances a jugé
qu'une entreprise ne pouvait pas non plus se prévaloir de
sa bonne foi quand elle ne disposait d'aucune pièce attes-
tant les heures effectivement travaillées et celles qui
étaient chômées. Dans cette affaire, la secrétaire de
l'entreprise reportait simplement sur les formules de
l'assurance-chômage l'horaire de présence manuscrit que le
personnel concerné lui communiquait, ce document interne
n'étant ensuite pas conservé. Une telle omission ne peut
être qualifiée de négligence légère, car l'entreprise peut
et doit se rendre compte que le simple report d'un horaire
de présence manuscrit - suivi de son élimination - sur les
formules de l'assurance-chômage n'était pas propre à
établir la perte de travail indemnisable à teneur des
conditions légales (arrêt A. Sàrl du 23 janvier 2002
[C 110/01]).

3.- Il ressort des constatations du jugement attaqué
que tant Y.________ SA que X.________ SA n'ont tenu aucun
contrôle du temps de travail de leurs employés durant la
période pendant laquelle elles ont perçu des indemnités en
cas de réduction de l'horaire de travail. Pourtant, les
formules de préavis de réduction de l'horaire de travail
que les sociétés ont remplies et renvoyées à l'OCIAMT atti-
raient expressément l'attention des requérantes sur la
nécessité de lire le mémento à l'intention des employeurs.
Cette brochure contenait notamment l'avertissement selon
lequel les travailleurs dont la réduction de l'horaire de
travail ne peut être déterminée ou dont l'horaire de tra-
vail n'est pas suffisamment contrôlable n'ont pas droit à
l'indemnité. Elle insistait sur l'obligation de l'employeur
d'instaurer un système de contrôle des temps de présence
(par exemple au moyen de cartes de timbrage, de rapports
des heures, etc.). De telles constatations lient le
Tribunal fédéral des assurances (supra consid. 1) et ne
sont au demeurant pas remises en cause par la recourante.

Les premiers juges en déduisent, à juste titre, que
les deux sociétés intéressées ne pouvaient ignorer l'im-
portance d'un contrôle fiable et précis du temps de travail
de leurs employés, comme condition du droit à l'indemnité.
On doit donc admettre, au regard de la jurisprudence citée
plus haut, que l'absence de tout contrôle des heures de
travail chômées, en dépit des informations données aux
employeurs concernés, est constitutive d'une négligence
grave qui suffit à exclure la bonne foi.

4.- A titre subsidiaire, la recourante fait grief aux
premiers juges de n'avoir pas opéré de distinction, dans
l'appréciation de la bonne foi, entre les indemnités ré-
clamées à Y.________ SA (en faillite) et celles concernant
X.________ SA.

a) Dans la procédure précédente, concernant la resti-
tution des prestations, il a été admis que la recourante
répondait des prestations versées à tort à Y.________ SA du
fait qu'elle avait repris les actifs et passifs du Départe-
ment d'architecture de cette société à partir du 1er jan-
vier 1993 (jugement du tribunal administratif du 12 février
1996). Ce point n'a pas été remis en question dans la pro-
cédure de recours de droit administratif qui a conduit au
prononcé de l'arrêt du 20 novembre 1997. Quoi qu'il en
soit, la décision du 20 janvier 1994, par laquelle l'OCIAMT
a réclamé à la seule recourante la restitution du montant
de 89'266 fr. 90, est entrée en force à la suite de l'arrêt
du Tribunal fédéral des assurances du 20 novembre 1997.
Sous réserve d'une remise, X.________ SA est donc tenue de
restituer en totalité ce montant.

b) Il faut cependant admettre avec la recourante que
la négligence grave commise par les organes de
Y.________ SA ne peut être imputée aux organes de
X.________ SA. La bonne foi est une condition de la remise

qui se rattache à la personne (physique ou morale) du
bénéficiaire de la prestation indue. La jurisprudence admet
une exception à ce principe lorsqu'il existe un rapport de
représentation légale ou contractuelle, la négligence du
représentant pouvant en principe être imputée à la personne
représentée (MEYER-BLASER, Die Rückerstattung von
Sozialversicherungsleistungen, in RSJB 131/1995 p. 482;
FRITZ WIDMER, Die Rückerstattung unrechtmässig bezogener
Leistungen in den Sozialversicherungen, thèse Bâle 1984
p. 156 sv.). Dès lors, en l'absence d'un tel rapport de
représentation, X.________ SA ne répond pas de la
négligence commise par les organes de Y.________ SA. Peu
importe qu'il y ait eu en l'occurrence cession d'actif et
passif de Y.________ SA en faveur de X.________ SA au sens
de l'art. 181 CO. Sous l'angle de la remise, une telle
situation est comparable à celle qui prévaut s'agissant de
l'obligation de restituer des héritiers à raison d'une
dette du de cujus. Dans un tel cas et sauf répudiation de
la succession, la dette de la personne tenue à restitution
passe aux héritiers. Mais la remise de l'obligation de
restituer doit être accordée aux héritiers s'ils étaient
eux-mêmes de bonne foi et que la restitution les mette dans
une situation difficile (ATF 105 V 84 consid. 4).

c) Selon les chiffres - non contestés - qui figurent
dans la décision litigieuse du 22 janvier 2001 (cf. égale-
ment le rapport concernant le contrôle auprès de l'emplo-
yeur de l'ex-OFIAMT), la créance en restitution concernant
Y.________ SA est de 24'357 fr. 60 (période d'octobre à
décembre 1992) tandis que la créance concernant
X.________ SA se monte à 64'909 fr. 30 (indemnités perçues
dès janvier 1993), soit un total de 89'266 fr. 90. Sur le
vu de ces chiffres, il y a lieu d'admettre que pour le
montant de 64'909 fr. 30, la recourante ne peut prétendre
une remise de son obligation de restituer, du moment que la
bonne foi de ses organes ne peut pas être retenue.

En revanche, en ce qui concerne la somme de
24'357 fr. 60, la bonne foi de la recourante doit être
admise, dès lors qu'elle ne saurait, comme on l'a vu, ré-
pondre de l'absence de contrôle du temps de travail des
employés de Y.________ SA. Pour ce montant, une remise
dépend donc uniquement du point de savoir si la restitution
entraîne pour la recourante des rigueurs particulières.
Compte tenu de la solution à laquelle elle est parvenue, la
juridiction cantonale n'a pas examiné ce point. Le dossier,
par ailleurs, ne permet pas de trancher la question. Celle-
ci devra donc faire l'objet d'une instruction complémen-
taire de la part de l'OCIAMT.
En conclusion, le recours doit être partiellement
admis et la cause doit être renvoyée à l'OCIAMT pour qu'il
examine si la restitution du montant de 24'357 fr. 60 en-
traîne pour la recourante des rigueurs particulières.

5.- Vu la nature du litige, la procédure n'est pas
gratuite (art. 134 OJ a contrario). Compte tenu de l'issue
de la procédure il se justifie de répartir les frais de
justice à raison de trois quarts à la charge de la recou-
rante et d'un quart à la charge de l'intimé.
La recourante, qui obtient partiellement gain de cau-
se, a droit à une une indemnité réduite de dépens pour la
procédure fédérale (art. 159 al. 3 OJ).
Compte tenu de l'issue de la procédure cantonale, les
premiers juges ont refusé d'accorder des dépens à la recou-
rante (chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué). Il
n'appartient pas au Tribunal fédéral des assurances d'invi-
ter l'autorité cantonale à statuer à nouveau sur cette
question, attendu qu'en matière d'assurance-chômage, il
n'existe pas de droit aux dépens fondé sur la législation
fédérale au sens de l'art. 104 let. a OJ (cf. l'art. 103
LACI). Mais
la recourante, qui a obtenu partiellement gain
de cause en instance fédérale, a la faculté de demander aux
premiers juges de se prononcer à nouveau sur ce point, au
regard de l'issue définitive du litige.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est partiellement admis. Le jugement du
Tribunal administratif du canton de Berne du 8 no-
vembre 2001, ainsi que la décision de l'OCIAMT du
22 janvier 2001 sont annulés dans la mesure où ils
refusent une remise de l'obligation de restituer le
montant de 24'357 fr. 60, relatif aux indemnités
versées à Y.________ SA. Le recours est rejeté pour le
surplus.

II. La cause est renvoyée à l'OCIAMT pour qu'il rende, au
sujet de ce montant, une nouvelle décision au sens des
motifs.

III. Les frais de justice, consistant en un émolument de
4500 fr., seront supportés pour trois quarts par la
recourante (3375 fr.) et pour un quart par l'intimé
(1125 fr.).

IV. Les frais de justice mis à la charge de la recourante
sont couverts par l'avance de frais de 4500 fr.
qu'elle a versée; la différence, d'un montant de
1125 fr., lui est restituée.

V. L'OCIAMT versera à la recourante la somme de 1000 fr.
(y compris la taxe à la valeur ajoutée) à titre de
dépens pour la procédure fédérale.

VI. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
Tribunal administratif du canton de Berne, Cour des
affaires de langue française, et au Secrétariat d'Etat
à l'économie.

Lucerne, le 27 mars 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIe Chambre :

Le Greffier :


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.368/01
Date de la décision : 27/03/2002
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-27;c.368.01 ?
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