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07/03/2002 | SUISSE | N°K.68/00

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 07 mars 2002, K.68/00


«AZA 7»
K 68/00 Mh

Ière Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Widmer, Meyer,
Lustenberger et Ferrari. Greffier : M. Berthoud

Arrêt du 7 mars 2002

dans la cause

ASSURA, Assurance maladie et accident, avenue C.-F.
Ramuz 70, 1009 Pully, recourante,

contre

S.________, intimée, représentée par Maître Pascal Moesch,
avocat, rue Jaquet-Droz 32, 2301 La Chaux-de-Fonds,

et

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

A.- S.________ est affili

ée à la caisse-maladie Assura
en particulier pour l'assurance obligatoire des soins.
A la suite d'une écographie mammaire, son ...

«AZA 7»
K 68/00 Mh

Ière Chambre

MM. et Mme les juges Schön, Président, Widmer, Meyer,
Lustenberger et Ferrari. Greffier : M. Berthoud

Arrêt du 7 mars 2002

dans la cause

ASSURA, Assurance maladie et accident, avenue C.-F.
Ramuz 70, 1009 Pully, recourante,

contre

S.________, intimée, représentée par Maître Pascal Moesch,
avocat, rue Jaquet-Droz 32, 2301 La Chaux-de-Fonds,

et

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

A.- S.________ est affiliée à la caisse-maladie Assura
en particulier pour l'assurance obligatoire des soins.
A la suite d'une écographie mammaire, son médecin a
diagnostiqué la présence d'un fibroadénome rétroalvéolaire
interne à gauche. La doctoresse B.________, spécialiste en
chirurgie plastique et reconstructive, a procédé, le 15 dé-
cembre 1998, à une exérèse et une symétrisation. Sur la
base d'un examen effectué à la suite de cette intervention

chirurgicale, le docteur C.________, hématologue et
oncologue, a posé le diagnostic de sarcome à cellules
fusiformes de grade 2.
Le docteur C.________ a adressé la patiente à l'Insti-
tut X.________ à Milan. Au vu du résultat des examens qui y
ont été pratiqués, il a conseillé à S.________ de se faire
opérer à l'Institut X.________. L'intervention chirurgicale
- radicalisation de la lésion mammaire, quadrantectomie,
reconstruction plastique et mastoplasie réductive -, s'est
déroulée en avril 1999.
Par décision du 25 juin 1999, Assura a refusé de rem-
bourser les frais de traitements effectués à l'Institut
X.________, au double motif qu'il ne s'agissait pas de
soins prodigués en urgence et qu'il n'existait pas de
dispositions déterminant les traitements fournis à
l'étranger que les assureurs devaient prendre en charge.
Suite à l'opposition de S.________, Assura a confirmé
sa décision le 20 août 1999.

B.- S.________ a recouru auprès du Tribunal adminis-
tratif du canton de Neuchâtel contre cette décision. Par
jugement du 24 mars 2000, la juridiction cantonale a admis
le recours, renvoyé le dossier à la caisse pour nouvelle
décision et alloué 600 fr. de dépens à la recourante.

C.- Assura interjette recours de droit administratif
contre ce jugement dont elle demande l'annulation.
S.________ a conclu au rejet du recours avec suite de
dépens.
L'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a
présenté des observations sur le recours.

D.- A la requête du juge délégué à l'instruction,
l'OFAS s'est encore prononcé, par lettre du 21 septembre
2001, sur la question de la délégation de compétence ainsi
que sur l'absence de liste des prestations fournies à
l'étranger à charge de l'assurance-maladie. Après avoir
rappelé le principe de territorialité fixé dans la loi,
l'OFAS a exposé que l'ordonnance du Conseil fédéral prévoit
que le Département fédéral de l'intérieur (DFI) désigne,
après avoir consulté la commission compétente, les presta-
tions dont les coûts occasionnés à l'étranger sont pris en
charge par l'assurance obligatoire des soins lorsqu'elles
ne peuvent être fournies en Suisse. La Commission fédérale
des prestations générales s'est toutefois prononcée dans ce
sens que l'établissement d'une telle liste de traitement
n'était pas réalisable. Suivant les recommandations de la
commission, le DFI s'est abstenu d'établir une telle liste.
L'OFAS a ajouté qu'il recommande dans de très rares
cas, et à certaines conditions, aux assureurs-maladie de
prendre en charge les coûts d'un traitement prodigué à
l'étranger, de façon à éviter que toutes les prises en
charge soient refusées quels que soient les cas.
Les parties ont été invitées à présenter leurs obser-
vations éventuelles.

Considérant en droit :

1.- a) Aux termes de l'art. 34 al. 2 LAMal, le Conseil
fédéral peut décider de la prise en charge, par l'assurance
obligatoire des soins, des coûts des prestations prévues
aux art. 25 al. 2 ou 29 LAMal fournies à l'étranger pour
des raisons médicales. Il peut désigner les cas où l'assu-
rance obligatoire des soins prend en charge les coûts
d'accouchements à l'étranger pour des raisons autres que

médicales. Il peut limiter la prise en charge des coûts des
prestations fournies à l'étranger.
L'art. 34 al. 2 LAMal correspond à l'art. 28 al. 2 du
projet de LAMal du Conseil fédéral (FF 1992 I 252), adopté
par le Conseil des Etats le 17 décembre 1992 (BO CE 1992 p.
1305) et par le Conseil National le 5 octobre 1993 (BO CN
1993 p. 1847) où il n'a donné lieu à aucune remarque de la
part des parlementaires.

b) Dans son Message du 6 novembre 1991 concernant la
révision de l'assurance-maladie (FF 1992 I 144), le Conseil
fédéral indiquait ce qui suit :

«Le principe de la territorialité continue à régir
notre système d'assurance-maladie, ce qui ne nous empêche
pas d'"institutionnaliser" la possibilité d'exceptions à ce
principe.
Plusieurs caisses-maladie ont, aujourd'hui déjà,
commencé cette ouverture dans leur sphère d'autonomie.
L'innovation qui figurera désormais dans la loi comporte
l'avantage - sensible - de mettre tous les assurés sur pied
d'égalité. Elle vise, en premier lieu, les cas dans les-
quels des prestations (selon les art. 19, 2e al., ou 23)
sont fournies à l'étranger pour des raisons médicales. Il
s'agira donc soit d'un cas d'urgence, soit d'un cas dans
lequel il n'y a pas, en Suisse, d'équivalent de la pres-
tation à fournir. La deuxième exception que nous avons
prévue concerne l'accouchement à l'étranger pour des
raisons autres que médicales. Nous pensons principalement à
l'accouchement qui doit avoir lieu à l'étranger pour des
raisons d'acquisition de la nationalité (application du
principe du jus soli).
Le Conseil fédéral sera compétent pour fixer des
limites aux coûts à prendre ainsi en charge; sur le plan de
la systématique, on pourrait par exemple s'inspirer de la

solution adoptée aux articles 10, 3e alinéa, LAA et 17 OLAA
(RS 832.20; RS 832.202)».

c) Sur la base de l'art. 34 al. 2 LAMal, l'autorité
exécutive a édicté les art. 36 et 37 OAMal relatifs à
l'étendue de la prise en charge. Selon la première de ces
dispositions, intitulée «Prestations à l'étranger», l'assu-
rance obligatoire des soins prend en charge le coût des
traitements effectués à l'étranger dans les cas d'urgence
dont elle délimite le sens et la portée (al. 2). Elle dé-
termine par ailleurs des cas où les frais d'accouchement à
l'étranger sont obligatoirement pris en charge pour des
motifs autres que médicaux (al. 3). Enfin cette disposition
fixe l'étendue de la prise en charge des prestations à
l'étranger (al. 4).
Selon l'al. 1 de l'art. 36 OAMal, le département
(Département fédéral de l'Intérieur) désigne, après avoir
consulté la commission compétente, les prestations prévues
aux art. 25, al. 2, et 29 de la loi dont les coûts
occasionnés à l'étranger sont pris en charge par
l'assurance obligatoire des soins lorsqu'elles ne peuvent
être fournies en Suisse. Pour les raisons que l'OFAS a
mentionnées dans sa lettre du 21 septembre 2001, le
département n'a cependant pas fait usage jusqu'à ce jour de
cette délégation et désigné les prestations en question.

2.- a) Les parties admettent, à juste titre au vu du
dossier, que le traitement effectué à l'Institut X.________
à Milan ne peut être considéré comme découlant d'une
urgence dès lors que le déplacement à l'étranger en vue d'y
effectuer un traitement exclut précisément ce caractère.

b) Sans que cette question ait fait au demeurant
l'objet d'une instruction, l'assurée soutient pour sa part
que le traitement nécessaire ne pouvait être effectué qu'à
l'étranger.

Pour leur part, les premiers juges ont considéré que
les conditions d'une prise en charge de ce traitement à
l'étranger résultaient directement de la loi et de l'ordon-
nance, «le fait qu'aucune liste n'ait à ce jour été édictée
par l'administration fédérale ne saurait à lui seul justi-
fier un refus d'intervention de la part des assureurs». Or,
comme la prestation a été fournie pour des raisons médi-
cales et qu'à leur avis, elle ne pouvait l'être en Suisse,
l'assurance obligatoire des soins est tenue, en principe,
de prendre en charge ces coûts.

3.- Dans un premier temps, il convient d'examiner si
l'art. 34 al. 2 LAMal confère un droit à la prétention.

a) La loi s'interprète en premier lieu selon sa
lettre. Selon la jurisprudence, il n'y a lieu de déroger au
sens littéral d'un texte clair par voie d'interprétation
que lorsque des raisons objectives permettent de penser que
ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposi-
tion en cause. De tels motifs peuvent découler des travaux
préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi
que de la systématique de la loi. Si le texte n'est pas
absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci
sont possibles, il convient de rechercher quelle est la
véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les
éléments à considérer, soit notamment des travaux prépara-
toires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des
valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation
avec d'autres dispositions légales (ATF 125 II 196 con-
sid. 3a, 244 consid. 5a, 125 V 130 consid. 5, 180 con-
sid. 2a et les références).

b) Selon le texte de la loi, le Conseil fédéral peut
décider (der Bundesrat kann bestimmen; il Consiglio
federale può decidere) de la prise en charge. Au regard de
la lettre de la loi, le Conseil fédéral dispose ainsi de la

simple faculté d'édicter par voie d'ordonnance une règle de
droit au sujet de l'étendue de la prise en charge des pres-
tations; il n'en a en revanche pas l'obligation. L'examen
des travaux préparatoires ne permet pas d'aboutir à un
autre résultat, au motif que le texte ne restituerait pas
le sens véritable de la disposition en cause. En effet,
d'une part, l'adoption de cette disposition dans la
formulation proposée par le Conseil fédéral n'a donné lieu
à aucune discussion au Parlement si bien que l'on ne peut
en déduire la volonté du législateur d'en faire une norme
impérative; d'autre part, le message du Conseil fédéral
réaffirme le principe fondamental de la territorialité, la
possibilité de prévoir des exceptions étant laissée à sa
compétence.
Enfin, au regard du système même de l'assurance-mala-
die («Dem Grundsatz nach übernimmt die soziale KV die
Kosten nur für Leistungen, die in der Schweiz erbracht
worden sind (Territorialitätsprinzip)», G. Eugster, Kran-
kenversicherung in SBVR, n° 175), on ne peut finalement
déduire par voie d'interprétation de droit à la prestation
pour des traitements effectués à l'étranger.

c) Certes les termes utilisés par le législateur ne
sont pas toujours décisifs. La jurisprudence a ainsi
reconnu à de nombreuses reprises l'existence d'un droit
découlant de la législation fédérale, essentiellement en
matière de subvention, même si le texte légal employait le
mot «peut» qui implique, a priori, une appréciation (ATF
116 V 319 consid. 1c et les références).
Mais pour que l'on puisse dire de la législation
fédérale qu'elle confère un droit, il faut qu'elle
définisse de façon exhaustive les conditions dont dépend
l'octroi de la prestation et que la décision ne soit pas
laissée à l'appréciation de l'autorité administrative.
En l'espèce, comme on l'a vu ci-dessus, ces conditions
ne sont à l'évidence pas réunies. La délégation législative

donnée au Conseil fédéral lui laisse aussi bien un large
pouvoir d'exécution que d'appréciation en ce qui concerne
la prise en charge des soins donnés à l'étranger pour
raisons médicales. La norme légale ne permet pas à tout le
moins d'en fixer les conditions d'octroi. L'autorité exécu-
tive peut en effet encore déterminer le cercle des
ayants-droit comme circonscrire les raisons médicales à
prendre en considération, voire établir une liste des
prestations.
Il en résulte que c'est à tort que les premiers juges
ont déduit un droit à la prestation directement de la norme
légale (art. 34 al. 2 LAMal).

4.- a) Selon l'art. 48 al. 1 LOGA, le Conseil fédéral
peut déléguer aux départements la compétence d'édicter des
règles de droit, en prenant en compte la portée de la norme
envisagée (cf. à ce sujet, Auer, Malinverni, Hottelier,
Droit constitutionnel suisse, vol. I, chi. 1520 sv.). Avant
l'entrée en vigueur de cette loi, aucun texte ne prévoyait,
de manière générale, la subdélégation. La jurisprudence en
avait cependant admis la pratique, lorsqu'il s'agissait de
régler des questions techniques qui ne touchent aucun
principe constitutionnel (ATF 120 II 138 consid. 2a et les
arrêts cités; P. Moor, Droit administratif, vol. 1, p. 255
et les réf.).

b) Dans le cas particulier, le Conseil fédéral a sous-
délégué son pouvoir réglementaire en matière d'étendue des
prestations au DFI qui, pour les raisons expliquées par
l'OFAS dans sa correspondance du 21 septembre 2001, n'a pas
établi de liste. Il n'en demeure pas moins que la volonté
manifestée par le Conseil fédéral était de faire usage de
la faculté prévue à l'art. 34 al. 2 LAMal dès lors que non
seulement il a délégué au DFI le soin d'établir la liste
des prestations qui ne peuvent être fournies en Suisse,
mais qu'il s'est également occupé de fixer le cadre de la
prise en charge de ces coûts (art. 36 al. 4 OAMal).

Cette situation diffère ainsi de celle qui existe à
propos d'autres dispositions de la LAMal, comme par exemple
l'art. 64 al. 6 let. b LAMal, où le Conseil fédéral n'a pas
fait usage de la délégation donnée par la loi (arrêt non
publié D. du 28 décembre 1999, K 100/99).
Dans ces circonstances, on ne saurait admettre que,
d'une manière générale et absolue, un assuré qui s'est
soumis, à l'étranger, à des traitements
médicaux qui ne
peuvent être administrés en Suisse, ne puisse pas en
obtenir la prise en charge aux conditions de l'art. 36
al. 4 OAMal au seul motif que la liste de ces traitements
n'a pas été établie et qu'elle n'est pas en voie de l'être.
Cela se justifierait d'autant moins que l'OFAS après avoir
pris acte du fait qu'une telle liste n'est simplement pas
réalisable pour d'évidentes raisons, recommande, dans
certains cas et à certaines conditions, la prise en charge
de ces coûts.
Il n'est pas pour autant nécessaire de combler une
lacune en établissant, au cas par cas, la liste des pres-
tations dès lors que la règle légale est suffisamment
précise pour être appliquée (cf. ATF 113 Ib 62 consid. 3).
Il y aura lieu en particulier de s'assurer d'une part que
la prestation - au sens des art. 25 al. 2 et 29 LAMal -
répondant au critère d'adéquation ne puisse réellement pas
être fournie en Suisse et d'autre part, que les critères
d'efficacité et d'économicité soient également pris en
compte.

c) En l'espèce, le dossier ne permet pas de trancher
la question de savoir si ces conditions sont réunies. En
particulier, il n'est pas établi que l'intimée n'ait pu
être soignée en Suisse ni que le traitement administré à
Milan répondait aux conditions des art. 32 sv. LAMal. Par
conséquent, la cause sera renvoyée à la recourante pour
qu'elle procède à un complément d'instruction avant de
rendre une nouvelle décision.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est admis et le jugement du 24 mars 2000 du
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel ainsi
que la décision sur opposition de la caisse-maladie
Assura du 20 août 1999 sont annulés.

II. La cause est renvoyée à la recourante pour complément
d'instruction et nouvelle décision.

III. Il n'est pas perçu de frais de justice ni alloué de
dépens.

IV. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, et à
l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 7 mars 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la Ière Chambre :

Le Greffier :


Synthèse
Numéro d'arrêt : K.68/00
Date de la décision : 07/03/2002
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 34 al. 2 LAMal; art. 36 al. 1 OAMal. - Litige portant sur la prise en charge du coût de soins fournis à l'étranger, hors cas d'urgence, à défaut de pouvoir être administrés en Suisse. - Le non-établissement de la liste de prestations dont les coûts occasionnés à l'étranger sont pris en charge par l'assurance obligatoire des soins ne fait pas obstacle, d'une manière générale et absolue, à la prise en charge de tels traitements.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-07;k.68.00 ?
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