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07/03/2002 | SUISSE | N°1P.38/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 07 mars 2002, 1P.38/2002


{T 0/2}
1P.38/2002/svc

Arrêt du 7 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Pont Veuthey, juge suppléante,
greffier Parmelin.

S.________, recourant, représenté par Me Jean Lob, avocat, rue du
Lion d'Or
2, case postale 3133, 1002 Lausanne,

contre

Procureur général du canton de Vaud, rue de l'Université 24, case
postale,
1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal d

u canton de Vaud, route
du Signal
8, 1014 Lausanne.

condamnation du plaignant aux frais de la procédure

(reco...

{T 0/2}
1P.38/2002/svc

Arrêt du 7 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Pont Veuthey, juge suppléante,
greffier Parmelin.

S.________, recourant, représenté par Me Jean Lob, avocat, rue du
Lion d'Or
2, case postale 3133, 1002 Lausanne,

contre

Procureur général du canton de Vaud, rue de l'Université 24, case
postale,
1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route
du Signal
8, 1014 Lausanne.

condamnation du plaignant aux frais de la procédure

(recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du
Tribunal
cantonal du canton de Vaud du 2 octobre 2001)
Faits:

A.
Le 27 novembre 1997, le Conseil général de la commune de P.________ a
adopté
le préavis municipal relatif à la rénovation et à la transformation
de la
salle villageoise de « B.________ ». Le coût des travaux, devisé à
860'000
fr., s'est finalement élevé à un peu plus d'un million de francs. Le
15 juin
2000, le Conseil général de P.________ a accepté un préavis municipal
portant
sur un crédit complémentaire de 140'000 fr. pour le bouclement du
compte
d'investissement de rénovation du bâtiment de « B.________ ».
Le 19 juillet 2000, S.________ a déposé plainte pénale pour gestion
déloyale
contre D.________, syndic de P.________, et E.________, municipal
responsable
du dicastère des écoles et des affaires sociales et membre du bureau
technique chargé d'élaborer le descriptif des travaux et de les
diriger, en
raison des irrégularités constatées dans la procédure d'adjudication
des
travaux du bâtiment de « B.________ » et le mode de facturation opéré
par la
Municipalité de P.________, dans l'exercice de son mandat de membre
de la
Commission communale des finances; selon lui, de nombreuses heures de
régie
auraient été facturées et payées par la commune alors qu'elles ne
remplissaient pas les conditions des contrats d'adjudication; des
travaux,
émanant d'entreprises dans lesquelles E.________ aurait des intérêts,
auraient en outre été facturés en bloc, rendant impossible toute
vérification; certains prix auraient également été surfaits, alors
que des
travaux facturés n'auraient pas été réalisés; il reprochait enfin au
municipal des écoles et des affaires sociales d'avoir fait recouvrir
de crépi
les murs et les couloirs d'accès de la salle villageoise, alors que ce
revêtement était prohibé pour des raisons de sécurité liées à son
utilisation
comme salle de gymnastique.
Par ordonnance du 22 janvier 2001, le Juge d'instruction de
l'arrondissement
de La Côte (ci-après: le Juge d'instruction) a mis en oeuvre une
expertise
technique, qu'il a confiée à G.________, ingénieur diplômé
EPFL/SIA-IMD, à
A.________, afin de déterminer si, et dans quelle mesure, les
accusations du
plaignant étaient fondées. L'expert a rendu son rapport le 5 juin
2001; il
relevait une certaine négligence de la part de la Municipalité de
P.________,
qui avait accepté de nombreuses modifications en cours de travaux non
prévues
dans le devis pour améliorer la qualité de l'ouvrage; il dénonçait en
outre
un manque de rigueur de la part du bureau technique mandaté par la
commune
dans l'élaboration du projet, dans l'établissement des contrats et
dans la
gestion de la construction, notamment en ce qui concerne les heures
de régie;
il n'a en revanche pas constaté d'irrégularités, que ce soit dans les
processus de soumission des travaux ou de vérification des factures,
ou dans
la fixation des honoraires du bureau technique, de surfacturation ou
de
fausses factures.

B.
Par ordonnance du 28 août 2001, le Juge d'instruction a prononcé un
non-lieu
en faveur des prévenus et mis les frais d'enquête à la charge du
plaignant
par 21'869.60 fr. au motif qu'en ne s'entourant pas d'autres avis que
le
sien, celui-ci avait agi par légèreté et témérité.
Statuant par arrêt du 2 octobre 2001, le Tribunal d'accusation du
Tribunal
cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal d'accusation) a
partiellement admis le recours formé par S.________ contre cette
ordonnance
et a réformé le chiffre II de son dispositif en ce sens que les frais
d'enquête sont mis à la charge du plaignant à concurrence de 10'000
fr., le
solde étant laissé à la charge de l'Etat. Il a estimé que le non-lieu
était
bien fondé au vu des conclusions de l'expert. Il a également admis
que le
plaignant avait fait preuve de légèreté et abusé de la voie de la
plainte en
déposant plainte pénale sur la base de soupçons non étayés, que
celle-ci
s'inscrivait dans un contexte conflictuel avec l'exécutif communal et
revêtait un caractère chicanier, justifiant de faire supporter à son
auteur
une partie équitable des frais d'expertise.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, S.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt, qui reposerait sur une
application
arbitraire du droit cantonal, et de renvoyer la cause à l'autorité
cantonale
pour que les frais d'enquête ne soient pas mis à sa charge.
Le Tribunal d'accusation se réfère aux considérants de son arrêt. Le
Procureur général du canton de Vaud conclut au rejet du recours.

D.
Par ordonnance du 21 février 2002, le Juge présidant la Ire Cour de
droit
public a admis la demande d'effet suspensif en tant qu'elle avait
trait à
l'exécution du chiffre II du dispositif de l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Selon une jurisprudence constante, le plaignant débouté n'est en
principe pas
habilité, au sens de l'art. 88 OJ, à former un recours de droit
public contre
une décision de classement de la procédure pénale ou un jugement
d'acquittement au motif qu'il n'est pas lésé dans un intérêt
personnel et
juridiquement protégé par la décision de ne pas poursuivre ou punir
l'auteur
d'une prétendue infraction (ATF 126 I 97 consid. 1a p. 99; 125 I 253
consid.
1b p. 255). En revanche, il a qualité pour contester sa condamnation à
supporter personnellement, en tout ou partie, les frais de la
procédure. Il
s'impose donc d'examiner le grief d'arbitraire qui est élevé sur ce
point,
étant précisé que le recours de S.________ est irrecevable en tant
que ce
dernier conclut au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour que
les
frais d'enquête ne soient pas mis à sa charge (cf. ATF 127 II 1
consid. 2b in
fine p. 5).

2.
Une décision est arbitraire et, partant, contraire à l'art. 9 Cst.,
lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair
et
indiscuté, ou contredit d'une manière choquante le sentiment de la
justice et
de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue
par
l'autorité cantonale de dernière instance que si sa décision apparaît
insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective,
adoptée
sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre,
il ne
suffit pas que les motifs de la décision soient insoutenables; encore
faut-il
que celle-ci soit arbitraire dans son résultat. A cet égard, il ne
suffit pas
non plus qu'une solution différente de celle retenue par l'autorité
cantonale
puisse être tenue pour également concevable, ou apparaisse même
préférable
(ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56).

3.
Le Tribunal d'accusation s'est référé à l'art. 159 du Code de
procédure
pénale vaudois (CPP vaud.), d'après lequel le plaignant peut être
astreint à
supporter tout ou partie des frais si l'équité l'exige, notamment
s'il a agi
par dol, témérité ou légèreté. Il a estimé que S.________ avait agi à
la
légère et abusé de la voie pénale en déposant plainte sur la base de
soupçons
non étayés. Elle a également considéré que la plainte s'inscrivait
dans un
contexte conflictuel avec l'exécutif communal et revêtait un caractère
chicanier, justifiant de faire supporter à son auteur une partie
équitable
des frais d'expertise.

3.1 Si le recourant conteste effectivement avoir fait preuve de
légèreté en
déposant plainte, il ne s'en prend nullement au caractère chicanier de
celle-ci retenu dans l'arrêt attaqué pour justifier de l'astreindre à
assumer
les frais d'enquête; de même, il ne prétend (recte: conteste) pas que
ces
frais pourraient être mis à sa charge pour ce motif. Il est ainsi
douteux que
le recours réponde aux exigences de motivation de l'art. 90 al. 1
let. b OJ
(ATF 121 I 1 consid. 5a p. 10; 121 IV 94 consid. 1b p. 95 et les
arrêts
cités; Jean-François Poudret, La pluralité de motivations, condition
de
recevabilité des recours au Tribunal fédéral?, in: Le droit pénal et
ses
liens avec les autres branches du droit, Mélanges en l'honneur du
Professeur
Jean Gauthier, RDS 114/1996 p. 205 et les références citées). Cette
question
peut cependant demeurer indécise, car le recours doit de toute
manière être
rejeté.

3.2 Les frais d'une procédure pénale close par un non-lieu peuvent
être mis,
en tout ou partie, à la charge du plaignant lorsque la plainte est
abusive
(cf. pour des exemples de plaintes abusives, ATF 105 IV 229; 104 IV
90; sur
la notion d'abus de droit, voir ATF 125 IV 79 consid. 1b p. 81;
Thierry
Tanquerel, L'abus de droit en droit public suisse, Saint-Etienne
2001, p.
174/175 et les références citées). Tel est notamment le cas lorsque le
justiciable utilise la voie pénale pour améliorer sa position dans un
procès
civil (arrêt du Tribunal fédéral 1A.32/1995, du 2 juin 1995, consid.
3e/bb)
ou pour éviter l'introduction, à ses frais, d'une demande de mesures
provisionnelles devant le juge civil (arrêt du Tribunal fédéral
1P.153/1996
du 28 juin 1996, consid. 2). Les frais d'enquête peuvent également
être mis à
la charge du plaignant lorsque la plainte revêt un caractère
chicanier,
notamment lorsqu'elle est déposée en réaction à une dénonciation de
la partie
adverse (arrêt du Tribunal fédéral 1P.698/1990 du 23 octobre 1991;
voir aussi
ATF 120 IV 107 consid. 2c p. 110; 118 IV 291 consid. 2a p. 293). Il
convient
toutefois de faire preuve de retenue dans l'admission d'un éventuel
abus de
procédure, même si celui-ci ne doit pas nécessairement d'emblée être
manifeste (ATF 115 IV 167 consid. 4b p. 172; 105 IV 229 consid. 1 p.
231; 104
IV 90 consid. 3b p. 94).
Enfin, les frais d'une instruction pénale close par un non-lieu
peuvent être
mis, en tout ou partie, à la charge du plaignant lorsque celui-ci a
agi avec
légèreté (ATF 84 I 13 consid. 3 p. 16; voir aussi ATF 122 II 211
consid. 4b
p. 219, s'agissant des frais d'une procédure en indemnisation et en
réparation morale selon les art. 11 ss de la loi fédérale sur l'aide
aux
victimes d'infractions). Cette condition n'est réalisée que si, après
avoir
consciencieusement pesé le pour et le contre au regard des éléments
dont il
disposait, l'accusateur privé aurait dû s'abstenir de déposer une
plainte ou
une dénonciation (arrêt non publié du 10 décembre 1948 dans la cause
Burry
contre Cour de cassation pénale du canton de Neuchâtel, cité par
Jean-Ernest
Dubi, La politique des frais de justice pénale en Suisse romande,
thèse
Neuchâtel 1957, p. 61/62; voir aussi, ATF 96 I 531 consid. 4b et c p.
535/536). L'autorité intimée n'a dès lors pas fait preuve
d'arbitraire en
exigeant du plaignant qu'il fasse preuve de prudence et qu'il
recueille des
renseignements élémentaires, tant sur les faits exposés que sur les
règles de
droit dont il demande l'application, avant de déposer une plainte
pénale (cf.
arrêt du Tribunal fédéral 1P.90/1991 du 19 avril 1991, consid. 2a;
Dubi, op.
cit., p. 62); cependant, il n'y a pas lieu de se montrer trop strict
sur ce
point, sous peine de restreindre exagérément le droit de critique, de
plainte
ou de dénonciation en obligeant le justiciable à n'agir qu'à coup
sûr; il
suffit que celui-ci ait eu des raisons suffisantes d'agir, sur la
base des
éléments dont il disposait (arrêt du Tribunal fédéral du 17 novembre
1982
dans la cause Vienne, citée par le recourant; dans le même sens,
Tanquerel,
op. cit., p. 182).

3.3 En l'occurrence, le recourant a déposé plainte pénale pour
gestion
déloyale contre le syndic de P.________ et le municipal en charge des
écoles
et des affaires sociales, également membre du bureau technique
mandaté pour
la rénovation de la salle villageoise de « B.________ », en raison de
différentes irrégularités commises dans la gestion de ce projet,
qu'il a
constatées dans le cadre de l'exercice de sa charge de membre de la
Commission des finances appelée à se prononcer sur le préavis
municipal
relatif à l'octroi d'un crédit complémentaire de 140'000 fr.

La gestion déloyale réprimée à l'art. 158 CP suppose que l'auteur ait
agi
intentionnellement, le dol éventuel étant suffisant pour autant qu'il
soit
strictement caractérisé (ATF 123 IV 17 consid. 3e p. 23 et l'arrêt
cité);
quant à la gestion déloyale des intérêts publics visée à l'art. 314
CP, elle
requiert une intention de la part de ses auteurs de se procurer ou de
procurer à un tiers un avantage illicite (pour des cas concernant des
membres
de l'exécutif communal, voir ATF 111 IV 83; 109 IV 168). Même s'il est
relativement important, le dépassement du crédit octroyé à la
Municipalité de
P.________ pour la rénovation du bâtiment de « B.________ » ne suffit
pas
encore pour suspecter le syndic ou le municipal des écoles et membre
du
bureau technique chargé de la direction des travaux d'une gestion
déloyale
des
intérêts de la commune (cf. sur la marge de manoeuvre laissée aux
autorités en matière d'adjudication, ATF 101 IV 407 consid. 2 p. 411).
Certes, les irrégularités relevées par le recourant pouvaient
susciter des
interrogations légitimes sur la manière dont le dossier avait été
géré par la
Municipalité de P.________ et le responsable du bureau technique
chargé de la
direction des travaux; en revanche, les seuls soupçons d'une gestion
délibérément contraire aux intérêts patrimoniaux de la commune ou d'un
éventuel enrichissement de la part des prévenus relevaient du fait
que les
irrégularités constatées dans la facturation provenaient
d'entreprises dans
lesquelles E.________ aurait des intérêts pécuniaires; or, aux dires
du
plaignant, ces soupçons se basaient exclusivement sur des ouï-dire,
dont il
n'a pas cherché à vérifier la véracité et qui se sont révélés par la
suite
sans fondement. Dans ces conditions, l'autorité intimée n'a pas fait
preuve
d'arbitraire en admettant que le recourant avait agi à la légère en
déposant
une plainte pénale pour gestion déloyale contre le syndic de
P.________ et le
responsable de la direction des travaux, justifiant qu'il prenne en
charge
une partie des frais d'enquête; le recourant paraît d'ailleurs avoir
été
conscient du caractère aléatoire de sa plainte en tant qu'elle visait
les
prévenus, puisqu'il déclarait que « quelqu'un avait dû s'enrichir au
passage», sans pouvoir préciser de qui il s'agissait. Il importe peu,
à cet
égard, qu'une expertise technique ait été nécessaire pour établir
définitivement l'absence d'infraction et, partant, le caractère
infondé de
son intervention. Est seul déterminant pour apprécier la question de
savoir
s'il était arbitraire de mettre partiellement les frais d'enquête à
la charge
du recourant le fait que ce dernier ne disposait pas de tous les
éléments
requis pour justifier le dépôt d'une plainte pour gestion déloyale à
l'encontre des prévenus lorsqu'il a agi.

4.
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure où il est
recevable, aux frais du recourant qui succombe (art. 156 al. 1 OJ).
Il n'y a
pas lieu à l'octroi de dépens (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable;

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du recourant;

3.
Il n'est pas alloué de dépens;

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant,
au
Procureur général et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du
canton
de Vaud.

Lausanne, le 7 mars 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.38/2002
Date de la décision : 07/03/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-07;1p.38.2002 ?
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