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12/03/2002 | SUISSE | N°4C.195/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 mars 2002, 4C.195/2001


«/2»

4C.195/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

Séance du 12 mars 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz,
Mme Klett, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Favre, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

M.K.________, L.K.________ et A.K.________, demandeurs et
recourants principaux, tous les trois à Porrentruy, repré-
sentés par Me Hubert Theurillat, avocat à Porrentruy,

et

l'As

surance X.________, à Zurich, défenderesse et recourante
par voie de jonction, représentée par Me Pierre Vallat,
avocat à Po...

«/2»

4C.195/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

Séance du 12 mars 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz,
Mme Klett, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Favre, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

M.K.________, L.K.________ et A.K.________, demandeurs et
recourants principaux, tous les trois à Porrentruy, repré-
sentés par Me Hubert Theurillat, avocat à Porrentruy,

et

l'Assurance X.________, à Zurich, défenderesse et recourante
par voie de jonction, représentée par Me Pierre Vallat,
avocat à Porrentruy;

(perte de soutien; tort moral)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Originaire de Bosnie, dame K.________ est née
le 13 juin 1953. Elle a épousé M.K.________, né le 1er mai
1948.

Le couple a eu deux enfants, L.K.________, née le
19 janvier 1977 et A.K.________, né le 14 juin 1980.

Pendant qu'ils résidaient à Sarajevo, tant
M.K.________, physicien de formation, que dame K.________
qui
avait obtenu un diplôme de juriste, travaillaient.

Fuyant la guerre en Bosnie, les K.________ sont ve-
nus en Suisse le 4 octobre 1993, en tant que requérants
d'asile. Durant leur séjour en Suisse, ils n'ont jamais exer-
cé d'activité lucrative.

Le 19 août 1995, dame K.________ a été renversée
par un scooter, alors qu'elle se déplaçait à pied à
Porrentruy, ville dans laquelle elle habitait. Elle est dé-
cédée le lendemain des suites de ses blessures. Le motocy-
cliste, domicilié en France, a été reconnu coupable entre
autres d'homicide involontaire.

B.- Le 12 janvier 2000, M.K.________, L.K.________
et A.K.________ ont ouvert action en justice contre l'Assu-
rance X.________ (ci-après: l'Assurance), en tant que repré-
sentante du Bureau national d'assurance. Ils ont conclu au
paiement de 1'632'794 fr. avec intérêt à 5 % dès le 19 août
1995, sous déduction des acomptes versés par l'assurance et
du montant relatif à l'action récursoire des assurances so-
ciales. Par la suite, ils ont précisé leurs conclusions,

M.K.________ requérant 468'374 fr. pour perte de soutien et
941'304 fr. à titre de préjudice relatif à l'activité ména-
gère, avec intérêt à 5 % dès le prononcé du jugement, ainsi
que 50'000 fr. pour tort moral, avec intérêt à 5 % dès le 19
août 1995. L.K.________ a demandé le versement de 48'204 fr.
à titre de perte de soutien et de 40'000 fr. pour tort
moral,
alors que son frère a réclamé 54'912 fr. à titre de perte de
soutien et 40'000 fr. pour tort moral, avec intérêt à 5 %
dès
le prononcé du jugement pour la perte de soutien et dès le
19
août 1995 pour le tort moral.

Dans sa réponse, l'Assurance a reconnu devoir à
M.K.________ 100'000 fr. à titre de perte de soutien pour
l'activité ménagère exercée par son épouse et 40'000 fr.
pour
tort moral, ainsi que 20'000 fr. pour tort moral à chacun
des
deux enfants, sous déduction des acomptes déjà versés et des
montants avancés par les services sociaux.

Par arrêt du 9 mai 2001, la Cour civile du Tribunal
cantonal jurassien a condamné l'Assurance à payer, à titre
de
perte de soutien pour l'activité ménagère de la défunte,
129'443 fr. à M.K.________, 23'023 fr. à L.K.________ et
46'675 fr. à A.K.________, soit 198'941 fr. (recte:
199'141 fr.) au total avec intérêt à 5 % dès le jour du juge-
ment, sous déduction d'un acompte de 60'000 fr. A titre de
tort moral, les juges ont octroyé 40'000 fr. à M.K.________
et 30'000 fr. à chacun des deux enfants, avec intérêt à 5 %
dès le 19 août 1995. Les prétentions des demandeurs pour
perte de soutien financier ont été rejetées, la cour canto-
nale considérant d'une part qu'il ne pouvait être admis, au
degré de certitude requis, que la défunte aurait fourni dans
le futur un soutien aux demandeurs et, d'autre part, que
M.K.________ n'était pas parvenu à apporter la preuve qu'il
avait besoin d'être soutenu.

C.- Contre l'arrêt du 9 mai 2001, M.K.________,
L.K.________ et A.K.________ (les demandeurs) ont déposé un
recours en réforme au Tribunal fédéral. Ils concluent, à
titre principal, à ce qu'il soit constaté que le jugement
cantonal est entré en force de chose jugée dans la mesure où
l'Assurance est tenue de payer à L.K.________ et à
A.K.________ la somme de 30'000 fr. à chacun plus intérêt à
titre d'indemnisation du tort moral; ils requièrent la modi-
fication partielle de ce jugement en ce sens que l'Assurance
soit condamnée à verser à M.K.________ la somme de
1'243'578 fr. à titre de perte de soutien plus intérêt à 5 %
dès le jour du jugement, à laquelle s'ajoutent 50'000 fr.
pour tort moral plus intérêt à 5 % dès le 19 août 1995, et à
ce que L.K.________ et A.K.________ reçoivent, à titre de
perte de soutien, respectivement 115'896 fr. et 137'742 fr.,
avec intérêt à 5 % dès le jour du jugement, sous déduction
des acomptes effectués par la défenderesse. Subsidiairement,
ils proposent l'admission du recours et le renvoi de la
cause
à la Cour civile cantonale pour nouveau jugement dans le
sens
des considérants.

Dans sa réponse, l'Assurance (la défenderesse) re-
quiert la constatation de l'entrée en force de chose jugée
du
jugement attaqué dans la mesure où il la condamne à payer à
L.K.________ et à A.K.________ respectivement 30'000 fr.
pour
tort moral; par ailleurs, elle demande la correction d'une
inadvertance manifeste qu'aurait commise la cour cantonale
en
omettant de déduire des indemnités versées aux demandeurs à
titre de perte de soutien "le montant du recours AVS", soit
1'265 fr. de la somme de 129'443 fr. allouée à M.K.________,
1'227 fr. de la somme de 23'023 fr. allouée à L.K.________
et
2'148 fr. de la somme de 46'675 fr. allouée à A.K.________.
Pour le surplus, l'Assurance conclut au rejet du recours
dans
la mesure de sa recevabilité et à la confirmation du
jugement
entrepris, sous suite de frais et dépens.

Les demandeurs proposent le rejet de la conclusion
de l'Assurance concernant la déduction liée aux prestations
AVS.

Par décision du 18 juillet 2001, la Cour de céans a
admis la requête d'assistance judiciaire déposée par
M.K.________, L.K.________ et A.K.________; Me Hubert
Theurillat a été désigné comme avocat d'office des deman-
deurs.

Statuant le 13 février 2002, la Cour de céans a re-
jeté le recours de droit public déposé parallèlement par
M.K.________, L.K.________ et A.K.________.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- La défenderesse, dans sa réponse, a conclu à la
réduction des montants alloués à titre de perte de soutien
aux trois demandeurs. Bien qu'elle n'ait pas été présentée
comme telle, cette écriture doit être considérée comme un
recours joint au sens de l'art. 59 al. 2 OJ (cf. Poudret,
COJ
II, Berne 1990, art. 59 et 61 no 2.1). Comme celui-ci porte
sur la même prétention que le recours principal, qu'il a été
déposé dans le délai imparti pour la réponse compte tenu des
féries (art. 34 al. 1 let. b et 59 al. 1 OJ) et qu'il respec-
te les exigences de formes de l'art. 55 OJ, il doit être con-
sidéré, à l'instar du recours principal, comme recevable.

2.- a) Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal
fédéral doit mener son raisonnement juridique sur la base
des
faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été vio-
lées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations repo-

sant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou
qu'il faille compléter les constatations de l'autorité canto-
nale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits perti-
nents régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248
consid. 2c et l'arrêt cité). Hormis ces exceptions que le
recourant doit invoquer expressément, il ne peut être présen-
té de griefs contre les constatations de fait, ni de faits
ou
de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).

Dans la mesure où les demandeurs, à l'appui des
violations du droit fédéral alléguées, présentent un état de
fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision
attaquée,
sans se prévaloir de l'une des exceptions qui viennent
d'être
rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte. Le re-
cours en réforme n'est en effet pas ouvert pour se plaindre
de l'appréciation des preuves et des constatations de fait
qui en découlent (ATF 127 III 519 consid. 2a p. 522 in fine;
126 III 10 consid. 2b p. 13).

b) Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des
conclusions des parties (art. 63 al. 1 OJ), lesquelles ne
peuvent prendre de conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let.
b in fine OJ). En revanche, il n'est pas lié par les motifs
qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
l'argumentation
juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 126 III 59 consid. 2a in fine et les arrêts cités).

aa) La défenderesse considère à tort que les con-
clusions des enfants de la victime tendant au versement
d'une
indemnité pour perte de soutien sont contraires à l'art. 55
al. 1 let. b OJ. D'une part, on ne voit manifestement pas en
quoi ces conclusions pourraient être qualifiées de
nouvelles,
puisque la cour cantonale a alloué aux deux enfants une in-
demnité à ce titre. On ne peut, d'autre part, reprocher aux
demandeurs d'avoir augmenté les conclusions individuelles de
certains d'entre eux devant le Tribunal fédéral. En effet,
il

est admis que, lorsque la demande tend à l'allocation de di-
vers postes de dommage reposant sur la même cause, ce qui
est
le cas en l'espèce, le tribunal est lié non pas par le mon-
tant demandé pour chacun des postes du dommage, mais par le
total réclamé dans les conclusions (ATF 119 II 396 consid. 2
p. 397, confirmé in arrêt du Tribunal fédéral 4C.250/1996 du
21 octobre 1996, SJ 1997 p. 156 consid. 3b/dd). Or, la somme
des conclusions des demandeurs sur le plan cantonal portait
sur un montant global de 1'632'794 fr., soit sur un total su-
périeur à l'ensemble des montants réclamés devant le
Tribunal
fédéral.

bb) Quant aux prétentions des demandeurs tendant à
la réparation des frais d'avocat avant procès, on peut effec-
tivement se demander s'il ne s'agit pas de conclusions nou-
velles violant l'art. 55 al. 1 let. b OJ, comme le soutient
la défenderesse, car l'arrêt entrepris n'y fait aucune réfé-
rence. Cette question peut toutefois demeurer indécise, dès
lors que ces conclusions sont de toute manière infondées. En
effet, les frais liés à l'intervention d'un avocat avant
l'ouverture du procès civil constituent un dommage réparable
selon le droit de la responsabilité civile seulement dans la
mesure où ils ne sont pas compris dans les dépens définis
par
la procédure cantonale (arrêt du Tribunal fédéral 4C.51/2000
du 7 août 2000, SJ 2001 I 153 consid. 2 p. 154; ATF 117 II
101 consid. 5). Sur ce point, les demandeurs se contentent
de
critiquer la manière dont la cour cantonale a statué sur la
question des frais et dépens, mais sans démontrer, comme il
leur appartenait de le faire, que les dépens alloués et
l'indemnité versée à leur avocat d'office, selon le droit
cantonal de procédure, ne leur permettaient pas de les dé-
dommager de tous les frais nécessaires et indispensables oc-
casionnés. Par conséquent, on ne saurait leur reconnaître
une
créance en dommages-intérêts complémentaires en réparation
des frais d'avocat avant procès (cf. arrêt du Tribunal fédé-

ral 4C.51/2000 du 7 août 2000, SJ 2001 I 153, consid. 3 p.
156).

3.- Devant le Tribunal fédéral, les parties con-
cluent à la confirmation du jugement entrepris s'agissant
des
montants alloués par la cour cantonale aux enfants de la dé-
funte à titre de tort moral. Cette question doit donc être
considérée comme définitivement tranchée.

4.- Les demandeurs reprochent en premier lieu à la
cour cantonale d'avoir violé l'art. 45 al. 3 CO en refusant
de leur allouer une indemnité pour perte de soutien finan-
cier.

L'art. 45 al. 3 CO prévoit que, lorsque, par suite
de mort, d'autres personnes ont été privées de leur soutien,
il y a également lieu de les indemniser de cette perte.
Cette
disposition déroge au système général du code des
obligations
en permettant exceptionnellement la réparation du préjudice
réfléchi (ATF 127 III 403 consid. 4b/aa p. 407; Honsell,
Schweizerisches Haftpflichtrecht, 3e éd. Zurich 2000, p. 95
no 89) et doit, de ce fait, être interprétée restrictivement
(ATF 82 II 36 consid. 4a; cf. Brehm, Commentaire bernois,
art. 45 CO no 35). Elle exige en premier lieu que le défunt
apparaisse comme un soutien du ou des demandeur(s). Est con-
sidéré comme tel celui qui, s'il n'était pas décédé, aurait
subvenu en tout ou partie à l'entretien d'une autre personne
dans un avenir plus ou moins proche. La perte de soutien
peut
donc non seulement être effective, mais aussi hypothétique.
Cette dernière éventualité suppose que la personne décédée
aurait, avec une grande vraisemblance, assuré un jour l'en-
tretien du ou des demandeur(s) si elle n'était pas décédée
(ATF 114 II 144 consid. 2a; 112 II 87 consid. 2a p. 92; cf.
Heinz Rey, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, 2e éd.
Zurich 1998, p. 63 no 288). Il faut donc établir des faits

permettant de conclure que, dans le cours normal des choses,
la personne décédée aurait un jour aidé le ou les demandeurs
(ATF 66 II 206 consid. 3; 62 II 58 consid. a). Comme les in-
certitudes sont nombreuses (cf. Piermarco Zen-Ruffinen, La
perte de soutien, Berne 1979, p. 30), le juge doit se
montrer
prudent (Deschenaux/Tercier, La responsabilité civile, 2e
éd.
Berne 1982, p. 236 no
21; Oftinger/Stark, Schweizerisches
Haftpflichtrecht, Allg. Teil, 5e éd. Zurich 1995, p. 338 no
269).

En l'espèce, les demandeurs présentent leur propre
appréciation des preuves pour démontrer que les juges au-
raient dû considérer la défunte comme un soutien financier
hypothétique de la famille, ce qui n'est pas admissible (cf.
supra consid. 2a). Si l'on s'en tient aux faits constatés
par
la cour cantonale (art. 63 al. 2 OJ), d'une manière
qualifiée
du reste de non arbitraire par la Cour de céans dans le
cadre
du recours de droit public déposé parallèlement (cf. arrêt
du
Tribunal fédéral du 13 février 2002 dans la cause
4P.161/2001
opposant les parties, consid. 3b), il n'apparaît pas comme
suffisamment vraisemblable que, selon le cours normal des
choses, la défunte aurait fourni un tel soutien aux deman-
deurs si elle n'était pas décédée. En pareilles circonstan-
ces, on ne peut reprocher à la cour cantonale d'avoir violé
l'art. 45 al. 3 CO en refusant d'indemniser la famille pour
la perte de soutien financier qu'aurait pu représenter la
défunte.

5.- Toujours sous le couvert d'une violation de
l'art. 45 al. 3 CO, les demandeurs s'en prennent aux
montants
qui leur ont été alloués en compensation de la perte liée à
l'activité ménagère de la défunte. Sur ce point, la défende-
resse invoque pour sa part une inadvertance manifeste.

a) L'art. 45 al. 3 CO permet non seulement d'indem-
niser la perte de soutien consistant en des prestations en
espèces (cf. supra consid. 4), mais également la disparition
d'un soutien en nature ayant une valeur économique, comme
l'activité ménagère (cf. ATF 127 III 403 consid. 4b p. 406;
108 II 434 consid. 2b). Cette indemnisation est calculée in-
dépendamment du fait qu'après le décès du soutien les tâches
effectuées par celui-ci ont été remplacées par l'engagement
d'une aide extérieure, par les membres du ménage restant ou
qu'il en est résulté une perte de qualité (ATF 127 III 403
consid. 4b p. 406; arrêt du Tribunal fédéral 4C.59/1994 du
13
décembre 1994 consid. 5a, résumé in JT 1996 I 728). En l'oc-
currence, il a été retenu que la défunte, au moment de son
accident, s'occupait de sa famille, de sorte que les deman-
deurs ont en principe droit à une indemnisation pour la
perte
de soutien liée à l'activité ménagère (cf. Honsell, op.
cit.,
p. 96 no 95), peu importe comment ils ont par la suite rem-
placé celle-ci. La défenderesse ne le remet du reste à juste
titre pas en cause. Le litige porte donc uniquement sur la
détermination des montants alloués à ce titre.

b) Selon la méthode utilisée par la jurisprudence,
la perte de soutien est calculée en deux étapes: il est tout
d'abord procédé à une évaluation du temps nécessaire aux
tâches ménagères; puis, il est tenu compte du coût que re-
présenterait cette activité sur le marché s'il fallait recou-
rir aux services d'une éventuelle personne de remplacement,
avec une majoration (cf. ATF 108 II 434 consid. 3a et d; 127
III 403 consid. 4b p. 406). La doctrine ne semble pas remet-
tre en question cette méthode de calcul dans son principe
(cf. Widmer/Geiser/Sousa-Poza, Gedanken und Fakten zum Haus-
haltschaden aus ökonomischer Sicht, RJB 2000 p. 1 ss; Robert
Geisseler, Der Haushaltschaden, in Haftpflicht- und Versi-
cherungsrechtstagung 1997, éd. Alfred Koller St-Gall 1997,
p. 73; Vito Roberto, Schadensrecht, Bâle etc. 1997,
p. 214 s.); elle s'en prend seulement aux critères d'évalua-

tion choisis et à l'importance à donner aux statistiques par
rapport aux circonstances concrètes (cf. au sujet de cette
controverse: Volker Pribnow, SAKE und Haushaltsschaden -
Einsame Palme auf sandigem Grund, Gedanken zu RJB 2000
p. 1 ss, RJB 2000 p. 297 ss; Widmer/Geiser/Sousa-Poza, Re-
plik, RJB 2000 p. 301 ss). Les parties ne critiquent pas non
plus le principe d'une indemnisation fixée sur la base du
temps consacré aux activités ménagères, converti en argent
selon les coûts du marché. Par conséquent, rien ne justifie
de s'en écarter.

c) Il ne faut pas perdre de vue que l'établissement
de la perte de soutien est essentiellement une question de
fait et d'appréciation qu'un recours en réforme ne permet de
revoir que dans une mesure restreinte. Le Tribunal fédéral
n'intervient que si le juge cantonal a méconnu la notion ju-
ridique du dommage ou d'autres principes de droit qui en ré-
gissent le calcul (ATF 127 III 403 consid. 4a p. 405, 117 II
609 consid. 12a) ou si, sans disposer d'éléments concrets,
il
s'est laissé guider par des considérations contraires à
l'expérience de la vie (arrêt du Tribunal fédéral
4C.479/1994
du 19 décembre 1995, Pra 1996 206 790 consid. 4a). Bien que
la perte de soutien s'établisse de manière abstraite au jour
du décès, le juge peut, avec retenue, tenir compte de faits
postérieurs à la mort du soutien (ATF 119 II 361 consid.
5b).

Compte tenu de ces principes, il convient d'exami-
ner la manière dont la cour cantonale a fixé la perte de sou-
tien liée aux tâches ménagères effectuées par la victime, eu
égard aux nombreux griefs des demandeurs.

d) La cour cantonale a évalué, sur une base statis-
tique, que la tenue du ménage de quatre personnes avec deux
adolescents représentait 40 heures de travail par semaine.
Ce
montant a été réduit à 35 heures pour compenser le temps
épargné à la suite de la disparition d'un des membres de la

famille. Pour fixer la rémunération horaire, les juges ont
pris comme base le salaire d'une femme de ménage, augmenté
d'un certain montant, afin de tenir compte de la qualité du
travail fourni par une épouse et mère. En fonction de la si-
tuation dans le canton du Jura, un montant de 22 fr. l'heure
a été considéré comme adéquat. Dès lors qu'avant le décès,
aucun des époux n'exerçait d'activité lucrative, il a été
admis que tous les deux se partageaient les tâches ménagères
à part égale, de sorte que la perte de soutien consécutive
au
décès de la mère de famille a été estimé à 17,5 heures par
semaine. L'indemnité due a ensuite été calculée de façon
distincte pour chacun des demandeurs, le père ayant droit à
la moitié de celle-ci, les enfants à un quart chacun. Les
juges ont limité la perte de soutien des enfants à la fin de
la durée probable de leurs études, soit en août 2004 pour
A.K.________ et en août 2002 pour L.K.________. Ils ont éga-
lement réduit la durée hebdomadaire déterminante du travail
ménager en fonction de ces deux départs. Ainsi, jusqu'en
août
2002, la perte de soutien s'est élevée à 17,5 heures, puis
elle a été estimée à 15 heures jusqu'en août 2004, pour fina-
lement passer à 5 heures à partir du moment où l'époux se
retrouverait seul. L.K.________ a en outre vu son indemnité
pour perte de soutien diminuée de 40 % durant ses études à
Genève. Les indemnités ont été calculées annuellement jus-
qu'en août 2004, puis, dès septembre 2004, soit à partir de
la fin probable des études des enfants, la rente due au père
a été capitalisée. Enfin, l'indemnité versée à celui-ci a
été
réduite de 25 % pour tenir compte de ses chances de remaria-
ge.

e) Les demandeurs émettent tout d'abord plusieurs
critiques relatives à l'évaluation du temps nécessaire aux
activités ménagères de la défunte à laquelle s'est livrée la
cour cantonale.

aa) Pour procéder à une telle évaluation, les juges
du fait peuvent soit se prononcer de façon abstraite, en se
fondant exclusivement sur des données statistiques, soit
prendre en compte les activités effectivement réalisées par
le soutien dans le ménage. Dans le premier cas, ils appli-
quent des critères d'expérience, de sorte que leur
estimation
peut être revue dans le cadre d'un recours en réforme (ATF
118 II 365 consid. 1 p. 366 s. et les références citées),
bien que, s'agissant d'appréciation, le Tribunal fédéral
n'intervienne qu'avec retenue (cf. supra let. c). Dans la
seconde hypothèse, ils examinent la situation concrète du
cas
d'espèce, même s'ils s'aident, pour déterminer dans les
faits
à quelle durée correspond une activité précise réalisée dans
le ménage en cause, d'études statistiques (cf. à titre
d'exemples les études de: Schulz-Brock/Hofmann,
Schadenersatz
bei Ausfall von Hausfrauen und Müttern im Haushalt, 6e éd.
Karlsruhe 2000; Anna Regula Brüngger, Die Bewertung des Ar-
beitsplatzes in privaten Haushalten/Évaluation du poste de
travail dans les ménages privés, Zurich 1977; Alliance de
sociétés féminines suisses (ASF) en collaboration avec
l'Institut d'organisation industrielle de l'Ecole polytech-
nique fédérale de Zurich (IOI), Wertschätzung der Haushaltar-
beit. Ergebnis einer Studie über die Arbeitsschwierigkeit im
privaten Haushalt, Zurich 1981 - résumé en français:
ASF/IOI,
Évaluation du travail ménager en fonction des difficultés du
travail dans les ménages privés, Zurich 1983). Il s'agit
alors de constatations de fait qui ne peuvent être
critiquées
en instance de réforme (cf. arrêt du Tribunal fédéral
5C.7/2001 du 20 juillet 2001 non publié, consid. 7 in fine).

bb) Parmi les critères permettant d'établir concrè-
tement le temps nécessaire aux activités ménagères, la struc-
ture du ménage, en particulier le nombre des personnes le
composant, apparaît comme essentielle. Peuvent aussi être
pris en compte la grandeur du logement, l'éventuelle
activité
lucrative effectuée par le soutien, la situation profession-

nelle des membres du ménage (critique: Ria Wiggenhauser-
Baumann, Der Haushaltschaden im Haftpflichtfall, éd. privée
Ossingen 2002, p. 27), ainsi que la proximité de certaines
commodités, comme des magasins (cf.
Widmer/Geiser/Sousa-Poza,
op. cit., RJB 2000 p. 9 à 16; Guy Chappuis, Le calcul du
dommage, in Colloque sur la responsabilité civile, Fribourg
2001, p. 9 s.).

cc) En l'espèce, la cour cantonale avait à évaluer
le temps consacré aux activités ménagères d'une famille de
quatre personnes, dont deux adultes et deux adolescents. En
retenant 40 heures par semaine et en déduisant 5 heures de
ce
montant pour tenir compte du temps passé par la défunte à
son
propre entretien, elle n'a pas contrevenu aux règles d'expé-
rience. Au contraire, elle s'est conformée aux valeurs mini-
males admises par la jurisprudence (cf. arrêt du Tribunal
fédéral 4C.101/1993 du 23 février 1994, SJ 1994 p. 589 con-
sid. 4a; confirmé notamment in arrêt du Tribunal fédéral
4C.479/1994 du 19 décembre 1995, Pra 1996 206 790 consid.
4b/cc).

Lorsque les demandeurs s'en prennent à cette durée,
ils n'ont visiblement pas saisi le raisonnement de la cour
cantonale, car celle-ci aboutit au total de 40 heures, moins
les cinq heures consacrées par la mère de famille à son pro-
pre entretien, soit à 35 heures par semaine au total pour
une
famille désormais composée de trois personnes, dont deux ado-
lescents. Or, une telle évaluation équivaut précisément à ce
que requièrent les demandeurs.

dd) Sur ces 35 heures hebdomadaires consacrées aux
activités ménagères, les juges ont considéré que, puisqu'au
moment du décès, aucun des époux n'exerçait d'activité lucra-
tive, ceux-ci se partageaient les tâches domestiques à
charge
égale. Ce faisant, ils ne se sont pas fondés sur
l'expérience
de la vie, mais sur la spécificité de la situation familiale

en cause. Ils ont donc procédé à une appréciation des preu-
ves, qui ne peut être revue dans le cadre d'un recours en
réforme (cf. supra let. aa). Les critiques formulées à cet
égard ne sont donc pas admissibles (cf. supra consid. 2a in
fine). En outre, les demandeurs se méprennent lorsqu'ils
reprochent à la cour cantonale d'avoir fait supporter à
l'époux une partie de la perte de la valeur économique liée
au décès de son épouse, en mettant à sa charge 15 heures
d'activités ménagères par semaine (recte: 17,5 heures). En
effet, il ressort des constatations du jugement attaqué
qu'avant le décès déjà l'époux effectuait la moitié des tâ-
ches ménagères. Celui-ci ne saurait par conséquent exiger
d'être indemnisé pour des travaux qu'il aurait de toute ma-
nière exécuté, même sans la disparition de la victime. Il ne
s'agit en aucun cas d'une activité ménagère supplémentaire
imposée à l'époux à la suite du décès de la mère au foyer,
de
sorte que la jurisprudence citée par les demandeurs dans ce
contexte n'est pas pertinente.

ee) Les demandeurs ne contestent pas la position de
la cour cantonale selon laquelle L.K.________ et
A.K.________
auraient bénéficié du soutien de leur mère jusqu'à la fin de
leurs études respectives, évaluée à août 2002 pour l'aînée
et
à août 2004 pour le cadet. Partant, on ne peut reprocher à
la
cour cantonale d'avoir réduit la durée de base de 35 heures
hebdomadaires de travail domestique en fonction du départ
prévisible des deux adolescents, puisqu'il est évident que
le
temps consacré aux activités ménagères d'une personne seule
est bien inférieur à celui d'une famille avec deux enfants.
Quant à la mesure de la réduction, elle ne sera pas revue
dès
lors qu'elle ne fait l'objet d'aucune critique de la part
des
demandeurs. Il n'est toutefois pas inutile de préciser à
ceux-ci que le tribunal cantonal aurait également pu tenir
compte de l'aide supplémentaire au ménage dont on peut rai-
sonnablement s'attendre de la part de deux jeunes adultes sé-
journant au domicile familial.

ff) Enfin, comme il a été constaté que, depuis le
mois de septembre 1996, L.K.________ a suivi des études à
Genève et qu'elle était absente une partie de l'année, la
cour cantonale a, de façon correcte, réduit proportionnelle-
ment la durée du travail ménager la concernant. En adoptant
un taux de réduction de 40 %, les juges ont pris en considé-
ration le temps que L.K.________ continuait encore de passer
à son domicile
de Porrentruy, de sorte que les reproches des
demandeurs à cet égard sont manifestement infondés.

f) En ce qui concerne la valeur du travail ménager,
les demandeurs soutiennent que c'est une rémunération
horaire
de 30 fr. par heure et non de 22 fr. qui aurait dû être rete-
nue.

aa) Selon la jurisprudence, la rémunération du tra-
vail ménager doit être déterminée en fonction du salaire
d'une femme de ménage ou d'une gouvernante à l'époque du dé-
cès, augmenté d'un certain montant pour tenir compte de la
qualité de travail fourni par une épouse et mère (cf. ATF
108
II 434 consid. 3d p. 439; confirmé notamment in arrêt du
Tribunal fédéral 4C.101/1993 du 23 février 1994, SJ 1994
p. 589 consid. 4b p. 592). En doctrine, le bien-fondé de
cette "plus-value qualitative" est remise en cause, car elle
indiquerait que le salaire des employés de maison ne consti-
tuerait pas un critère de comparaison adapté (cf. Widmer/
Geiser/Sousa-Poza, op. cit., RJB 2000 p. 17; Geisseler, op.
cit., p. 83 s.; Edgar Hofmann, Der Wert der Hausfrauenarbeit
nach deutscher und schweizerischer bundesgerichtlicher
Rechtsprechung, in Versicherungsrecht 1983 p. 1093 s.).
Cette
opinion n'est pas dénuée de pertinence, ce d'autant qu'il
existe actuellement des études statistiques portant spécifi-
quement sur l'évaluation économique du travail ménager (en
particulier Office fédéral de la statistique, Enquête suisse
sur la population active - ESPA - en 2000, Neuchâtel 2000,
dont le concept d'évaluation, pour les données 1997, est pré-

senté in: Schmid/Sousa-Poza/Widmer, Évaluation monétaire du
travail non rémunéré - Une analyse empirique pour la Suisse
basée sur l'enquête suisse sur la population active, OFS
Neuchâtel 1999, p. 33 ss; ASF/IOI, Monetäre Bewertung der
Haushaltarbeit, Ergänzung der Broschüre Wertschätzung der
Haushaltarbeit, Zurich 1989) et qu'il faut tendre, en cette
matière, à la recherche de critères simples et clairs (cf.
Hans-Peter Walter, La jurisprudence du Tribunal fédéral rela-
tive au dommage ménager, in Évaluation du handicap
domestique
après une lésion cérébrale, éd. Ileri Zurich 1995, p. 15 ss,
38). Dans la présente cause, il n'y a cependant pas lieu de
se pencher plus avant sur la méthode traditionnelle d'évalua-
tion de la rémunération du travail ménager, dès lors que la
cour cantonale a correctement rappelé les règles jurispruden-
tielles précitées et qu'aucune des parties n'a contesté les
critères à la base de ce calcul. Il reste à examiner la
façon
dont ces règles ont été mises en oeuvre.

bb) Après avoir énuméré les deux valeurs à prendre
en considération, à savoir le salaire d'une femme de ménage
augmenté d'une plus-value qualitative, les juges ont seule-
ment indiqué que, compte tenu de la situation dans le canton
du Jura et du coût actuel d'une femme de ménage, un montant
de 22 fr. l'heure paraissait adéquat. Une telle motivation
ne
permet pas au Tribunal fédéral de vérifier si le droit fédé-
ral a été correctement appliqué dans le cas d'espèce.

Il est vrai que la détermination du salaire usuel,
dont il est également fait mention à l'art. 322 CO, repose
sur les conditions locales du secteur concerné (Stahelin,
Commentaire zurichois, art. 322 CO no 29; Rehbinder, Com-
mentaire bernois, art. 322 no 12). Cette question, qui
dépend
donc des usages, relève du fait, de sorte qu'elle ne peut
être revue dans le cadre d'un recours en réforme (cf.
Poudret, op. cit., art. 63 OJ no 4.6.1; Messmer/Imboden, Die
eigenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, Zurich 1992, no

95 p. 130). Il s'agit de la même problématique que celle de
l'établissement de la rémunération usuelle dans le contrat
de
courtage (cf. ATF 117 II 286 consid. 5a; Corboz, Le recours
en réforme au Tribunal fédéral, SJ 2000 II p. 1 ss, 63 note
508). La plus-value peut en revanche être contrôlée en ins-
tance de réforme. On peut déduire de la jurisprudence (cf.
ATF 108 II 434 consid. 3d in fine; arrêt du Tribunal fédéral
4C.101/1993 du 23 février 1994, SJ 1994 p. 589 consid. 4b),
que la plus-value doit, sauf circonstances spéciales, se si-
tuer entre 25 % et 50 % du salaire de base. Par conséquent,
même si, en cette matière, le juge du fait dispose d'un
large
pouvoir d'appréciation (cf. supra let. c; cf. ATF 127 III
300
consid. 6b; 125 III 226 consid. 4b), il ne saurait, sans jus-
tification particulière, retenir une plus-value inférieure à
l'ordre de grandeur précité, sous peine de violer le droit
fédéral.

En fixant un montant final de 22 fr., sans indiquer
quelle était la part du salaire usuel et celle de la plus-
value dans ce chiffre, l'arrêt attaqué a rendu toute vérifi-
cation impossible. En comparaison avec les montants retenus
dans la jurisprudence, ce chiffre horaire paraît d'ailleurs
suspect. En effet, le Tribunal fédéral a jugé que les salai-
res suivants étaient admissibles:
- 15 fr. par heure à Genève en 1976-1977 (ATF 108 II
434
consid. 3d p. 439);
- 22,70 fr. par heure dans le canton de Soleure pour
un
accident survenu en 1979 (ATF 117 II 609 consid. 7b
et
d);
- 16 fr. par heure dans le canton de Vaud en 1983
(arrêt
du Tribunal fédéral 4C.479/1994 du 19 décembre
1995,
Pra 1996 206 790 consid. 4b/cc in fine);
- 20 fr. par heure à Genève en 1994 (arrêt du
Tribunal
fédéral 4C.101/1993 du 23 février 1994 in SJ 1994
p.
489, consid. 4b);
- 30 fr. par heure en milieu rural dans le canton de

Vaud en 1991 (arrêt du Tribunal fédéral 4C.495/1997
non publié du 9 septembre 1998, consid. 5a/bb).
Dans
cet arrêt récent, la Cour de céans a relevé qu'un
montant de 25 fr. par heure aurait correspondu au
tarif de 20 fr. retenu à Genève en 1984. Elle a
toute-
fois confirmé le tarif horaire de 30 fr. admis sur
le
plan cantonal en soulignant le large pouvoir
d'appré-
ciation conféré en ce domaine aux autorités
cantonales
et la tendance à revaloriser le travail ménager,
qu'il
soit exercé à la ville où à la campagne (arrêt op.
cit., loc. cit. in fine).

Dans un tel contexte, on peut légitimement se de-
mander si la proportion de la plus-value dans les 22
fr.
retenus n'est pas exagérément faible, voire même inexis-
tante. Il convient donc d'annuler l'arrêt entrepris et
de
renvoyer la cause à la cour cantonale (art. 64 al. 1
OJ)
afin qu'elle constate en fait, au besoin en complétant
le
dossier, le salaire usuel d'une femme de ménage dans le
canton du Jura en 1995, et qu'elle indique le montant
de
la plus-value prise en compte.

g) Les demandeurs s'en prennent encore à la
façon
dont la cour cantonale a établi le montant des
indemnités
dues à chacun des trois membres de la famille. A ce pro-
pos, ils font fausse route lorsqu'ils lui reprochent de
n'avoir pas procédé à un calcul basé sur les
quotes-parts,
qui est la méthode préconisée par la jurisprudence.

La fixation de la quote-part de soutien, qui per-
met d'évaluer le montant nécessaire aux survivants pour
continuer de vivre dans les mêmes conditions qu'avant
le
décès de leur soutien (cf. ATF 108 II 434 consid. 5a),
n'a
de sens que si elle est établie sur la base des revenus
globaux de la famille. La quote-part correspond en
effet
au pourcentage du revenu total de la famille qui
revient à

chacun des membres la composant (cf. ATF 101 II 346 con-
sid. 4). Dans les arrêts cités par les demandeurs, le
Tribunal fédéral a du reste toujours fixé les
quotes-parts
après avoir établi le gain total réalisé par la
communauté
domestique (cf. ATF 101 II 346 consid. 3; 90 II 79
consid.
3 p. 84; cf. également arrêt du Tribunal fédéral
4C.101/1993 du 23 février 1994, SJ 1994 p. 589 consid.
5)

En l'espèce, si la cour cantonale n'a pas fixé
de
quote-part, c'est parce qu'elle n'a pas établi le gain
total de la famille au moment du décès. Elle s'est
limitée
aux conséquences de la perte de soutien liée à la seule
perte de l'activité ménagère exercée par la victime.
Comp-
te tenu du large pouvoir d'appréciation dont disposent
les
juges en ce domaine, on ne peut leur en faire grief
dans
le contexte très particulier de cette famille qui, au
moment de l'accident mortel, ne vivait que des montants
versés par les services sociaux, ce qu'elle a du reste
continué à faire par la suite. Dans de telles
circonstan-
ces, il n'est d'ailleurs pas exclu que la fixation d'in-
demnités sur la base de quotes-parts dépendant du
revenu
global de la famille ait été plus défavorable aux deman-
deurs que la méthode choisie, dont rien ne permet en
outre
de déduire qu'elle contrevienne à la notion juridique
du
dommage.

h) Les demandeurs contestent enfin le principe
de
la réduction de 25 % opérée sur la rente capitalisée
due à
l'époux pour tenir compte de ses chances de remariage.

La cour cantonale a indiqué que, selon les
tables
de Stauffer/Schätzle, les chances de remariage du père
de
famille au moment du décès de son épouse étaient de 42
%,
mais que, compte tenu de sa situation particulière,
elles
devaient être fixées, ex aequo et bono, à 25 %. On ne
voit
pas que ce raisonnement viole le droit fédéral. Selon
la

jurisprudence en effet, pour évaluer les chances de
rema-
riage au jour du décès du conjoint, le juge peut
s'aider
des tables statistiques, mais avec retenue, et doit les
corriger en fonction des particularités du cas concret
(cf. ATF 113 II 323 consid. 3c p. 335; 108 II 434
consid.
5c p. 441 s.). Or, c'est précisément le raisonnement
suivi
par l'autorité cantonale. En outre, en estimant les
chan-
ces de l'époux à un quart, celle-ci n'a pas abusé de
son
pouvoir d'appréciation, eu égard notamment au fait
qu'au
moment du décès de son épouse, M.K.________ avait moins
de
50 ans.

i) En conclusion, la façon dont la cour
cantonale
a fixé les indemnités dues aux demandeurs à titre de
perte
de soutien pour l'activité ménagère de la victime peut
être confirmée, sous réserve du taux de rémunération ho-
raire pour lequel le Tribunal fédéral manque d'éléments
lui permettant de vérifier l'application correcte du
droit
fédéral (cf. supra let. f), ce qui justifie le renvoi
de
la cause à l'autorité cantonale au sens de l'art. 64
al. 1
OJ.

6.- Il reste à vérifier si, comme l'invoque la
défenderesse à l'appui de son recours joint, la cour
can-
tonale a commis une inadvertance manifeste en ne
déduisant
pas des indemnités allouées à titre de perte de soutien
"le montant du recours AVS".

Un tel grief formé dans un recours joint est ad-
missible (cf. Poudret, op. cit., art. 59 et 61 OJ no
2.5.4).

Il y a inadvertance manifeste, au sens de l'art.
63 al. 2 OJ, lorsque l'autorité, par inattention, a
omis
de prendre en considération toute ou partie d'une pièce

déterminée, versée au dossier, ou l'a mal lue ou mal
com-
prise, s'écartant par mégarde de sa teneur exacte (ATF
115
II 399 consid. 2a; 109 II 159 consid. 2b p. 162).
L'inad-
vertance ne peut être qualifiée de manifeste que si
elle
résulte à l'évidence et sans autre explication possible
de
la contradiction avec une ou des pièces déterminées.
Tel
ne peut être le cas si la constatation peut prêter à
dis-
cussion au vu des éléments du dossier (Poudret, op.
cit.,
art. 63 OJ no 5.3 p. 568).

En l'espèce, la défenderesse relève que la
demande
formée devant l'autorité cantonale mentionnait qu'il y
aurait lieu de déduire du total des conclusions "les
acomptes de la défenderesse à valoir sur ledit dommage,
ainsi que le montant relatif à l'action récursoire des
assurances sociales". Dans son mémoire de défense canto-
nal, l'assureur a indiqué qu'il convenait de déduire du
montant alloué à titre de perte de soutien "le recours
AVS
par fr. 4'641". Il a produit trois pièces démontrant
qu'à
la suite de l'événement dommageable, une rente de veuf
au
capital de couverture de 1'265 fr. et une rente d'orphe-
lin(s), au capital de couverture de 3'376 fr.,
totalisant
4'641 fr., avaient été allouées par la Caisse cantonale
de
compensation AVS aux demandeurs et que ce montant,
réclamé
à la société B.________ S.A. à Genève, avait été
entièrement acquitté.

Si l'on peut s'étonner que la cour cantonale
n'ait
pas motivé la raison pour laquelle elle n'a pas opéré
la
déduction de 4'641 fr., on ne saurait en déduire, au vu
du
dossier, que le montant précité devait sans conteste
être
soustrait des indemnités allouées aux demandeurs: d'une
part, il n'est pas établi que ce soit la défenderesse
elle-même qui ait supporté ce coût et non la société
B.________ S.A.; d'autre part, dans l'arrêt attaqué, la
cour cantonale indique que la défenderesse n'aurait
deman-
dé que la déduction des acomptes et montants avancés
par
le Service des oeuvres sociales de la ville de
Porrentruy,
qui ont fait l'objet d'une cession de créance des deman-
deurs à l'encontre de la défenderesse. Ces imprécisions
laissent planer des doutes qui excluent l'existence
d'une
erreur manifeste.

7.- Les demandeurs s'en prennent également au
montant de l'indemnité pour tort moral versée à
l'époux,
considérant qu'en l'évaluant à 40'000 fr., à la place
des
50'000 fr. qu'ils réclamaient, la cour cantonale a
violé
l'art. 47 CO.

On peut sérieusement se demander si le grief for-
mulé par les demandeurs est recevable sous l'angle de
l'art. 55 al. 1 let. c OJ, dès lors qu'à l'appui de la
violation du droit fédéral invoquée, ils présentent un
état de fait ne ressortant pas de l'arrêt entrepris.

Au demeurant, leur critique est infondée. En ef-
fet, l'ampleur de l'indemnité accordée sur la base de
l'art. 47 CO dépend avant tout de la gravité de la souf-
france ressentie par les proches et de la possibilité
d'adoucir de manière sensible, par le versement d'une
somme d'argent, la douleur morale (ATF 123 III 306
consid.
9b p. 315; 118 II 410 consid. 2a). La faute grave du
res-
ponsable fait également partie des facteurs qui peuvent
être pris en compte (arrêt du Tribunal fédéral
4C.101/1993
du 23 février 1994, SJ 1995 p. 589 consid. 10a p. 597).
Le
Tribunal fédéral peut revoir librement le montant de
l'in-
demnité pour tort moral; cependant, comme cette
question
relève pour une part importante de l'appréciation des
circonstances, la juridiction de réforme n'intervient
que
si la cour cantonale a mésusé de son pouvoir d'apprécia-
tion, prenant en considération des éléments qui ne de-

vaient pas l'être ou omettant de tenir compte de
facteurs
pertinents (ATF 125 III 412 consid. 2a; 118 II 404
consid.
3b/bb p. 408 s., 410 consid. 2a).

La cour cantonale a fixé l'indemnité pour tort
mo-
ral de l'époux à 40'000 fr. en tenant compte des
circons-
tances du cas, notamment du jeune âge et de la
responsabi-
lité de l'auteur de l'accident, ainsi que des liens
exis-
tant entre la défunte, son mari et ses enfants. Il en
res-
sort que ni les éléments pris en considération, ni le
mon-
tant retenu ne permettent d'en conclure à un abus du
large
pouvoir d'appréciation dont disposent les juges
cantonaux
en ce domaine.

8.- Dans ces circonstances, il convient de reje-
ter le recours joint et d'admettre partiellement le re-
cours principal. L'arrêt attaqué sera par conséquent
annu-
lé et la cause renvoyée à la cour cantonale en
application
de l'art. 64 al. 1 OJ, afin qu'elle complète au besoin
le
dossier et qu'elle statue à nouveau sur le salaire
horaire
retenu lors du calcul de la perte de soutien, d'une
maniè-
re qui permette de vérifier que les critères posés par
la
jurisprudence ont été correctement appliqués (cf. supra
consid. 5f).

9.- Dès lors que les demandeurs n'obtiennent
que
très partiellement gain de cause, que le sort du litige
demeure indécis et que la défenderesse succombe sur son
recours joint, il y a lieu de répartir les frais à
raison
de trois quarts à la charge des demandeurs,
solidairement
entre eux, et d'un quart à la charge de la défenderesse
(art. 156 al. 3 et 7 OJ). La part des frais incombant
aux
demandeurs, qui ont obtenu le bénéfice de l'assistance
ju-
diciaire, sera supportée par la Caisse du Tribunal
fédéral

(art. 152 al. 1 OJ), sous réserve de remboursement ulté-
rieur (art. 152 al. 3 OJ).

Entre les parties, la même clé de répartition
sera
appliquée, ce qui revient à allouer à la défenderesse
des
dépens réduits de moitié (art. 159 al. 3 OJ). Ceux-ci
se-
ront mis à la charge des demandeurs, débiteurs
solidaires
(art. 152 al. 1 a contrario, ainsi que 159 al. 1 et 5
OJ),
alors que les dépens de ces derniers seront supportés
par
la Caisse du Tribunal fédéral (art. 152 al. 2 OJ).
L'art.
152 al. 3 OJ est également réservé.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours joint.

Admet partiellement le recours principal, annule
l'arrêt attaqué et renvoie la cause à l'autorité
cantonale
pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

2. Met un émolument judiciaire de 8'000 fr. à
rai-
son de 6'000 fr. à la charge des demandeurs,
solidairement
entre eux, et à raison de 2'000 fr. à la charge de la
dé-
fenderesse; la part mise à la charge des demandeurs
sera
supportée par la Caisse du Tribunal fédéral.

3. Dit que les demandeurs, débiteurs solidaires,
verseront à la défenderesse une indemnité de 5'000 fr.
à
titre de dépens réduits.

4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera
à
Me Hubert Theurillat une indemnité de 10'000 fr. à
titre
d'honoraires d'avocat d'office.

5. Communique le présent arrêt en copie aux
manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal
canto-
nal jurassien.

__________

Lausanne, le 12 mars 2002

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président, La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.195/2001
Date de la décision : 12/03/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-12;4c.195.2001 ?
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