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18/03/2002 | SUISSE | N°4P.203/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 18 mars 2002, 4P.203/2001


«/2»

4P.203/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

18 mars 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme Godat Zimmermann.
_________________

Statuant sur le recours de droit public formé
par

B.________, représentée par Me Sylvaine Perret-Gentil
Hofstetter, avocate à Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 27 juillet 2001 par la Chambre des recours
du Tribunal cantonal du canton de Vaud dans la cause qui op-r> pose la recourante à X.________, représenté par Me Jean
Heim,
avocat à Lausanne;

(art. 9 Cst.; arbitraire)

...

«/2»

4P.203/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

18 mars 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme Godat Zimmermann.
_________________

Statuant sur le recours de droit public formé
par

B.________, représentée par Me Sylvaine Perret-Gentil
Hofstetter, avocate à Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 27 juillet 2001 par la Chambre des recours
du Tribunal cantonal du canton de Vaud dans la cause qui op-
pose la recourante à X.________, représenté par Me Jean
Heim,
avocat à Lausanne;

(art. 9 Cst.; arbitraire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- En 1986/1987, B.________, née en 1939, a souf-
fert d'un cancer; elle a dû subir l'ablation du sein droit.
Une fois rétablie, elle a décidé de se soumettre à une opéra-
tion de chirurgie reconstructive. A cette fin, elle a consul-
té le docteur X.________, spécialiste FMH en chirurgie plas-
tique et reconstructive, qui l'a reçue le 9 février 1993. La
patiente a alors précisé au médecin qu'elle ne voulait en
aucun cas que son sein soit reconstruit au moyen d'un corps
étranger ou d'une prothèse en silicone. Compte tenu de cette
exigence, X.________ a proposé la technique du TRAMF («trans-
verse rectus abdominis muscle flap»), qui consiste à trans-
férer le bedon dermo-graisseux en excès pour reconstituer un
volume mammaire; il s'agit à ce jour de la meilleure techni-
que de reconstruction autologue du sein.

L'intervention a eu lieu le 12 mars 1993; elle s'est
bien déroulée sur le plan technique. Après l'opération,
B.________ s'est plainte de diverses douleurs, spécialement
dans l'abdomen. Un hématome s'est produit dans la paroi abdo-
minale; il a été traité par l'un des médecins qui avaient as-
sisté X.________ lors de l'intervention. Il est connu que de
telles complications peuvent être liées à l'intervention se-
lon la technique du TRAMF. A l'heure actuelle, la patiente
continue de ressentir de fortes douleurs; elle éprouve des
tiraillements dans la région axillaire droite, des douleurs
localisées sur le grill costal gauche et des douleurs cica-
tricielles dans le bas-ventre. Elle ne peut marcher plus
d'un
quart d'heure sans déclencher des maux violents dans le
bas-ventre. Il lui est fort difficile de rester assise long-
temps, de conduire une voiture ou même d'être passagère.
Elle

est gênée considérablement pour à peu près n'importe quel
mouvement de la vie quotidienne.

Avant l'opération, B.________, infirmière de for-
mation, travaillait à plein temps comme collaboratrice de
son
mari, qui exerce comme médecin-dentiste; elle s'occupait de
l'administration et assistait son époux «au fauteuil». Elle
ne recevait pas de salaire. Depuis l'intervention, elle a ré-
duit d'environ 40% son temps de travail au cabinet dentaire.

Le 1er mars 1994, la patiente a fait notifier à
X.________ un commandement de payer la somme de 200 000 fr.,
plus intérêts à 5% dès le 25 février 1994. Le médecin a
formé
opposition. Selon une déclaration du 5 mai 1994, il a
renoncé
par ailleurs à l'exception de prescription.

B.- Par demande du 23 février 1995, B.________ a
ouvert action contre X.________. Elle concluait au paiement
d'un montant de 200 000 fr., avec intérêts à 5% dès le 25
février 1994 et à la mainlevée définitive de l'opposition.

En cours d'instance, une expertise a été confiée au
docteur Y.________, spécialiste en chirurgie plastique et
reconstructive; il s'agissait pour l'expert de se prononcer
sur l'opération elle-même et ses conséquences, en
particulier
de déterminer si l'exécution avait été conforme aux règles
de
l'art.

Par jugement du 7 mars 2000, la Cour civile du Tri-
bunal cantonal du canton de Vaud a condamné le défendeur à
payer la somme de 15 000 fr., plus intérêts, à titre de répa-
ration du tort moral; elle a levé l'opposition à due concur-
rence. La cour cantonale a jugé que la responsabilité con-
tractuelle du médecin était engagée, faute pour ce dernier

d'avoir obtenu le consentement éclairé de la patiente avant
l'opération de mars 1993.

La demanderesse a déposé un recours en nullité can-
tonal, que la Chambre des recours du Tribunal cantonal du
canton de Vaud a rejeté par arrêt du 27 juillet 2001.

C.- B.________ forme un recours de droit public,
dans lequel elle conclut à l'annulation de l'arrêt de la
Chambre des recours et au renvoi de la cause à cette
autorité
pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

X.________ propose le rejet du recours dans la mesu-
re où il est recevable.

Invitée à se prononcer, la Chambre des recours se
réfère aux considérants de son arrêt.

Parallèlement au dépôt du recours en nullité canto-
nal, B.________ a interjeté un recours en réforme au
Tribunal
fédéral contre le jugement de la Cour civile. Pour sa part,
X.________ a formé un recours joint. La procédure a été sus-
pendue jusqu'à droit connu sur le recours cantonal.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis
en règle générale à l'arrêt sur le recours en réforme
jusqu'à
droit connu sur le recours de droit public. Cette
disposition
s'applique également lorsque, comme en l'espèce, le recours
en réforme est dirigé contre la décision finale d'une autori-
té suprême cantonale et que le recours de droit public vise
la décision rendue sur un recours en nullité cantonal dans
la

même cause (arrêt du Tribunal fédéral 4C.378/1995 du 3 décem-
bre 1996, consid. 1; Messmer/Imboden, Die eidgenössischen
Rechtsmittel in Zivilsachen, p. 148, note 12).

2.- a) La Cour civile a rejeté toute prétention de
la recourante en indemnisation de sa perte de gain. Elle a
estimé être dans l'impossibilité de déterminer la perte su-
bie, car la recourante n'avait pas établi à satisfaction, à
savoir par une expertise médico-légale, qu'elle avait
effectivement souffert et continuait à souffrir d'une
incapacité médico-théorique du fait des douleurs provoquées
par l'opération de mars 1993.

Saisie d'un recours en nullité, la Chambre des re-
cours a nié tout d'abord une violation de l'art. 282 CPC/VD,
régissant l'ordonnance sur preuves rendue par le juge ins-
tructeur; elle a rappelé à cet égard que, selon l'art. 284
al. 2 CPC/VD, l'ordonnance sur preuves ne liait pas la juri-
diction de jugement. La Chambre des recours a considéré par
ailleurs que l'art. 299 CPC/VD, autorisant le tribunal à ré-
ouvrir la procédure probatoire, n'offrait qu'une faculté et
ne contraignait pas, en l'espèce, la Cour civile à ordonner
une expertise pour fixer le taux d'invalidité médicale de la
recourante; elle a relevé au surplus que, dans le cadre de
l'art. 299 CPC/VD, le tribunal restait lié par les allégués
des parties et que la recourante n'avait pas allégué avoir
subi et subir encore une incapacité médico-théorique l'empê-
chant partiellement d'exercer une activité lucrative.

b) La recourante invoque la protection contre l'ar-
bitraire, garantie à l'art. 9 Cst. En premier lieu, elle ob-
serve que le juge instructeur, qui a le pouvoir d'imposer un
mode de preuve différent de celui proposé par une partie,
avait admis l'offre de preuves par témoins sur l'allégué
371,
dans lequel elle exposait avoir dû réduire son activité de-

puis l'opération, son état de santé ne lui permettant plus
de
travailler à 100%; or, la Cour civile a considéré cette preu-
ve comme insuffisante. Selon la recourante, la portée
absolue
attribuée par la Chambre des recours à l'art. 284 al. 2
CPC/VD aboutit à un résultat arbitraire. En effet, comme
l'ordonnance sur preuves n'est assortie d'aucune garantie
pour les parties quant à l'issue du procès, la recourante se
trouverait en l'occurrence pénalisée en raison d'une lacune
imputable au juge instructeur.

Par ailleurs, à suivre la recourante, la Cour civile
ne pouvait en l'espèce renoncer à faire usage de la faculté
offerte par l'art. 299 CPC/VD sans tomber dans l'arbitraire.
A cet égard, toutes les conditions d'application de cette
disposition étaient réunies; contrairement à la Chambre des
recours, la recourante est d'avis que l'expertise médicale
pouvait être ordonnée dans le cadre de l'allégué 371 et
qu'aucun défaut dans l'allégation ne saurait lui être repro-
ché.

3.- L'interdiction de l'arbitraire est consacrée à
l'art. 9 Cst. Selon la jurisprudence, une décision n'est pas
arbitraire du seul fait qu'une autre solution pourrait se
défendre, voire même être préférable. Le Tribunal fédéral
n'annulera la décision attaquée que lorsque celle-ci est ma-
nifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction
évidente avec la situation de fait, qu'elle viole gravement
une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou en-
core lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de
la justice et de l'équité. Par ailleurs, il ne suffit pas
que
la motivation critiquée soit insoutenable; encore faut-il
que
la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 127
I 54 consid. 2b p. 56; 126 I 168 consid. 3a p. 170; 125 I
166
consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a p. 15, 129 consid. 5b p.
134; 124 I 247 consid. 5 p. 250; 124 V 137 consid. 2b).

4.- a) Aux termes de l'art. 281 CPC/VD, le juge ins-
tructeur, après avoir épuré les faits, discute avec les par-
ties les preuves offertes. Il rend ensuite une ordonnance
non
motivée, par laquelle il statue notamment sur les preuves à
administrer (art. 282 CPC/VD). L'art. 284 CPC/VD précise que
cette ordonnance ne lie pas la juridiction de jugement; elle
ne peut pas non plus faire l'objet d'un recours. Comme cor-
rectifs à l'ordonnance sur preuves, les art. 291 et 299
CPC/VD instituent le complément d'instruction,
respectivement
le complément de preuves. La première disposition permet no-
tamment au tribunal, avant et pendant les débats, d'ordonner
l'administration de preuves régulièrement offertes, que le
juge instructeur avait refusé d'administrer. La seconde dis-
position ne limite pas l'instruction complémentaire aux seu-
les preuves offertes par les parties; elle autorise le tri-
bunal, entré en délibération, à réouvrir la procédure proba-
toire dans le cadre des allégués des parties.

b) En l'espèce, la Chambre des recours a constaté, à
juste titre, qu'en application de l'art. 284 al. 2 CPC/VD,
l'ordonnance sur preuves rendue par le juge instructeur et
admettant la preuve par témoins sur l'allégué 371 ne liait
pas la Cour civile. Dans le système de l'ordonnance sur preu-
ves assorti de correctifs, on ne discerne pas en quoi le ca-
ractère non obligatoire de ladite ordonnance conduirait, en
tant que tel, au résultat arbitraire dont la recourante se
plaint. Le moyen est manifestement mal fondé.

5.- a) L'art. 299 CPC/VD a la teneur suivante:

«Si au cours de sa délibération, le tribunal juge que des
preuves complémentaires sont nécessaires ou qu'il estime
utile d'entendre directement un témoin, il surseoit au
jugement et ordonne la réouverture de la procédure proba-
toire dans le cadre des allégués des parties.
Il rend à cet effet une ordonnance indiquant avec
précision
le fait à prouver et la preuve à administrer.
S'il s'agit d'une expertise, le juge instructeur nomme

l'expert, les parties entendues, et dirige les opérations
en conformité des articles 226 et suivants.
Après le complément d'instruction, les parties sont enten-
dues à nouveau dans leurs plaidoiries et de nouvelles solu-
tions testimoniales sont rendues s'il y a lieu.»

Selon un arrêt de la Chambre des recours du 9 jan-
vier 1980, cette disposition offre une simple faculté au tri-
bunal. Dans le cas particulier, la question n'était
toutefois
pas déterminante; en effet, les déclarations du témoin
qu'une
partie voulait faire réentendre n'étaient ni incomplètes, ni
peu claires, mais n'avaient pas emporté la conviction du tri-
bunal en raison de leur caractère lapidaire et invraisembla-
ble, ainsi que des liens qui avaient uni le témoin au frère
du demandeur (JdT 1980 III p. 117). Pour le surplus, le tri-
bunal dispose, dans le cadre de l'art. 299 CPC/VD, de la
même
liberté que le juge instructeur lorsqu'il rend son
ordonnance
sur preuves; il n'est lié que par le principe de la libre al-
légation posé à l'art. 4 CPC/VD (Poudret/Wurzburger/Haldy,
Procédure civile vaudoise, 2e éd., p. 464).

b) Il convient à présent d'examiner si la non-
application de l'art. 299 CPC/VD a abouti en l'espèce à un
résultat arbitraire.

La recourante faisait valoir une perte de gain liée
à la réduction d'environ 40% de son activité professionnelle
en raison des douleurs constantes ressenties à la suite de
l'opération de mars 1993.

aa) Le préjudice résultant d'une incapacité de tra-
vail totale ou partielle s'entend au sens économique; est dé-
terminante la diminution de la capacité de gain. Selon la ju-
risprudence, le dommage consécutif à l'invalidité doit, au-
tant que possible, être établi de manière concrète. Le juge
partira du taux d'invalidité médicale (ou théorique) et re-

cherchera ses effets sur la capacité de gain du lésé (ATF
117
II 609 consid. 9 p. 624; 113 II 345 consid. 1a p. 347; 100
II
298 consid. 4a p. 304). En règle générale, il appartient à
un
expert-médecin de déterminer le degré de l'atteinte médico-
théorique à l'intégrité corporelle (arrêt du Tribunal
fédéral
4C.388/1992 du 15 décembre 1993, consid. 4c, reproduit in
JdT
1994 I p. 719; Brehm, Berner Kommentar, n. 60/61 ad art. 46
CO). En cas d'invalidité de longue durée ou permanente, la
fixation du dommage s'effectue
en deux phases. Dans un pre-
mier temps, le calcul concret des conséquences pécuniaires
de
l'incapacité de travail jusqu'au moment du jugement rendu
par
l'autorité cantonale qui peut encore connaître de faits nou-
veaux, implique de déterminer d'abord le gain que le lésé
aurait obtenu par son activité professionnelle s'il n'avait
pas subi le fait dommageable, compte tenu des améliorations
ou changements de profession probables; puis, il y a lieu de
déduire de ce gain le revenu effectif de l'activité profes-
sionnelle exercée durant la même période, la différence re-
présentant le dommage concret issu de l'incapacité de
travail
(ATF 99 II 214 consid. 3a et b; arrêt du Tribunal fédéral
4C.278/1999 du 13 juillet 2000, consid. 3a, reproduit in SJ
2001 I p. 110). Dans un second temps, il s'agit de capita-
liser la perte de gain annuelle future, après avoir apprécié
l'incidence du taux d'invalidité médicale sur la capacité de
gain.

En l'espèce, la recourante assiste son mari sans re-
cevoir de salaire. Il n'en demeure pas moins que sa capacité
de travail est susceptible d'être réduite à la suite d'une
lésion corporelle et que ce dommage-là doit, le cas échéant,
être indemnisé (Schaetzle/Weber, Kapitalisieren - Handbuch
zur Anwendung der Barwerttafeln, 5e éd., n. 3.259 ss, p. 407
ss); il équivaut habituellement aux frais de remplacement
par
un tiers dans cette activité (Stauffer/Schaetzle, Tables de

capitalisation, 4e éd., traduction de Giovannoni, n. 703, p.
245).

bb) L'allégué 371 du procédé interlocutoire a la te-
neur suivante:

«La demanderesse a dû réduire son activité parce que son
état
de santé ne lui permettait plus de travailler à 100%.»

Comme la Chambre des recours l'observe à juste ti-
tre, la Cour civile a tenu cet allégué pour constant. A la
page 16 du jugement, elle indique: «Depuis l'opération du 12
mars 1993, la demanderesse a réduit sensiblement son
activité
aux côtés de son mari». A la page 36, elle note que «la de-
manderesse se contente de démontrer (souligné par la cour de
céans), par témoins, que depuis l'opération du 12 mars 1993,
elle a réduit d'environ 40% son activité aux côtés de son
mari, son état de santé ne lui permettant plus de travailler
à plein temps (souligné par la cour de céans).» La Cour civi-
le retient par ailleurs que «la demanderesse continue de res-
sentir de fortes douleurs», «qu'il lui est fort difficile de
rester longtemps assise», qu'«elle est très largement gênée
dans sa vie privée pour à peu près n'importe quel mouvement
qu'elle est amenée à accomplir» (p. 15) et, plus loin, que
«les maux dont elle se plaint aujourd'hui apparaissent inhé-
rents à cette intervention chirurgicale» (p. 28). La Cour
civile admet donc, en fait, que les douleurs liées aux
suites
de l'opération de mars 1993 ne permettent plus à la recouran-
te d'exercer à plein temps son activité d'assistante de son
mari dentiste, laquelle consiste notamment à oeuvrer «au
fauteuil». Mais elle refuse d'y voir un dommage au motif que
la recourante n'a pas prouvé son taux d'invalidité médicale
par expertise. En d'autres termes, la Cour civile reconnaît
l'atteinte permanente à la capacité de travail de la demande-

resse, mais estime qu'un médecin aurait dû constater le
degré
de l'atteinte médico-théorique.

Sur ce dernier point, il est vrai que l'expertise
médicale, même si elle n'est pas exigée par la loi, consti-
tue, selon la jurisprudence, une étape généralement nécessai-
re dans le processus de fixation du dommage lié à une incapa-
cité de travail. En l'espèce, la Cour civile ne pouvait cer-
tes se contenter de l'allégué de la recourante, même prouvé
par témoins. Le fait attesté, soit la réduction de 40% de
l'activité à la suite de l'opération litigieuse, devait être
soumis à un avis médical. Une telle expertise était indispen-
sable non seulement pour fixer le dommage futur, mais égale-
ment pour déterminer le préjudice subi concrètement jusqu'au
prononcé du jugement de la Cour civile (cf. Oftinger/Stark,
Schweizerisches Haftpflichtrecht, Allgemeiner Teil, tome I,
5e éd., n. 117, p. 285). La jurisprudence citée ci-dessus à
propos du calcul concret du dommage déjà réalisé ne saurait
être appliquée telle quelle au cas de la recourante. C'est
le
lieu de rappeler que celle-ci travaillait gratuitement dans
le cabinet dentaire de son mari; en pareille situation, une
réduction du temps de travail nécessite impérativement une
caution médicale pour fonder une perte de gain indemnisable.

L'art. 299 CPC/VD autorisait précisément la Cour ci-
vile à ordonner une expertise médicale à ce sujet. Contraire-
ment à l'avis de la Chambre des recours, la procédure proba-
toire pouvait parfaitement être complétée dans le cadre des
allégués de la recourante. Celle-ci n'avait pas à alléguer
un
taux d'invalidité médicale en sus de la réduction de son
temps de travail de 40%. Dans le cas particulier, on ne pou-
vait pas non plus exiger de la recourante qu'elle fournisse
des éléments sur d'éventuelles possibilités de réinsertion;
quoi qu'en dise la Chambre des recours, le dommage à réparer
par l'intimé résulte bien de l'impossibilité pour la recou-

rante d'exercer à plein temps l'activité professionnelle dé-
ployée jusqu'alors et non rémunérée.

Cela étant, le grief d'arbitraire est-il fondé?
Force est de reconnaître à cet égard que le résultat auquel
la Cour civile parvient est choquant. D'un côté, elle admet
que la recourante est entravée dans sa capacité de travail à
la suite de l'opération de mars 1993, et donc qu'elle subit
un préjudice. De l'autre côté, elle refuse de lui allouer
des
dommages-intérêts en raison de l'absence d'une expertise mé-
dicale sur le taux d'invalidité, jugée indispensable, alors
qu'elle a précisément le pouvoir d'ordonner un tel
complément
de preuve. Ce résultat heurte le sentiment de la justice et
de l'équité; il apparaît dès lors arbitraire.

En approuvant la voie suivie par la Cour civile et
en maintenant le jugement attaqué, la Chambre des recours
est
elle-même tombée dans l'arbitraire de sorte que son arrêt
doit être annulé.

6.- Vu l'issue de la procédure de recours, les frais
judiciaires seront mis à la charge de l'intimé (art. 156 al.
1 OJ), qui versera en outre à la recourante une indemnité à
titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 5500 fr. à la
charge de l'intimé;

3. Dit que l'intimé versera à la recourante une in-
demnité de 6000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal
cantonal du canton de Vaud.

____________

Lausanne, le 18 mars 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.203/2001
Date de la décision : 18/03/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-18;4p.203.2001 ?
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