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26/03/2002 | SUISSE | N°4P.297/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 mars 2002, 4P.297/2001


«/2»

4P.297/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 mars 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________, représenté par Me Maurizio Locciola, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 1er octobre 2001 par la Cour d'appel de la
juridiction des prud'hommes du canton de Genève dans la
cause
qui oppose le recoura

nt à Y.________, représenté par Me
Pierre-Bernard Petitat, avocat à Genève;

(art. 9 Cst.; appréciation arbitraire des preuves...

«/2»

4P.297/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 mars 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________, représenté par Me Maurizio Locciola, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 1er octobre 2001 par la Cour d'appel de la
juridiction des prud'hommes du canton de Genève dans la
cause
qui oppose le recourant à Y.________, représenté par Me
Pierre-Bernard Petitat, avocat à Genève;

(art. 9 Cst.; appréciation arbitraire des preuves; étendue
du
dommage)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X.________ dirige une agence pratiquant le
courtage en matière d'assurances. En avril 1995, il a engagé
Y.________ en qualité d'agent d'assurance, rémunéré presque
exclusivement à la commission, sous réserve du paiement de
2000 fr. par mois d'avance sur commissions et de 500 fr. de
frais. En raison de l'activité déployée, Y.________ a gagné
en moyenne 6803 fr.10 par mois.

Au début novembre 1996, Y.________ a indiqué à son
employeur qu'il désirait résilier le contrat de travail pour
la fin de l'année; X.________ ayant trouvé le délai trop
long, les parties sont convenues d'en fixer l'échéance au 30
novembre 1996. Dès le 1er janvier 1997, Y.________ est entré
au service de l'assurance Z.________, où il travaille encore
actuellement.

B.- Le 23 mars 1999, X.________ a ouvert action
devant la juridiction des prud'hommes de Genève contre
Y.________, en concluant à la condamnation de son ex-employé
à lui payer en capital les montants de 45 420 fr.45 et de
10 000 fr. X.________ a réclamé cette dernière somme à titre
de réparation du dommage causé par l'inactivité fautive de
son ancien employé pendant le mois de novembre 1996; le de-
mandeur a ramené cette prétention à 8000 fr. après enquêtes.

Par jugement du 14 novembre 2000, le Tribunal des
prud'hommes a condamné le défendeur à payer à son ex-
employeur la somme de 8000 fr. de dommages-intérêts. Le
tribunal a fixé ce montant sur la base de l'art. 42 al. 2
CO,
à partir du salaire mensuel moyen perçu par Y.________
durant
son activité pour le demandeur, auquel était ajouté le "dom-

mage supplémentaire" subi par X.________ du fait que le dé-
fendeur travaillait déjà en novembre 1996 pour Z.________.

Saisie d'un appel du défendeur et d'un appel inci-
dent du demandeur, la Cour d'appel de la juridiction des
prud'hommes du canton de Genève, par arrêt du 1er octobre
2001, a annulé le jugement du 14 novembre 2000 et débouté
l'employeur de toutes ses conclusions. Elle a retenu que
l'ex-employé avait violé ses obligations de fidélité et de
travail en novembre 1996, fautivement, en causant à son an-
cien employeur un dommage, dont ce dernier n'avait toutefois
pas rapporté la preuve. Comme l'art. 42 al. 1 CO (sic) ne
permettait pas de pallier cette carence, il n'y avait pas
lieu de condamner le défendeur à payer au demandeur la somme
de 8000 fr.

C.- X.________ interjette au Tribunal fédéral,
parallèlement, un recours de droit public et un recours en
réforme. Dans le recours de droit public, il conclut à l'an-
nulation de l'arrêt cantonal, l'intimé devant être débouté
de
toutes ses conclusions. Invoquant une appréciation insoutena-
ble des faits établis et une application arbitraire du droit
cantonal régissant la procédure prud'homale, il fait grief à
la cour cantonale, si elle avait des doutes quant à
l'étendue
du dommage, de ne pas l'avoir interpellé et amené à fournir
les documents nécessaires.

L'intimé conclut au rejet du recours.

La Cour d'appel se réfère aux considérants de son
arrêt.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Les moyens invoqués par le recourant dans
son recours de droit public sont susceptibles de conduire à
l'annulation de l'arrêt querellé, notamment pour
appréciation
arbitraire des preuves, et cela sans examen de la cause au
fond. Il se justifie dès lors de se conformer à la règle de
l'art. 57 al. 5 OJ qui prescrit de traiter en principe le
recours de droit public avant le recours en réforme (ATF 123
III 213 consid. 1; 122 I 81 consid. 1).

b) Vu la nature cassatoire du recours de droit pu-
blic, toute conclusion qui va au-delà de la demande d'annula-
tion de la décision attaquée est irrecevable, sauf
exceptions
non réalisées en l'espèce (ATF 127 III 279 consid. 1b p. 282
et les arrêts cités). Tel est le cas de la demande de "débou-
ter l'intimé de toutes autres ou contraires conclusions".

2.- Le recourant reproche tout d'abord à la cour
cantonale une appréciation arbitraire des faits de la cause,
lorsqu'elle a décidé qu'il n'avait pas prouvé le dommage al-
légué. Il se plaint aussi d'une application arbitraire de
l'art. 29 de la loi sur la juridiction des prud'hommes du 25
février 1999 (LJP/GE), qui institue la maxime d'office.

a) Il convient d'examiner en premier lieu le second
moyen invoqué par le recourant.

A teneur de l'art. 29 LJP/GE, le tribunal établit
d'office les faits, sans être limité par les offres de
preuve
des parties. Contrairement à l'art. 343 al. 4 CO, qui
prévoit
la maxime inquisitoire lorsque la valeur litigieuse ne dépas-
se pas 30 000 fr. (art. 343 al. 2 CO, en vigueur dès le 1er
juin 2001, RO 2001 p. 1048 s.), la LJP/GE a introduit la
maxime d'office sans limitation de la valeur litigieuse et

aussi bien pour la procédure devant le Tribunal de prud'hom-
mes que pour celle devant la Cour d'appel (art. 66 LJP/GE).

La maxime inquisitoire ne constitue cependant pas
une maxime officielle absolue; elle ne dispense pas les par-
ties d'une collaboration active à la procédure. Cela découle
déjà de l'art. 20 LJP/GE selon lequel les parties doivent
produire toutes les pièces et présenter tous les comptes né-
cessaires, afin que le litige puisse être examiné en connais-
sance de cause, l'art. 25 LJP/GE prévoyant le renvoi
d'office
au tribunal des procédures qui n'ont pas été résolues - par
conciliation ou par décision - au stade de la procédure de
conciliation. Il incombe ainsi aux parties de renseigner le
juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens
de preuve propres à établir les faits dont elles se
prévalent
(ATF 107 II 233 consid. 2c p. 236; cf. également ATF 125 III
231 consid. 4a p. 238/239 et les références), dès l'instant
où la maxime inquisitoire ne modifie pas la répartition du
fardeau de la preuve.

Le juge ne doit pas instruire d'office le litige
lorsqu'une partie renonce à expliquer sa position, mais il
doit interroger les parties et les informer de leur devoir
de
collaboration et de production des preuves. Il est tenu de
s'assurer que les allégations et offres de preuves sont com-
plètes uniquement lorsqu'il a des motifs objectifs
d'éprouver
des doutes sur ce point. L'initiative du juge ne va pas au-
delà de l'invitation faite aux parties de mentionner les
preuves et de les présenter. Jusqu'à un certain point, le ju-
ge doit donc contribuer à la direction matérielle du procès
(Fabienne Hohl, La réalisation du droit et les procédures ra-
pides, Fribourg 1994, p. 56).

Le renforcement du rôle du juge, dans les domaines
du droit qui actualisent l'intervention de l'Etat dans la
vie
économique et sociale, postule un effacement de la maxime
des

débats au profit de la maxime d'office, directement inspirée
de la procédure administrative, notamment en matière de
droit
économique, de droit du bail et de droit du travail
(Christoph Rohner, Probleme des Rechtsschutzes, in RDS 107
(1988) II, p. 245/246 et p. 291/292).

b) Dans le cas particulier, le recourant avait in-
troduit devant le Tribunal des prud'hommes, le 23 mars 1999,
une action en paiement de 45 420 fr.45 et de 10 000 fr. En
conséquence, la maxime d'office découlait non pas de la
norme
fédérale de l'art. 343 al. 4 CO, mais de l'art. 38 al. 1
aLJP/GE, remplacé dès le 1er mars 2000 par l'art. 29 LJP/GE,
étant précisé que le contenu matériel de ces règles est
strictement identique. Est donc en cause le droit cantonal
d'organisation judiciaire et de procédure, dont
l'application
arbitraire est invoquée.

c) En l'espèce, le recourant a d'entrée de cause
fait valoir devant le Tribunal des prud'hommes qu'il avait
accusé des pertes financières en raison de l'inactivité de
l'intimé à son détriment. Il a mentionné qu'il ne pouvait
pas
"chiffrer" avec précision le préjudice subi, dans
l'ignorance
où il se trouvait de l'activité déployée par son ancien em-
ployé dans l'intérêt de concurrents. Le recourant a
également
demandé que sa partie adverse soit amenée à produire une
copie de toutes les propositions d'assurances qu'elle avait
conclues, alors qu'elle était à son service, avant
d'invoquer
l'application subsidiaire de l'art. 42 al. 2 CO. Le
recourant
a du reste produit un certain nombre de pièces démontrant
que
son ex-employé concluait en moyenne 15 à 30 contrats par
mois, depuis le début de son engagement, alors qu'un seul
contrat avait été signé en novembre 1996, pendant le délai
de
congé (cf. jugement du 14 novembre 2000 du Tribunal des
prud'hommes, consid. 3b, p. 14)

Ayant obtenu gain de cause devant le Tribunal des
prud'hommes sur le seul point qui demeure actuellement liti-
gieux, soit l'obtention de dommages-intérêts pour la vio-
lation de l'art. 321a CO pendant le mois de novembre 1996,
le
recourant a repris sa précédente argumentation devant la
Cour
d'appel. Il a demandé la confirmation du jugement condamnant
son ex-employé à lui payer la somme de 8000 fr. à ce titre,
telle qu'elle a été arrêtée par les juges de première instan-
ce en application de l'art. 42 al. 2 CO. Toutefois, la cour
cantonale, estimant que le demandeur avait failli dans
l'établissement de la quotité de son dommage et qu'il n'y
avait pas lieu de suppléer à cette carence par l'art. 42 al.
1 CO (sic), l'a débouté de cette conclusion et a annulé le
jugement entrepris.

A l'instar du tribunal, la Cour d'appel a retenu
qu'en novembre 1996 le défendeur avait causé un dommage à
son
ex-employeur par sa quasi-inactivité le dernier mois de son
engagement, privant ainsi le demandeur des commissions qu'au-
raient rapportées les contrats que l'agent d'assurance
aurait
dû conclure pour le compte du recourant. La cour cantonale a
ensuite considéré qu'il n'apparaissait pas que le demandeur
"ne soit pas à même de déterminer la quotité du préjudice
qu'il a subi du fait de la privation des commissions" qu'il
aurait touchées. Pour cela, a poursuivi la cour cantonale en
p. 16 § 3 de l'arrêt déféré, "il lui suffisait, en effet, de
fournir toutes indications et explications au sujet des af-
faires traitées les mois précédents par son ex-employé et,
surtout, de tous les montants des commissions perçus par son
agence sur les contrats conclus grâce à (son ancien employé)
depuis l'engagement de ce dernier, ce qui aurait permis
d'établir une moyenne mensuelle (...) et, partant, le manque
à gagner subi en novembre 1996".

A cet égard, le recourant avait exposé ses moyens
et avait fourni, à la requête du tribunal, un certain nombre

de documents établissant l'activité de son collaborateur pen-
dant toute la durée de son engagement, y compris pendant le
délai de congé de novembre 1996; ces dernières pièces ont
été
versées au dossier à la demande expresse du tribunal. Aussi,
dans la mesure où la Cour d'appel éprouvait des doutes sé-
rieux sur les moyens de preuve destinés à établir le montant
du dommage subi, notamment en raison de l'insuffisance, à
ses
yeux, des pièces dont l'apport avait été ordonné par les pre-
miers juges, devait-elle inviter le recourant à présenter
les
justificatifs et documents comptables nécessaires, tels
qu'elle les a décrits à la p. 16 § 3 de l'arrêt attaqué.
Elle
aurait alors eu la possibilité de statuer sur ce chef de la
demande directement ou, le cas échéant, en vertu de l'art.
42
al. 2 CO (ATF 122 III 219 consid. 3a et les références).

En ne procédant pas de la sorte et en imputant au
recourant l'échec de la preuve de la quotité du préjudice,
la
cour cantonale a interprété l'art. 29 LJP/GE contrairement à
son sens clair (ATF 126 III 49 consid. 2d et les arrêts ci-
tés, p. 54), comme si elle était régie par la maxime des dé-
bats. En s'écartant sans motif déterminant du texte univoque
de l'art. 29 LJP/GE, dans les circonstances décrites ci-
dessus, la Cour d'appel a versé dans l'arbitraire (ATF 127 V
196 consid. 2c p. 199 et les arrêts cités), raison pour la-
quelle l'arrêt critiqué sera annulé. La procédure est ainsi
remise dans l'état où elle se trouvait avant que la juridic-
tion cantonale ne prenne la décision attaquée, à charge pour
cette dernière d'inviter le recourant à compléter ses moyens
de preuve dans le sens indiqué au considérant 3b/bb in fine,
p. 16 de l'arrêt du 1er octobre 2001.

3.- Partant, le recours doit être admis dans la
mesure de sa recevabilité, l'arrêt attaqué étant annulé. Vu
l'issue de la querelle, les frais et dépens seront mis à la

charge de l'intimé qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1
OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours dans la mesure où il est rece-
vable et annule l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de l'intimé;

3. Dit que l'intimé versera au recourant une indem-
nité de 2500 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires
des parties et à la Cour d'appel de la juridiction
des
prud'hommes du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 26 mars 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.297/2001
Date de la décision : 26/03/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-26;4p.297.2001 ?
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