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21/03/2002 | SUISSE | N°5C.327/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 mars 2002, 5C.327/2001


«/2»
5C.327/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

21 mars 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mme Nordmann
et Mme Hohl, juges. Greffier: M. Abrecht.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

P.________, défendeur et recourant, représenté par Me Jean-
Charles Bornet, avocat à Sion,

et

A.________, B.________, et C.________, demandeurs et
intimés,
tous trois représentés par Me Philippe Loretan, avocat à
Sion;

(passage nécessaire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Au 30 juin 1997, P.________ était...

«/2»
5C.327/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

21 mars 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mme Nordmann
et Mme Hohl, juges. Greffier: M. Abrecht.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

P.________, défendeur et recourant, représenté par Me Jean-
Charles Bornet, avocat à Sion,

et

A.________, B.________, et C.________, demandeurs et
intimés,
tous trois représentés par Me Philippe Loretan, avocat à
Sion;

(passage nécessaire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Au 30 juin 1997, P.________ était propriétaire
sur le territoire de la commune de Z.________ des parcelles
nos 443, 446, 447, 451 et 5953. Il habite une maison érigée
sur la parcelle n° 5953, laquelle bénéficie des servitudes
suivantes à charge de la parcelle n° 5954: une servitude de
passage à pied et pour tous véhicules permettant d'atteindre
un garage érigé sur la parcelle n° 5954 en limite de la par-
celle n° 5953; une servitude d'utilisation et de jouissance
exclusive dudit garage; une servitude de passage à pied
s'exerçant sur un escalier qui part à côté du garage et se
poursuit sur la parcelle n° 5953.

La parcelle n° 446 a une limite commune au sud avec
la parcelle n° 5953 et au nord avec la parcelle n° 444, pro-
priété de F.________. Par convention du 18 février 1998, ce
dernier a octroyé, à charge de la parcelle n° 444, une ser-
vitude de passage à pied et pour tous véhicules de 4 mètres
de large en faveur des parcelles nos 446 et 5953. Par acte
du
même jour, P.________ a cédé à son fils la parcelle n° 451,
laquelle est grevée d'une servitude de passage à pied et
pour
tous véhicules en faveur des parcelles nos 5953 et 5954. Le
11 mai 2000, P.________ a encore acquis une partie de la par-
celle n° 457 qui a été rattachée à sa parcelle n° 5953.

B.- La parcelle n° 5953 est accessible par le sud.
L'accès gravit la pente qui s'étend de la route cantonale de
Vex à la parcelle n° 5953, empruntant les servitudes de pas-
sage constituées sur les parcelles nos 451 et 5954. Une
route
goudronnée de 3 mètres de large permet d'atteindre le garage
construit sur la parcelle n° 5954 à l'usage de la parcelle

5953. Pour atteindre l'habitation de P.________, laquelle
est
implantée au sommet d'une assez forte pente, il faut emprun-
ter l'escalier de 46 marches qui fait d'abord l'objet d'une

servitude de passage à pied sur la parcelle n° 5954 et se
poursuit sur la parcelle n° 5953, puis suivre un sentier en
lacets jusqu'à l'entrée de l'habitation, située à une alti-
tude supérieure de 12 à 13 mètres à celle du garage.

Il est aussi possible techniquement d'accéder à la
parcelle n° 5953 par le nord, à partir de la route publique
communale de X.________ puis en empruntant la servitude de
passage constituée sur la parcelle n° 444. Cela suppose tou-
tefois ensuite de traverser la parcelle n° 462 - copropriété
à parts égales de A.________, B.________ et C.________ -
pour
atteindre la parcelle n° 446, propriété de P.________ et
attenante à sa parcelle n° 5953. En effet, quoique la par-
celle n° 446 bénéficie d'une servitude de passage sur la par-
celle n° 444, les deux parcelles sont séparées par une colli-
ne, en zone protégée, et l'aménagement d'un accès direct
entre ces deux parcelles entraînerait une telle saignée dans
la colline protégée qu'il est impensable de réaliser un
passage dans cette zone.

C.- Au mois de septembre 1997, P.________ a solli-
cité de A.________ l'autorisation d'aménager une route sur
la
parcelle n° 462 pour accéder à ses parcelles nos 446 et
5953.
A.________ n'a pas refusé son accord mais a réservé celui
des
deux autres propriétaires, lequel n'a jamais été donné. Pré-
tendant toutefois avoir obtenu oralement l'autorisation re-
quise, P.________ a adressé une demande de construire à la
commune de Z.________; dès qu'il a appris que sa demande
n'avait pas soulevé d'opposition, et sans attendre la
réponse
de la commune, il a fait aménager l'accès, dont l'emprise
sur
la parcelle n° 462 est d'environ 70 m².

Cet accès est situé pour 40 m² en zone protégée et
pour 180 m² en zone réservée. Selon l'art. 85 du règlement
communal des constructions (RCC), les zones réservés à des
équipements d'intérêt général ont pour but de préserver les

possibilités d'un développement ultérieur; les constructions
privées y sont interdites. Selon l'art. 82 RCC, les construc-
tions sont interdites en zone protégée, sous réserve de l'en-
tretien et de l'agrandissement d'exploitations agricoles
existantes.

Contestant avoir donné un quelconque accord, les
copropriétaires de la parcelle n° 462 ont vivement réagi à
la
construction par lettre du 22 octobre 1997, sommant
P.________ de remettre les lieux en état dans le délai d'un
mois. Les tentatives de trouver un accord n'ont pas abouti.
Le 3 août 1998, P.________ a informé les copropriétaires de
la parcelle n° 462 qu'il allait tenter d'obtenir un droit de
passage nécessaire.

D.- Le 20 octobre 1998, P.________ a sollicité de la
commune de Z.________ l'autorisation de construire un garage
sur sa parcelle n° 446. Les copropriétaires de la parcelle

462 ont fait opposition à cette construction. Le 18 janvier
1999, la commune a répondu au requérant que la construction
était projetée dans une zone réservée selon l'art. 85 RCC à
des équipements d'intérêt général, où les constructions pri-
vées étaient en principe interdites; une dérogation à titre
provisoire et à bien plaire pouvait éventuellement être ac-
cordée, mais l'installation du garage ne saurait en aucun
cas
acquérir le caractère d'une construction fixe et définitive;
enfin, aucune suite ne serait donnée à la requête tant que
le
problème de l'accès n'aurait pas été réglé.

E.- Le 3 octobre 1998, A.________, B.________ et
C.________ ont ouvert action contre P.________, en concluant
à la suppression de la route construite sans droit sur leur
parcelle n° 462. Le défendeur a conclu au rejet de la
demande
et, à titre reconventionnel, à l'octroi d'un passage néces-
saire, à pied et pour tous véhicules, grevant la parcelle n°
462 en faveur de ses parcelles nos 446 et 5953, moyennant le
versement d'une indemnité de 3'500 fr., subsidiairement de
6'200 fr. Les demandeurs ont conclu au rejet de la demande
reconventionnelle.

Par jugement du 19 novembre 2001, la première Cour
civile du Tribunal cantonal du canton du Valais a admis la
demande principale et rejeté la demande reconventionnelle,
les frais et dépens étant mis à la charge du défendeur.

F.- Contre ce jugement, le défendeur exerce un
recours en réforme au Tribunal fédéral. Il conclut avec
suite
de frais et dépens à la réforme du jugement attaqué dans le
sens du rejet de la demande principale et de l'admission de
la demande reconventionnelle; subsidiairement, il conclut à
l'annulation du jugement attaqué et au renvoi de la cause à
l'autorité cantonale pour complètement de l'état de fait
et nouveau jugement. Les intimés concluent avec suite de
frais et dépens au rejet du recours dans la mesure où il est
recevable.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le jugement attaqué tranche une contestation
civile portant sur des droits de nature pécuniaire (cf. ATF
92 II 62; 80 II 311 consid. 1; 60 I 235) dont la valeur dé-
passe largement 8'000 fr., ainsi que la cour cantonale l'a
constaté, conformément à l'art. 51 al. 1 let. a OJ, au consi-
dérant 5b de sa décision; il constitue une décision finale
prise par le tribunal suprême du canton du Valais et qui ne
peut pas être l'objet d'un recours ordinaire de droit canto-
nal (art. 23 al. 1 CPC/VS). Le recours en réforme, interjeté
en temps utile, est donc recevable au regard des art. 46, 48
al. 1 et 54 al. 1 OJ.

2.- Après avoir rappelé les critères posés par la
jurisprudence du Tribunal fédéral pour apprécier si un pro-
priétaire avait ou non une issue insuffisante sur la voie
publique au sens de l'art. 694 al. 1 CC (jugement attaqué,
consid. 6a p. 9/10), la cour cantonale a considéré que le
défendeur disposait d'une issue suffisante, pour les motifs
suivants (jugement attaqué, consid. 6b et c p. 10/11):

«b) En l'espèce, l'habitation du défendeur est
érigée sur la parcelle n° 5953, au sommet d'une
assez forte pente. Ainsi faut-il, après avoir at-
teint le bas de la parcelle, s'élever encore d'une
douzaine de mètres en empruntant un escalier de 46
marches, puis un sentier. Les servitudes dont béné-
ficie l'immeuble permettent toutefois au défendeur
d'atteindre en véhicule un garage, dont il a la
jouissance et qui est sis en limite de sa parcelle.
Compte tenu de la configuration des lieux, cet
accès exclut la condition d'issue insuffisante.
Certes, cette configuration rend-elle quelque peu
difficile le déplacement du bord de la parcelle à
la porte de l'habitation puisqu'elle impose, à
défaut d'autres aménagements que le défendeur pour-
rait probablement réaliser (ascenseur, monorail),
d'emprunter un escalier de 46 marches, puis un
sentier. Elle ne permet toutefois pas de qualifier
l'issue d'insuffisante, pour ce seul motif, un
passage nécessaire ne pouvant être octroyé à seule
fin de rendre plus commode un passage existant. En
outre, le surcroît de difficulté qu'engendre un
escalier de 46 marches est tout à fait tolérable,
la situation pouvant être comparée à celle des
utilisateurs d'appartements dans des immeubles de
plusieurs étages non équipés d'ascenseur. Dès lors,
à défaut d'issue insuffisante sur la voie publique,
les conditions pour l'octroi d'un passage nécessai-
re en faveur de la parcelle n° 5953 ne sont pas
données.

c) L'octroi d'un passage en faveur de la par-
celle n° 446 se heurte à des obstacles de droit
public. Située partiellement en zone réservée et
partiellement en zone protégée de la commune de
Z.________, la parcelle n'est en effet pas cons-
tructible, le RCC interdisant toute construction en
zone protégée et des constructions à caractère pri-
vé en zone réservée. Le garage projeté par le dé-
fendeur, principalement en appui de sa demande d'un
passage nécessaire, ne pourrait donc être construit
qu'en violation du règlement communal. N'étant pas

destinée à la construction, la parcelle n° 446 n'a
pas à disposer d'un accès carrossable, ce qui
exclut déjà l'octroi d'un passage nécessaire.

Même si l'on devait admettre une dérogation,
comme semble vouloir le faire, à certaines condi-
tions, la commune de Z.________, l'autorisation de
construire ne pourrait être que provisoire, comme
elle l'a écrit dans sa lettre du 18 janvier 1999.
Le critère de nécessité exigé par l'art. 694 CC
n'est pas encore réalisé par la possibilité, plus
qu'aléatoire d'ailleurs vu l'opposition des deman-
deurs, de construire provisoirement un garage.»

3.- Le défendeur reproche en premier lieu à la cour
cantonale d'avoir violé l'art. 694 al. 1 CC en appliquant
mal
les principes dégagés par la jurisprudence et la doctrine
pour définir la notion d'issue insuffisante sur la voie pu-
blique en ce qui concerne la maison sise sur la parcelle n°
5953.

a) Aux termes de l'art. 694 al. 1 CC, le proprié-
taire qui n'a qu'une issue insuffisante sur la voie publique
peut exiger de ses voisins qu'ils lui cèdent le passage né-
cessaire, moyennant pleine indemnité. La jurisprudence s'est
montrée stricte dans l'application de cette disposition, en
raison de la gravité de l'atteinte portée en pareil cas à la
propriété du voisin. Le droit au passage nécessaire ne peut
être invoqué qu'en cas de véritable nécessité; il n'y a né-
cessité que si une utilisation ou une exploitation conforme
à
la destination du fonds exige un accès à la voie publique et
que cet accès soit fait totalement défaut, soit ne
correspond
pas aux besoins actuels (ATF 120 II 185 consid. 2a; 117 II
35
consid. 2; 110 II 126 consid. 4; 105 II 178 consid. 3b; Stei-
nauer, Les droits réels, t. II, 2e éd. 1994, n. 1863 s.;
Meier-Hayoz, Berner Kommentar, Band IV/1/3, 1975, n. 44 ss
ad
art. 694 CC; Liver, Das Eigentum, Schweizerisches Privat-
recht, Band V/1, 1977, p. 268 s.; Haab/Scherrer, Zürcher Kom-
mentar, Band IV/1, 1953/1977, n. 16 ss ad art. 694-696 CC;

Caroni-Rudolf, Der Notweg, thèse Berne 1969, p. 55 ss). La
simple opportunité d'améliorer une voie d'accès existante,
mais qui n'est pas absolument satisfaisante, ne fonde pas le
droit au passage nécessaire (ATF 105 II 178 consid. 3b; 85
II
392 consid. 1b; 80 II 311 consid. 2 p. 317 et les références
citées), pas plus que la simple commodité personnelle du
propriétaire (ATF 84 II 614 consid. 3 p. 691/620; 93 II 167
consid. 2). A l'intérieur des localités, l'accès à une mai-
son, même de vacances, n'est suffisant que s'il permet de
s'y
rendre toute l'année avec un véhicule motorisé (ATF 107 II
323 consid. 2; 101 II 317 consid. 3; 93 II 167 consid. 2).

b) Dans deux arrêts publiés déjà anciens, le Tribu-
nal fédéral a évoqué, sous l'angle du passage nécessaire au
sens de l'art. 694 CC, le problème des maisons bâties sur
des
terrains en pente et auxquelles on ne pouvait accéder qu'en
empruntant un escalier.

À l'ATF 85 II 392, il s'agissait d'une propriétaire
qui entendait construire sur un terrain de sa propriété,
dont
la pente variait entre 40% et 50%, deux maisons contiguës
dans la partie inférieure, cinq maisons unifamiliales dans
la
partie médiane et une maison unifamiliale dans la partie
supérieure; les parties inférieure et médiane du terrain
jouxtaient une voie publique, tandis que la propriétaire
sollicitait un passage nécessaire pour la maison projetée

sur
la partie supérieure du terrain (lettres A et B p. 393/394).
Le Tribunal fédéral a rappelé qu'en raison de la gravité de
l'atteinte qu'il portait à la propriété du voisin, le droit
au passage nécessaire ne pouvait être invoqué qu'en cas de
véritable nécessité. Il incombait dès lors au propriétaire
qui entendait mettre en valeur un terrain non encore cons-
truit d'adapter ses projets de construction à la topographie
de son terrain, même si cela devait impliquer en l'espèce de
renoncer à la construction d'une maison unifamiliale sur la
partie supérieure du terrain (consid. 1b p. 398). Au demeu-

rant, il n'était pas nécessaire de pouvoir se rendre en voi-
ture jusque devant la porte de la maison. Il existait d'ail-
leurs en de nombreux endroits en Suisse des maisons érigées
sur des terrains escarpés auxquelles on ne pouvait accéder
que par des escaliers; bien conçus, de tels accès pouvaient
être considérés comme suffisants sous l'angle du droit privé
(consid. 2).

À l'ATF 93 II 167, cité par l'autorité cantonale
(jugement attaqué, consid. 6a in fine), le Tribunal fédéral
a
rappelé dans un obiter dictum que dans le cas des maisons
bâties sur des terrains en pente, auxquelles on ne pouvait
souvent accéder qu'en empruntant de longs escaliers, c'était
généralement l'état des lieux qui empêchait l'établissement
d'un accès suffisant, alors même que les autres conditions
de
l'octroi d'un passage nécessaire seraient réalisées. Au de-
meurant, même dans des terrains en pente, il était générale-
ment possible de construire une route au moins jusqu'à la
limite de la parcelle, au pied de la pente; il n'était pas
nécessaire de pouvoir se rendre en voiture jusque devant la
porte de la maison (consid. 2 p. 169).

c) Dans un arrêt 5C.255/1999 rendu le 27 juin 2000
en séance publique à cinq juges (art. 15 al. 2 OJ), le Tribu-
nal fédéral s'est penché concrètement sur le cas d'un accès
à
une maison unifamiliale érigée sur un terrain en pente. L'ac-
cès à cette maison s'exerçait, depuis une voie publique si-
tuée à une altitude inférieure de 12 mètres, par un chemin
d'une longueur d'environ 50 mètres, d'une largeur de 80 cen-
timètres et comportant quelque 40 marches d'escalier,
inscrit
comme servitude de passage à pied sur deux parcelles sises
au
nord du fonds dominant. Le Tribunal fédéral a considéré
qu'un
tel chemin, qui pouvait difficilement être utilisé par des
personnes âgées ou handicapées, ne pouvait être emprunté ni
par des poussettes ou des chaises roulantes, ni par des voi-
tures à bras pour le transport de biens, et qu'il n'était
pas

possible de transformer en un chemin carrossable, n'offrait
pas un accès suffisant au regard de l'utilisation du fonds.
L'intérêt du demandeur à obtenir un droit de passage néces-
saire sur la parcelle sise au sud de la sienne ne reposait
ainsi pas sur sa simple commodité personnelle, et il ne s'a-
gissait pas davantage d'améliorer une voie d'accès existante
mais pas totalement satisfaisante (arrêt précité, consid.
3c/aa).

C'est dans un contexte tout à fait particulier que
la jurisprudence antérieure avait exposé qu'un accès à une
maison érigée sur un terrain escarpé qui s'exerçait par des
escaliers bien conçus pouvait être considéré comme suffisant
sous l'angle du droit privé (arrêt précité, consid. 3c/bb).
Au reste, la question de savoir dans un cas particulier s'il
y avait nécessité au regard de l'art. 694 al. 1 CC ne
pouvait
dépendre du fait que de nombreux immeubles d'habitation en
Suisse étaient desservis par un accès similaire ou même plus
défavorable. D'une part, en effet, ce n'était pas cet état
de
fait qui constituait le critère d'appréciation dans chaque
cas concret, et d'autre part, il pouvait aussi bien être dû
au fait qu'un meilleur accès ne pouvait simplement pas être
réalisé du point de vue technique ou que le propriétaire
concerné n'avait pas cherché à l'obtenir par la voie judi-
ciaire (arrêt précité, consid. 3c/cc).

d) En l'espèce, il est constant que le seul moyen
d'accéder à l'habitation du défendeur, implantée au sommet
d'une assez forte pente, est d'emprunter un escalier de 46
marches - dont la partie inférieure fait l'objet d'une servi-
tude de passage à pied sur la parcelle n° 5954 - puis de
suivre un sentier en lacets jusqu'à l'entrée de
l'habitation,
située quelque 12 ou 13 mètres plus haut que le pied de l'es-
calier. Les photographies versées au dossier confirment que
cet escalier peut difficilement être emprunté par des person-
nes âgées ou handicapées, qu'il exclut l'utilisation de chai-

ses roulantes, de poussettes et de voitures à bras, et qu'il
rend excessivement difficile, sinon impossible, la livraison
d'objets lourds et encombrants tels que gros meubles, la-
ve-linge, chauffe-eau, matériaux de construction. Un tel
accès ne correspond ainsi manifestement pas aux besoins ac-
tuels d'une maison d'habitation (cf. consid. 3c supra). Au
surplus, rien dans les constatations de la cour cantonale -
ni même dans le dossier - ne permet de penser que cet accès
pourrait être transformé en un accès suffisant, moyennant
par
exemple la construction d'un ascenseur ou d'un monorail,
sans
frais disproportionnés (cf. Meier-Hayoz, op. cit., n. 47 ad
art. 694 CC; Caroni-Rudolf, op. cit., p. 69); une telle
transformation ne pourrait d'ailleurs pas être réalisée dans
le cadre de la servitude de passage à pied grevant la parcel-
le n° 5954 (cf. Caroni-Rudolf, op. cit., p. 69).

e) Il convient encore de relever que contrairement à
ce qu'affirme l'autorité cantonale (jugement attaqué,
consid.
6b; cf. consid. 2 supra), la prétention du défendeur tendant
à l'octroi d'un passage nécessaire pour sa parcelle n° 5953
n'a pas pour seule fin de rendre plus commode un passage
existant. Il ne s'agit pas d'améliorer l'accès sud-ouest
existant, lequel est insuffisant au sens de l'art. 694 al. 1
CC et n'est raisonnablement pas susceptible d'être amélioré
pour permettre une utilisation conforme à la destination du
fonds du défendeur, mais d'aménager un nouvel accès au nord-
est qui soit conforme aux besoins actuels de la maison sise
sur ce bien-fonds. Quant à l'argument des juges cantonaux
selon lequel le surcroît de difficulté qu'engendre un esca-
lier de 46 marches serait tout à fait tolérable dès lors que
la situation pourrait être comparée à celle des utilisateurs
d'appartements dans des immeubles de plusieurs étages non
équipés d'ascenseur (jugement attaqué, consid. 6b; cf. con-
sid. 2 supra), il est absolument dénué de pertinence. Il ne
s'agit pas de comparer la situation de deux utilisateurs de
logements dans des environnements de droit et de fait si

dissemblables qu'ils ne permettent aucune comparaison, mais
de déterminer, au regard de toutes les circonstances du cas
particulier (cf. Caroni-Rudolf, op. cit., p. 65), si un pro-
priétaire foncier a ou non une issue insuffisante sur la
voie
publique et s'il peut dès lors exiger d'un propriétaire voi-
sin qu'il lui cède le passage nécessaire, moyennant pleine
indemnité (art. 694 al. 1 CC).

f) Il résulte de ce qui précède que la cour cantona-
le a violé le droit fédéral en considérant que le défendeur
disposait pour sa parcelle n° 5953 d'une issue suffisante
sur
la voie publique. Le Tribunal fédéral ne disposant pas de
tous les éléments nécessaires pour statuer lui-même sur le
litige, il y a lieu d'annuler le jugement attaqué et de
renvoyer l'affaire à l'autorité cantonale pour complètement
de l'état de fait et nouvelle décision dans le sens des
considérants (art. 64 al. 1 OJ).

Étant donné les arguments soulevés par les intimés
dans leur réponse au recours en réforme, les juges cantonaux
examineront notamment, après avoir complété au besoin le
dossier (cf. art. 64 al. 1 OJ) dans la mesure où la
procédure
cantonale le permet (cf. art. 66 al. 1 OJ), si la construc-
tion de la route litigieuse réalisée en 1997 (cf. lettre C
supra) a été définitivement autorisée par les autorités com-
pétentes, et si le recourant s'est mis lui-même en situation
de nécessité en renonçant à aménager sa propriété de telle
manière que la maison qu'il y a érigée bénéficie d'un accès
suffisant et en se contentant de l'accès actuel par l'esca-
lier (cf. Liver, op. cit., p. 269/270 et les références ci-
tées).

4.- Il convient encore d'examiner ce qu'il en est du
passage nécessaire réclamé pour la parcelle n° 446.

a) Selon le défendeur, s'il n'est pas nécessaire
d'avoir accès par un chemin carrossable à un bien-fonds qui
n'est pas constructible pour des motifs de droit public, ce
n'est pas parce qu'une autorisation de construire ne peut
être donnée qu'à titre précaire ou provisoire qu'un immeuble
n'est pas constructible. En effet, la prétention au droit de
passage nécessaire peut être donnée même si le droit de
passer est requis pour un temps court; de plus, selon la
doctrine, la création d'une zone réservée n'empêche pas l'oc-
troi d'une autorisation de construire, pour autant que le
projet ne contrevienne pas aux objectifs assignés à sa créa-
tion.

b) Selon la jurisprudence, lorsque, en vertu de
prescriptions de droit public, un bien-fonds ne peut pas,
dans un avenir peu éloigné, être bâti, il n'y a pas
nécessité
d'un accès carrossable (ATF 110 II 125 consid. 4; cf. ATF
120
II 185 consid. 2b; 117 II 35 consid. 2). En l'occurrence, il
est constant que la construction d'un garage ne constitue
pas
une utilisation de la parcelle n° 446 qui soit conforme à la
destination actuelle de ce bien-fonds selon son affectation
à
la zone réservée. Le fait que la commune de Z.________ n'ait
pas exclu d'accorder éventuellement au défendeur, pour la
construction d'un garage, une dérogation à bien plaire et à
titre provisoire à l'interdiction de principe des construc-
tions privées en zone réservée n'y change rien, d'autant
plus
qu'elle a précisé qu'aucune suite ne serait de toute manière
donnée à la requête tant que le problème de l'accès n'aurait
pas été réglé (cf. lettre D supra). Lorsqu'un propriétaire
ne
peut même pas encore prétendre de la collectivité publique à
la desserte de sa parcelle parce que celle-ci n'est pas si-
tuée en zone à bâtir (art. 19 al. 2 LAT), il ne saurait pré-
tendre sur la base du droit privé à un passage nécessaire en
vue d'obtenir de l'autorité une autorisation de bâtir à
titre
précaire sur cette parcelle; cela reviendrait à inverser les
priorités fixées par la jurisprudence (cf. ATF 120 II 185

consid. 2c p. 187/188; 117 II 35 consid. 4b). C'est ainsi en
parfaite conformité avec le droit fédéral que le jugement
attaqué a nié au défendeur le droit au passage nécessaire
sollicité en faveur de sa parcelle n° 446.

5.- En définitive, le recours doit être partielle-
ment admis, le jugement attaqué annulé et l'affaire renvoyée
à l'autorité cantonale pour qu'elle complète l'état de fait
et rende un nouveau jugement dans le sens des considérants
qui précèdent. Le défendeur obtenant gain de cause sur l'es-
sentiel, les frais de justice seront mis pour trois quarts à
la charge des demandeurs, solidairement entre eux (art. 156
al. 7 OJ), et pour un quart à la charge du défendeur (art.
156 al. 3 OJ), qui a droit de la part des demandeurs, soli-
dairement entre eux (art. 159 al. 5 OJ), à des dépens
réduits
(art. 159 al. 3 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours, annule le jugement attaqué et
renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouveau
jugement
dans le sens des considérants.

2. Met un émolument judiciaire de 4'000 fr. pour
trois quarts à la charge solidaire des demandeurs et pour un
quart à la charge du défendeur.

3. Condamne les demandeurs, solidairement entre eux,
à verser au défendeur une indemnité de 3'000 fr. à titre de
dépens réduits.

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la première Cour civile du Tribunal
cantonal du canton du Valais.

__________

Lausanne, le 21 mars 2002
ABR/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.327/2001
Date de la décision : 21/03/2002
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-21;5c.327.2001 ?
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