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11/03/2002 | SUISSE | N°1A.12/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 11 mars 2002, 1A.12/2002


{T 0/2}
1A.12/2002/dxc

Arrêt du 11 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Féraud,
greffier Kurz.

Fondation Z.________, recourante, représentée par Me Marc Bonnant,
avocat,
rue de Saint-Victor 12, case postale 473, 1211 Genève 12,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale 3344, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'acc

usation, 1, place du
Bourg-de-Four, case postale 3108, 1211 Genève 3.

Entraide judiciaire internationale en matièr...

{T 0/2}
1A.12/2002/dxc

Arrêt du 11 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Féraud,
greffier Kurz.

Fondation Z.________, recourante, représentée par Me Marc Bonnant,
avocat,
rue de Saint-Victor 12, case postale 473, 1211 Genève 12,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale 3344, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, 1, place du
Bourg-de-Four, case postale 3108, 1211 Genève 3.

Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Belgique

(recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Cour de
justice du
canton de Genève, Chambre d'accusation, du 5 décembre 2001)
Faits:

A.
Le 11 décembre 2000, le Juge d'instruction au Tribunal de première
instance
de Bruxelles a adressé, directement au Juge d'instruction de Genève
puis par
le biais de l'Office fédéral de la justice (OFJ), une commission
rogatoire
formée pour les besoins d'une instruction menée contre Pierre Bosquet
pour
menaces et blanchiment, A.________ pour faux et escroquerie, et contre
inconnu pour faux et abus de confiance, sur plainte de la société
T.________
S.A. Le 14 juin 1997, représentée par son cadre A.________,
T.________ S.A.
avait signé un contrat de concession pour le transport et le stockage
de gaz
naturel au Kazakhstan. Sous le couvert de frais de consultance, les
dénommés
C.________, D.________ et B.________ se seraient vu verser 55
millions d'US$
par l'entremise d'E.________ International Inc., société des Bahamas
ayant un
siège à Genève, et attribuer 45% des actions de la société
concessionnaire au
Kazakhstan. Un montant important aurait été ristourné à A.________,
par le
biais de la société S.________, le tout à l'insu des responsables de
T.________ S.A. Cette dernière faisait état d'opérations similaires
concernant d'autres marchés au Kazakhstan, au Pakistan, au Pérou et à
Oman.
L'autorité requérante désirait obtenir des extraits de la procédure
pénale
ouverte à Genève pour blanchiment d'argent, contre D.________,
C.________ et
B.________, des renseignements, notamment sur E.________
International Inc.
et ses comptes bancaires, ainsi que sur les autres personnes
physiques et
morales mentionnées dans la demande.
Par ordonnance du 11 janvier 2001, le Juge d'instruction genevois est
entré
en matière et a ordonné le blocage des comptes concernés. Le 17
janvier
suivant, il a ordonné la saisie des documents et avoirs bancaires de
C.________, D.________ et B.________ auprès de la Banque P.________,
précisant que la documentation se trouvait déjà dans le dossier de la
procédure pénale genevoise.
L'OFJ a désigné le canton de Genève comme canton directeur le 20 mars
2001.

B.
Par ordonnance "d'entrée en matière et de clôture partielle" du 10
juillet
2001, le juge d'instruction a confirmé l'admissibilité de la demande
d'entraide, les faits décrits pouvant être qualifiés en droit suisse
de faux,
gestion déloyale, escroquerie et abus de confiance. Il a décidé de
transmettre à l'autorité requérante, notamment, l'intégralité de la
documentation du compte xxx détenu auprès de la Banque P.________ par
la
Fondation Z.________ dont l'ayant droit est B.________.

C.
Par ordonnance du 5 décembre 2001, la Chambre d'accusation genevoise
a rejeté
le recours formé par la Fondation Z.________. Celle-ci désirait
consulter la
commission rogatoire adressée par le juge d'instruction genevois aux
autorités Belges, afin de savoir quels renseignements leur avaient
été remis.
Cela était exclu, la procédure nationale n'étant pas contradictoire.
La
commission rogatoire belge résumait l'objet de la demande d'entraide
genevoise, ce qui suffisait au regard du droit d'être entendu. La
commission
rogatoire était suffisamment motivée, sans égard aux circonstances
dans
lesquelles elle avait été déposée, et il n'y avait pas à tenir compte
des
pièces censées mettre B.________ hors de cause. Le principe de la
proportionnalité était respecté.

D.
La Fondation Z.________ forme un recours de droit administratif
contre cette
dernière ordonnance dont elle demande l'annulation. Elle conclut en
outre à
l'annulation de la décision du juge d'instruction et au refus de
l'entraide
judiciaire, subsidiairement au refus de transmettre les pièces
relatives au
compte xxx.

La cour cantonale se réfère aux considérants de sa décision. Le juge
d'instruction et l'OFJ concluent au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté dans le délai et les formes utiles contre une décision de
clôture
partielle confirmée en dernière instance cantonale, le recours de
droit
administratif est recevable (art. 80e let. a et 80f al. 1 de la loi
fédérale
sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1).
Titulaire
du compte bancaire au sujet duquel l'autorité d'exécution a décidé
l'envoi de
renseignements complets, la recourante a qualité pour agir (art. 80h
let. b
EIMP et 9a let. a OEIMP).

2.
Dans un grief d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier
lieu, la
recourante se plaint de ne pas avoir eu accès à la commission
rogatoire
adressé par le juge d'instruction genevois aux autorités belges. Elle
entendait ainsi connaître les informations dont disposait le juge
d'instruction de Bruxelles pour établir sa propre demande d'entraide.
La
recourante évoque le soupçon que le juge genevois aurait formé sa
demande
d'entraide afin d'éviter la procédure de transmission spontanée
prévue à
l'art. 67a EIMP, en particulier l'établissement d'un procès-verbal.
Le résumé
figurant dans la demande d'entraide belge serait insuffisant à cet
égard.

2.1 Comme le rappelle la cour cantonale, le droit d'être entendu,
garanti par
l'art. 29 al. 2 Cst. et, en matière d'entraide judiciaire, par l'art.
80b
EIMP, permet à l'ayant droit, à moins que certains intérêts ne s'y
opposent
(art. 80b al. 2 EIMP), de consulter le dossier de la procédure, la
demande
d'entraide et les pièces annexées. La consultation ne s'étend en tout
cas
qu'aux pièces pertinentes (art. 26 al. 1 let. a, b et c PA; ATF 119
Ia 139
consid. 2d, 118 Ib 438 consid. 3).

2.2 Si elle contient des renseignements ayant pu motiver la démarche
de
l'autorité étrangère, la demande d'entraide adressée précédemment par
le juge
d'instruction genevois ne fait pas partie du dossier d'entraide
judiciaire.
La recourante explique qu'elle désire "comprendre le contexte" dans
lequel le
Juge d'instruction de Bruxelles a été amené à requérir l'entraide de
la
Suisse. Elle n'indique toutefois pas les conséquences juridiques
qu'elle
entendait tirer du renseignement ainsi obtenu. L'admissibilité d'une
demande
d'entraide s'examine sur le seul vu de la demande formelle et des
pièces
annexées. Par ailleurs, la jurisprudence constante considère que des
renseignements indûment ou prématurément transmis par la Suisse ne
sauraient
en principe conduire au refus d'une demande d'entraide ultérieure (cf.
notamment l'arrêt du 7 novembre 1996 dans la cause R., SJ 1997 193
consid.
3d/cc p. 195). On ne se trouve pas, dès lors, dans un cas où les
dossiers
d'entraide et de procédure pénale sont si étroitement imbriqués que la
consultation de l'un a des implications sur le déroulement de l'autre
(cf.
ATF 127 II 198 consid. 2a p. 202-203). Compte tenu du caractère
secret de la
procédure pénale genevoise, faute d'inculpations, la recourante n'a
pas
d'intérêt suffisant à la consultation d'un document sans incidence
directe
sur l'octroi de l'entraide judiciaire. Le grief doit être rejeté.

3.
La recourante reprend l'argumentation soumise à la cour cantonale, en
soutenant que la demande d'entraide du 11 décembre 2000 serait
lacunaire et
abusive. Le Juge d'instruction de Bruxelles aurait omis de préciser
que dans
une lettre du 28 avril 2000 adressée aux autorités de poursuite
belges, les
organes de T.________ S.A. avaient fait savoir qu'ils n'élevaient
aucune
prétention à l'encontre de D.________, C.________ et B.________,
précisant
même que la plainte du 10 novembre 1999 ne visait en aucun cas ces
personnes
ou leurs sociétés. Le 12 juillet 1999, le Procureur général de la
République
du Kazakhstan s'était adressé aux Procureurs belge et suisse pour
attester de
l'intégrité de B.________. Faute de mentionner ces faits, la demande
d'entraide serait gravement lacunaire et mettrait en cause la
confiance due
entre les Etats requérant et requis. A l'instar d'une précédente
commission
rogatoire du 15 avril 1999, la démarche du Juge d'instruction de
Bruxelles ne
serait qu'une recherche indéterminée concernant les fortunes
personnelles de
D.________, C.________ et B.________. La recourante reproche à la
Chambre
d'accusation d'avoir méconnu ces arguments en rappelant le pouvoir
d'examen
limité de l'autorité suisse, et en retenant que seul le retrait de la
demande
d'entraide (et non le retrait de la plainte pénale) était à même
d'entraîner
le refus de l'entraide. La recourante se plaint sur ce point d'une
motivation
insuffisante de l'ordonnance attaquée, mais son grief est d'avantage
matériel
que formel.

3.1 La recourante ne prétend pas, à juste titre, que l'exposé des
faits
fourni par le Juge d'instruction de Bruxelles serait insuffisant pour
comprendre l'objet de l'entraide requise. La demande expose sur
plusieurs
pages et dans le détail en quoi consistent les agissements
poursuivis, sur la
base de la plainte pénale et des éléments dont dispose actuellement
l'autorité requérante.

3.2 La lecture de la commission rogatoire fait aussi ressortir que
D.________, C.________ et B.________ ne sont pas formellement visés
par
l'instruction pénale, poursuivie contre l'ex-cadre de T.________ S.A.
A.________, contre F.________, "manager de crise" chargé de résoudre
la
problématique des commissions suspectes versées au Kazakhstan, ainsi
que
contre inconnu, la plaignante soupçonnant un ou plusieurs de ses
propres
responsables de s'être enrichis à ses dépens. Il est certes mentionné
que,
selon la plaignante, D.________, C.________ et B.________ se seraient
enrichis de manière délictueuse, mais la plainte ne comporte aucune
incrimination pénale à leur encontre. Comme cela sera encore relevé
ci-après,
il est indifférent, pour l'octroi de l'entraide judiciaire et pour la
remise
des pièces bancaires de la recourante, que celle-ci ou ses
ayants-droit se
voient imputer un comportement pénalement répréhensible. Même si les
sommes
parvenues à la recourante constituaient de simples commissions
versées à un
consultant extérieur à la société, il n'est pas exclu qu'il y ait, en
amont
et en aval de ces versements, des détournements punissables. La portée
juridique des pièces produites par la recourante n'est d'ailleurs pas
évidente: on ignore si la lettre de la plaignante doit être
considérée comme
une renonciation ou un retrait de la plainte pénale à l'égard des
personnes
mises hors de cause, et on ne sait pas non plus si les autorités de
poursuite
sont liées par une telle renonciation. Quant à l'"attestation" du
Procureur
général de la République du Kazakhstan, on en ignore à la fois les
motifs,
les fondements et la portée. Pour l'autorité suisse d'entraide, il ne
s'agit
que d'un élément à décharge dont il n'est pas tenu compte. Les
précisions
dont fait état la recourante ne sont donc pas pertinentes, et leur
omission
par le Juge d'instruction de Bruxelles ne relève pas de l'abus de
droit. On
ne saurait reprocher à l'autorité requérante d'avoir tenté d'induire
en
erreur l'autorité requise afin d'obtenir une entraide à laquelle elle
n'aurait pas droit. Dès lors que la demande d'entraide est en soi
admissible,
il n'y a pas lieu d'examiner si elle tend à réparer les défauts de la
précédente requête, ce qui serait d'ailleurs parfaitement admissible
(cf.
notamment l'art. 28 al. 6 EIMP). Ce grief est manifestement mal fondé.

4.
Invoquant le principe de la proportionnalité, la recourante relève
que son
ayant droit ne serait pas formellement poursuivi dans le cadre de
l'enquête
en Belgique, que la partie civile a renoncé à toute prétention à son
égard
et que son compte serait sans rapport avec les opérations effectuées
sur et à
partir du compte d'E.________ International Inc. En particulier, les
dates
des différents versements ne correspondraient pas.

4.1 Le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autorité
requérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre
part,
l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est
confiée (ATF
121 II 241 consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande
retenue
lorsqu'elle examine le respect de ce principe, faute de moyens qui lui
permettraient de se prononcer sur l'opportunité de l'administration
des
preuves. Le juge de l'entraide doit lui aussi se borner à examiner si
les
renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rapport avec
les
faits motivant la demande d'entraide. Il ne doit exclure de la
transmission
que les documents n'ayant manifestement aucune utilité possible pour
les
enquêteurs étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF
122 II 367
consid. 2c p. 371).

4.2 En l'espèce, le juge d'instruction genevois n'est pas allé
au-delà de
l'entraide requise: l'autorité requérante désire
être renseignée sur
tous les
comptes détenus directement ou non par les personnes physiques ou
morales
impliquées dans les faits décrits, notamment celles qui sont en
rapport avec
la société E.________ International Inc., puisque cette société a été
utilisée pour faire parvenir à leurs destinataires les 55 millions
d'US$ de
commissions. Quand bien même la poursuite pénale en Belgique est
limitée aux
personnes directement rattachées à T.________ S.A. (employés,
ex-cadres,
mandataires), il apparaît nécessaire pour l'enquête de déterminer le
cheminement et la destination finale des commissions suspectes,
puisque d'une
part, celles-ci, qui ne correspondraient à aucune activité économique
réelle,
auraient été versées à l'insu de la société et constitueraient des
actes de
détournement et que, d'autre part, une partie de ces commissions
aurait été
reversée à des responsables de T.________ S.A., notamment A.________
qui
aurait perçu 5 millions d'US$. Même si, comme le soutient la
recourante,
B.________ n'a commis aucune infraction, sa position centrale dans les
agissements soumis à l'enquête rendait nécessaires les investigations
requises. Il n'y a pas de violation du principe de la
proportionnalité.

5.
Le recours de droit administratif doit par conséquent être rejeté,
aux frais
de son auteur (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante, au
Juge d'instruction et à la Cour de justice du canton de Genève,
Chambre
d'accusation, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice, Division des
affaires internationales, Section de l'entraide judiciaire
internationale (B
109695/10).

Lausanne, le 11 mars 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.12/2002
Date de la décision : 11/03/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-11;1a.12.2002 ?
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