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14/03/2002 | SUISSE | N°4C.370/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 14 mars 2002, 4C.370/2001


«/2»

4C.370/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

14 mars 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

T.________, demandeur et recourant, représenté par Me Jean-
Bernard Waeber, avocat à Genève,

et

F.________, défendeur et intimé, représenté par Me Jacques
Barillon, avocat à Genève,

et

la Caisse de chômage S.I.B.,

rue Necker 15, à Genève,
intervenante;

(contrat de travail; abandon de poste; licenciement immédiat)

Vu les pièces du dossier d'où...

«/2»

4C.370/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

14 mars 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

T.________, demandeur et recourant, représenté par Me Jean-
Bernard Waeber, avocat à Genève,

et

F.________, défendeur et intimé, représenté par Me Jacques
Barillon, avocat à Genève,

et

la Caisse de chômage S.I.B., rue Necker 15, à Genève,
intervenante;

(contrat de travail; abandon de poste; licenciement immédiat)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- En juillet 1996, T.________, ressortissant du
Cap-Vert, a été engagé par F.________ en qualité d'ouvrier
agricole, sur la base d'un permis de travail saisonnier. Il
a
été régulièrement repris à ce poste de 1997 à 1999. Selon
son
dernier engagement du 1er mars 2000, le salaire mensuel brut
du demandeur était de 2640 fr., plus 310 fr. de prime d'an-
cienneté et 245 fr.75 à titre de vacances, soit au total un
montant brut de 3195 fr.75. Le travailleur est venu à quatre
reprises en voiture du Portugal à Genève, en partageant les
frais avec quatre autres personnes; il a voyagé une fois en
avion. De plus, il est venu chaque année du Cap-Vert au Por-
tugal en avion.

Le 2 août 2000, une altercation a eu lieu entre les
intéressés au sujet des allocations familiales; le travail-
leur reprochait à l'employeur de ne pas les lui avoir
versées
intégralement. F.________ a exigé sur-le-champ la production
des doubles des fiches de salaire; T.________ a alors
répondu
que, dans ce cas, il ne reviendrait plus travailler et a re-
mis son équipement à l'employeur. T.________ a accusé
F.________ de l'avoir frappé sur la tête et serré au cou, ce
que ce dernier a contesté.

Le 3 août 2000, F.________ a pris acte de l'abandon
d'emploi et a résilié le contrat de travail avec effet immé-
diat. Pour lui, l'employé était parti de son propre gré. Le
même jour, le syndicat S.I.B. a exigé la réintégration de
T.________ en contestant le congé, celui-ci souhaitant
encore
travailler pour F.________, qui aurait refusé de le
reprendre
à son service.

F.________ n'avait pas mis le travailleur en demeu-
re de rejoindre son poste, car ce dernier avait restitué le
matériel professionnel.

Le 9 août 2000, le syndicat a sollicité l'accord de
F.________, pour un transfert dans un autre emploi.

Le 15 août 2000, les allocations familiales ont été
versées directement à T.________, pour la période de mars à
juillet 2000.

B.- Par demande du 6 octobre 2000 déposée devant
le Tribunal des prud'hommes de Genève, T.________ a réclamé
à
F.________ 12 783 fr. à titre de salaire des mois d'août à
novembre 2000 et 19 174 fr.50 comme indemnité pour licencie-
ment abusif, montants amplifiés ultérieurement de 2720 fr.
pour le paiement des allocations familiales et de 1000 fr.
de
frais de voyage. La Caisse de chômage S.I.B. a fait valoir
son droit de subrogation pour 9524 fr.65 net correspondant
aux prestations qu'elle avait fournies.

Par jugement du 19 décembre 2000, le Tribunal des
prud'hommes a débouté le demandeur de toutes ses
conclusions,
refusé les prétentions en subrogation de la Caisse de
chômage
et admis la demande reconventionnelle du défendeur à raison
de 798 fr.75.

Saisie par le demandeur, la Cour d'appel de la ju-
ridiction des prud'hommes du canton de Genève, par arrêt du
9
octobre 2001, a annulé ce jugement en ce qui concerne le
paiement des frais de voyage, et a condamné le défendeur à
payer au demandeur 1000 fr. à ce titre; elle a confirmé le
jugement pour le surplus, en mettant à la charge du
demandeur
un émolument d'appel de 400 fr.

C.- Le demandeur interjette un recours en réforme
au Tribunal fédéral. Ses conclusions principales tendent à
l'annulation de l'arrêt cantonal, à la reconnaissance du ca-
ractère abusif de son licenciement, et au paiement de
12 783 fr. brut avec intérêt à 5% l'an dès le 3 août 2000,
sous imputation de 9524 fr.65 net, de 19 174 fr.50 avec in-
térêt à 5% dès le 3 août 2000 et, enfin, de 1000 fr. net, le
défendeur étant encore condamné à verser à la Caisse de chô-
mage le montant de 9524 fr.65 net. Subsidiairement, il con-
clut au paiement de 19 174 fr.50 net avec intérêt à 5% dès
le
3 août 2000 et de 1000 fr. net, la cause étant pour le sur-
plus renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision
dans
le sens des considérants.

Par décision du 16 janvier 2002, la Ie Cour civile
du Tribunal fédéral a admis la requête d'assistance judiciai-
re du demandeur et lui a désigné l'avocat Jean-Bernard
Waeber
comme conseil d'office.

L'intimé propose le rejet du recours et la confir-
mation de l'arrêt attaqué.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- La cour cantonale a retenu que le demandeur
avait abandonné son emploi le 2 août 2000 à la suite d'une
altercation; à cette occasion, le travailleur a allégué,
sans
parvenir à le prouver, avoir été frappé ou provoqué. Le de-
mandeur a alors déclaré qu'il ne reviendrait plus travailler
et a rendu du matériel à son employeur. Il a ensuite demandé
le 3 août 2000, par l'intermédiaire du syndicat S.I.B.,
d'être réintégré dans son poste, puis, le 9 août 2000, de
pouvoir être transféré dans un autre emploi, sans opposition
de son employeur, ce qui indiquait clairement, a poursuivi
la

Cour d'appel, sa volonté de ne plus revenir travailler chez
ce dernier.

Dès lors, la principale, voire la seule question à
trancher par le Tribunal fédéral est celle de l'existence
d'un abandon injustifié de son emploi par le demandeur. En
cas de réponse affirmative, la demande doit être rejetée.
Dans l'hypothèse inverse, la procédure doit être renvoyée à
la juridiction cantonale pour qu'elle statue sur le bien-
fondé du licenciement immédiat notifié au demandeur le 3
août
2000.

2.- a) Il y a abandon d'emploi selon l'art. 337d
CO lorsque le travailleur quitte son poste abruptement sans
justes motifs. L'application de cette disposition présuppose
un refus du travailleur d'entrer en service ou de poursuivre
l'exécution du travail confié. Dans ce cas, le contrat de
travail prend fin immédiatement, sans que l'employeur doive
adresser au salarié une résiliation immédiate de son contrat
(Staehelin, Commentaire zurichois, n. 5 ad art. 337d CO;
moins clair: Rehbinder, Commentaire bernois, n. 1 ad art.
337d CO; Brühwiler, Kommentar zum Einzelarbeitsvertrag, 2ème
éd., p. 392). L'employeur a droit, aux conditions fixées par
l'art. 337d CO, à une indemnité et, le cas échéant, à la ré-
paration du dommage supplémentaire (ATF 121 V 277 consid.
3a).

Lorsque l'abandon d'emploi ne résulte pas d'une dé-
claration expresse du salarié, il faut examiner s'il découle
du comportement adopté par l'intéressé, c'est-à-dire d'actes
concluants. Dans cette hypothèse, on se demandera si, compte
tenu de toutes les circonstances, l'employeur pouvait, objec-
tivement et de bonne foi, comprendre que le salarié
entendait
quitter son emploi (sur le principe de la confiance: ATF 123
III 165 consid. 3a; 122 III 106 consid. 5a, 420 consid. 3a).
Contrairement aux constatations sur la volonté réelle et con-

cordante des parties, le résultat de l'interprétation objec-
tive est une question de droit que le Tribunal fédéral peut
revoir en instance de réforme (ATF 123 III 165 consid. 3a;
121 III 118 consid. 4b/aa; 119 II 449 consid. 3a).

Le salarié est engagé pour travailler (art. 319 al.
1 et 321 CO). S'il se dispense de remplir cette obligation,
il doit prévenir son employeur afin de sauvegarder
fidèlement
les intérêts de ce dernier (art. 321a al. 1 CO). L'employeur
peut donc légitimement s'attendre que le salarié qui quitte
abruptement son emploi l'informe spontanément de ses inten-
tions. Le salarié qui ne satisfait pas à cette obligation ne
saurait présumer que l'employeur continue de le considérer
comme intéressé à conserver son emploi. Aussi, lorsque le
travailleur s'abstient de prendre contact avec son employeur
pendant une absence relativement longue, l'employeur peut-il
en déduire, de bonne foi, qu'il ne souhaite plus conserver
son poste. Le salarié, pour sa part, doit s'attendre que
l'employeur tire une telle conclusion de son comportement.

Ainsi, selon la jurisprudence, lorsque l'absence
injustifiée du travailleur est de courte durée (p. ex. quel-
ques jours après la fin des vacances), l'employeur ne peut
déduire des circonstances que le travailleur a abandonné son
emploi; il peut seulement lui reprocher un manquement de na-
ture à justifier une résiliation immédiate des rapports de
travail, au besoin après avertissement, soit en le mettant
en
demeure de reprendre le travail ou, le cas échéant, de pré-
senter un certificat médical (ATF 108 II 301 consid. 3b). A
l'inverse, une absence de plusieurs mois doit être
considérée
comme un refus de poursuivre les rapports de travail, même
si, après coup, le travailleur offre inopinément de
reprendre
son poste. Dans ce cas, la durée de l'absence suffit en soi
pour admettre que le salarié a démontré sa volonté d'abandon-
ner son emploi (ATF 121 V 277 consid. 3a).

Dans les situations intermédiaires, il faut tran-
cher selon le principe de la confiance, à la lumière des cir-
constances du cas particulier.

b) In casu, il ressort des faits souverainement
établis par la juridiction cantonale qu'une altercation a eu
lieu entre les intéressés au sujet du paiement des alloca-
tions familiales, le demandeur n'ayant pu prouver des voies
de fait ou des menaces à son égard. A cette occasion, et de-
vant l'obligation qui lui était imposée de produire des dou-
bles de fiches de salaire sur-le-champ, l'employé a déclaré
que s'il devait aller les chercher immédiatement il ne re-
viendrait plus. Il a accompagné cette déclaration de la res-
titution, désordonnée, de matériel de travail (remise de
chaussures et jet d'un mètre et de clés).

Dans le contexte de la dispute entre les parties,
la déclaration du demandeur et le fait qu'il ne se soit pas
présenté lui-même chez son employeur le lendemain, mais
qu'il
ait demandé sa réintégration par le biais du syndicat S.I.B.
permettent difficilement d'admettre l'existence d'un refus
de
travailler conscient et définitif, même si, pour quelques
heures ou quelques jours, le travailleur ne voulait plus se
rendre chez son employeur. De même, la demande adressée à ce
dernier de ne pas s'opposer à un changement d'emploi, arti-
culée le 9 août 2000, si elle constitue un indice d'une vo-
lonté de refuser de poursuivre l'exécution du travail, ne
revêt pas la portée à laquelle pouvait faire penser cette
démarche, dans la mesure où, entre-temps, le demandeur avait
reçu son congé avec effet immédiat, au motif de son absence
injustifiée les 2 et 3 août 2000.

Même si les circonstances dans lesquelles s'est dé-
roulée l'altercation du 2 août 2000 n'ont pu être complète-
ment établies, notamment en ce qui concerne les voies de
fait
qu'aurait subies le demandeur de la part du défendeur, il ap-

paraît que celui-ci a placé celui-là dans une situation où
il
pouvait perdre son sang froid et commettre des actes irréflé-
chis. En exigeant immédiatement, en pleine aire agricole, la
production de doubles de fiches de salaire que l'employé au-
rait dû sans délai aller chercher à son domicile, alors que
l'employeur devait en détenir un exemplaire pour sa comptabi-
lité au siège de son exploitation, soit à proximité, le dé-
fendeur a adopté une attitude qui pouvait apparaître comme
purement vexatoire à son employé. En cela, il a contribué
dans une large mesure à faire sortir le travailleur de ses
gonds, de sorte qu'on ne peut de bonne foi interpréter le
départ soudain du demandeur, avec la restitution désordonnée
du matériel, comme une manifestation de la volonté de
refuser
définitivement de poursuivre l'exécution du travail (arrêt
4C.169/2001 du 22 août 2001, consid. 3b/bb).

A la suite de ce mouvement de colère, le travail-
leur a presque immédiatement manifesté son intention de re-
prendre son poste, demandant sa réintégration par l'intermé-
diaire du syndicat S.I.B. On ne saurait en conséquence ad-
mettre raisonnablement que l'employeur puisse considérer
comme irrévocable, dans ces circonstances établies souverai-
nement, l'intention du travailleur de quitter son emploi à
l'issue de la dispute du 2 août 2000, dont l'employeur est
du
reste en partie responsable.

Il suit de là que les conditions de l'art. 337d CO
n'étaient pas réunies, de sorte que la cour cantonale ne pou-
vait juger que le travailleur avait abandonné son emploi
abruptement sans justes motifs, raison pour laquelle l'arrêt
déféré doit être annulé.

3.- Le fait d'interrompre son travail, dans les
circonstances rappelées ci-dessus, peut constituer une faute
du travailleur au regard de l'art. 321a al. 1 CO.
L'employeur
a sanctionné cette faute en "prenant acte de l'abandon d'em-

ploi" par le travailleur et en lui notifiant "à toutes fins
utiles" son congé avec effet immédiat, au motif que
l'absence
injustifiée rendait impossible la poursuite de la collabora-
tion entre eux. Le demandeur a contesté ce congé devant le
Tribunal des prud'hommes, moyen qu'il a repris devant la
Cour
d'appel, mais que celle-ci n'a pas examiné vu la solution
qu'elle a adoptée. En conséquence, la procédure doit lui
être
renvoyée pour qu'elle statue sur le bien-fondé du licencie-
ment immédiat notifié par le défendeur au demandeur le 3

août
2000, c'est-à-dire sur l'existence ou non de motifs de rési-
liation immédiate du contrat de la part de l'employeur.

4.- En définitive, le recours doit être partielle-
ment admis, l'arrêt déféré annulé et la cause retournée à la
cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des consi-
dérants.

La valeur litigieuse dépassant 30 000 fr., la pro-
cédure n'est pas gratuite (art. 343 al. 2 CO). Le recourant
obtient partiellement gain de cause, mais l'issue du litige
est encore incertaine. Il convient donc de répartir l'émolu-
ment judiciaire à raison du quart à la charge du demandeur
et
des trois quarts à la charge du défendeur (art. 156 al. 3
OJ)
et de condamner ce dernier à verser à son adverse partie des
dépens réduits dans la même proportion (art. 159 al. 3 OJ).
Le recourant plaidant au bénéfice de l'assistance
judiciaire,
la part des frais judiciaires mise à sa charge sera
supportée
par la Caisse du Tribunal fédéral, laquelle versera en outre
une indemnité de 1250 fr. à titre d'honoraires à son avocat
d'office; au cas où les dépens ne pourraient pas être recou-
vrés, ladite Caisse payera à cet avocat une indemnité sup-
plémentaire du même montant à titre d'honoraires.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet partiellement le recours, annule l'arrêt
attaqué et renvoie la cause à la cour cantonale pour
nouvelle
décision dans le sens des considérants;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. pour un
quart à la charge du demandeur et pour trois quarts à la
charge du défendeur. Dit que la part des frais judiciaires
mise à la charge du demandeur sera supportée par la Caisse
du
Tribunal fédéral;

3. Dit que le défendeur versera au demandeur une
indemnité de 1250 fr. à titre de dépens réduits;

4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera à
Me Jean-Bernard Waeber une indemnité de 1250 fr. à titre
d'honoraires. Dit qu'au cas où les dépens ne pourraient pas
être recouvrés, la Caisse précitée lui versera une indemnité
supplémentaire de 1250 fr. à titre d'honoraires;

5. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du
canton de Genève.

_________

Lausanne, le 14 mars 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.370/2001
Date de la décision : 14/03/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-14;4c.370.2001 ?
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