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21/03/2002 | SUISSE | N°1A.205/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 mars 2002, 1A.205/2001


{T 0/2}
1A.205/2001/svc

Arrêt du 21 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Féraud, Fonjallaz,
greffier Zimmermann.

T.________, recourante, représentée par Me Marc Bonnant, avocat, rue
de
Saint-Victor 12, case postale 473, 1211 Genève 12,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève, Daniel Devaud, case postale
3344,
1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bour

g-de-Four 1,
case
postale 3108, 1211 Genève 3.

entraide judiciaire internationale en matière pénale à la France - B...

{T 0/2}
1A.205/2001/svc

Arrêt du 21 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Féraud, Fonjallaz,
greffier Zimmermann.

T.________, recourante, représentée par Me Marc Bonnant, avocat, rue
de
Saint-Victor 12, case postale 473, 1211 Genève 12,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève, Daniel Devaud, case postale
3344,
1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1,
case
postale 3108, 1211 Genève 3.

entraide judiciaire internationale en matière pénale à la France - B
122240
DAP

(recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Chambre
d'accusation du canton de Genève du 31 octobre 2001)

Faits:

A.
Le 28 décembre 2000, le Procureur général de la Cour d'appel de Paris
a
adressé au Procureur général du canton de Genève une demande
d'entraide
judiciaire fondée sur la Convention européenne d'entraide judiciaire
conclue
à Strasbourg le 20 avril 1959 (CEEJ; RS 0.351.1), entrée en vigueur
le 20
mars 1967 pour la Suisse et le 21 août 1967 pour la France, ainsi que
sur
l'accord bilatéral complétant cette Convention (ci-après: l'Accord
complémentaire; RS 0.351.934.92), conclu le 28 octobre 1996, entré en
vigueur
le 1er mai 2000. La demande, datée du 22 décembre 2000, était
présentée pour
les besoins de la procédure conduite par les Juges d'instruction
Philippe
Courroye et Isabelle Prevost-Desprez à l'encontre des ressortissants
français
G.________, A.________, S.________, M.________, E.________,
F.________,
O.________, Z.________, U.________ et R.________. Ces personnes sont
poursuivies notamment pour blanchiment, fraude fiscale, recel, trafic
d'influence et commerce illicite d'armes et complicité dans la
commission de
ces délits. Selon l'exposé des faits joint à la demande, A.________
contrôlerait avec F.________ les sociétés X.________ et B.________,
actives
dans le commerce d'armes provenant d'Europe de l'Est et destinées à
l'Afrique, notamment l'Angola, le Cameroun et le Congo. Il est
reproché à
A.________ et à F.________ d'avoir, par l'entremise de X.________ et
de
B.________, vendu du matériel militaire (soit des blindés, des armes
d'infanterie, des pièces d'artillerie et des munitions), pour un
montant
total de 463'000'000 USD, à l'Angola, sans disposer de l'autorisation
ministérielle nécessaire pour cette activité, ni procédé à la tenue
des
registres prévus à cet effet. Ces agissements tomberaient sous le
coup de
l'art. 24 du décret-loi du 18 avril 1939 et de l'art. 16 du décret du
6 mai
1995. En outre, A.________ et F.________ sont soupçonnés d'avoir
détourné, à
des fins personnelles, des montants de 78'400'000 USD et 68'700'000
USD au
détriment de X.________ et de B.________. Ces faits constitueraient
des abus
de biens sociaux et des abus de confiance. Une partie des sommes
détournées
aurait servi au financement de campagnes électorales, constituant des
abus de
biens sociaux, des abus de confiance, du trafic d'influence et du
recel.
X.________ et B.________ n'auraient pas produit de déclaration
fiscale depuis
1995, alors qu'elles avaient exercé une activité lucrative
importante. Enfin,
A.________ et F.________ auraient, sous le couvert de X.________ et de
B.________, blanchi le produit des délits commis. Quant à R.________,
il est
poursuivi pour recel d'abus de biens sociaux, abus de confiance,
trafic
d'influence et complicité de trafic d'armes illicites, notamment pour
avoir
reçu, sur un compte bancaire ouvert auprès de la banque N.________ à
Genève,
des fonds provenant de A.________ et de F.________. La demande
tendait à
l'identification des comptes détenus ou contrôlés par R.________ ou
les
sociétés W.________ et K.________ à Genève, à la remise de la
documentation
relative à ces comptes, ainsi qu'à un compte ouvert auprès de
N.________.
La demande tendait aussi
à l'audition des personnes gérant ces comptes. A la demande était
joint le
texte des dispositions applicables du droit pénal français et du Code
général
des impôts.

Le 26 décembre 2000, le Juge d'instruction du canton de Genève a
ouvert la
procédure d'entraide, désignée sous la rubrique CP/414/2000, en
rendant une
décision d'entrée en matière au sens de l'art. 80e de la loi fédérale
sur
l'entraide internationale en matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP; RS
351.1), valant également comme ordonnance de perquisition et de
saisie au
sens des art. 178 ss CPP gen. Le Juge d'instruction a considéré qu'à
première
vue, les faits relatés dans la demande pourraient être assimilés, en
droit
suisse, à des faux dans les titres, abus de confiance et infraction à
la loi
fédérale sur le matériel de guerre, du 13 décembre 1996 (LFMG; RS
514.51) et
ne constitueraient pas un délit fiscal.

B.
En décembre 2000 et en janvier 2001, l'Office fédéral de la justice
(ci-après: l'Office fédéral) a communiqué au Procureur général du
canton de
Genève des communications au sens de l'art. 10 LBA, concernant
F.________ et
B.________. Parmi ces communications, la banque Y.________ à Zurich a
informé
les autorités fédérales qu'un compte avait été ouvert auprès d'elle
au nom
d'une société T.________, dont U.________ était l'ayant droit. Ce
compte
avait été approvisionné par des fonds virés par F.________.

Sur la base de ces informations, le Procureur général a ouvert une
information pénale confiée au Juge d'instruction chargé de la
procédure
CP/414/2000. Dans le cadre de cette procédure, désignée sous la
rubrique
P/16972/2000, le Juge d'instruction a ordonné la saisie du compte n°
YYY.________ ouvert auprès de la banque Y.________, dont T.________
est la
titulaire et U.________ l'ayant droit économique, ainsi que de la
documentation relative aux opérations effectuées entre 1995 et 2000,
dont il
ressort notamment que ce compte a été approvisionné par F.________ le
28
avril 1997, pour un montant de 213'000 FRF, le 28 mai 1997, pour un
montant
de 240'000 FRF, le 31 juillet 1997, pour un montant de 240'000 FRF,
le 9
octobre 1997, pour un montant de 260'000 FRF et le 5 novembre 1997,
pour un
montant de 230'00 FRF.

Le 21 décembre 2000, les Juges Courroye et Prevost-Desprez ont
prononcé la
mise en examen (correspondant à une inculpation) de U.________ des
chefs de
recel d'abus de biens sociaux, de recel d'abus de confiance et de
trafic
d'influence.

C.
Le Juge Courroye a complété la demande du 22 décembre 2000 les 2, 4
et 17
janvier 2001. Le complément du 2 janvier 2001 tendait à
l'identification de
tous les comptes détenus ou contrôlés par R.________, F.________,
A.________,
B.________, X.________, ainsi que par des tiers, à la remise de la
documentation relative à ces comptes, au blocage de ceux-ci, à la
transmission de tous les renseignements utiles permettant d'établir le
cheminement des fonds, ainsi qu'à l'audition des gérants de ces
comptes. Le
complément du 4 janvier 2001 portait sur l'extension des mesures
requises à
tout le territoire suisse. Le complément du 17 janvier portait sur
l'extension des mesures requises aux comptes détenus ou contrôlés par
les
prévenus et des tiers.

Le 19 février 2001, le Juge d'instruction a rendu une décision
d'entrée en
matière, portant sur la saisie, pour le besoin de la procédure
d'entraide
CP/414/2000, de la documentation relative au compte n° YYY.________
déjà
saisie dans le cadre de la procédure P/16972/2000.

Le 1er mars 2001, T.________ a recouru auprès de la Chambre
d'accusation du
canton de Genève contre cette décision.

Le 11 juillet 2001, le Juge d'instruction a rendu une décision de
clôture
partielle de la procédure d'entraide. Après avoir considéré que la
demande
complémentaire du 17 janvier 2001 était suffisamment motivée, que les
faits
pourraient être assimilés, en droit suisse, au blanchiment d'argent,
à l'abus
de confiance, à la gestion déloyale et à l'infraction à l'art. 33
LFMG et
rappelé le principe de la spécialité, le Juge d'instruction a ordonné
la
transmission de l'intégralité de la documentation relative au compte

YYY.________.

T. ________ a recouru auprès de la Chambre d'accusation contre cette
décision, le 9 août 2001.

Le 4 septembre 2001, le Juge d'instruction a joint à la procédure
CP/414/2000
le procès-verbal de l'audience du 21 décembre 2000, à l'issue de
laquelle les
Juges Courroye et Prevost-Desprez avaient mis U.________ en examen.

Interpellé à ce sujet par le mandataire de T.________, le Juge
d'instruction
a précisé que le Juge Courroye lui avait transmis ce document le 4
septembre
2001 par télécopie, à sa demande téléphonique.

Le 31 octobre 2001, la Chambre d'accusation a rejeté les recours
dirigés
contre les décisions des 19 février et 11 juillet 2001, en précisant
toutefois que le dispositif de cette dernière devait être complété
par le
rappel du principe de la spécialité.

D.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, T.________
demande
préalablement au Tribunal fédéral d'écarter de la procédure le
procès-verbal
de l'audition du 21 décembre 2000. A titre principal, elle conclut à
l'annulation des décisions des 31 octobre 2001, 19 février et 11
juillet
2000, de sorte qu'aucun document relatif au compte n° YYY.________ ne
soit
transmis à l'Etat requérant. A titre subsidiaire, elle requiert que
ne soient
transmis que les documents d'ouverture du compte et ceux relatifs aux
virements des 28 avril, 28 mai, 31 juillet, 9 octobre et 5 novembre
1997.
Elle invoque les art. 28, 64 et 67a EIMP.

La Chambre d'accusation se réfère à sa décision. Le Juge
d'instruction et
l'Office fédéral proposent le rejet du recours.

Invitée à répliquer, la recourante a maintenu ses conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.

1.1 L'entraide entre la République française et la Confédération est
régie
par la CEEJ et l'Accord complémentaire. Peuvent aussi trouver à
s'appliquer
les normes régissant la coopération internationale contenues dans la
Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la
confiscation du produit du crime, conclue à Strasbourg le 8 novembre
1990,
entrée en vigueur le 11 septembre 1993 pour la Suisse et le 1er
février 1997
pour la France (CBl; RS 0.311.53). Les dispositions de ces instruments
internationaux l'emportent sur le droit autonome qui régit la
matière, soit
l'EIMP et son ordonnance d'exécution (OEIMP; RS 351.11). Celles-ci
restent
toutefois applicables aux questions non réglées, explicitement ou
implicitement, par le droit conventionnel, et lorsque cette loi est
plus
favorable à l'entraide que la Convention (ATF 123 II 134 consid. 1a
p. 136;
122 II 140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189
consid. 2a
p. 191/192; 118 Ib 269 consid. 1a p. 271, et les arrêts cités). Est
réservée
l'exigence du respect des droits fondamentaux (ATF 123 II 595 consid.
7c p.
617).

1.2 La voie du recours de droit administratif est ouverte contre la
décision
confirmant la transmission de la documentation bancaire à l'Etat
requérant et
la saisie de comptes bancaires (cf. art. 25 al. 1 EIMP). Elle est
aussi
ouverte, simultanément avec le recours dirigé contre la décision de
clôture
(art. 80d EIMP), contre les décisions incidentes antérieures (art.
80e EIMP).

1.3 Les conclusions qui vont au-delà de l'annulation de la décision
sont
recevables (art. 25 al. 6 EIMP; art. 114 OJ; ATF 122 II 373 consid.
1c p.
375; 118 Ib 269 consid. 2e p. 275; 117 Ib 51 consid. 1b p. 56, et les
arrêts
cités). Le Tribunal fédéral examine librement si les conditions pour
accorder
l'entraide sont remplies et dans quelle mesure la coopération
internationale
doit être prêtée (ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 118 Ib 269
consid. 2e
p. 275). Il statue avec une cognition libre sur les griefs soulevés,
sans
être toutefois tenu, comme le serait une autorité de surveillance, de
vérifier d'office la conformité de la décision attaquée à l'ensemble
des
dispositions applicables en la matière (ATF 123 II 134 consid. 1d p.
136/137;
119 Ib 56 consid. 1d p. 59). L'autorité suisse saisie d'une requête
d'entraide en matière pénale n'a pas à se prononcer sur la réalité
des faits
évoqués dans la demande; elle ne peut que déterminer si, tels qu'ils
sont
présentés, ils constituent une infraction. Cette autorité ne peut
s'écarter
des faits décrits par l'Etat requérant qu'en cas d'erreurs, lacunes ou
contradictions évidentes et immédiatement établies (ATF 126 II 495
consid.
5e/aa p. 501; 118 Ib 111 consid. 5b p. 121/122; 117 Ib 64 consid. 5c
p. 88,
et les arrêts cités). Lorsque, comme en l'espèce, la décision
attaquée émane
d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral est lié par les faits
constatés dans la décision, sauf s'ils sont manifestement inexacts ou
incomplets ou s'ils ont été établis au mépris des règles essentielles
de la
procédure (art. 105 al. 2 OJ; ATF 123 II 134 consid. 1e p. 137; 113
Ib 257
consid. 3d p. 266; 112 Ib 576 consid. 3 p. 585).

2.
Selon la recourante, il serait impossible, sur la base de la demande,
de
déterminer en quoi elle-même et son ayant droit seraient impliqués
dans la
procédure pénale ouverte en France. Elle se plaint, à cet égard, d'une
violation de l'art. 28 EIMP.

2.1 La demande d'entraide doit indiquer: l'organe dont elle émane et
le cas
échéant,
l'autorité pénale compétente (art. 14 al. 1 let. a CEEJ et
28 al. 2
let. a EIMP); son objet et ses motifs (art. 14 al. 1 let. b CEEJ et
28 al. 2
let. b EIMP); la qualification juridique des faits (art. 14 al. 2
CEEJ et 28
al. 2 let. c EIMP); la désignation aussi précise et complète que
possible de
la personne poursuivie (art. 14 al. 1 let. c CEEJ et 28 al. 2 let. d
EIMP).
Les indications fournies à ce titre doivent simplement suffire pour
vérifier
que la demande n'est pas d'emblée inadmissible (ATF 116 Ib 96 consid.
3a p.
101; 115 Ib 68 consid. 3b/aa p. 77). Lorsque la demande tend, comme en
l'espèce, à la remise de documents bancaires, l'Etat requérant ne
peut se
borner à communiquer une liste des personnes recherchées et des
sommes qui
auraient été détournées; il lui faut joindre à la demande des éléments
permettant de déterminer, de manière minimale, que les comptes en
question
auraient été utilisés dans le déroulement des opérations délictueuses
poursuivies dans l'Etat requérant (arrêt 1A.211/1992 du 29 juin 1993).

2.2 La demande du 22 décembre 2000 et le complément du 17 janvier
2001
mentionnent U.________ parmi les personnes mises en examen dans le
cadre de
la procédure à l'origine de la demande d'entraide, en précisant qu'il
se
trouve sous contrôle judiciaire depuis le 22 décembre 2000. Pour le
surplus,
ni la demande, ni ses compléments, ne contiennent la moindre
indication quant
au rôle joué par U.________dans l'affaire. Si cette omission était
sans
conséquence pour ce qui concerne la demande et ses compléments des 2
et 4
janvier 2001, qui ne portaient pas sur des mesures à prendre à
l'égard de
U.________, il n'en allait pas de même s'agissant du complément du 17
janvier
2001, en exécution duquel les mesures litigieuses ont été prises.
Conscient
de ce défaut, le Juge d'instruction a, après le prononcé de ces
décisions des
19 février et 11 juillet 2001, mais avant celui de la décision
attaquée,
demandé téléphoniquement au Juge Courroye de lui faire parvenir une
copie du
procès-verbal de l'audition d'inculpation de U.________. Le magistrat
français a transmis par télécopie ce document, au sujet duquel la
recourante
a pu s'exprimer avant que la Chambre d'accusation ne statue. La
recourante
s'insurge contre ce procédé, qu'elle tient pour un détournement de
procédure.

Lorsque l'autorité d'exécution constate que la demande, sans être
pour autant
irrecevable, présente des lacunes, elle doit inviter l'autorité
étrangère à
remédier à ces vices formels (art. 28 al. 6 EIMP). C'est précisément
ce qu'a
fait le Juge d'instruction en demandant à l'autorité française de lui
communiquer les documents permettant d'éclaircir la part prise par
U.________
comme protagoniste de l'affaire pour les besoins de laquelle
l'entraide a été
demandée. Le procès-verbal de l'audition du 21 décembre 2000 contient
à cet
égard des indications suffisantes pour considérer qu'ainsi complétée,
la
demande du 22 décembre 2000 et son complément du 17 janvier 2001
satisfont,
pour ce qui concerne la recourante et son ayant droit, aux exigences
des art.
14 CEEJ et 28 EIMP. En effet, U.________, tout en niant détenir des
comptes
bancaires en Suisse, a reconnu devant le Juge Courroye connaître
personnellement A.________ et F.________, et avoir reçu de ce dernier
des
montants très importants, correspondant, selon U.________, à la
rémunération
de services de conseil dans des affaires sans aucun rapport avec
X.________
et B.________. Les modalités de cette collaboration étaient pour le
moins
insolites: l'engagement de U.________ n'a fait l'objet d'aucun
contrat; sa
rémunération, très importante, s'est faite de la main à la main et par
petites coupures. Quant à la documentation remise par la banque
Y.________,
elle confirme que U.________, contrairement à ce qu'il a affirmé au
juge
français, contrôlait en Suisse un compte bancaire approvisionné par
F.________. Ces indications étaient nécessaires à la compréhension de
la
demande du 22 décembre 2000 et de son complément du 17 janvier 2001.
Il était
du devoir du Juge d'instruction de les requérir.

On ne saurait, avec la recourante, prétendre qu'interpeller l'autorité
étrangère pour qu'elle complète la demande sur un point précis
équivaudrait à
la présentation d'une demande suisse à l'étranger. De même, la Chambre
d'accusation ne pouvait en l'occurrence considérer que le Juge
d'instruction
avait procédé à une transmission spontanée au sens de l'art. 67a
EIMP, dont
les conditions, tant formelles que matérielles, ne sont manifestement
pas
remplies (cf. ATF 125 II 238). Dans sa réponse du 31 décembre 2001,
le Juge
d'instruction a au demeurant expressément indiqué ne pas avoir agi en
application de l'art. 67a EIMP. Cela étant, la voie consistant à
inviter
directement par téléphone le juge étranger à compléter l'état de fait
de la
demande constituait une démarche inadéquate. Il aurait fallu
présenter une
demande écrite au Procureur général de la Cour d'appel de Paris (cf.
art. XIV
de l'Accord complémentaire), quitte à utiliser le moyen de la
télécopie que
prévoit l'art. 25 al. 1 CBl, disposition applicable à un cas où,
comme en
l'espèce, l'ayant droit d'une personne morale est soupçonné de
blanchiment du
produit des délits commis par des tiers. Ce mode de faire aurait
aussi pu
éviter à la recourante toutes les suppositions qu'elle fait à propos
de la
teneur de la conversation téléphonique entre les Juges Devaud et
Courroye et
de la tenue d'un dossier parallèle et secret.

Le défaut affectant la communication de l'autorité d'exécution à
l'autorité
étrangère ne conduit pas à l'admission du recours sur ce point. Faire
répéter
correctement un acte nécessaire mais accompli irrégulièrement
constituerait
en l'occurrence une mesure vide de sens - puisque le contenu du
procès-verbal
de l'audition du 21 décembre 2000 est connu - de nature à prolonger
inutilement la procédure d'entraide, en violation du principe de
célérité
ancré à l'art. 17a al. 1 EIMP.

Le grief tiré de l'art. 28 EIMP doit ainsi être écarté et la
conclusion
préalable du recours rejetée.

3.
La recourante prétend que la condition de la double incrimination ne
serait
pas réalisée, tant pour elle-même et son ayant droit que pour
F.________.

3.1 La remise de documents bancaires est une mesure de contrainte au
sens de
l'art. 63 al. 2 let. c et d EIMP, qui ne peut être ordonnée, selon
l'art. 64
al. 1 EIMP mis en relation avec la réserve faite par la Suisse à
l'art. 5 al.
1 let. a CEEJ, que si l'état de fait exposé dans la demande
correspond aux
éléments objectifs d'une infraction réprimée par le droit suisse.
L'examen de
la punissabilité selon le droit suisse comprend, par analogie avec
l'art. 35
al. 2 EIMP applicable en matière d'extradition, les éléments
constitutifs
objectifs de l'infraction, à l'exclusion des conditions particulières
du
droit suisse en matière de culpabilité et de répression (ATF 124 II
184
consid. 4b p. 186-188; 122 II 422 consid. 2a p. 424; 118 Ib 448
consid. 3a p.
451, et les arrêts cités). Il n'est ainsi pas nécessaire que les faits
incriminés revêtent, dans les deux législations concernées, la même
qualification juridique, qu'ils soient soumis aux mêmes conditions de
punissabilité ou passibles de peines équivalentes; il suffit qu'ils
soient
réprimés, dans les deux Etats, comme des délits donnant lieu
ordinairement à
la coopération internationale (ATF 124 II 184 consid. 4b/cc p. 188;
117 Ib
337 consid. 4a p. 342; 112 Ib 225 consid. 3c p. 230 et les arrêts
cités).

3.2 A l'origine de la procédure ouverte dans l'Etat requérant se
trouvent,
selon la demande et ses compléments, les ventes d'armes aux autorités
angolaises, effectuées par A.________ et F.________ par l'entremise de
X.________ et de B.________, sans l'autorisation ministérielle
requise selon
l'art. 2 al. 3 du décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime des
matériels
de guerre, armes et munitions. A.________ et F.________ tomberaient
dès lors
sous le coup de l'art. 24 de ce décret-loi réprimant le commerce
d'armes sans
autorisation d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende
d'un
montant de 30'000 FRF. Commis en Suisse, ces faits seraient passibles
de
l'emprisonnement ou d'une amende d'un montant de 1'000'000 CHF selon
l'art.
33 al. 1 LFMG, mis en relation avec l'art. 9 al. 1 let. b de la même
loi. La
recourante ne conteste pas ce point.

La demande mentionne que A.________ et F.________ auraient détourné,
à des
fins personnelles, des montants très importants appartenant à
B.________ dont
ils sont les dirigeants. Ces faits constitueraient des abus de biens
sociaux
au sens de l'art. 425 de la loi du 24 juillet 1966 qui réprime le
fait, pour
des gérants de sociétés, d'avoir, de mauvaise foi, des biens ou du
crédit de
la société, un usage qu'ils savaient contraire aux intérêts de
celle-ci, à
des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou
entreprise dans
laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement. Serait
aussi
applicable l'art. 314-1 CP fr. définissant l'abus de confiance comme
le
détournement, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien
quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les
rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé. En droit
suisse,
les agissements reprochés à A.________ et à F.________ pourraient être
assimilés à l'abus de confiance (art. 138 CP) ou à la gestion
déloyale (art.
158 CP). Contrairement à ce que soutient la recourante, il ressort de
manière
suffisamment claire de la demande que A.________ et F.________
dirigeaient
effectivement X.________ et B.________ et auraient privé cette
dernière de
montants importants, affectés à l'acquisition de biens mobiliers ou
immobiliers destinés à leur usage personnel.

A. ________ et F.________ sont soupçonnés d'avoir utilisé une partie
des
fonds détournés au détriment de B.________ pour rémunérer des
complices. Ces
faits, réprimés en France comme des abus de biens sociaux et des abus
de
confiance, pourraient, s'ils avaient été commis en Suisse, tomber
sous le
coup de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP ou de l'art. 158 ch. 2 CP.

Selon la demande, une partie des fonds détournés auraient servi au
financement de campagnes pour l'élection du Parlement européen en
1999.
Partant de la prémisse implicite que par ces dons, A.________ et
F.________
cherchaient à obtenir la protection d'autorités politiques, les
magistrats
français ont envisagé l'application de l'art. 433-2 CP fr. Cette
disposition
réprime, comme trafic d'influence, le fait de solliciter ou d'agréer,
directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des
présents ou des avantages quelconques pour abuser de son influence
réelle ou
supposée, en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une
administration
publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre
décision
favorable. Le droit suisse ne connaît pas l'incrimination de trafic
d'influence. Toutefois, tels qu'ils sont décrits dans la demande, les
faits
considérés pourraient être assimilés à de la corruption active au
sens de
l'art. 322ter CP, puisque le but supposé du don électoral aurait été
d'obtenir, en contrepartie, l'impunité pour la violation de la
législation
sur le matériel de guerre.

La demande mentionne aussi le fait que X.________ et B.________
n'auraient
pas déclaré au fisc le produit de leur activité commerciale illicite,
en
violation des prescriptions fiscales. Ces faits ne donnent pas lieu à
la
coopération de la Suisse, puisque le Juge d'instruction et la Chambre
d'accusation ont rappelé, à cet égard, la portée du principe de la
spécialité
aux autorités de l'Etat requérant. Cela devait être tenu pour acquis
par la
recourante, dont on ne comprend pas qu'elle revienne à la charge,
dans le
recours de droit administratif, sur ce point déjà tranché par
l'autorité
cantonale.

Quant à U.________, il est poursuivi en France, selon le
procès-verbal de
l'audition du 21 décembre 2000, pour recel d'abus de biens sociaux,
recel
d'abus de confiance et de trafic d'influence. Même si la demande
n'est pas
absolument limpide à cet égard, il ressort toutefois de manière
suffisamment
claire de l'audition du 21 décembre 2000, que les magistrats français
soupçonnent U.________, sous couvert d'une activité de conseil donné à
A.________ et F.________, d'avoir aidé ceux-ci à cacher ou à recycler
le
produit des délits mis à leur charge. En Suisse, ces faits pourraient
être
qualifiés de recel (art. 160 CP), voire de blanchiment d'argent (art.
305ter
CP). La recourante objecte à cela que le seul fait d'avoir reçu de
l'argent
de F.________ ne signifie pas pour autant que ces fonds
proviendraient des
activités délictueuses des principaux protagonistes de l'affaire.
Sans doute.
Mais c'est là précisément le point que l'enquête ouverte en France a
pour but
de vérifier. La remise de la documentation relative au compte n°
YYY.________
doit permettre aux autorités françaises de mener des investigations
complètes, qui confirmeront ou infirmeront leurs soupçons. En l'état,
ceux-ci
sont suffisamment étayés pour l'octroi de l'entraide.

La condition de la double incrimination doit ainsi être tenue pour
remplie
aussi bien pour ce qui concerne A.________ et F.________, d'une part,
et
U.________, d'autre part. En l'état du droit suisse, la recourante,
comme

personne morale, ne peut pas être poursuivie en tant que telle, selon
l'adage
« societas delinquere non potest ». Elle ne prétend pas, au
demeurant, que
des poursuites seraient engagées contre elle-même en France.

4.
La recourante tient la remise de la documentation relative au compte

YYY.________ pour disproportionnée.

4.1 Ne sont admissibles, au regard des art. 3 CEEJ et 64 EIMP, que les
mesures de contrainte conformes au principe de la proportionnalité.
L'entraide ne peut être accordée que dans la mesure nécessaire à la
découverte de la vérité recherchée par les autorités pénales de l'Etat
requérant. La question de savoir si les renseignements demandés sont
nécessaires ou simplement utiles à la procédure pénale instruite dans
l'Etat
requérant est en principe laissée à l'appréciation des autorités de
poursuite. L'Etat requis ne disposant généralement pas des moyens lui
permettant de se prononcer sur l'opportunité de l'administration des
preuves
déterminées au cours de l'instruction menée à l'étranger, il ne
saurait sur
ce point substituer sa propre appréciation à celle du magistrat
chargée de
l'instruction. La coopération internationale ne peut être refusée que
si les
actes requis sont sans rapport avec l'infraction poursuivie et
manifestement
impropres à faire progresser l'enquête, de sorte que la demande
apparaît
comme le prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve
(ATF 122
II 367 consid. 2c p. 371; 121 II 241 consid. 3a p. 242/243; 120 Ib 251
consid. 5c p. 255). Il incombe à la personne touchée de démontrer, de
manière
claire et précise, en quoi les documents et informations à transmettre
excéderaient le cadre de la demande ou ne présenteraient aucun
intérêt pour
la procédure étrangère (ATF 122 II 367 consid. 2c p. 371/372).
Lorsque la
demande vise à éclaircir le cheminement de fonds d'origine
délictueuse, il
convient d'informer l'Etat requérant de toutes les transactions
opérées au
nom des sociétés et des comptes impliqués dans l'affaire (ATF 121 II
241
consid. 3c p. 244).

4.2 Le lien entre F.________ et le compte de la recourante est
établi. Cela
justifie de communiquer tous les renseignements relatifs aux virements
effectués par F.________ sur le compte litigieux. En outre, les
développements de l'enquête ouverte en France pourraient révéler
l'implication d'autres personnes et d'autres comptes, avec lesquels
le compte
de la recourante présenterait des liens. Entendu le 21 décembre 2000,
U.________ a indiqué avoir reçu des montants importants de la main à
la main.
Il est possible que ces fonds aient servi à des transactions opérées
à partir
du compte de la recourante. Ces éléments justifient que, conformément
à la
jurisprudence qui vient d'être rappelée, l'intégralité de la
documentation
relative au compte n° YYY.________ soit remise à l'Etat requérant.
Pour le
surplus, le principe de la spécialité, rappelé dans les décisions
attaquées,
protège la recourante et son ayant droit de toute utilisation des
renseignements transmis à d'autres fins que la procédure pénale pour
laquelle
l'entraide a été demandée.

5.
Le recours doit ainsi être rejeté. Les frais en sont mis à la charge
de la
recourante (art.156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art.
159
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument de 10'000 fr. est mis à la charge de la recourante. Il
n'est pas
alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante, au
Juge d'instruction du canton de Genève, Daniel Devaud, à la Chambre
d'accusation du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la
justice
(B 122240 DAP).

Lausanne, le 21 mars 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.205/2001
Date de la décision : 21/03/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-21;1a.205.2001 ?
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