La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/03/2002 | SUISSE | N°1P.720/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 07 mars 2002, 1P.720/2001


{T 0/2}
1P.720/2001/col

Arrêt du 7 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

D.________, recourant, représenté par Me Yaël Hayat, avocate, avenue
Léon-Gaud 5, 1206 Genève,

contre

R.________, intimée, représentée par Me Pascal Junod, avocat, rue de
la
Rôtisserie 6, case postale, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-

de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
post...

{T 0/2}
1P.720/2001/col

Arrêt du 7 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

D.________, recourant, représenté par Me Yaël Hayat, avocate, avenue
Léon-Gaud 5, 1206 Genève,

contre

R.________, intimée, représentée par Me Pascal Junod, avocat, rue de
la
Rôtisserie 6, case postale, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3108, 1211 Genève 3.

art. 9 Cst.; procédure pénale

(recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du
canton de
Genève du 12 octobre 2001)
Faits:

A.
Par arrêt du 4 octobre 2000, la Cour correctionnelle avec jury du
canton de
Genève (ci-après: la Cour correctionnelle) a acquitté au bénéfice du
doute
D.________ de la prévention d'infraction d'actes d'ordre sexuel avec
des
enfants commise sur A.________ parce que celle-ci avait passablement
varié
dans ses dépositions et qu'aucun élément concret n'était venu étayer
ses
dires. Elle l'a en revanche condamné à vingt-deux jours
d'emprisonnement avec
sursis pendant deux ans, pour des actes de même nature perpétrés à
l'encontre
de B.________. Cet arrêt a été communiqué aux parties le 9 octobre
2000.
Par déclaration écrite du 10 octobre 2000, complétée par un mémoire
déposé
par son mandataire le 24 novembre 2000, la mère de A.________,
R.________,
s'est pourvue en cassation contre cet arrêt auprès de la Cour de
cassation du
canton de Genève (ci-après: la Cour de cassation ou la cour
cantonale) en
invoquant l'arbitraire dans l'appréciation des preuves. D.________ en
a fait
de même.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi du condamné le 22 juin 2001.
Statuant par arrêt du 12 octobre 2001 sur celui de la partie civile,
elle a
annulé l'arrêt de la Cour correctionnelle du 4 octobre 2000 et
renvoyé la
cause à cette autorité pour nouvelle décision. Elle a considéré que la
déclaration de pourvoi, déposée au greffe avant la notification de
l'arrêt
attaqué, avait été formée en temps utile; sur le fond, elle a admis
que le
doute éprouvé par le jury quant à la culpabilité du prévenu
s'agissant des
infractions prétendument commises sur la jeune A.________ n'était pas
justifié et que son verdict devait être annulé.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public pour violation de
l'art. 9
Cst., D.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Il
reproche
à la Cour de cassation d'avoir admis la recevabilité du pourvoi en
cassation
formé par R.________ au terme d'une interprétation arbitraire du droit
cantonal de procédure. Il requiert l'assistance judiciaire.
La Cour de cassation se réfère à son arrêt. L'intimée conclut au
rejet du
recours. Le Procureur général du canton de Genève propose également
de le
rejeter dans la mesure où il est recevable.

C.
Par ordonnance du 10 décembre 2001, le Président de la Ire Cour de
droit
public a rejeté la demande d'effet suspensif présentée par D.________.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision par laquelle une autorité cantonale de recours admet un
pourvoi
contre une ordonnance de non-lieu ou un jugement d'acquittement et
renvoie la
cause à la juridiction inférieure pour qu'elle statue à nouveau est
une
décision incidente qui n'entraîne en principe pas de dommage
irréparable pour
le prévenu (ATF 117 Ia 251 consid. 1a p. 253; 98 Ia 239 p. 240 et les
références citées). Cette jurisprudence, confirmée sous l'empire de
l'art. 87
al. 2 OJ dans sa teneur en vigueur depuis le 1er mars 2000 (arrêt du
Tribunal
fédéral 1P.491/2000, du 29 août 2000, consid. 1b), ne s'applique
cependant
pas lorsque, comme en l'espèce, la recevabilité même du pourvoi est
contestée, dès lors que le recourant ne pourrait plus remettre en
cause cette
question par la suite si le nouveau jugement devait finalement lui
être
défavorable (cf. ATF 116 Ia 154 consid. 2b p. 157/158 et l'arrêt
cité). Il
convient par conséquent d'entrer en matière sur le fond du recours,
qui
répond au surplus aux exigences de recevabilité des art. 84 ss OJ.

2.
Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir admis que le
pourvoi en
cassation avait été formé en temps utile au terme d'une appréciation
arbitraire du droit cantonal de procédure.

2.1 Le Tribunal fédéral revoit l'interprétation et l'application du
droit
cantonal sous l'angle de l'arbitraire; il ne s'écarte de la solution
retenue
que si celle-ci se révèle insoutenable, en contradiction manifeste
avec la
situation effective, ou si elle a été adoptée sans motifs objectifs
et en
violation d'un droit certain. En revanche, si l'interprétation
défendue par
l'autorité cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement
contraire
au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause,
elle sera
confirmée, même si une autre solution - éventuellement plus
judicieuse -
apparaît possible (ATF 124 I 312 consid. 3b p. 314 et les arrêts
cités; sur
la notion d'arbitraire, voir ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56, 60
consid. 5a p.
70).

2.2 Selon la jurisprudence, la loi s'interprète en premier lieu
d'après sa
lettre. Si le texte légal n'est pas absolument clair, si plusieurs
interprétations de celui-ci sont possibles, il y a lieu de rechercher
la
véritable portée de la norme, en la dégageant de sa relation avec
d'autres
dispositions légales, de son contexte, du but poursuivi, de son
esprit ainsi
que de la volonté du législateur telle qu'elle résulte notamment des
travaux
préparatoires. A l'inverse, lorsque le texte légal est clair,
l'autorité qui
applique le droit ne peut s'en écarter que s'il existe des motifs
sérieux de
penser que ce texte ne correspond pas en tous points au sens
véritable de la
disposition visée et conduit à des résultats que le législateur ne
peut avoir
voulus et qui heurtent le sentiment de la justice ou le principe de
l'égalité
de traitement. De tels motifs peuvent résulter des travaux
préparatoires, du
fondement et du but de la prescription en cause, ainsi que de sa
relation
avec d'autres dispositions (ATF 127 IV 193 consid. 5b/aa p. 194/195
et les
arrêts cités).

2.3 Les règles relatives au prononcé, à la forme et au contenu des
arrêts de
la Cour correctionnelle sont fixées aux art. 326 et suivants du Code
de
procédure pénale genevois (CPP gen.). L'art. 326 CPP gen. prévoit
qu'en
présence de l'accusé, le président, en se référant aux articles de
loi sur
lesquels l'arrêt est fondé, prononce celui-ci en audience publique
(al. 1).
Il expose sommairement les circonstances qui ont déterminé la quotité
de la
peine, le prononcé de toute mesure, l'octroi ou le refus du sursis
(al. 2).
Si le condamné est mis au bénéfice du sursis, le président l'avertit
des
conséquences qu'entraînerait pour lui une nouvelle condamnation ou
l'inobservation des conditions mises à l'octroi du sursis (al. 3). Le
président avertit les parties qu'elles peuvent se pourvoir en
cassation par
simple déclaration écrite déposée auprès du greffe de la cour, dans
le délai
de 5 jours. Le président avertit en outre le condamné qu'il peut en
tout
temps recourir en grâce auprès du Grand Conseil. Le procès-verbal en
fait
mention (al. 4). A teneur de l'art. 327 CPP gen., l'arrêt de la Cour
correctionnelle est rendu en la forme écrite (al. 1). Il est notifié
aux
parties par le greffier au plus tard 15 jours après l'audience; en
cas de
jugement par défaut, l'avis de jugement mentionne le délai de
l'opposition,
la forme et la juridiction compétente (al. 8).
L'art. 343 al. 1 CPP gen., qui détermine les délais de recours à la
Cour de
cassation, prévoit que la déclaration du pourvoi doit être formée par
écrit
dans les 5 jours du prononcé ou de la signification du dispositif de
la
décision attaquée. D'après la jurisprudence de la Cour de cassation,
cette
norme doit être comprise en ce sens que le délai de 5 jours commence
à courir
dès la notification pour les décisions qui, tels les jugements du
Tribunal de
police ou les arrêts de la Cour de justice siégeant en appel de ce
Tribunal
(cf. art. 232 et 248 CPP gen.), ont à être nécessairement signifiées,
mais
dès le prononcé de l'arrêt, lorsque la loi ne prévoit pas de
communication
par écrit (arrêt de la Cour de cassation du 19 février 1981 paru à la
SJ 1981
p. 393 consid. 1 p. 395 cité par Pierre Dinichert/Bernard
Bertossa/Louis
Gaillard, Procédure pénale genevoise, in SJ 1986 p. 509). Tel était
le cas,
selon l'autorité intimée, des arrêts de la Cour correctionnelle avant
l'entrée en vigueur de l'art. 327 ch. 8 CPP gen.; cette disposition
prévoit
désormais une notification écrite de l'arrêt aux parties en sus de la
communication orale du dispositif à l'audience de jugement prévue à
l'art.
326 al. 4 CPP gen., de sorte que l'intimée aurait agi en temps utile
en
déposant sa déclaration de pourvoi six jours après l'audience, mais
avant la
signification de l'arrêt motivé.
Cette interprétation ne peut être suivie. Les dispositions relatives
au
prononcé, à la forme et au contenu des arrêts de la Cour
correctionnelle et
de la Cour d'assises ont fait l'objet d'importantes modifications
entrées en
vigueur le 19 avril 1997. Le projet initial du Conseil d'Etat, dont
sont
issus les art. 326 ss CPP gen., disposait que les arrêts de la Cour
correctionnelle devaient contenir l'indication des voies de recours, y
compris le recours en grâce auprès du Grand Conseil. Le Conseil d'Etat
entendait ainsi modifier le système existant jusqu'alors, suivant
lequel
l'indication des voies de droit était donnée par le président lors de
l'audience, ce qui faisait immédiatement courir les délais pour la
déclaration du pourvoi en cassation, en prévoyant désormais que le
condamné
est informé des voies de recours par la notification de l'arrêt (cf.
Mémorial
des séances du Grand Conseil, séance du 17 novembre 1994, p. 5291 et
5298).
La commission judiciaire du Grand Conseil chargée d'étudier ce projet
a
préféré s'en tenir au statu quo en stipulant à l'art. 326 al. 4 CPP
gen. que
les voies de recours sont indiquées aux parties lors de la lecture du
verdict, mais qu'elles ne devaient pas être reprises dans le contenu
de
l'arrêt afin de ne pas faire renaître des délais de recours (cf.
Mémorial des
séances du Grand Conseil, séance du 12 décembre 1996, p. 7675). Le
projet
ainsi remanié a été adopté sans autre discussion. La solution
attaquée va
donc à l'encontre de la volonté du législateur qui entendait faire
courir le
délai pour déposer la déclaration de pourvoi en cassation à partir du
prononcé de l'arrêt à l'audience de jugement; il importe à cet égard
peu que,
contrairement à la situation prévalant jusqu'alors, l'arrêt motivé est
dorénavant notifié automatiquement par écrit aux parties dans un
délai de
quinze jours en vertu de l'art. 327 ch. 8 CPP gen., et non plus
uniquement
lorsqu'une déclaration de pourvoi en cassation a été déposée; l'arrêt
de la
Cour correctionnelle ne mentionne en effet pas les voies et délai de
recours,
cette indication étant uniquement prévue, selon cette disposition,
pour les
jugements rendus par défaut (cf. Mémorial des séances du Grand
Conseil,
séance du 12 décembre 1996, p. 7676). La solution attaquée se
concilie par
ailleurs mal avec le texte de l'art. 326 al. 4 CPP gen., suivant
lequel le
président avertit les parties qu'elles peuvent se pourvoir en
cassation par
simple déclaration écrite déposée au greffe dans la cour, dans un
délai de 5
jours. Elle réduirait à une simple règle d'ordre, sans portée
juridique,
l'indication faite à l'audience des voies et délai de recours.
L'autorité intimée a donc interprété arbitrairement le droit cantonal
de
procédure en considérant que les parties étaient autorisées à déposer
leur
déclaration de pourvoi dans les 5 jours suivant la notification de
l'arrêt de
la Cour correctionnelle. Partant, elle a admis à tort que la
déclaration de
pourvoi, déposée par l'intimée six jours après le prononcé de
l'arrêt, mais
avant sa signification, était intervenue en temps utile.

2.4 Les considérations qui précèdent ne conduisent pas nécessairement
à
l'annulation de l'arrêt attaqué. Pour qu'une telle sanction soit
prononcée,
la solution litigieuse doit également être arbitraire dans son
résultat (ATF
127 I 54 consid. 2b p. 56). En l'occurrence, le Président de la Cour
correctionnelle a communiqué aux parties le verdict du jury et exposé
les
considérants essentiels du jugement à l'issue de l'audience du 4
octobre
2000; il a ensuite informé le condamné qu'il disposait d'un délai de
5 jours
pour se pourvoir en cassation contre le présent arrêt et qu'il pouvait
recourir en tout temps en grâce auprès du Grand Conseil. Il ne
ressort en
revanche pas du procès-verbal d'audience qu'il aurait averti la
partie civile
de ce délai, comme l'art. 326 al. 4 CPP gen. lui en faisait
l'obligation.
Celle-ci prétend pour sa part n'avoir appris les modalités de recours
que le
jour même où elle a déposé sa déclaration de pourvoi; elle invoque en
outre
des raisons de santé pour expliquer le fait qu'elle n'a agi que le
sixième
jour suivant le prononcé de l'arrêt de la Cour correctionnelle. La
Cour de
cassation n'a pas instruit ces différents points. Le Tribunal
fédéral
ne
dispose ainsi pas des éléments nécessaires qui lui permettrait de
juger si le
retard est excusable et, partant, si la recevabilité du pourvoi
déposé un
jour après l'échéance du délai de 5 jours prévu à l'art. 343 al. 1
CPP gen.
devrait malgré tout être admise pour des raisons tirées de la bonne
foi. Les
conditions d'une substitution de motifs n'étant pas réunies (cf. ATF
122 I
257 consid. 5 p. 262; 112 Ia 129 consid. 3c p. 135, 353 consid. 3c/bb
p.
355), l'arrêt attaqué doit être annulé et le dossier renvoyé à
l'autorité
cantonale pour nouvelle décision.

3.
Le recours doit par conséquent être admis au sens des considérants,
ce qui
rend sans objet la demande d'assistance judiciaire présentée par le
recourant. Il peut être exceptionnellement renoncé à la perception
d'un
émolument judiciaire (art. 154 OJ); le recourant, qui obtient gain de
cause,
a droit à des dépens qui, vu les circonstances particulières du cas
d'espèce,
seront mis à la charge de l'Etat de Genève (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis au sens des considérants et l'arrêt attaqué est
annulé.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
L'Etat de Genève versera une indemnité de 1'400 fr. au recourant, à
titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
ainsi
qu'au Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.

Lausanne, le 7 mars 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.720/2001
Date de la décision : 07/03/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-07;1p.720.2001 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award