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20/03/2002 | SUISSE | N°H.378/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 20 mars 2002, H.378/01


«AZA 7»
H 378/01 Mh

Ière Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Borella, Leuzinger,
Ferrari et Kernen. Greffière : Mme Moser-Szeless

Arrêt du 20 mars 2002

dans la cause

B.________, recourant, représenté par Maître Charles
Guerry, avocat, rue du Progrès 1, 1701 Fribourg,

contre

Caisse de compensation FRSP-CIGA, rue Condémine 56,
1630 Bulle, intimée,

et

Tribunal administratif du canton de Fribourg, Givisiez

A.- La société X.________ SA, de sièg

e à A.________ a
été fondée le 8 mars 1985 avec un capital de 50 000 fr.;
elle avait pour but d'effectuer toutes études, projets et...

«AZA 7»
H 378/01 Mh

Ière Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Borella, Leuzinger,
Ferrari et Kernen. Greffière : Mme Moser-Szeless

Arrêt du 20 mars 2002

dans la cause

B.________, recourant, représenté par Maître Charles
Guerry, avocat, rue du Progrès 1, 1701 Fribourg,

contre

Caisse de compensation FRSP-CIGA, rue Condémine 56,
1630 Bulle, intimée,

et

Tribunal administratif du canton de Fribourg, Givisiez

A.- La société X.________ SA, de siège à A.________ a
été fondée le 8 mars 1985 avec un capital de 50 000 fr.;
elle avait pour but d'effectuer toutes études, projets et
expertises, d'entreprendre toutes réalisations techniques,
principalement dans le domaine des installations électri-
ques en courant fort et faible, ainsi que des installations
téléphoniques et de fournir des conseils techniques.
C.________ en était le président du conseil d'administra-
tion, B.________ d'abord le fondé de procuration puis le

vice-président (dès le 3 juin 1986) avec signature
collective à deux, le troisième administrateur étant, dès
mars 1987, D.________.
Le 16 septembre 1996, la société a demandé un sursis
concordataire de quatre mois dans le but de proposer à ses
créanciers un concordat dividende. Le sursis accordé le
28 octobre 1996 a été révoqué, à la demande du commissaire
au sursis, par décision du 24 février 1997, publiée le
11 avril 1997 dans la Feuille officielle du canton de
Fribourg. La faillite de la société a été prononcée le
16 avril 1997.
X.________ SA était affiliée en qualité d'employeur
auprès de la Caisse de compensation FRSP-CIGA (ci-après :
la caisse de compensation). Considérant les cotisations
sociales non versées par l'employeur comme irrecouvrables,
la caisse de compensation a adressé à chacun des adminis-
trateurs, le 23 décembre 1999, une décision en réparation
du dommage, leur réclamant paiement d'un montant de
241 219 fr. 90 correspondant aux cotisations paritaires
impayées pour les années 1994 à 1997, y compris les frais
de gestion, les intérêts moratoires et les frais de
sommation.

B.- B.________ ayant formé opposition, la caisse de
compensation a porté le cas devant le Tribunal adminis-
tratif du canton de Fribourg en maintenant intégralement sa
demande.
Par jugement du 4 octobre 2001, la juridiction canto-
nale a admis la demande en totalité.

C.- B.________ interjette recours de droit adminis-
tratif contre ce jugement dont il demande en substance
principalement l'annulation, subsidiairement la réforme, le
montant à réparer étant réduit de 19 340 fr. 40, le tout
sous suite de dépens.

La caisse de compensation a conclu au rejet du
recours, alors que l'Office fédéral des assurances sociales
a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit :

1.- La décision litigieuse n'ayant pas pour objet
l'octroi ou le refus de prestations d'assurance, le
Tribunal fédéral des assurances doit se borner à examiner
si les premiers juges ont violé le droit fédéral, y compris
par l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation,
ou si les faits pertinents ont été constatés d'une manière
manifestement inexacte ou incomplète, ou s'ils ont été
établis au mépris de règles essentielles de procédure
(art. 132 en corrélation avec les art. 104 let. a et b et
105 al. 2 OJ).

2.- En instance fédérale, le recourant soutient, pour
l'essentiel et pour la première fois, que le droit de
demander réparation était périmé lorsque la caisse a
notifié sa décision le 23 décembre 1999.

a) L'art. 82 RAVS règle la prescription du droit de la
caisse de compensation de demander la réparation du dom-
mage. Un tel droit se prescrit lorsque la caisse ne le fait
pas valoir par une décision de réparation dans l'année
après qu'elle a eu connaissance du dommage et, en tout cas,
à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter du fait
dommageable (al. 1). Lorsque ce droit dérive d'un acte
punissable soumis par le code pénal à un délai de pres-
cription de plus longue durée, ce délai est applicable
(al. 2). En dépit de la terminologie dont use l'art. 82
RAVS, les délais institués par cette norme ont un caractère
péremptoire (ATF 126 V 451 consid. 2a, 121 III 388 con-
sid. 3b et les références).

Par moment de la «connaissance du dommage» au sens de
l'art. 82 al. 1 RAVS, il faut entendre, en règle générale,
le moment où la caisse de compensation aurait dû se rendre
compte, en faisant preuve de l'attention raisonnablement
exigible, que les circonstances effectives ne permettaient
plus d'exiger le paiement des cotisations, mais pouvaient
entraîner l'obligation de réparer le dommage (ATF 126 V 444
consid. 3a, 452 consid. 2a, 121 III 388 consid. 3b et les
références).
Lorsque le dommage résulte d'une faillite, le moment
de la «connaissance du dommage» ne coïncide pas avec celui
où la caisse connaît la répartition finale ou reçoit un
acte de défaut de biens; la jurisprudence considère, en
effet, que le créancier qui entend demander la réparation
d'une perte qu'il subit dans une faillite connaît suffisam-
ment son préjudice, en règle ordinaire, lorsqu'il est
informé de sa collocation dans la liquidation; il connaît
ou peut connaître à ce moment-là le montant de l'inven-
taire, sa propre collocation dans la liquidation, ainsi que
le dividende prévisible. Les mêmes principes sont applica-
bles en cas de concordat par abandon d'actifs (ATF 119 V 92
consid. 3, 118 V 196 consid. 3a et les arrêts cités; VSI
1995 p. 170 consid. 2).
La partie lésée peut toutefois, en raison de circons-
tances spéciales, acquérir la connaissance nécessaire avant
le dépôt de l'état de collocation. Ainsi, selon la juris-
prudence, on peut exiger d'une caisse qu'elle se fasse
représenter à la première assemblée des créanciers ou
qu'elle en demande le procès-verbal, dès lors que son
devoir de diligence lui commande de suivre l'évolution de
la procédure de faillite (ATF 121 V 240 consid. 3c/aa et
les références). S'il apparaît à ce moment-là déjà qu'elle
subira un dommage, le délai d'une année commencera à
courir. Même la connaissance d'un dommage partiel est
suffisante pour faire partir le délai prévu par l'art. 82
al. 1 RAVS (ATF 126 V 452 consid. 2a, 121 V 243 con-
sid. 3c/bb).

b) Dans le cas d'espèce, il résulte des faits non
contestés retenus par les premiers juges que la caisse de
compensation aurait dû, dans le cadre de la procédure de
faillite, avoir connaissance du dommage lors du dépôt de
l'état de collocation le 24 décembre 1998. C'est en consé-
quence à juste titre qu'ils ont considéré que le droit de
demander réparation n'était, dans ce sens, pas périmé dès
lors que la décision de l'intimée a été rendue le 23 décem-
bre 1999, soit dans le délai d'une année prévu par
l'art. 82 RAVS.
Reste cependant à examiner les conséquences de la
procédure de sursis concordataire quant à la connaissance
du dommage.

3.- a) La procédure concordataire s'ouvre par une
demande de sursis concordataire permettant au débiteur
d'effectuer les démarches nécessaires à l'élaboration d'un
concordat et de bénéficier, pendant ce délai, d'une sus-
pension des poursuites. Avec l'octroi du sursis, rendu
public, le juge nomme un ou plusieurs commissaires qui ont
pour fonction générale de surveiller les activités du
débiteur et d'exercer certaines attributions spécifiques de
la LP (art. 295 al. 2 LP).
Alors que sous l'ancien droit, le commissaire ne
pouvait solliciter la révocation du sursis auprès du juge
avant l'échéance du délai accordé que si le débiteur
contrevenait aux interdictions qui lui étaient faites ou à
ses injonctions (art. 298 aLP), le nouveau droit permet au
commissaire de demander la révocation, non seulement aux
conditions de l'art. 298 al. 3 LP, mais également à celles
de l'art. 295 al. 5 LP (cf. la Loi fédérale sur la pour-
suite pour dettes et la faillite, Modification du 16 décem-
bre 1994, entrée en vigueur le 1er janvier 1997, RO
1995 1227). Aux termes de cette disposition, la révocation
peut également intervenir lorsque cela se révèle nécessaire
aux fins de conserver le patrimoine du débiteur ou lors-
qu'il est manifeste qu'un concordat ne pourra pas être
conclu.

La première hypothèse vise une perte notable de
substance des actifs ou une augmentation sensible des
passifs pendant la phase du sursis concordataire. La
deuxième hypothèse peut être réalisée aussi bien lorsque,
manifestement, il apparaît que les majorités qualifiées des
créanciers ne pourront être obtenues (art. 305 LP) que
lorsque les conditions d'une homologation font défaut
(art. 306 LP).

b) Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt H. du
1er février 1995 (VSI 1995 p. 169), le Tribunal fédéral des
assurances a jugé que dans l'éventualité du refus de
l'homologation d'un concordat par abandon d'actif, on peut
exiger d'une caisse de compensation créancière qu'elle se
renseigne sur les motifs de ce refus et entreprenne, s'il y
a lieu, les démarches nécessaires en vue de sauvegarder le
délai de péremption. La caisse doit alors se montrer active
et curieuse, à tout le moins à partir du jour où le dispo-
sitif du jugement de refus de l'homologation du concordat
est publié. En particulier, dans de telles circonstances,
il incombe à l'administration de requérir sans délai
l'édition du jugement, ce qui lui permettra de se faire une
idée précise des risques qu'elle encourt, et de rendre au
besoin une décision fondée sur l'art. 81 al. 1 RAVS afin de
sauvegarder ses droits, quitte à réclamer au responsable la
totalité du montant des cotisations restées impayées,
moyennant cession de son droit à un dividende éventuel dans
la faillite (VSI 1995 p. 172 sv. consid. 4c et arrêt
cité).

c) Il n'existe pas de motifs sérieux de traiter diffé-
remment la situation où un sursis concordataire est révoqué
et celle où l'homologation d'un concordat est refusée. En
effet, ces procédures qui mettent en oeuvre un appel aux
créanciers et dans lesquelles les décisions sont rendues
publiques, font apparaître un risque élevé de pertes pour
la caisse de compensation en révélant l'existence à tout le

moins possible d'une insolvabilité. Dans ces conditions, il
se justifie d'exiger de la caisse qu'elle se montre active,
cherche à obtenir les renseignements pour se faire une idée
des risques menaçant sa créance et prenne les mesures ou
décisions qui s'imposent pour sauvegarder ses droits.
Selon la jurisprudence précitée, le devoir de dili-
gence de la caisse de compensation lui commande de suivre
l'évolution de la procédure de faillite de la société
débitrice. Cette jurisprudence doit être précisée dans le
sens où ce même devoir de diligence lui impose aussi de se
renseigner à temps en cas de révocation d'un sursis concor-
dataire afin de prendre les décisions commandées par les
circonstances pour sauvegarder ses droits.

d) Dans le cas d'espèce, la caisse aurait pu se rendre
compte aisément, en prenant connaissance de l'ordonnance du
24 février 1997 par laquelle le juge révoquait le sursis de
quatre mois accordé à la société X.________ SA, que la
situation financière ne permettait pas le paiement intégral
des charges sociales.
Dans les semaines qui ont suivi la publication de la
décision le 11 avril 1997, l'intimée pouvait ainsi avoir
une connaissance suffisante de son dommage - même partiel -
pour être en mesure de prendre, à l'égard des responsables,
une décision en réparation. Le délai de péremption d'un an
de l'art. 82 RAVS était ainsi écoulé lorsqu'elle a rendu sa
décision le 23 décembre 1999.

4.- La procédure n'est pas gratuite, s'agissant d'un
litige qui ne porte pas sur l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance (art. 134 OJ a contrario). Les
frais de justice seront mis à la charge de l'intimée qui
succombe (art. 156 al. 1 OJ).
Pour ce même motif, elle versera une indemnité de
dépens au recourant.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est admis et le jugement du 4 octobre 2001
du Tribunal administratif du canton de Fribourg est
annulé.

II. Les frais de justice, d'un montant de 7000 fr., sont
mis à la charge de l'intimée.

III. L'avance de frais versée par le recourant, d'un
montant de 7000 fr., lui est restituée.

IV. L'intimée versera au recourant la somme de 3500 fr. (y
compris la taxe à la valeur ajoutée) à titre de dépens
pour l'ensemble de la procédure.

V. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
Tribunal administratif du canton de Fribourg, Cour des
assurances sociales, et à l'Office fédéral des assu-
rances sociales.

Lucerne, le 20 mars 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la Ière Chambre :

p. la Greffière :


Synthèse
Numéro d'arrêt : H.378/01
Date de la décision : 20/03/2002
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 52 LAVS; art. 82 al. 1 RAVS; art. 295 al. 3 LP: Procédure concordataire; connaissance du dommage; devoir de diligence. Précision de la jurisprudence portant sur le devoir de diligence d'une caisse de compensation créancière dans la procédure concordataire (VSI 1995 p. 169). En cas de révocation d'un sursis concordataire - comme dans l'éventualité du refus de l'homologation d'un concordat -, on peut exiger de la caisse qu'elle se renseigne sur les motifs de cette révocation et entreprenne, s'il y a lieu, les démarches nécessaires en vue de sauvegarder le délai de péremption annal.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-20;h.378.01 ?
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