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19/03/2002 | SUISSE | N°4C.390/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 mars 2002, 4C.390/2001


«/2»

4C.390/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

19 mars 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz,
Mme Klett, M. Nyffeler et M. Favre, juges. Greffier:
M. Carruzzo.

____________

Dans la cause civile pendante
entre

R.________, demandeur et recourant, représenté par Me
Jacques
Emery, avocat à Genève,

et

X.________ Corporation, défenderesse et intimée, représentée
par Me Nicolas Golovtchiner, avocat à Genève

;

(contrat de travail; droit à une provision)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
f a i t s suivants:

A.- Par co...

«/2»

4C.390/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

19 mars 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz,
Mme Klett, M. Nyffeler et M. Favre, juges. Greffier:
M. Carruzzo.

____________

Dans la cause civile pendante
entre

R.________, demandeur et recourant, représenté par Me
Jacques
Emery, avocat à Genève,

et

X.________ Corporation, défenderesse et intimée, représentée
par Me Nicolas Golovtchiner, avocat à Genève;

(contrat de travail; droit à une provision)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
f a i t s suivants:

A.- Par contrat du 1er août 1994, R.________ a été
engagé par X.________ Corporation (ci-après: X.________) en
qualité de "consultant" pour la Suisse. Selon le certificat
de travail établi par X.________, il avait le titre de "di-
recteur de marketing pour la Suisse". Son activité
consistait
notamment à trouver de nouveaux clients. Le contrat d'enga-
gement prévoyait une rémunération fixe annuelle brute de
100 000 fr. et une commission de 10% la première année et de
5% l'année suivante "sur le montant de chaque contrat signé".

Par lettre recommandée du 28 mai 1998, R.________ a
résilié le contrat, disant vouloir relever un nouveau défi
dans une autre entreprise. Les relations contractuelles ont
pris fin le 31 juillet 1998.

B.- Le 25 février 1999, R.________ a déposé devant
la juridiction des prud'hommes du canton de Genève une deman-
de en paiement dirigée contre X.________. Il a conclu en pre-
mière instance à ce que la partie adverse soit condamnée à
lui payer les sommes de 42 827 fr. et 48 000 US$ avec inté-
rêts. X.________ a formé une demande reconventionnelle de
17 375 fr.

Par jugement du 9 janvier 2001, le Tribunal des
prud'hommes a condamné X.________ à payer à R.________ la
somme brute de 14 509 fr.50 avec intérêts, déboutant les
parties de toutes autres conclusions.

R.________ a appelé de ce jugement sur un seul
point: il soutient qu'il a droit à une commission de
48 000 US$ avec intérêts pour la conclusion d'un contrat en-

tre X.________ et Y.________ Assurances (ci-après:
Y.________).

Sur ce point, la cour cantonale a retenu les faits
suivants: les premiers contacts entre X.________ et
Y.________ ont eu lieu en 1995. X.________ était alors
représentée par N.________, R.________ et L.________. De
1995
à 1998, Y.________ a eu de nombreux entretiens tant avec
R.________ qu'avec N.________. En 1998, Y.________ a voulu
tester les prestations que pouvait offrir X.________.
R.________ n'a pas participé à cette phase technique des
négociations. Après son départ, des négociations ont eu
lieu,
de septembre à novembre 1999, sur le prix des prestations
offertes par X.________. L'offre finale de cette société a
été acceptée par un courrier de Y.________ du 15 novembre
1999.

Considérant que R.________ n'avait pas joué un rôle
déterminant dans la conclusion du contrat, la Cour d'appel
de
la juridiction des prud'hommes, par arrêt du 13 juin 2001, a
rejeté l'appel et confirmé le jugement attaqué.

C.- Le demandeur interjette un recours en réforme
au Tribunal fédéral. Soutenant qu'il a droit à la commission
litigieuse, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et
à
la condamnation de la partie adverse à lui payer la somme de
58 750 fr. avec intérêts, requérant subsidiairement le
renvoi
de la cause à la cour cantonale.

La défenderesse propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Interjeté par la partie qui a succombé par-
tiellement dans ses conclusions en paiement et dirigé contre
un jugement final rendu en dernière instance cantonale par
un
tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation
civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000
fr.
(art. 46 OJ), le recours en réforme est en principe receva-
ble, puisqu'il a été formé en temps utile (art. 54 al. 1 et
32 al. 2 OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).

b) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit
de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ) ou pour violation
du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 189
consid. 2a, 370 consid. 5).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement juridique sur la base des
faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été vio-
lées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations re-
posant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou
qu'il faille compléter les constatations de l'autorité can-
tonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits per-
tinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III
248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a). Dans la mesure où
une
partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de
celui contenu dans la décision attaquée sans se prévaloir
avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être
rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 127
III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs con-
tre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de
preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en ré-
forme n'est pas ouvert pour remettre en cause l'appréciation

des preuves et les constatations de fait qui en découlent
(ATF 127 III 547 consid. 2c; 126 III 185 consid. 2a; 125 III
78 consid. 3a).

Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des con-
clusions des parties, mais il n'est pas lié par les motifs
qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
l'argumentation
juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a; 123 III
246 consid. 2).

2.- a) Procédant à une analyse de la tâche confiée
au demandeur, la cour cantonale est parvenue à la conclusion
qu'il se trouvait dans une position de subordination qui ex-
cluait la qualification de contrat d'agence (cf. art. 418a
al. 1 CO); comme son activité ne se limitait pas à négocier
ou conclure des contrats, on ne pouvait parler non plus d'un
contrat d'engagement de voyageurs de commerce (cf. art. 347
al. 1 CO); en conséquence, la cour cantonale a retenu que
les
parties avaient conclu un contrat individuel de travail (cf.
art. 319 al. 1 CO).

Cette qualification n'est plus remise en question
par les parties et il n'y a pas lieu d'y revenir.

b) Selon l'art. 2 du contrat conclu entre les par-
ties, le demandeur avait droit à une commission "sur le mon-
tant de chaque contrat signé".

Cette clause contractuelle prévoit à l'évidence une
provision au sens de l'art. 322b al. 1 CO. D'après cette dis-
position, s'il est convenu que le travailleur a droit à une
provision sur certaines affaires, elle lui est acquise dès
que l'affaire a été valablement conclue avec le tiers.

Comme la clause contractuelle ne précise pas les
conditions du droit à la provision, il convient de se
référer
à l'art. 322b CO pour compléter la convention des parties.

Il faut cependant constater que l'art. 322b CO
n'est pas explicite non plus quant à l'activité que le tra-
vailleur doit déployer pour avoir droit à la provision.

La jurisprudence a eu l'occasion d'observer que la
provision, en matière de contrat de travail, était parfois
convenue avec des personnes exerçant une tâche de direction,
alors qu'il s'agit d'un mode de rémunération usuel pour d'au-
tres contrats (ATF 90 II 483 consid. 2 p. 486), à savoir le
contrat d'engagement des voyageurs de commerce (cf. art.
349a
et 349b CO) et le contrat d'agence (art. 418g à 418l CO). Le
salaire du courtier (art. 413 CO) est dû dans des conditions
analogues. Dans tous ces contrats, le mode de rémunération
répond au même but économique: il s'agit de motiver le cocon-
tractant à procurer des affaires, en le récompensant selon
les résultats obtenus. On peut donc s'inspirer de la juris-
prudence rendue au sujet de ces autres contrats pour déter-
miner le comportement donnant droit à la provision.

Il faut donc, sauf convention contraire, que le
travailleur, pendant le rapport contractuel, procure une af-
faire concrète ou trouve un client disposé à conclure (cf.
au
sujet du contrat d'agence: ATF 121 III 414 consid. 1a). Il
doit exister un rapport de causalité entre l'activité du tra-
vailleur et la conclusion du contrat (cf. ATF 84 II 521 con-
sid. 1; 76 II 378 consid. 2; cf. aussi ATF 97 II 355 consid.
4 p. 359; 84 II 542 consid. 5 p. 549).

La doctrine qui se penche plus spécifiquement sur
le problème du droit à la provision dans le contrat de tra-
vail ne s'exprime pas dans un sens différent. La provision
est la rémunération que le travailleur reçoit à titre complé-

mentaire au prorata des affaires qu'il a permis de conclure
avec des tiers (Tercier, Les contrats spéciaux, 2e éd., n.
2657). Il doit exister un rapport de causalité entre l'acti-
vité du travailleur et la conclusion du contrat (Rehbinder,
Commentaire bernois, n. 6 ad art. 322b CO). Lorsque
plusieurs
travailleurs ont participé à la négociation d'une même affai-
re, deux auteurs estiment que le travailleur ne peut préten-
dre à une provision que s'il a apporté une contribution dé-
terminante (Staehelin, Commentaire zurichois, n. 4 ad art.
322b CO; Brühwiler, Kommentar zum Einzelarbeitsvertrag, 2e
éd., n. 2 ad art. 322b CO), tandis qu'un autre se contente
d'un rapport de causalité, même concurrent (Rehbinder,
ibid.).

Quelles que soient les nuances résultant de ces di-
verses opinions, il en découle clairement que l'activité du
travailleur doit apparaître, sauf convention contraire,
comme
une cause de la conclusion du contrat.

En l'absence de toute clause contractuelle fixant
d'autres règles, on ne peut en effet pas imaginer que l'em-
ployeur se soit engagé à verser une provision sur toute af-
faire conclue, même si celle-ci n'a pas été procurée par
l'activité du travailleur. Une interprétation contraire re-
viendrait à ignorer le but économique de la provision, qui
est de motiver le travailleur et de l'intéresser au résultat
de son travail (cf. Rehbinder, op. cit., n. 1 ad art. 322b
CO; Duc/Subilia, Commentaire du contrat individuel de tra-
vail, n. 2 ad art. 322b et c CO).

Il y a causalité naturelle lorsqu'un comportement
est une condition sine qua non d'un résultat (ATF 121 IV 207
consid. 2a p. 212; 116 IV 306 consid. 2a). Le constat de la
causalité naturelle relève du fait et lie le Tribunal
fédéral
saisi d'un recours en réforme (ATF 127 III 453 consid. 5d;
123 III 110 consid. 2). Le raisonnement doit être mené sur
la

base des faits contenus dans la décision attaquée (art. 63
al. 2 OJ), et non pas de ceux allégués par le recourant (ATF
127 III 248 consid. 2c p. 252).

c) En l'espèce, il ne ressort pas des constatations
cantonales que le demandeur aurait mis en contact son em-
ployeur avec la compagnie d'assurances. Il a été retenu que
les négociations avaient commencé d'emblée avec trois em-
ployés de la défenderesse agissant ensemble. Il n'a pas été
établi que le demandeur ait joué un rôle particulier d'où
l'on puisse inférer qu'il a exercé une influence psychologi-
que sur la décision de contracter. Pendant une longue partie
des négociations, la compagnie d'assurances a testé les ser-
vices que la défenderesse pouvait lui apporter; il a été re-
tenu que le demandeur n'avait pas participé à cette phase
"technique" de la négociation. Il avait quitté l'entreprise
avant que les pourparlers sur le prix ne commencent. Selon
les constatations cantonales, le demandeur a quitté l'entre-
prise plus d'un an avant la conclusion du contrat, à un mo-
ment où l'issue des négociations était incertaine.

Sur la base de cet état de fait, on ne parvient pas
à discerner pourquoi la participation du demandeur aurait
été
indispensable à la conclusion du contrat. La cour cantonale
a
noté que la compagnie d'assurances connaissait également le
président de la défenderesse et on ne voit pas en quoi la
présence du demandeur, aux côtés d'autres employés, lors de
la première phase des opérations pourrait être considérée
comme une condition sine qua non de la conclusion du
contrat.
Le demandeur n'étant pas parvenu à prouver les circonstances
de fait qui pourraient fonder son droit à la provision (cf.
art. 8 CC), la Cour d'appel a rejeté sa prétention sans vio-
ler le droit fédéral.

3.- Compte tenu de la valeur litigieuse, la procé-
dure n'est pas gratuite (art. 343 al. 2 et 3 CO). Les frais

et dépens doivent être mis à la charge du demandeur qui suc-
combe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 2500 fr. à la
charge du recourant;

3. Dit que le recourant versera à l'intimée une
indemnité de 2500 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux man-
dataires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction
des prud'hommes du canton de Genève (Cause n° 4503/1999-4).

________

Lausanne, le 19 mars 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.390/2001
Date de la décision : 19/03/2002
1re cour civile

Analyses

Contrat de travail; droit à une provision (art. 322b al. 1 CO). Notion et but économique de la provision. Pour pouvoir prétendre au versement de la provision stipulée, le travailleur, sauf convention contraire, doit, pendant le rapport contractuel, procurer une affaire concrète ou trouver un client disposé à conclure (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-19;4c.390.2001 ?
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