La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/03/2002 | SUISSE | N°4C.367/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 mars 2002, 4C.367/2001


«/2»
4C.367/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 mars 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme de Montmollin.

_____________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, demandeur et recourant, représenté par
Me Maurizio Locciola, avocat à Genève,

et

Y.________, défendeur et intimé, représenté par Me Mike
Hornung, avocat à Genève;

(contrat de bail; contestation du loyer initi

al)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 20 janvier 1993, A.________ a loué à Genève...

«/2»
4C.367/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 mars 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme de Montmollin.

_____________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, demandeur et recourant, représenté par
Me Maurizio Locciola, avocat à Genève,

et

Y.________, défendeur et intimé, représenté par Me Mike
Hornung, avocat à Genève;

(contrat de bail; contestation du loyer initial)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 20 janvier 1993, A.________ a loué à Genève
un appartement de 3 pièces appartenant à Y.________ pour un
loyer annuel de 11 340 fr., plus une provision pour les char-
ges de 1260 fr. Le 28 janvier 1999, le locataire a résilié
son bail pour le 30 avril 1999; la gérance immobilière lui a
répondu qu'elle n'acceptait le congé que pour l'échéance con-
tractuelle trimestrielle du 31 mai 1999, sauf présentation
d'un locataire de remplacement. A cette dernière date,
A.________ a restitué l'appartement.

Le 1er juin 1999, X.________ est devenu locataire
de ce dernier. Un nouveau contrat de bail a été signé pour
la
période du 16 juin 1999 au 30 juin 2000, avec clause de re-
conduction tacite. Le loyer annuel restait de 11 340 fr.,
charges en sus.

B.- Le 23 juin 1999, X.________ a contesté le loyer
initial devant la Commission de conciliation du canton de
Genève. Il a invoqué la nécessité personnelle et familiale,
ainsi que la situation du marché des logements de 3 pièces,
et sollicité la fixation de son loyer selon le calcul de
rendement. La cause n'a pas été conciliée et X.________ a
saisi le Tribunal des baux et loyers le 26 octobre 1999. Par
jugement du 16 novembre 2000, celui-ci a admis la demande,
fixé le loyer litigieux à 8535 fr. 60 par an dès le 16 juin
1999, condamné le bailleur à restituer le trop perçu et ra-
mené le montant admissible de la garantie bancaire à 2134 fr.

C.- Le bailleur a saisi la Chambre d'appel en ma-
tière de baux et loyers de ce jugement. Il a soutenu que le
locataire avait repris le bail d'un ancien locataire, ce qui
ne l'autorisait pas à en contester le loyer initial. De
plus,

le premier juge n'avait pas examiné si le locataire se trou-
vait dans une situation de contrainte au sens de l'art. 270
al. 1 let. a CO, au moment de la conclusion du bail, ce qui
n'avait pas été établi.

Statuant le 8 octobre 2001, la Chambre d'appel a
annulé le jugement du Tribunal des baux et loyers. Retenant
qu'il y avait bien conclusion d'un nouveau bail, et non re-
prise de bail, elle a estimé que l'autorité de première ins-
tance avait violé l'art. 270 al. 1 CO parce que le locataire
n'avait pas allégué et prouvé à satisfaction de droit l'exis-
tence de circonstances personnelles et familiales l'ayant
contraint à conclure le bail, ni démontré qu'il avait recher-
ché un appartement adapté à ses besoins. Il n'était dès lors
pas nécessaire de renvoyer la cause au tribunal pour qu'il
procède à des enquêtes sur ces points, les conditions d'ap-
plication de l'art. 270 al. 1 CO n'étant pas réunies.

D.- Parallèlement à un recours de droit public, le
locataire a introduit un recours en réforme contre l'arrêt
de
la cour cantonale. Il conclut à l'admission de sa demande et
à la fixation de son loyer à 8536 fr. 60 (recte: 8535 fr.
60)
par an, charges non comprises, dès le 16 juin 1999, au rem-
boursement du loyer trop perçu, à la fixation de la garantie
bancaire à 2134 fr. et à la libération du solde bloqué en
trop.

Le bailleur invite le Tribunal fédéral à rejeter le
recours en réforme et à confirmer l'arrêt cantonal.

La Chambre d'appel se réfère aux considérants de sa
décision.

E.- Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a re-
jeté, dans la mesure où il était recevable, le recours de
droit public.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Devant la Chambre d'appel, le demandeur et in-
timé a conclu à la confirmation du jugement du Tribunal des
baux et loyers fixant à 8535 fr. 60 le loyer annuel, alors
que le défendeur et appelant a conclu au déboutement de son
adverse partie de toutes ses conclusions, soit au maintien
du
loyer initial de 11 340 fr. par an. Le différend portait
donc
sur un montant de 2804 fr. 40 par an. Multiplié par 20, en
application de l'art. 36 al. 5 OJ, ce montant donne un total
de 56 088 fr. La valeur litigieuse minimale à laquelle
l'art. 46 OJ subordonne la recevabilité du recours en
réforme
est ainsi atteinte en l'espèce.

2.- Le demandeur se plaint d'une violation des
art. 270 al. 1 let. a CO et 274d al. 3 CO. Expliquant que sa
contestation du loyer initial était fondée sur deux raisons,
à savoir d'une part la situation de pénurie, d'autre part
son
besoin personnel, il soutient que le Tribunal des baux et
loyers a estimé à bon droit que, la pénurie étant constatée,
il n'y avait plus besoin d'examiner sa situation
personnelle;
il reproche à la cour cantonale d'avoir quant à elle considé-
ré que les deux motifs invoqués constituaient des conditions
cumulatives. La cour cantonale aurait en outre posé des exi-
gences incompatibles avec l'art. 274d al. 3 CO en rejetant
elle-même au fond la demande sous le prétexte que le loca-
taire aurait manqué à son devoir d'allégation en ce qui con-
cerne sa situation personnelle.

3.- a) L'art. 270 al. 1 CO soumet la contestation
du loyer initial aux conditions suivantes: soit le locataire
était contraint de conclure le bail par nécessité
personnelle
ou familiale (let. a, première hypothèse); soit il était con-
traint de le conclure en raison de la situation du marché lo-
cal (let. a, seconde hypothèse); soit le loyer a été sensi-

blement augmenté par rapport au loyer payé par le précédent
locataire (let. b) (ATF 120 II 341 consid. 5a, p. 347; Higi,
Commentaire zurichois, n. 29 ad art. 270 CO). C'est au loca-
taire de prouver leur réalisation (Higi, op. cit., n. 79 ad
art. 270 CO; Lachat, Le bail à loyer, p. 261). Selon la ju-
risprudence du Tribunal fédéral, il s'agit de conditions al-
ternatives; autrement dit, il suffit que l'une d'entre elles
soit remplie pour qu'il faille entrer en matière sur la de-
mande de contestation du loyer initial (arrêt non publié
4C.121/1999 du 28 juillet 1999, consid. 2a).

La notion de contrainte figurant à l'art. 270 al. 1
let. a CO suppose que le locataire ait de bonnes raisons de
changer de logement et que l'on ne puisse attendre de lui
qu'il renonce à une occasion qui se présente, et cela parce
que les motifs de nécessité personnelle ou familiale, ou la
situation sur le marché local du logement, sont tels qu'une
renonciation serait déraisonnable (ATF 114 II 74 consid.
3c).
L'art. 270 al. 1 let. a CO exige un lien de causalité entre
l'une ou l'autre de ces circonstances et la conclusion du
bail. Pour juger s'il y a, en particulier, une nécessité per-
sonnelle ou familiale et s'il en résulte une contrainte, on
tiendra compte de l'ensemble des circonstances du cas (cf.
ATF 114 II 74 consid. 3c).

b) En l'espèce, la cour cantonale a rejeté la de-
mande de contestation du loyer initial parce qu'à son avis
le
locataire avait présenté des offres de preuves incomplètes
sur la nécessité personnelle ou familiale et sur la
situation
du marché local du logement. Dans la mesure où il ressort du
bref consid. 4b de la décision entreprise que la cour canto-
nale voulait ériger en conditions cumulatives celles qui ne
sont qu'alternatives, son raisonnement ne peut être partagé.

aa) Le Tribunal des baux et loyers n'a pas examiné
l'argument de la nécessité personnelle, jugeant que la condi-

tion suffisante de la situation difficile sur le marché
local
du logement était réalisée, la pénurie de logements ayant
été
constatée par arrêté du Conseil d'Etat genevois pour les lo-
gements de 2,5 à 6 pièces, pour l'année 1999, comme d'ail-
leurs pour les années précédentes.

bb) A cet égard, l'opinion de la doctrine est nuan-
cée. Pour certains auteurs, la condition de la situation dif-
ficile du marché local est remplie lorsque le canton impose,
dans le secteur locatif considéré, la formule officielle men-
tionnée à l'art. 269d CO pour la fixation du loyer initial.
En effet, en cas de pénurie, le locataire n'a pratiquement
aucun choix: soit il accepte le logement ou le local commer-
cial qui lui est proposé, soit il ne trouve pas de solution
dans un délai raisonnable. La constatation officielle de la
pénurie dispense ainsi le locataire de faire la preuve de
cette dernière, en tout cas en matière de baux d'habitation.
Chaque canton est libre de déterminer le taux de vacance li-
mite en dessous duquel il y a pénurie. En l'absence de ré-
glementation cantonale, on peut considérer qu'il y a pénurie
lorsque le taux de vacance, dans une catégorie d'objets don-
nés, est inférieur à 1,5% (Lachat, op. cit., p. 260; Mark
Müller, La contestation du loyer initial et sa notification
sur formule officielle, in Cahier du bail 1995, p. 6). D'au-
tres auteurs considèrent que la situation notoire du marché
locatif local ne dispense pas le locataire de prouver que
ses
recherches sont demeurées vaines, les exigences à cet égard
étant plus élevées lorsque le temps disponible pour y procé-
der est plus long (Higi, op. cit., n. 41 ad art. 270 CO).
L'emploi de la formule officielle, impliquant la
constatation
de la pénurie de logements, ne doit pas automatiquement con-
duire à l'admission d'une des conditions pour l'annulation
du
loyer initial. L'utilisation de la notion de pénurie de loge-
ments, à l'art. 270 al. 2 CO, ne devrait, en d'autres
termes,

pas être assimilée à l'état de gêne ou de contrainte du loca-
taire, découlant de la situation difficile sur le marché lo-
cal, du fait que l'art. 270 al. 2 CO ne définit pas selon
quels critères la "pénurie de logements" était réalisée, no-
tamment pas par rapport aux catégories de prix ou de dimen-
sions des logements ou des locaux commerciaux. A l'opposé,
dans les cantons qui ont introduit l'usage obligatoire de la
formule officielle, la notion de pénurie peut être invoquée,
mais avant tout en considération des efforts faits, dans les
circonstances concrètes, par le locataire pour chercher en
vain un logement ou un local commercial adapté à ses besoins
(SVIT-Kommentar Mietrecht II, n. 17 ad art. 270 CO).

cc) De son côté, la jurisprudence a admis comme un
fait de notoriété la "pénurie particulièrement aiguë" dont
souffre Genève, ville et canton. Celle-ci est dûment consta-
tée par des études économiques depuis 1979 (ATF 114 II 74
consid. 4).

dd) S'appuyant sur les arrêtés successifs annuels
du Conseil d'Etat du canton de Genève constatant l'existence
d'une pénurie de logements (RS genevois I 4 45.07), le Tribu-
nal des baux et loyers a estimé que la condition de la situa-
tion difficile sur le marché local du logement était réali-
sée sans autre. La Chambre d'appel par contre a retenu que
le
locataire aurait dû prouver les recherches qu'il aurait ef-
fectuées en vain avant de se trouver dans la nécessité de
conclure avec le bailleur. Comme il n'avait pas offert en
preuve ces faits, il devait être débouté sans qu'il faille
renvoyer la procédure au premier juge, pour que celui-ci pro-
cède à des enquêtes sur les circonstances personnelles et fa-
miliales, d'une part, et sur la preuve des démarches infruc-
tueuses du locataire, d'autre part.

Ce raisonnement ne saurait être suivi. Le premier
juge s'est référé aux arrêtés du Conseil d'Etat, qui sont

fondés sur des études régulières de l'office cantonal de la
statistique, études qui ne font que constater la pénurie par-
ticulièrement aiguë que subit le canton de Genève. Dans ces
circonstances, il n'était pas utile d'amener le locataire à
prouver les démarches infructueuses qu'il avait tentées pour
rechercher un logement correspondant à ses besoins, dans les
catégories frappées par la pénurie. A lui seul, le terme de
pénurie a été jugé suffisamment clair par le législateur fé-
déral pour n'avoir pas à être précisé dans la loi (ATF 117
Ia
328 consid. 4 p. 335 in fine), contrairement à l'opinion sou-
tenue par certains auteurs (SVIT-Kommentar II déjà cité,
p. 727). A cet égard, les précisions apportées par les arrê-
tés du Conseil d'Etat permettent de lever les réserves pré-
sentées par la doctrine. Dans l'examen de la notion de pénu-
rie, Higi donne l'impression de ne pas avoir saisi que cette
dernière était réalisée lorsque le taux de vacance, essen-
tiellement des logements, voire des locaux commerciaux,
était
inférieur à 1,5% du parc immobilier locatif.

Aussi, dans les cantons où la pénurie est consta-
tée, sur la base d'une étude statistique sérieuse, par le
gouvernement cantonal, l'articulation entre l'art. 270 al. 1
let. a in fine CO et l'art. 270 al. 2 CO, ainsi que le but
de
protection des locataires poursuivi par ces dispositions,
permettent d'admettre comme établie la situation difficile
sur le marché local du logement rencontrée par le locataire.
Et ceci d'autant plus que les arrêtés du Conseil d'Etat indi-
quent les catégories de logements par nombre de pièces, et
limitent leur validité à une année pour tenir compte de
l'évolution de la situation économique et des changements
pouvant intervenir dans la constatation de la pénurie.

4.- La deuxième condition prévue à l'art. 270 al. 1
let. a CO étant réalisée, la cour cantonale a violé le droit
fédéral en déniant au demandeur le droit de contester le

loyer initial, et en rejetant sa demande à ce sujet. Le re-
cours en réforme doit être admis, sans qu'il soit nécessaire
d'entrer
en matière sur le moyen pris de la violation de
l'art. 274d al. 3 CO, qui concerne des éléments non détermi-
nants pour l'issue du présent litige.

5.- Le Tribunal fédéral est en mesure de statuer
lui-même, dès lors que les parties ont manifesté
expressément
leur accord pour une baisse de loyer de 24,73 %, correspon-
dant à la reconnaissance d'un loyer abusif à concurrence de
cette proportion. La demande de réduction sera donc admise,
dans les termes retenus par le jugement du Tribunal des baux
et loyers.

6.- Vu l'issue du recours, un émolument judiciaire
sera mis à la charge de l'intimé, qui devra également payer
une indemnité de dépens au recourant.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours en réforme.

2. Annule l'arrêt attaqué et le réforme en ce sens
que:

Le loyer annuel de l'appartement loué par le recou-
rant est fixé à 8535 fr. 60 par an, charges non comprises,
dès le 16 juin 1999.

L'intimé est condamné à restituer la part de loyer
perçu en trop depuis le 16 juin 1999.

La garantie bancaire est fixée à 2134 fr. et le
solde bloqué en trop en faveur de l'intimé est libéré.

3. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de l'intimé.

4. Dit que l'intimé versera au recourant une indem-
nité de 3000 fr. à tire de dépens;

5. Renvoie la cause à l'autorité cantonale pour
nouvelle décision sur les frais et dépens de l'instance can-
tonale;

6. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre d'appel en matière de
baux
et loyers du canton de Genève.
________

Lausanne, le 12 mars 2002
MMH/dxc

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,

La greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.367/2001
Date de la décision : 12/03/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-12;4c.367.2001 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award