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26/03/2002 | SUISSE | N°1A.16/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 mars 2002, 1A.16/2002


{T 0/2}
1A.16/2002 /COL

Arrêt du 26 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Fonjallaz,
greffier Zimmermann.

A.________,
recourant, représenté par Me Ariane Ayer, avocate-stagiaire,
boulevard des
Philosophes 17, 1205 Genève,

contre

Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales,
Section
extraditions, Bundesrain 20,
3003 Berne,

extradition à la Rou

manie

(recours de droit administratif contre la décision de l'Office
fédéral de la
justice du 18 janvier 2002)
Faits:

...

{T 0/2}
1A.16/2002 /COL

Arrêt du 26 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Fonjallaz,
greffier Zimmermann.

A.________,
recourant, représenté par Me Ariane Ayer, avocate-stagiaire,
boulevard des
Philosophes 17, 1205 Genève,

contre

Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales,
Section
extraditions, Bundesrain 20,
3003 Berne,

extradition à la Roumanie

(recours de droit administratif contre la décision de l'Office
fédéral de la
justice du 18 janvier 2002)
Faits:

A.
Le 17 juillet 2001, le bureau d'Interpol à Bucarest a demandé à
l'Office
fédéral de la justice (ci-après: l'Office fédéral) l'arrestation en
vue
d'extradition à la Roumanie de A.________, ressortissant roumain et
turc né
le 11 juillet 1949. La demande était présentée pour l'exécution d'une
peine
de vingt-cinq ans de réclusion prononcée contre A.________ pour un
homicide
et un brigandage perpétrés en 1988 avec R.________ et D.________.

Entendu le 30 août 2001 par le Juge d'instruction du canton de Genève,
A.________ a déclaré s'opposer à son extradition. Il a allégué avoir
été jugé
sans l'assistance d'un défenseur, sans avoir été entendu ni eu la
possibilité
d'être rejugé comme il l'avait demandé. Détenu dès 1992 pour
l'exécution de
la peine, il aurait profité d'un congé accordé en 2000 pour fuir son
pays.

Le 31 août 2001, l'Office fédéral a décerné un mandat d'arrêt
extraditionnel
à l'encontre de A.________.

Le 22 octobre 2001, le Ministère roumain de la justice a remis à
l'Office
fédéral une demande formelle d'extradition datée du 1er octobre
précédent et
fondée sur la Convention européenne d'extradition, conclue à Paris le
13
décembre 1957, entrée en vigueur le 20 mars 1967 pour la Suisse et le
9
décembre 1997 pour la Roumanie (CEExtr.; RS 0.353.1). A cette demande,
étaient joints un mandat d'exécution de peine, une copie du jugement
rendu le
24 juillet 1989 par le Tribunal municipal de Bucarest, une copie du
jugement
rendu le 13 juillet 1998 par le Tribunal d'instance de Mangalia, une
récapitulation de l'exécution des peines, un mandat d'arrêt en vue
d'extradition, du 12 septembre 2001, ainsi que des extraits du Code
pénal
roumain. Selon ces documents, rédigés en roumain et accompagnés d'une
traduction française, l'extradition de A.________ était demandée pour
l'exécution d'un solde de peine de vingt-deux ans et deux jours de
réclusion.
La demande se réfère sur ce point aux jugements de condamnation des 24
juillet 1989, rendu par défaut, et 13 juillet 1998, portant sur une
peine
totale de vingt-cinq ans de réclusion pour assassinat, brigandage et
vol,
sous déduction de plusieurs périodes interruptives d'exécution.

Le 22 novembre 2001, à la requête de l'Office fédéral, le Ministère
roumain
de la justice a complété la demande et donné la garantie qu'en cas
d'extradition, A.________ « bénéficiera d'une nouvelle procédure de
jugement
devant la juridiction roumaine compétente ».

Les 20 novembre et 10 décembre 2001, A.________ s'est opposé à son
extradition.

Le 18 janvier 2002, l'Office fédéral a accordé l'extradition de
A.________ à
la Roumanie pour les faits visés dans les demandes des 1er octobre et
22
novembre 2001, compte tenu de l'engagement pris par l'Etat requérant
de
garantir à A.________ une nouvelle procédure de jugement sauvegardant
les
droits de la défense, conformément à l'art. 3 du deuxième Protocole
additionnel à la CEExtr.

B.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.________
demande au
Tribunal fédéral d'annuler la décision du 18 janvier 2002 et de
rejeter la
demande d'extradition. Il requiert en outre l'assistance judiciaire.
Il
invoque l'art. 37 de la loi fédérale sur l'entraide internationale en
matière
pénale, du 20 mars 1981 (EIMP; RS 351.1).

L'Office fédéral conclut au rejet du recours.

Invité à répliquer, le recourant a maintenu ses conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 L'extradition entre la Suisse et la Roumanie est régie par la
CEExtr.,
ainsi que par les Protocoles additionnels à cette Convention, entrés
en
vigueur le 9 juin 1985 pour la Suisse et le 9 décembre 1997 pour la
Roumanie
(RS 0.353.11 et 12). Les dispositions de ces instruments
internationaux
l'emportent sur le droit interne régissant la matière, soit l'EIMP et
son
ordonnance d'exécution (OEIMP), qui restent applicables aux questions
non
réglées, explicitement ou implicitement, par le droit conventionnel et
lorsque cette loi est plus favorable à la coopération que le traité
(ATF 123
II 134 consid. 1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120
consid. 1a
p. 122/123, 189 consid. 2a p. 191/192, et les arrêts cités). Est
réservée
l'exigence de respect des droits fondamentaux (ATF 123 II 595 consid.
7c p.
617).

1.2 La décision de l'Office fédéral accordant l'extradition peut faire
l'objet d'un recours de droit administratif selon l'art. 55 al. 3
EIMP mis en
relation avec l'art. 25 de la même loi (ATF 122 II 373 consid. 1b p.
375). Le
recourant peut manifestement se prévaloir d'un intérêt digne de
protection à
obtenir l'annulation ou la modification de la décision attaquée;
partant, il
a qualité pour agir au sens de l'art. 21 al. 3 EIMP (ATF 122 II 373
consid.
1b p. 375; 118 Ib 269 consid. 2d p. 275 et les arrêts cités).

1.3 Le Tribunal fédéral examine librement dans quelle mesure la
coopération
internationale doit être prêtée; il statue avec une cognition pleine
sur les
griefs soulevés sans être cependant tenu, comme le serait une
autorité de
surveillance, de vérifier d'office la conformité de la décision
attaquée à
l'ensemble des dispositions applicables en la matière (ATF 123 II 134
consid.
1d p. 136/137; 119 Ib 56 consid. 1d p. 59).

2.
Le recourant se prévaut de l'art. 37 EIMP.

2.1 L'extradition peut être refusée si la Suisse est en mesure
d'assumer la
poursuite pénale de l'infraction ou l'exécution du jugement et que le
reclassement de la personne poursuivie le justifie (art. 37 al. 1
EIMP).
Cette disposition n'est pas applicable dans les relations régies par
la
CEExtr., qui ne contient pas de règle analogue et l'emporte sur le
droit
interne (ATF 122 II 485 consid. 3 p. 486-488). Contrairement à ce que
le
recourant suppose, la règle de la primauté du droit international n'a
pas
pour effet de priver de sa raison d'être l'art. 37 EIMP, qui reste
applicable
aux relations extraditionnelles régies par un traité multi- ou
bilatéral qui
contiendrait la même règle ou à celles dans lesquelles, faute de
traité,
l'EIMP s'appliquerait pleinement.

Même s'il fallait examiner le grief, celui-ci devrait être rejeté.
Comme le
signale le recourant, l'art. 37 al. 1 EIMP présuppose que le délit
relève de
la compétence des autorités suisses et que l'Etat du lieu de
commission
demande expressément à la Suisse de mener les poursuites ou
d'exécuter la
peine (ATF 120 Ib 120 consid. 3c p. 127). Aucune de ces deux
conditions
cumulatives n'est remplie en l'espèce. Les faits à raison desquels
l'extradition est demandée ne présentent aucun lien avec la Suisse. En
réclamant le recourant pour l'exécution du solde de sa peine, l'Etat
requérant a clairement manifesté son intention de ne pas se dessaisir
en
faveur de la Suisse, point sur lequel aucune confirmation n'est
nécessaire.

2.2 Aux termes de l'art. 37 al. 2 EIMP, l'extradition peut être
refusée si la
demande se fonde sur une sanction prononcée par défaut et que la
procédure de
jugement n'a pas satisfait aux droits minimums de la défense reconnus
à toute
personne accusée d'une infraction, à moins que l'Etat requérant ne
donne des
assurances jugées suffisantes pour garantir à la personne poursuivie
le droit
à une nouvelle procédure de jugement qui sauvegarde les droits de la
défense.
Cette disposition reprend, en droit interne, l'art. 3 du deuxième
Protocole
additionnel à la CEExtr. (cf. le Message du 29 mars 1995, FF 1995 III
p. 20),
applicable dans les relations extraditionnelles entre la Roumanie et
la
Suisse.

Tenant compte du fait que le jugement de condamnation du 24 juillet
1989
avait été rendu par défaut, l'Office fédéral a subordonné l'octroi de
l'extradition à la condition expresse que le recourant soit jugé à
nouveau
(cf. l'arrêt 1A.50/1991 du 9 août 1991, concernant l'un des coaccusés
du
recourant dans le procès du 24 juillet 1989). Le 22 novembre 2001, le
Ministère de la justice roumain a donné en ce sens une assurance,
laquelle,
contrairement à ce que dit le recourant, est univoque et ne se limite
pas à
un simple rappel des dispositions légales. L'Office fédéral a accordé
l'extradition sous la condition d'un nouveau jugement respectant les
droits
de la défense, rappelée expressément dans le dispositif de la décision
attaquée. C'est vainement que le recourant conteste la validité de
l'engagement donné, en mettant en doute la volonté de s'y conformer
des
autorités de l'Etat requérant. Dans les relations entre Etats, la
bonne foi
est présumée et le recourant n'avance aucun motif laissant à penser
que
l'Etat requérant pourrait ne pas tenir sa promesse, ce qui mettrait
en jeu sa
responsabilité internationale.
Le grief tiré de l'art. 37 EIMP doit être écarté en tant qu'il est
recevable.

3.
Selon le recourant, les droits de la défense ne seraient pas garantis
dans
l'Etat requérant. Il invoque ainsi, de manière implicite, l'art. 2
let. a
EIMP, à teneur duquel la demande est irrecevable s'il y a lieu
d'admettre que
la procédure à l'étranger n'est pas conforme aux principes fixés par
la CEDH
ou par le Pacte ONU II.

3.1 L'art. 2 EIMP a pour but d'éviter que la Suisse ne prête son
concours,
par le truchement de l'entraide judiciaire ou de l'extradition, à des
procédures qui ne garantiraient pas à la personne poursuivie un
standard de
protection minimal correspondant à celui offert par le droit des Etats
démocratiques, défini en particulier par la CEDH ou le Pacte ONU II,
ou qui
heurteraient des normes reconnues comme appartenant à l'ordre public
international (ATF 125 II 356 consid. 8a p. 364; 123 II 161 consid.
6a p.
166/167, 511 consid. 5a p. 517, 595 consid. 5c p. 608, et les arrêts
cités).
En effet, la Suisse elle-même contreviendrait à ses obligations
internationales en extradant une personne à un Etat où il existe des
motifs
sérieux de penser qu'un risque de traitement contraire à la CEDH ou
au Pacte
ONU II menace l'intéressé (ATF 125 II 356 consid. 8a p. 364; 123 II
161
consid. 6a p. 167, 511 consid. 5a p. 517, et les arrêts cités).
L'examen des
conditions posées par l'art. 2 EIMP implique un jugement de valeur
sur les
affaires internes de l'Etat requérant, en particulier sur son régime
politique, sur ses institutions, sur sa conception des droits
fondamentaux et
leur respect effectif, et sur l'indépendance et l'impartialité du
pouvoir
judiciaire (ATF 125 II 356 consid. 8a p. 364; 123 II 161 consid. 6b
p. 167,
511 consid. 5b p. 517, et les arrêts cités). Le juge de la
coopération doit
faire preuve à cet égard d'une prudence particulière. Il ne suffit
pas que la
personne accusée dans le procès pénal ouvert dans l'Etat requérant se
prétende menacée du fait d'une situation politico-juridique spéciale;
il lui
appartient de rendre vraisemblable l'existence d'un risque sérieux et
objectif d'une grave violation des droits de l'homme dans l'Etat
requérant,
susceptible de la toucher de manière concrète (ATF 125 II 356 consid.
8a p.
364; 123 II 161 consid. 6b p. 167, 511 consid. 5b p. 517, et les
arrêts
cités).

3.2 En l'espèce, le recourant n'apporte aucun élément permettant
d'étayer
l'existence d'un tel risque. L'Etat requérant a ratifié la CEDH et le
Pacte
ONU II. Sans doute, la situation des droits de l'homme qui y prévaut
n'est
pas optimale. Le rapport d'Amnesty international pour 2001 signale,
pour la
Roumanie, des cas de tortures et de mauvais traitements infligés par
la
police, mais on ne saurait ipso facto déduire de ces indications que
le
recourant serait exposé lui-même à un danger quelconque, soit dans la
phase
du jugement à refaire, soit lors d'une éventuelle exécution de peine.
Quant à
la demi-douzaine d'arrêts rendus par la Cour européenne des droits de
l'homme, constatant des violations de la CEDH par la Roumanie, elle
atteste
sans doute une situation insatisfaisante, sans confirmer pour autant
que la
situation serait dégradée à ce point que, malgré les assurances
reçues de
l'Etat requérant, une extradition ne serait plus envisageable. Enfin,
le
recourant allègue pour la première fois dans sa réplique du 19 mars
2002
risquer sa vie dans l'Etat requérant, à raison de sa double
nationalité. Rien
n'indique cependant que les Turcs seraient en Roumanie l'objet de
discriminations. Pour le surplus, le recourant a été incarcéré pendant
plusieurs mois dans l'Etat requérant sans prétendre avoir été en
butte aux
mauvais traitements qu'il dénonce, lors de la période de détention
déjà
subie.

4.
Le recours doit ainsi être rejeté. Le recourant demande l'assistance
judiciaire. S'il est effectivement démuni et dans l'incapacité
d'assurer seul
sa défense, on peut hésiter sur le point de savoir si sa démarche
n'était pas
d'emblée dénuée de toute chance de succès, ce qui pourrait
commander
le rejet
de la requête (art. 152 OJ). Compte tenu de l'enjeu de la procédure,
une
certaine mansuétude se justifie.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Me Ariane Ayer, avocate-stagiaire à Genève, est désignée comme avocate
d'office du recourant pour la procédure devant le Tribunal fédéral et
une
indemnité de 2000 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer
par la
Caisse du Tribunal fédéral.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la mandataire du recourant
et à
l'Office fédéral de la justice (B 74570).

Lausanne, le 26 mars 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.16/2002
Date de la décision : 26/03/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-26;1a.16.2002 ?
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