La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/03/2002 | SUISSE | N°5C.311/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 mars 2002, 5C.311/2001


«/2»
5C.311/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

6 mars 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mme Nordmann
et Mme Hohl, juges. Greffier: M. Abrecht.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

A.________, demanderesse et recourante, représentée par
Me Blaise Stucker, avocat à Neuchâtel,

et

X.________, défendeur et intimé, représenté par Me Gérard
Bosshart, avocat à La Chaux-de-Fonds;

(exécuteur testamentaire)
<

br> Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par contrat de mariage et pacte successoral du
18 janvie...

«/2»
5C.311/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

6 mars 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mme Nordmann
et Mme Hohl, juges. Greffier: M. Abrecht.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

A.________, demanderesse et recourante, représentée par
Me Blaise Stucker, avocat à Neuchâtel,

et

X.________, défendeur et intimé, représenté par Me Gérard
Bosshart, avocat à La Chaux-de-Fonds;

(exécuteur testamentaire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par contrat de mariage et pacte successoral du
18 janvier 1990, conclu avec son épouse, D.________ a
notamment ordonné le rapport des avances faites par parts
égales à leurs trois enfants, A.________, B.________ et
C.________. S'agissant des actions de l'entreprise familiale
D.________ SA, vendues dans l'intervalle à des tiers, il a
fixé leur valeur de rapport à 15'000'000 fr. globalement
(5'000'000 fr. par enfant) et imposé à ses enfants
A.________
et C.________ la charge de restituer à leur frère B.________
sa part au bénéfice réalisé sur la vente des actions
rachetées à ce dernier. En relation avec la charge,
D.________ précisait que le montant à verser par chacun se-
rait la différence entre le tiers du prix de vente qu'il au-
rait effectivement perçu et la somme de 2'500'000 fr. payée
à
B.________ pour le rachat de ses actions, et qu'il s'y ajou-
terait des intérêts simples au taux de 5% l'an entre le mo-
ment où le prix de vente des actions aurait été perçu et ce-
lui où la charge serait exécutée.

D.________, qui avait désigné comme exécuteur tes-
tamentaire le notaire X.________, est décédé le 29 octobre
1991.

B.- Le 5 juillet 1994, l'exécuteur testamentaire a
établi un décompte de la charge due par A.________ à son
frère B.________, qui se soldait par un montant net de
1'822'821 fr. en faveur de ce dernier. Le 13 juillet 1994,
il
a transmis ce décompte à B.________, en l'invitant à donner
à
A.________, sous réserve de bonne réception de la somme de
1'822'821 fr., pleine et entière décharge de toutes les obli-
gations qu'elle avait à son égard selon le pacte successoral.

B.________ ayant refusé le décompte le 23 juillet
1994, l'exécuteur testamentaire lui a adressé le 9 août 1994
ce même décompte, complété des intérêts courus dans l'inter-
valle sur le capital de la charge, en précisant qu'il tien-
drait cette somme à disposition, d'ordre de A.________, pour
autant que lui soit retournée la décharge jointe à sa lettre
du 13 juillet 1994.

En l'absence de la réaction attendue à sa lettre du
9 août 1994, l'exécuteur testamentaire a établi le 12 septem-
bre 1994 un document dans lequel il attestait, à la demande
de A.________, avoir reçu de celle-ci, valeur 11 août 1994,
pour «consignation» en faveur de son frère B.________, la
somme de 1'824'900 fr. Cette somme a été déposée sur deux
comptes bancaires à vue, au nom de l'étude X.________, sous
rubrique «A. capital» et «A. intérêts».

La «consignation» en question a été proposée à
A.________ par l'exécuteur testamentaire: le 21 avril 1994
déjà, alors qu'il préparait le projet de décompte de la char-
ge, celui-ci avait en effet écrit à A.________ que dans son
esprit, il conviendrait qu'il propose de la part de cette
dernière à B.________ de régler la somme indiquée dans un dé-
lai très court, ajoutant que si B.________ devait refuser,
A.________ pourrait consigner le montant reconnu.

Le 12 septembre 1994, le mandataire de B.________ a
écrit à l'exécuteur testamentaire que son client n'acceptait
pas de donner quittance aux conditions posées par A.________
et considérait que les intérêts continuaient à courir sur le
montant à payer par celle-ci. L'exécuteur testamentaire
s'est
contenté de transmettre cette lettre à A.________, sans
aucun
conseil ou commentaire.

C.- A.________ et B.________ ne parvenant pas à
s'entendre sur le montant de la charge, l'exécuteur testamen-
taire a adressé le 2 avril 1997 au Tribunal civil du
district
de Neuchâtel une requête tendant à la constatation que les
fonds qu'il avait déposés en banque pour A.________ étaient
«dûment consignés au sens de la loi». Cette requête a été re-
jetée le 12 mai 1997.

Le 13 juin 1997, l'exécuteur testamentaire a déposé
devant le même tribunal une seconde requête, dirigée cette
fois contre A.________, par laquelle il invitait le tribunal
à décider où devait s'opérer la consignation des montants
qu'il avait déposés sur les comptes bancaires et que
A.________ se refusait à reprendre. Par décision du 11 juil-
let 1997, l'exécuteur testamentaire a été autorisé à consi-
gner les montants à disposition de A.________.

Le 19 août 1997, l'exécuteur testamentaire a répudié
son mandat et adressé à la veuve et aux trois enfants de
D.________ un relevé de compte présentant un solde d'honorai-
res et débours en sa faveur de 30'780 fr.

Le 17 septembre 1997, la veuve et les trois enfants
de D.________ont signé une convention de partage. Le même
jour, et moyennant un versement complémentaire de 355'754
fr.
65, B.________ a donné à A.________ quittance définitive
pour
l'exécution complète de la charge imposée par D.________.

D.- Le 26 août 1998, A.________ a actionné
X.________ en paiement de la somme de 142'930 fr. 90 avec
intérêts à 5% l'an dès le 25 juillet 1997. Elle lui repro-
chait en substance d'avoir manqué à son obligation de fidé-
lité et de diligence en sa qualité d'exécuteur testamentaire
en disposant sous sa seule signature du capital de
1'824'900
fr. qu'elle lui avait versé en croyant avoir ainsi valable-
ment consigné cette somme; or la consignation était invalide

et les intérêts avaient continué à courir en faveur de
B.________, de sorte que A.________ avait finalement subi de
ce fait un dommage de 142'930 fr. 90. Dans ses conclusions
en
cause, la demanderesse a chiffré plus précisément son préju-
dice à 140'660 fr. 55; cette somme représentait l'intérêt au
taux de 5% l'an du 11 août 1994 au 31 juillet 1997 sur le ca-
pital de 1'360'684 fr. reconnu à l'époque de la consignation
(201'830 fr. 65), sous déduction de l'intérêt produit par la
consignation (61'170 fr. 10).

Le défendeur X.________ a conclu au rejet de la de-
mande et, reconventionnellement, au paiement de 30'780 fr.
avec intérêts à 5% l'an dès le 19 août 1997.

E.- Par jugement du 29 octobre 2001, la première
Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel a re-
jeté la demande principale et admis la demande reconvention-
nelle à concurrence de 30'780 fr. avec intérêts à 5% l'an
dès
le 1er mai 1999, lendemain du dépôt de la demande reconven-
tionnelle. Les considérants de ce jugement peuvent être résu-
més de la manière suivante:

a) Si la somme de 1'824'900 fr. déposée en mains de
l'exécuteur testamentaire avait été valablement consignée,
le
cours des intérêts aurait été arrêté. Il se serait en effet
agi d'une consignation tenant lieu d'exécution, qui
supposait
une demeure préalable du créancier. Or, comme l'avait consta-
té la Présidente du Tribunal civil du district de Neuchâtel
dans son ordonnance du 12 mai 1997, le créancier B.________
n'était pas en demeure en juillet 1994. Les intérêts avaient
ainsi continué de courir après le 11 août 1994 (jugement at-
taqué, consid. 3a).

b) Le défendeur avait indiscutablement commis une
erreur en croyant que cette consignation avait un effet libé-
ratoire. S'il avait été le mandataire de la demanderesse, la

question de sa responsabilité se serait certainement posée.
Toutefois, en sa qualité d'exécuteur testamentaire, le défen-
deur avait la charge des intérêts collectifs des héritiers,
en vue d'exécuter les dernières volontés du de cujus, et ne
pouvait donc pas être le mandataire de l'un des héritiers
contre l'un ou l'autre de ses cohéritiers. Dans la mesure où
un différend opposait certains héritiers à d'autres, l'exécu-
teur testamentaire devait se limiter à des conseils ou à des
propositions, et ne pouvait être tenu pour responsable de la
survenance ou de la persistance du différend (jugement atta-
qué, consid. 3b p. 9).

c) Indiscutablement aussi, la demanderesse n'avait
pas pu ignorer que le dépôt qu'elle opérait en mains de
l'exécuteur testamentaire ne la libérait pas au même titre
qu'une consignation judiciaire. En effet, elle avait elle-
même posé cette exigence d'obtenir quittance et décharge de
son frère B.________ contre versement de la somme. Or le man-
dataire de B.________ avait écrit tant à l'exécuteur testa-
mentaire, par lettre du 12 septembre 1994 que ce dernier a
communiquée à la demanderesse le 14 septembre 1994, qu'au
mandataire de la demanderesse, Me Y.________, par lettre du
11 novembre 1994, que son client n'acceptait pas de donner
quittance à ces conditions et qu'il considérait que les in-
térêts continuaient à courir sur le montant à payer par
A.________. En outre, il ressortait d'une lettre écrite à la
demanderesse le 15 août 1997 par sa mère que celle-ci lui
avait fait expliquer par Me Z.________, lors du dépôt opéré
en mains de l'exécuteur testamentaire, que les conditions du
pacte successoral ne pouvaient être remplies par ce dépôt.
Cette situation n'autorisait plus la demanderesse à s'en re-
mettre quasi aveuglément à l'avis de l'exécuteur testamen-
taire, et elle devait comprendre que la question était liti-
gieuse (jugement attaqué, consid. 3b p. 9-11).

d) Au surplus, la demanderesse, au moment du verse-
ment des fonds à l'exécuteur testamentaire, s'était réservé
le droit de déconsigner les fonds s'ils ne pouvaient pas
être
remis à B.________ dans un délai raisonnable, ainsi que le
défendeur l'avait rappelé dans sa lettre du 9 août 1994 à
B.________, dont la demanderesse avait reçu copie, et dans
une lettre du 10 janvier 1995 à Me Y.________ et à la deman-
deresse directement. On ne pouvait mieux exprimer l'absence
de consignation au sens juridique et procédural du terme. À
l'époque déjà où l'exécuteur testamentaire préparait un pro-
jet de décompte de la charge, il avait indiqué par lettre du
21 avril 1994 à la demanderesse qu'il conviendrait qu'il fas-
se, de la part de celle-ci, la proposition de régler la
somme
indiquée dans un délai très court, ajoutant que si
B.________
refusait, la demanderesse pourrait consigner le montant re-
connu (jugement attaqué, consid. 3b p. 10).

e) Force était ainsi de constater que la demande-
resse elle-même n'avait rien ignoré des conséquences du
dépôt
opéré en mains de l'exécuteur testamentaire le 11 août 1994.
Ses mandataires successifs pouvaient et devaient la conseil-
ler. Devant la contestation clairement exprimée par
B.________ et son mandataire, en particulier sur le fait que
les intérêts continuaient à courir, elle avait maintenu son
exigence d'obtenir quittance et décharge avant de libérer
les
fonds, alors qu'il aurait été si simple d'opérer le
versement
de cette somme en précisant qu'elle valait à ses yeux paie-
ment pour solde, quitte à recevoir de son destinataire la
mention qu'elle était acceptée à titre d'acompte. De la sor-
te, l'essentiel du capital aurait été versé et n'aurait plus
été productif d'intérêts. En outre, la demanderesse, qui
était allée jusqu'à s'opposer contre toute logique à la re-
quête en consignation déposée contre elle le 13 juin 1997
par
le défendeur, n'avait pas voulu non plus reprendre les fonds

qui étaient pourtant à sa disposition sous préavis de 48 heu-
res vis-à-vis de la banque. Pourtant, outre des conseils ju-
ridiques de ses mandataires successifs, elle pouvait bénéfi-
cier sur le plan bancaire ou économique des conseils de son
propre fils, économiste de formation, qui suivait de près
l'évolution de l'affaire (jugement attaqué, consid. 3b p. 11
et consid. 3c p. 12).

f) En définitive, si l'on pouvait admettre que le
défendeur avait commis une erreur en parlant de consignation
pour le dépôt opéré en ses mains par la débitrice de la char-
ge successorale, l'on devait constater que le refus signifié
par le créancier de cette charge d'accepter le montant propo-
sé contre quittance et décharge - avec la précision que les
intérêts à 5% continuaient de courir - était parfaitement
connu de la demanderesse. Il incombait en conséquence à cel-
le-ci de décider du sort de ce versement en mains de l'exécu-
teur testamentaire, voire de le faire parvenir au créancier
qui ne l'aurait accepté que comme acompte, ou encore de le
reprendre dans les 48 heures selon les modalités prévues
avec
la banque. Si faute il y avait eu, elle avait été largement
partagée par la demanderesse et ses conseillers. Elle devait
en assumer les conséquences puisqu'elle en connaissait les
tenants et aboutissants, et la responsabilité de l'exécuteur
testamentaire en tant que tel - qui n'était pas le
mandataire
de la demanderesse - était dégagée (jugement attaqué, con-
sid. 3d p. 12/13).

F.- Contre ce jugement, A.________ exerce en paral-
lèle un recours de droit public et un recours en réforme au
Tribunal fédéral. Dans le second, elle conclut avec suite de
frais et dépens à la réforme du jugement attaqué en ce sens
que le défendeur soit condamné à lui verser la somme de
140'660 fr. 55 avec intérêts au taux de 5% l'an dès le
25 juillet 1997. Le défendeur conclut avec suite de frais et
dépens au rejet du recours en réforme.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est sur-
sis en règle générale à l'arrêt sur le recours en réforme
jusqu'à droit connu sur le recours de droit public. Cette
disposition souffre toutefois des exceptions dans des situa-

tions particulières, qui justifient l'examen préalable du re-
cours en réforme; il en est ainsi notamment lorsque le re-
cours en réforme paraît devoir être admis indépendamment
même
des griefs soulevés dans le recours de droit public (ATF 122
I 81 consid. 1 et la jurisprudence citée; 117 II 630 con-
sid. 1a et les arrêts cités). Tel étant précisément le cas
en
l'espèce, il se justifie de déroger au principe posé par
l'art. 57 al. 5 OJ.

b) Le jugement attaqué tranche une contestation ci-
vile portant sur des droits de nature pécuniaire dont la va-
leur dépasse largement 8'000 fr.; il constitue une décision
finale, prise par le tribunal suprême du canton de Neuchâtel
et ne pouvant être l'objet d'un recours cantonal ordinaire.
Le recours en réforme, interjeté en temps utile, est donc re-
cevable au regard des art. 46, 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.

2.- a) La demanderesse se plaint de diverses viola-
tions du droit fédéral par la cour cantonale. En premier
lieu, les considérants du jugement attaqué sur la nature de
la responsabilité de l'exécuteur testamentaire (cf. let-
tre E/b supra) tomberaient à faux. En effet, la demanderesse
ne reproche pas tant au défendeur de n'être pas parvenu à
convaincre B.________ d'accepter la charge, mais de lui
avoir
proposé déjà le 21 avril 1994 (cf. lettre E/d supra) de con-
signer le montant reconnu si B.________ devait refuser le
montant fixé par l'exécuteur testamentaire.

Par ailleurs, la cour cantonale aurait mal appliqué
les règles sur la responsabilité de l'exécuteur testamen-
taire. En effet, selon la doctrine et la jurisprudence,
cette
responsabilité s'apprécie comme celle d'un mandataire; elle
impose pour le moins à l'exécuteur testamentaire, en vertu
de
son obligation de fidélité, de s'abstenir de nuire aux inté-
rêts de l'un ou l'autre des héritiers. Or lorsqu'il a été
averti le 12 septembre 1994 par le mandataire de B.________
que ce dernier n'acceptait pas de donner quittance aux condi-
tions posées par la demanderesse et considérait que les inté-
rêts continuaient à courir sur le montant à payer par celle-
ci, le défendeur - qui était au demeurant l'initiateur du
calcul de la charge - s'était contenté de transmettre cette
lettre à la demanderesse, sans aucun conseil ou commentaire
(cf. lettre E/c supra). Or le défendeur, s'il avait respecté
ses devoirs de diligence et de fidélité, aurait dû faire
part
à la recourante du risque financier que lui faisait courir,
en cas de blocage de la situation, le placement à vue effec-
tué pour la «consignation», et requérir de sa part de nouvel-
les instructions afin de parer à ce risque, pour le moins
après un délai raisonnable.

Enfin, la cour cantonale aurait violé le droit fédé-
ral en considérant que la demanderesse avait commis une
faute
et que cette faute écartait toute responsabilité du
défendeur
(cf. lettre E/f supra). Celui-ci, en ne signifiant à aucun
moment à la demanderesse que, le délai raisonnable étant pas-
sé, elle devait lui donner de nouvelles instructions sur le
sort des fonds «consignés» - par exemple les reprendre pour
rechercher un meilleur placement ou les libérer, comme
acompte -, a lui-même commis une faute qui ne saurait être
qualifiée de légère. Une éventuelle faute concomitante de la
demanderesse aurait tout au plus pu entraîner une réduction
de l'indemnité en vertu de l'art. 44 al. 1 CO, mais pas le
rejet intégral de la demande.

b) Le disposant peut, par une disposition pour cause
de mort, charger de l'exécution de ses dernières volontés un
exécuteur testamentaire (art. 517 al. 1 CC). Celui-ci a,
sauf
si le disposant en a ordonné autrement, les droits et les de-
voirs de l'administrateur officiel d'une succession; il est
chargé de faire respecter la volonté du défunt, notamment de
gérer la succession, de payer les dettes, d'acquitter les
legs et de procéder au partage conformément aux ordres du
disposant ou suivant la loi (art. 518 al. 1 et 2 CC).

Si le défunt a imposé à un héritier ou légataire une
charge successorale (art. 482 CC), il entre également dans
les compétences de l'exécuteur testamentaire de veiller à
son
exécution (Peter Breitschmid, Die Stellung des Willensvoll-
streckers in der Erbteilung, in Praktische Probleme der Erb-
teilung, Berne 1997, p. 146; Hans Rainer Künzle, Der Willens-
vollstrecker im Schweizerischen und US-Amerikanischen Recht,
Zurich 2000, p. 66 et les références citées; Jean Nicolas
Druey, Die Aufgaben des Willensvollstreckers, in Willensvoll-
streckung, Berne 2001, p. 10; Arnold Escher, Zürcher Kommen-
tar, Band III/1, Zurich 1959, n. 16 ad art. 518 CC; Jean
Lob,
Les pouvoirs de l'exécuteur testamentaire en droit suisse,
thèse Lausanne 1952, p. 53 et les références citées).

L'exécuteur testamentaire est tenu de renseigner les
héritiers sur les faits importants pour le partage de la suc-
cession et sur les activités déployées dans le cadre de sa
mission (ATF 90 II 365 consid. 3a et b; Künzle, op. cit.,
p. 264 ss; Druey, op. cit., p. 16/17; Breitschmid, op. cit.,
p. 117 ss; Martin Karrer, Basler Kommentar, Bâle 1998, n. 17
ad art. 518 CC). L'absence de renseignements ou des rensei-
gnements erronés de la part de l'exécuteur testamentaire
peuvent engager sa responsabilité (Künzle, op. cit., p. 266).

La responsabilité de l'exécuteur testamentaire à
l'égard des héritiers s'apprécie comme celle d'un
mandataire,

auquel on l'assimile; l'exécuteur testamentaire étant respon-
sable de la bonne et fidèle exécution des tâches qui lui
sont
confiées (cf. art. 398 al. 2 CO), il appartient aux
héritiers
qui s'estiment lésés de prouver la violation de ses devoirs
par l'exécuteur testamentaire, le dommage et la relation de
causalité entre ces deux faits; la faute de l'exécuteur tes-
tamentaire est alors présumée (cf. art. 97 CO) et il lui ap-
partient d'établir qu'il n'a pas commis de faute pour échap-
per à sa responsabilité (ATF 101 II 47 consid. 2; Künzle,
op.
cit., p. 335 ss). Lorsqu'il s'agit d'un mandataire au bénéfi-
ce d'un diplôme de capacité professionnelle, qui s'est vu dé-
livrer une autorisation officielle de pratiquer et qui
exerce
son activité contre rémunération, tel qu'un avocat et/ou no-
taire, on doit pouvoir attendre de lui une diligence particu-
lière en relation avec ses connaissances spécifiques et comp-
ter, notamment, qu'il conseille et oriente son client quant
aux possibilités juridiques ou pratiques qui se présentent à
lui dans certaines situations (ATF 117 II 563 consid. 2a;
cf.
ATF 121 III 350 consid. 6c et la jurisprudence citée en ce
qui concerne la responsabilité encourue par celui qui, dispo-
sant de connaissances particulières dans un domaine, accepte
de fournir des renseignements ou des conseils hors de tout
rapport contractuel).

c) En l'occurrence, le défendeur, agissant dans le
cadre de ses attributions d'exécuteur testamentaire (cf. con-
sid. 2b supra), a établi le 5 juillet 1994 un décompte de la
charge due par la demanderesse à son frère B.________. Le
13 juillet 1994, il a transmis ce décompte à ce dernier en
l'invitant à donner à la demanderesse, sous réserve de bonne
réception de la somme de 1'822'821 fr., pleine et entière dé-
charge de toutes les obligations qu'elle avait à son égard
selon le pacte successoral. Face aux difficultés d'exécution
de la charge - B.________ refusant de donner décharge du mon-
tant fixé par le défendeur -, la demanderesse a «consigné»
le
11 août 1994 en mains du défendeur, sur le conseil de celui-

ci, le montant du décompte du 5 juillet 1994, complété des
intérêts courus dans l'intervalle sur le capital de la char-
ge. Le défendeur a averti B.________ qu'il tenait cette
somme
à sa disposition pour autant que lui soit retournée la dé-
charge jointe à sa lettre du 13 juillet 1994. Par lettre du
12 septembre 1994, le mandataire de B.________ a répondu au
défendeur que son client n'acceptait pas de donner quittance
à ces conditions et qu'il considérait que les intérêts conti-
nuaient à courir sur le montant à payer par la demanderesse.
Le défendeur, qui croyait à tort que la «consignation»
opérée
en ses mains le 11 août 1994 avait un effet libératoire et
qu'elle avait ainsi arrêté le cours des intérêts dus en
vertu
du pacte successoral au taux de 5% l'an jusqu'à l'exécution
de la charge, s'est contenté de transmettre cette lettre à
la
demanderesse, sans conseil ni commentaire.

Il a fallu ensuite trois ans pour que la demande-
resse et B.________ trouvent un accord pour l'exécution com-
plète de la charge successorale imposée par feu leur père.
Le
montant finalement payé par la demanderesse à son frère com-
prenait apparemment l'intérêt au taux de 5% l'an du 11 août
1994 au 31 juillet 1997 sur le capital de la charge reconnu
à
l'époque de la consignation, soit un montant nettement supé-
rieur, selon les allégations de la demanderesse, à celui des
intérêts produits par la «consignation». Dans l'intervalle,
le défendeur a attendu le 2 avril 1997 pour tenter sans suc-
cès de faire constater par le Tribunal civil du district de
Neuchâtel que les fonds qu'il avait déposés en banque pour
la
demanderesse étaient «dûment consignés au sens de la loi».
Au
terme d'une deuxième procédure devant le même tribunal, diri-
gée cette fois contre la demanderesse, il a été autorisé par
décision du 11 juillet 1997 à consigner les montants que la
demanderesse se refusait à reprendre.

d) Sur le vu de ce qui vient d'être rappelé, force
est de constater que le défendeur, notaire et avocat, a
violé

ses devoirs de renseignement envers la demanderesse en propo-
sant à celle-ci une «consignation» productive d'intérêts net-
tement inférieurs à ceux prévus au taux de 5% l'an par le
pacte successoral et qui continuaient à courir. À tout le
moins a-t-il violé ses devoirs en omettant de renseigner la
demanderesse, après le refus réitéré de B.________ - assorti
de la précision que les intérêts à 5% continuaient à courir
-
de donner quittance aux conditions posées par la demande-
resse, sur les risques financiers que faisait courir à celle-
ci le maintien de la «consignation» jusqu'à ce qu'un accord
puisse être trouvé sur l'exécution de la charge. Le dommage
allégué par la demanderesse est dans son principe en
relation
de causalité directe avec la violation par le défendeur de
ses devoirs. Si la demanderesse avait été dûment renseignée,
elle aurait pu faire parvenir les fonds à son frère à titre
de paiement partiel dans la mesure où celui-ci acceptait un
tel paiement (cf. art. 69 CO), ou les reprendre dans les
48 heures selon les modalités prévues avec la banque et les
placer avec un meilleur rendement.

Il ne ressort pas des constatations de fait du juge-
ment attaqué que le défendeur aurait établi n'avoir pas com-
mis de faute, laquelle est présumée (cf. consid. 2b supra).
Selon l'art. 43 al. 1 CO, applicable par analogie en matière
de responsabilité contractuelle (art. 99 al. 3 CO) - à la-
quelle, comme on l'a vu (consid. 2b supra), la
responsabilité
de l'exécuteur testamentaire est assimilée -, le juge déter-
mine le mode ainsi que l'étendue de la réparation d'après
les
circonstances et la gravité de la faute; ainsi, en applica-
tion de l'art. 44 al. 1 CO, le juge peut réduire les domma-
ges-intérêts ou même n'en point allouer, notamment lorsque
des faits dont la partie lésée est responsable ont contribué
à créer le dommage, à l'augmenter ou qu'ils ont aggravé la
situation du débiteur (ATF 127 III 453 consid. 8c). En l'es-
pèce, rien dans les constatations du jugement attaqué ne per-
met de considérer la faute concomitante de la demanderesse

comme suffisamment grave pour avoir relégué la violation par
le défendeur de ses devoirs de renseignement à
l'arrière-plan
au point que cette violation n'apparaîtrait plus comme la
cause adéquate du dommage, ce qui justifierait de ne point
allouer d'indemnité du tout (cf. ATF 116 II 422 consid. 3;
115 II 62 consid. 3d).

e) Il résulte de ce qui précède que le jugement at-
taqué doit être annulé et la cause renvoyée à l'autorité can-
tonale pour nouveau jugement, le Tribunal fédéral ne dispo-
sant pas de tous les éléments nécessaires pour statuer sur
la
demande (cf. art. 64 al. 1 OJ). Dans la mesure où la procé-
dure cantonale le permet (cf. art. 66 al. 1 OJ), la cour can-
tonale complétera au besoin le dossier (cf. art. 64 al. 1
OJ)
- notamment en vue de déterminer la quotité du dommage qui
est en relation de causalité directe avec les manquements im-
putables au défendeur - avant de statuer à nouveau sur tous
les points nécessaires à la résolution du litige, y compris
sur les prétentions reconventionnelles du défendeur. Les ju-
ges cantonaux auront en particulier à trancher la question
de
la faute concomitante de la demanderesse (cf. consid. 2d su-
pra), en vue de fixer, dans le cadre de leur large pouvoir
d'appréciation (ATF 127 III 453 consid. 8c), la réduction
éventuelle de l'indemnité due à celle-ci; à cet effet, ils
réexamineront avec soin, eu égard aux critiques formulées
sur
ce point dans le recours de droit public connexe, la
question
de savoir dans quelle mesure la demanderesse pouvait bénéfi-
cier des conseils de mandataires ou de son fils.

3.- En définitive, le recours, fondé, doit être ad-
mis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à l'au-
torité cantonale pour nouveau jugement dans le sens des con-
sidérants. Le défendeur, qui succombe, supportera les frais
judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) ainsi que ceux de la demande-
resse (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours, annule le jugement attaqué et
renvoie la
cause à l'autorité cantonale pour nouveau
jugement
dans le sens des considérants.

2. Met à la charge de l'intimé:
a) un émolument judiciaire de 5'000 fr.;
b) une indemnité de 5'000 fr. à verser à la recou-
rante à titre de dépens.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la première Cour civile du Tribunal
cantonal du canton de Neuchâtel.

__________

Lausanne, le 6 mars 2002
ABR/dxc

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.311/2001
Date de la décision : 06/03/2002
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-06;5c.311.2001 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award